16 e FESTIVAL DES MUSIQUES SACRÉES
DE
MARSEILLE
(29 avril -1er juin 2011)
Le Festival a ouvert ses fastes ce vendredi 29 avril avec le Requiem de Brahms en l’église Saint-Michel, Place de l’Archange, et y déploiera ses ailes jusqu’au premier juin pour cinq autres grands concerts. Le Festival aura aussi de plus modestes nids, dans sept églises de quartier où des concerts gratuits offriront, comme une grâce, un choix des airs les plus beaux de musique sacrée. C’est l’occasion, pour l’Orchestre philharmonique et les chœurs de l’Opéra de Marseille de se mesurer à un autre répertoire sous la direction de chefs prestigieux avec des solistes internationaux mais aussi locaux.
SACRÉ, CONSACRÉ
Mais, avant de tenter de définir ce qu’il en est de la musique, on peut s’interroger sur le mot de sacré. C’est d’abord le contraire de profane, terme qui qualifie ce qui n’appartient pas à la religion. Est donc sacré ce qui est objet d’un culte, digne de vénération par son caractère divin ou sa relation à la divinité. Evidemment, encore faut-il s’entendre sur ce que l’on entend par divin : on s’aperçoit vite que notre époque, dans une confusion du profane et du sacré, est prodigue en enflure des mots, en inflation des valeurs (surtout marchandes) et il apparaît vite que la célébrité médiatique est ce qui donne nom, renom, ce qui sacre et consacre, inspirant respect, vénération, culte. Voilà les sportifs, déjà passés au rang de héros, devenus dieux du stade, tout comme les stars, les étoiles du ciel du cinéma, ou le divo ou la diva de l’opéra, qui signifient ‘dieu, déesse’.
Pour souligner sa prédilection, sa vénération profane pour une chose, une œuvre d’art, on parle aujourd’hui de livre culte, de film culte, de chanson culte, etc. À voir donc où va se nicher le culte, on peut conclure sans peine, mais non sans dommage, que notre époque a sans doute perdu le sens du sacré pour le remplacer par celui du « consacré ». Consacré par la réputation, la célébrité sinon l’usage.
MUSIQUES SACRÉES
Les musiques sacrées, il ne faut pas les confondre avec les musiques strictement religieuses. La musique religieuse, liturgique, rituelle, cultuelle, est au service du culte, du rite, de la liturgie. Elle est exécutée par des religieux, reprise souvent par les fidèles, à l’intérieur d’un édifice religieux, mais aussi à l’extérieur parfois, dans les processions par exemple.
L’expression musique sacrée en Occident, désigne des formes, des genres musicaux consacrés par l’usage, qui peuvent accompagner le culte, les pratiques religieuses : les messes musicales suivent le déroulé du cérémonial de la messe religieuse ; le Stabat mater prend son nom du début du célèbre poème de Jacopone da Todi : « Stabat mater dolorosa juxta crucem… » (‘la mère douloureuse était près de la Croix…’) tout comme le Requiem, qui est le premier mot de la messe des défunts, Missa defunctorum : « Requiem aeternam dona ei [eis], Domine… » (‘Seigneur, donne-lui [donne-leur] le repos éternel’).
COMPOSITEURS
La musique sacrée est souvent commandée à de grands compositeurs, qui utilisent des textes liturgiques. Elle est jouée aussi bien dans des églises que dans des salles de concert, des opéras.
La musique sacrée n’implique nullement la foi strictement religieuse des compositeurs : si la piété et la foi de Bach, cantor de Saint-Thomas, ne font aucun doute, Mozart, tout franc-maçon qu’il fût, a écrit une Messe en ut mineur et un Requiem sublimes, des airs comme Exultate, jubilate, dont tout le monde connaît au moins le célèbre Alleluia ; et Verdi, un Requiem pour son défunt ami Alessandro Manzoni Son Requiem respecte la liturgie catholique, mais passe pour un opéra en « habits ecclésiastiques », vite passé de l’église de sa première exécution aux salles d’opéras du monde entier. La flamme de ces grands musiciens, croyants ou non, n’est donc pas toujours forcément religieuse au départ mais ils sont au fond les grands prêtres d’une religion de la musique au service de la religion.
