LA ROQUE D’ANTHÉRON
Orage sans désespoir
Des nuages gris, rabougris, rougis par le couchant, à travers les ramures sombres des arbres, chair amoureuse rosie sous la dentelle noire de la soie, ne pouvaient laisser prévoir le déluge. Mais le silence détonnant des oiseaux, intermittents impertinents et impénitents réveillés par les projecteurs, violons ailés, flûtes zélées mêlant leurs roulades joyeuses aux premières notes nocturnes des musiciens, charme champêtre de la Roque d’Anthéron, pouvaient être une première alarme.
Brigitte Engerer et Boris Berezovsky commençaient leur concert hongrois et russe de piano à quatre mains et de pièces pour deux pianos. Ils en étaient à magnifier un peu le formel et académique Grand Solo de concert de Liszt, dit Concerto pathétique, qui faillit le devenir vraiment quand les premières gouttes commencèrent à taquiner et tapoter sonorement la vaste conque acoustique, vaste ombrelle au soleil enfui trouvant soudain un emploi de grand parapluie inédit et inouï. Ils attaquaient les Danses hongroises pour quatre mains de Brahms quand l’orage, rageusement, redoublait sans doucher l’enthousiasme des spectateurs stoïques. Les deux artistes, eux, mi-riant, redoublaient d’ardeur et de vélocité pour abréger le délicieux supplice d’un public, donnant à leur interprétation une électricité atmosphériques.
La rapidité efficace des responsables du festival, distribuant à toute vitesse des imperméables jaunes ou transparents à capuche donnèrent vite aux quelque deux mille fervents une allure d’extra-terrestres recueillis religieusement devant la beauté musicale offerte joyeusement par les deux interprètes transcendés dans les Danses polovtsiennes du Prince Igor, de Borodine et la Suite nº 2 en ut majeur, opus 17, de Rachmaninov, s’achevant avec panache par une chaleureuse et étourdissante tarentelle. Ce furent d’abord les artistes, reconnaissants, qui applaudirent le courageux public, leur offrant, en remerciement, en bis, avec une gaîté partagée, la Polka de Chostakovitch, des Souvenirs de Russie de Brahms et le swinguant Pelly Mooguy de Morley.
La Roque d’Anthéron, 1er août 2010
Brigitte Engerer et Boris Berezovsky, concert hongrois et russe de piano à quatre mains et de pièces pour deux pianos Liszt, Brahms, Borodine, Rachmaninov.
Photo : Yves Bergé
Ombrelle ou parapluie, la conque acoustique.
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