jeudi, juin 28, 2007

Mmm…

Mmm…
Stravinsky Project Part 2
Festival de Marseille

Mmm… comme une moue dubitative (« Bored », « angry » ?, ‘Vous vous ennuyez’, ‘vous êtes en colère’ ?) affichaient malicieusement des projections au cours du spectacle. Pour moi, plutôt Mmm… comme onomatopée de plaisir gustatif d’un spectacle savoureux (« wow ! ») dont les assaisonnements rockeux sur classiqueux font saliver les gourmets point trop gourmés : l’extravagance, l’extravadanse britannique d’aujourd’hui sur l’humour british de toujours : « le clash du punk et la classe du classique » comme je l’écrivais après Stravinsky Project Part 1 (voir Revue marseillaise du Théâtre, N° 18) dont, en attendant le 3, Michael Clark, offrait la primeur française du deuxième volet de sa trilogie, Stravinsky Project Part 2.

Épure de la ligne
La première partie est une reprise, variée dans les figures, du Stravinsky Project Part 1 de l’an dernier : même simple décor blanc et noir, six portes coulissantes au fond à miroirs intérieurs, sol de scène à la géométrique rigueur, style Op’ Art, l'art optique, jeu optique d’une frise noire à angles droits sur fond blanc, binarisme chromatique cher à Vasarely entre autres, très années 70. C’est le cadre d’un onirique univers d’une fiction qui pourrait être Star Trek à voir ces créatures aux costumes bizarres (M. Clark et Stevie Stewart) : devant clair, arrière noir sur toute la médiane latérale du corps qui, sur le fond sombre où se détachent les danseurs gommant la partie noire et mettant en lumière la partie claire, coupe, affûte la ligne déjà longiligne des silhouettes : ventre et dos contrastés, d’anguleuses hirondelles, d’insolites insectes ou créatures extra-terrestres androgynes, étranges et étrangères les unes aux autres, autonomes automates casqués d’un bonnet noir, torse bombé, très cambré en flexion arrière dans un allongement balanchinien extrême, …
Sur la rigueur d’épure géométrique blanche et noire du sol, comme une basse stable en musique, ces atypiques danseurs, dont une géante interprète, s’étagent en hauteur en jeu de perspective de fuite, font des variations, angles aigus d’équilibres sur jambe, mais surtout nœuds de lignes sinueuses, souples jusqu’à la torsion, la contorsion, rêve de forme maniériste serpentinata comme eût dit Michel-Ange, montrant à la fois tous les côtés d’un même membre, d’un corps, devant et derrière à la fois, distorsions limites qui jouent et déjouent les implacables angles droits du sol dans un enjouement espiègle, plein d’humour, souligné par la raideur sans sourire et aux regards d’ailleurs des physionomies. Un clin d’œil à la Joconde, à la Liz Taylor de Warhol sont autant de signes d’une esthétique qui se situe dans le temps tout en étant d’aujourd’hui. La violente scansion rythmique électrisante et toute la verve inventive des musiques fétiches de Clark, les Sex pistols, semble le seul rapport sensible immédiatement avec Le Sacre du printemps de Stravinsky, en deuxième partie.

Sacré, consacré
Tout chorégraphe se projette dans le mythique Sacre, sacralisé par le vide documentaire, de Nijinski, sur la musique d’un Stravinsky (qui le désavoua) après le scandale de 1913. Nous en aurons ici l’analytique et passionnante version pour deux pianos (jouée en direct par les excellents Philip Moore et Huw Watkins). Mêmes sources et ressources classiques ici pour un vrai langage personnel, avec ses claudications humoristiques. Avec belle humeur et son humour décalé mais, finalement bon enfant, Clark nous en offre sa version gentiment provocante : maillots troués au bon ou mauvais endroit, du sexe, inversion des signes sexuels du costume, danseurs en jupe et danseuses en veste masculine, générales jupettes plastoc très Mary Quant d’un kitsch très anglais du Londres fou des années 60 ; encore un clin d’œil à Duchamp (précurseur aussi de l’Op’Art) et à son fameux urinoir avec cette grande et extraordinaire danseuse torse engoncé dans une cuvette WC dont la lunette noire lui est un beau collier et l’abattant une superbe auréole. On n’oublie pas le Nijinski du Faune avec ses célèbres mains en à plat, des rondes presque enfantines d’une fluidité gracieuse en leurs enchaînements de bras ; les beaux maillots fleuris nous situent dans un printemps idyllique presque de Botticelli et la belle nudité à l’innocence première d’un Éden perdu avec la touche, faussement pudique, de ces boas cache-sexe. Mais, la terrible danse de l’Élue, qui paraît, cheveux plaqués et moustache à la Hitler, avec un levé de jambe ébauche du pas de l’oie nazi, malgré sa poitrine nue, plus rigide que fragile, dans ses extraordinaires et acrobatiquement virtuoses démembrements et contorsions, entortillements et torse torturé de suppliciée, renvoient à un autre signe qui s’éclaire peut-être : tous les danseurs portaient une calotte sur le sommet du crâne : une kipa juive ? Oui, le Sacre, avec un sacrifice rituel, est toujours un massacre. Le tee shirt avec lequel Michael Clark répond aux saluts, arbore les deux doigts de Churchill en V de la Victoire semble dire en souriant : seul l’Art nous sauve de la barbarie. Et l’on est content de ce message glissé avec légèreté : il y a tant de gens qui œuvrent sérieusement des œuvres dérisoires que l’on se sent en heureuse complicité avec un créateur qui dit joyeusement des choses sérieuses.
27 juin



Photos © Hugo Glendinning , légendes B. P. :
1. Ligne "serpentinata";
2. Espoir printanier de l'Art ;
3. Torse, torsion, contorsion : torture?

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