mercredi, janvier 07, 2009

HENRI TOMASI

LA GLOIRE DU PÈRE

UN IDÉAL MÉDITERRANÉEN
HENRI TOMASI,
par Michel Solis,
Postface de Daniel Mesguich,
Éditions Albiana, 182 pages, Accompagné d’un CD de trois œuvres du compositeur, 25 euros


Mieux que livre, superbe album tant l’iconographie de ce nécessaire ouvrage sur le plus grand compositeur marseillais et corse est riche en documents : photographies familiales et officielles, lettres, dessins, reproductions de pages de partitions autographes, d’affiches de concerts, d’opéras, de photos de scène, qui en disent long sur la célébrité internationale d’Henri Tomasi (1901-1971), malgré l’étrange éclipse, en France, de ce prodigieux et prolifique musicien et chef d’orchestre qui honore sa ville et son pays mais plus honoré à l’étranger que chez lui.
D’autant plus étonnante éclipse, ou occultation, que cet ouvrage nous convainc, avec 16 entrées bibliographiques d’études ou d’articles sur Tomasi, la liste de pas moins de 50 disques compacts de ses œuvres et deux films, un catalogue de 12 pages de titres de ses compositions (toutes éditées à deux exceptions près), qu’on n’a guère d’excuse à ignorer la production de cet homme qu’on peut sans exagération nommer géant de la musique eu égard à la brièveté de sa vie : 295 opus en quelque 40 ans d’activité créatrice à côté de son prenant travail de chef d’orchestre ! Regrettons, cependant, que les titres de ce catalogue, s’ils sont parfaitement datés, ne soient pas numérotés. Sans doute la recherche universitaire musicologique s’honorerait-elle, grâce à ce précieux document, d’aller étudier cette généreuse manne à portée de main. Les étudiants en mal de « masters » et de thèses, les chercheurs ont là un trésor presque vierge.
Tomasi a touché tous les genres : musiques instrumentales, orchestrales ou solistes, pour les instruments les plus variés ; œuvres vocales, des chansons du folklore corses recueillies et harmonisées aux compositions grandioses pour chœur et orchestre ou piano, en passant par les œuvres pour voix seule et piano ou a cappella. Les œuvres scéniques abondent, de la musique de film, pour son et lumière, aux pièces radiophoniques et ballets (13 opus) et pas moins de onze opéras dont nous avons eu la chance, à Marseille, d’admirer, il y a trop longtemps, au moins trois indiscutables chefs-d’œuvre, Don Juan de Mañara, d’après Milosz, L’Atlantide, d’après Pierre Benoît, et ce passionné Sampiero Corso récemment. On n’oubliera pas l’austère oratorio, si lyrique, le Silence de la mer de Vercors à Aix.
Mais ce livre est la chaleureuse et trop modeste « esquisse biographique à plusieurs voix » (dont celle de Tomasi, la « principale », recueillie au magnétophone) que le fils Claude, pudiquement masqué sous le pseudonyme de Michel Solis, restant discrètement dans l’ombre, consacre à son père, appuyée sur d’inestimables témoignages familiaux et personnels. Pourtant, rien d’hagiographique ici, mais une tendresse non exempte d’humour, quand le fils évoque les excès de son père, sa tentation mystique, son désir de divorcer… pour épouser Dieu et se faire dominicain à la Sainte-Beaume, sans doute conquis autant par la beauté sauvage du lieu que par une pieuse et distante égérie qui lui avait inspiré la douce Girolama de son Don Juan. La correspondance entre le prêtre catholique qui pousse à la conversion et au divorce (!) et la digne et protestante épouse, qui rétorque avec élégance et une grâce ironique du plus bel aloi, est irrésistible. La commedia méditerranéenne n’est pas loin.
Le vrai mysticisme de l’ombrageux et solaire Tomasi, qui perdit la foi avec ou après la guerre, sa vraie quête spirituelle mais toute tournée vers l’humain, vers le monde, vers l’Autre souffrant, c’est dans sa musique exaltée et extasiée parfois, qu’il faut le chercher. Œuvre d’un éternel révolté contre la misère du monde, contre tous les pouvoirs oppresseurs, dont la biographie nous livre quelques clés : conflits avec un père tyrannique, sentiment de l’injustice sociale, sensation de liberté vitale d’un viscéral méditerranée, citoyen universel d’une mer non pas close sur son nombril mais ouverte à tous les vents et, sinon à ce puissant et oppresseur Nouveau Monde d’un Dvorak, du moins à ce pauvreTiers Monde de la symphonie qui, avec le lumineux Retour à Tipasa de Camus et l’ombreux Silence de la mer de Vercors, sont les joyaux du CD illustrant ce livre. Henri Tomasi, une vie, une œuvre : éthique et esthétique faites musique.

Photo, par courtoisie de Claude Tomasi :
Henri Tomasi




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire