dimanche, juillet 26, 2009

OPÉRA AU VILLAGE

DJAMILEH
Opéra comique en un acte de Louis Gallet,

d’après Namouna d’Alfred de Musset,
musique de Georges Bizet
,
Pourrières, 23 juillet 2009


Couvent des Minimes
Là où l’épine dorsale hérissée de la Sainte Victoire bleue s’apaise en molles ondulations vertes vers l’orée du Var, face aux Monts Auréliens, premières ondes du massif de la Sainte Baume, sur une éminence, le village de Pourrières se hausse et serre autour du clocher de son église. Le creux d’un petit chemin ondoyant et verdoyant conduit à une vieille bâtisse, nichée dans un flot d’arbres, le couvent des Minimes, où depuis 2005, a trouvé nid le bref mais original festival d’Opéra au Village, créé et mené par une équipe débonnaire et sympathique de villageois. Une muraille en moellons apparents, soulignée et ombragée d’une ligne de marronniers séculaires, sous lesquels sont dressées les joyeuses tables d’un repas à thème servi par les bénévoles du lieu, embrasse plus qu’elle ne ceinture le couvent: une humble construction que des moines campagnards bâtirent patiemment en assemblant à l’ancienne, sans apparat de taille, une à une, ces pierres roses, liées d’un peu de mortier, à peine taillées pour les portants d’angles et de soutènement. Un petit cloître de ce simple appareil en pierres crues, à la galerie au modeste dos voûté, enlace une courette à laquelle un marronnier offre un ciel vert, parasol le jour, ou dais végétal la nuit éventant mollement de sa palme les étoiles d’été. Une mince fenêtre à fronton antique rappelle le XVI e siècle de la construction.

De Namouna à Djamileh

Rêve d’orient, thématique d’Opéra au Village. Mais, aujourd’hui, rêve masculin par le sujet inspiré de Namouna (1831) de Musset, désinvolte conte de 145 strophes en vers aussi libres que libertins, expression tour à tour mélancolique et ironique d’un jeune dandy déjà blasé, « venu trop tôt dans un monde trop vieux », tout tourné vers le XVIII e siècle léger, qui ne craint rien tant que l’ennui, ce spleen romantique pesant :

Donnons au plaisir nos heures,

Et chassons de nos demeures

L'ennui, cet hôte indiscret.

Le texte de Musset, joyeusement impertinent, voguant sur la vogue des Orientales d’Hugo, n’ignore pas le Childe Harold (1812-1818) de Byron, ni son Don Juan, ni celui de Mozart : il y a débauches et ébauche de catalogue de femmes de toutes conditions et de tous pays, éloge du vin, de l’inconstance mais traversé du rêve nostalgique, à la mode romantique convenue, de la « femme inconnue », celle qui effacera toutes les autres qui n’en seraient que le brouillon. Bref, un Don Juan jamais amoureux mais vaincu par l’amour.
Le bref livret que Louis Gallet (1872) tire des neuf dernières strophes du « Conte oriental » de Musset, dans une légèreté gracieuse, condense parfaitement Namouna, l’esclave amoureuse d’un maître, devenue ici Djamileh. Hassan était un Français converti à l’islam par le goût des harems. C’est ici Haroun, Sultan d’Egypte qui assigne cyniquement un mois à ses esclaves favorites, « destin promis aux fragiles amours »,
 et chante tel un Don Juan :

Que l'esclave soit brune ou blonde,

Je cède au charme tour à tour ;
Je n'aime aucune femme au monde,
Aucune femme...
 J'aime l'amour! j'aime l'amour.

Son valet, Splendiano, qu’on croit amoureux de Djamileh, n’en chante pas moins un hymne au plaisir bien sensuel, digne du maître :

Il faut pour éteindre ma fièvre

Une douce réalité,

Et je veux boire à pleine lèvre

Ta coupe ardente, ô volupté!

C’est donc bien un chant profane au plaisir et une conception de l’amour bien masculine qui s’expriment dans cette œuvre qui fait apparemment triompher l’esclave amoureuse qui soumet le cœur d’un maître inconstant, comme Shéhérazade, qui misait sa tête. Djamileh l'orientale est l'inverse de Rosine du Barbier: elle veut rester dans une cage que la Sévillane veut briser. Le chœur féminin chante de plaisants « Lou lou lou lou » qui stylisent les « youyou » de joie des femmes arabes.

