QUATUOR CALIENTE
Les Trois mousquetaires du « Tango nuevo »
Rencontres musicales de Cassis,
10 février 2011
10 février 2011
Qui sont quatre en réalité, bien sûr, comme les héros de Dumas. Quatre comparses donc, amoureux du « Tango nuevo », ce nouveau tango renouvelé, dans les années 60, par Astor Piazzola (1921-1992), s’unissent en 2000 pour en être les interprètes chez nous et leur succès est tel qu’ils vont porter cette bonne nouvelle musicale à l’étranger aussi. Première bataille gagnée en 2004 : les quatre lascars remportent le concours international Piazzola Music Award à Milan, couronné par un premier disque, Libertango (Acon/Harmonia Mundi) , suivi d’un autre en 2007.
Les voici, ce soir, à Cassis, dans l’Oustau Calendal, pour officier ce rituel dévot à Piazzola et autres grands musiciens argentins. De formation classique, élève du compositeur Alberto Ginastera (inspiré dans ses mélodies du folklore argentin) et, un temps, disciple de Nadia Boulanger, Piazzola arrache le tango à ses traditionnels instruments, bandonéon et guitare, à l’emprise rythmique de la danse et l’ouvre aux influences de la musique contemporaine, jazz, jeux de tonalités élargies ou limites, sons percutés ou frottés des doigts, des mains, sur les ailes de formations instrumentales plus larges.
C’est un ensemble de ce modèle que suit ce Quatuor caliente avec un emblématique bandonéon (Gilberto Pereyra), un piano (Cedric Lorel), une contrebasse (Nicolas Marty) et aussi un violon comme flamberge brandie au vent (Michel Berrier). Chaque pupitre a son moment d’autonomie dans ces musiques ambitieuses, de jeu soliste virtuose, même la contrebasse (Contrabajeando). Serpent ondulant, éventail plissé, arc-en-ciel d’harmoniques, le bandonéon joue de ses stridences, de ses agaçantes et même angoissantes mais délicieuses acidités, évadé et évasé vers des aigus que strie amoureusement ou rageusement et orageusement le violon (Verano porteño) tandis que le piano martèle des accords graves décomposés sur les scansions fatales de la contrebasse en pizzicati sombres. Le son est ample, généreux, riche, d’une enveloppante chaleur, les accords raffinés.
Dans cet écrin somptueux, la perle rare d’une voix, perlée, délicate et forte à la fois : la chanteuse Sandra Rumolino. Gracile et gracieuse silhouette en s sinueux alangui de compadrita racée, robe noire moulante au corps, ou légère dentelle obscure sur dessous chair, cheveux courts : un moineau, un « piaf », une Piaf, un joli Tanagra des faubourgs porteños de Buenos Aires. Pas d’effets grossis, pas d’effectisme expressionniste à la limite de la caricature qui sont le lot, trop souvent, des chanteurs de tango tanguant de glauques sanglots. Sandra a une expression juste, précise rythmiquement et, dans cette voix d’une pureté remarquable, elle glisse avec une sensibilité sans sensiblerie, toute la déchirante et humaine détresse de ces musiques et textes : elle se penche avec tendresse et une douceur acérée sur ce Chiquilín de bachín, ce pauvre petit vendeur de fleurs, croque avec humour la silhouette de ce Títere de Borges, ce compadrito, type du petit gars de faubourg, fringant et fringué, fort en gueule, arrogant et bagarreur, jouant les mecs, mandón, autoritaire dans ses rapports, dérisoire marionnette des clichés citadins de la virilité. On passe par la touchante Balada para un loco, texte d’Horacio Ferrer, avec lequel Piazzola écrira l’opéra tango María de Buenos Aires, un classique désormais, qui permet, dans la milonga, à Sandra Rumolino l’apothéose d’une identification passionnée. Et l’on n’oublie pas, en français, cette intense et profonde chanson sur l’oubli.
Hommage est rendu également, au grand pianiste et compositeur Horacio Salgan, à Gustavo Beytelmann, au duo Scarpini/Caldarella dans ce concert qui, au-delà de Piazzola et du tango, est un bel hommage à la musique, la grande, c'est-à-dire, au-delà des genres, la belle.
Cassis, Oustau Calendal, 10 février 2011,
Quatuor caliente, Sandra Rumolino, chant
Musiques d’Astor Piazzola, Horacio Salgan, Gustavo Beytelmann, Scarpini et Caldarella.
Photos :
1. Une chanteuse touche par la grâce ;
2. De droite à gauche : Nicolas Marty, Cédric Lorel, Sandra Rumolino, Gilberto Pereyra et Michel Berrier.
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