Messe religieuse
Au-delà de la croyance religieuse, la messe religieuse, c’est la réactualisation d’un archaïque sacrifice humain que la coupable conscience humaine voudrait oublier : chair et sang, pain et vin, résumés, sublimés dans l’hostie. De l’acte criminel ancien on est passé à son actualisation, non par la répétition du crime, mais par sa sublimation poétique par le symbole. Et, qu’on lui donne un sens religieux ou non, ce symbole qui en vient à remplacer l’horreur initiale du sacrifice, c’est le degré le plus élevé de la civilisation.
Messe musicale
La messe musicale est la sublimation de cette sublimation. La musique a toujours accompagné la religion. Messe des morts et messe de résurrection, chacun, croyant ou non se trouve confronté un jour au mystère de l’origine et de la fin, de la perte des êtres chers, au sentiment de la sienne propre. Aussi, que le public vienne dans une église pour Bach, Mozart ou Beethoven, les textes liturgiques sur ces mystères fondamentaux, ne peuvent laisser personne indifférent.
REQUIEM DE BRAHMS
Alors, le public qui s’empresse vers l’église Saint-Michel accourt-il d’un cœur religieux ou profane ? Se presse-t-il dans la vaste nef avec un sentiment religieux ou pour la sensation musicale ? Est-il là pour le sacré ou le consacré, pour cette messe des morts ou pour Brahms ? Finalement, peu importe : c’est une large communauté qui se retrouve, se recueille, médite sûrement, grâce à la puissance bouleversante de cette musique sur l’essentielle interrogation de la vie et de la mort.
Cette vaste et sobre église néo-gothique, svelte et claire, a un vrai charme ancien avec ses croisées d’ogives et ses vitraux. Cependant, la profondeur, la hauteur des voûtes, les hautes futaies de colonnes, si elles ne gênent pas trop les mouvements lents, créent un vrai problème de résonance dès que le tempo s’accélère, et gêne le retour de son pour les choristes serrés tout au fond avec, entre eux et le chef, la masse orchestrale imposante qui fait barrage à la bonne entente musicale. Ainsi, le premier mouvement, tout doux, comme un murmure lointain surgi des brumes du rêve, dans les vapeurs étranges de la résonance, est beau, se soulève comme une vague, une houle scandée de traits de violoncelles, mais le vaporeux devient brouillard avec le fortissimo.
L’interrogation douloureuse de Marc Barrard, baryton, dramatique et fervent, voix puissante et tendre, sombre, aura comme une réponse consolatrice dans la douceur lumineuse de la soprano Nathalie Manfrino qui a un écho choral telle l’estompe musicale derrière une figure vocale au premier plan. On admire la direction souple et précise du chef, Luciano Acocella, qui fait passer l’orchestre de la douceur infini de pianissimi rêveurs au fracas bouleversant des tutti, tout en luttant pour la cohésion globale contre l’acoustique trop réverbérante. Ces handicaps surmontés rendent plus précieuse encore cette superbe interprétation. Le chef contient l’ultime note qui semble ne jamais finir comme une espérance infinie, retient l’émotion et suspend les applaudissements. Puis les applaudissement éclatent tous au même instant, comme si le chef avait donné un invisible signal.
La musique, sacrée ou non, est toujours un art sacré de la communion.
Festival des musiques sacrées de Marseille
29 avril 2011
Johannes Brahms Ein deutsches Requiem
Orchestre philharmonique et chœurs (P. Iodice) de l’Opéra de Marseille
Direction : Luciano Acocella ;
Nathalie Manfrino, soprano, Marc Barrard, baryton.
Photos : Christian Dresse :
1. Vue générale ;
2. Au premier rang, Nathalie Manfrino, Luciano Acocella de dos, Marc Barrard ;
3. Vue du chœur.
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