Réalisation
Bernard Grimonet, habitué des lieux, qui signe la mise en scène, utilise judicieusement l’espace exigu du plateau et stylise un Orient de théâtre ( Gérard Méliani et son équipe) : baies de galerie de fond éclairées de moucharabiehs ; rideau vert islam, tentures dorées, gazes isolant un divan qui sera orné de moelleux coussins, table ottomane, flacons, verres, narguilé, signes du « luxe, calme et volupté » masculins, opposés à cette fragile cage, signature féminine, où, par l’esclave amoureuse, sera tendrement enclose la rose singulière, symbole de la femme, que le maître cynique avait extraite d’un bouquet pluriel puis effeuillée avec désinvolture, telle une marguerite, avant de la broyer : pas d’épines pour lui. Les costumes (Mireille Caillol et son équipe) sont d’un faste oriental, clin d’œil kitsch ; un immense éventail épanoui jouera au moucharabieh ou à l’imposte pour l’imposture finale de l’esclave voilée, cruellement dévoilée par le Sultan à ses amis comme Elvire est livrée par Don Giovanni à son valet, pudiquement occultée à la fin quand l’amour parle. Des projections de motifs géométriques arabes parachèvent ce rêve doré oriental, nimbé de lumières hollywoodiennes.
L’œuvre étant courte, une première partie, instrumentale et vocale, nous met dans l’atmosphère de l’Orient des salons du XIX e siècle : extrait de Namouna, ballet de Lalo, les Adieux de l’hôtesse arabe de Bizet, poème d’Hugo, poétiquement joués au violon (Sarah Friedmann) d’une fenêtre nocturne, et quelques mélodies (Fauré, Lalo, Viardot, romance de Nadir de Bizet) dans ce goût, délicatement chantées par les interprètes de la proche Djamileh. Un interlude acousmatique (Nicolas Marfeuil et Julie Serre), grondements, clameurs, plonge un homme enlevé (esclave chaîne au cou) dans un songe traversé de vers ironiques de Namouna, passant du cauchemar au rêve oriental compensateur de maître absolu : Djamileh.

Interprétation
De l’orchestre de Bizet pour soixante instruments, Frédéric Carenco réussit à tirer un sextuor instrumental (piano, violon, violoncelle, flûte clarinette, basson) qui respecte l’original, couleurs de timbres, d’une intimité chambriste séduisante, toute en nuances et saveur orientale stylisée: délicat et somptueux tapis persan continu déroulé sous les pas et voix des chanteurs, œuvre personnelle d’un vrai compositeur, servie avec un bonheur sensible par d’excellents musiciens heureux. À leur tête, passionné et précis, Luc Coadou mène le jeu musical sans faille, attentif aux détails et à l’ensemble, dont ces chœurs bien chantants, astucieusement intégrés à l’action, d’où se détache la belle voix de basse de Cyril Costanzo, par ailleurs comparse cocasse.
Agrémenté d’une charmante danseuse orientale (Karen Agopian), le trio de chanteurs, jeunes et beaux, passe aisément de la mélodie de salon à l’effusion lyrique plus franche avec un même bonheur. En Splendiano, le valet confident, Jean Fischer, interprète raffiné du Jardin nocturne de Fauré en première partie, déploie maintenant sa belle étoffe de baryton en voix parlée et chantée, ligne de chant et silhouette impeccables, art des nuances, acteur des plus justes. Le tout jeune ténor léger Samy Camps, pour la première fois en scène, très à l’aise, prête au Sultan capricieux et enfantin son allure juvénile et la légèreté aérienne de sa voix, qui devrait mûrir dans le médium. Sans doute pourrait-il moins abuser de sa facilité (pas si courante !) à user du registre mixte et du fausset et de ses mimiques, très drôles il et vrai mais qui, à trop tirer vers le comique, laissent dans l’ombre la fatale noirceur et cruauté que met en lumière un libertinage où, s’il y a commerce heureux de deux épidermes, il n’y a pas échange de deux libertés et de deux cœurs.
Dans le renversement hégélien (même improbable) de maître à esclave, Yete Queiroz, qui avait déjà séduit et ému par son interprétation sensible et juste de La captive de Lalo, trouve en Djamileh un rôle, tessiture, couleur, personnage, à sa mesure : elle est belle, discrètement sensuelle, sensible, et le cuivre de sa voix de mezzo, homogène et maîtrisée en nuances, convient au bronzage de sa peau et à son lamento où se retrouve la nostalgie érotique et désespérée des mélismes des Adieux de l’hôtesse arabe, déchirée du départ du « bel étranger » oublieux, ici, le Sultan.
On se sent si heureux de ce spectacle réussi qu’on veut bien croire à son happy end. Le temps d’une nuit d’été.

Photos : Bertrand Bruder, légendes, B. P.
1. Remède contre l'ennui…
2. Maître et valet: les deux font la paire;
3. Plus joyeux lurons, larrons: la bande des hommes;
4. La femme et la cage: la servitude volontaire.

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