mardi, décembre 09, 2008

AÏDA

TRIOMPHANTE AÏDA
Aïda, de Verdi,
livret d’Antonio Ghislanzoni d’après le texte de Camille du Locle,
Opéra de Marseille,
Nouvelle production en coproduction avec les Chorégies d’Orang
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Le grand air va bien à Aïda et Orange fut grandiose, notamment pour la scène du triomphe, vraie fresque colossale à l’échelle des pyramides. Cependant, l’intimisme d’une scène fermée rend plus aiguë, au-delà des invraisemblances romanesques des situations, avec la beauté sans faille de la musique, l’universalité poignante des sentiments : amour entre le vainqueur et la belle esclave vaincue, passion et devoir, jalousie qui n’épargne pas les filles de pharaon, compassion et vengeance, nostalgie intemporelle des pays perdus des éternels déportés. L’exploit de cette production d’Orange, de Charles Roubaud et de son équipe (Emmanuelle Favre pour le décor, Katia Duflot pour les costumes) est, avec ce sempiternel matériau, d’en avoir renouvelé l’approche avec une toute neuve distribution.

La réalisation
Il est vrai que la vidéo réalisée par Graphbox (Nicolas Topor, Vincent Cottret, Matthieu Vovan), utilisée de main de maître par Roubaud, permet des effets saisissants, à la fois réalistes et poétiques : entrée de temple aux lignes de fuite latérales, aux statues colossales, pour la première scène, bougent en fonction des déplacements en perspective des personnages ; défilé innombrable de soldats pour le triomphe, qui semblent arriver naturellement sur scène devant le Pharaon ; temple ruisselant et miroitant de lune au bord du Nil, etc : ce décor visuellement vraisemblable, se déplace avec fluidité et vraisemblance en fonction des besoins scéniques. Et surtout, à la fin, les deux amants emmurés dans l’étouffant caveau mortel, cette apparition en transparence lointaine d’Amnéris faisant trio compassionnel avec les condamnés, qui se rapproche et s’ouvre comme un ange de rédemption sur un ciel constellé, est d’une beauté bouleversante. On n’oubliera pas non plus ces rideaux de fils dorés des appartements d’Amnéris d’une poétique légèreté.
Dans ce cadre proche, les magnifiques costumes de Duflot, coiffures et coiffes (impressionnante sur la robe noire de l’esclave éthiopienne), robes vaporeuses pour la princesse, pastellisées par les somptueuses lumières de Marc Delamézière qui sculptent les ombres des visages, étalent sans ostentation excessive leur raffinement. Ajoutons une chorégraphie africaine de Laurence Fanon qui semble à la fois combat et révolte des athlétiques vaincus éthiopiens, plus expressive dramatiquement que platement décorative.

L’interprétation
Elle est à la hauteur de cette réalisation. D’abord, la direction de Nader Abbassi, chef égyptien qui, d’un orchestre somptueux, polit les bijoux d’une orchestrations aux timbres rares et délicats, comme flûtes, harpe, et éclatantes trompettes spatialisées efficacement dans les loges.
Le rôle titre, porté, transporté par Adina Aaron, plastique beauté noire américaine, justifie enfin l’amour de Radamès qui chante en toute propriété « Céleste Aïda, forme divine… » : élégante et racée autant dans son physique que dans son chant, timbre fruité, voix souple, aisée, qui se plie sans peine aux pianissimi exhalés comme des soupirs, digne et noble dans son jeu. Sa digne rivale, c’est la si belle aussi Béatrice Uria-Monzon qui prend ce rôle, un brin trop grave pour elle, avec cependant une présence et même aisance de reine, un sens dramatique d’immense tragédienne, crédible dans sa jalousie, tendre et cauteleuse avec Aïda, grandiose de révolte désespérée lors du jugement, filant des nuances déchirantes d’humaine pitié.
Entre ces deux femmes magnifiques, le ténor Walter Fraccaro s’en tire honnêtement, avec vaillance même, mais avec quelques intonations incertaines dans son redoutable air d’entrée à froid, un peu en retrait dramatiquement. D’une brutalité sonore claironnante, Ko Seng-Hyoun fait un Roi d’Éthiopie vaincu plus soudard que royal ; Wojtek Smilek, grand prêtre, prête sa grande et belle voix que l’on connaît, aux cavités sombres des caveaux et temples égyptiens ; Dmitry Ulyanov est un Pharaon vocalement crédible et Julien Dran un message à la hauteur. À leurs côtés, Sandrine Eyglier déroule lumineusement, dans l’obscurité du temple, les mélismes délicats de sa solaire voix. Les chœurs (Pierre Iodice), si divers, guerriers ou poétiquement religieux, participent pleinement à ce succès.
Oui, Aïda a fait un retour triomphal mérité à Marseille.

Photos Christian Dresse :
1. Amnéris et les prêtres ;
2. Aïda et Radamès ;
3. Aïda et Amonasro.



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