vendredi, septembre 05, 2025

VOIX ÉTOUFFÉES DES TOTALITARISMES


https://open.spotify.com/intl-fr/album/7jZEoKWNcOOnpq7t9lrVsD

 

Arnold Schönberg

L’arrangeur arrangé

Collection Voix étouffées

label Hortus

Le concepteur de ce disque, le chef d’orchestre et compositeur Amaury du Closel, ne l’aura pas vu paraître : la mort l’a emporté juste avant sa parution. J’en aurais parlé bien avant si des circonstances personnelles impérieuses m’en avaient laissé le loisir. Mais, le maître d’œuvre disparu, son œuvre demeure heureusement, surtout portée par un projet qui dépasse largement la temporalité : la résurrection, aujourd’hui, de musiques d’hier bâillonnées, étouffées, réduites au silence par des régimes totalitaires, ici le nazisme. En somme, rendre à notre présent des compositeurs et leurs musiques censurées autrefois.

Cet enregistrement Schönberg, l’arrangeur arrangé, avec son orchestre Les Métamorphoses, le concours de la mezzo-soprano Maria Schellenberg et du pianiste Thomas Tacquet, est donc le dernier d’Amaury du Closel (1956-2024), auquel nous rendons, même tardif, cet hommage.

Disciple en composition de Max Deutsch (1892-1982), l’un des derniers élèves européens d’Arnold Schönberg, Amaury du Closel avait fondé en 2003 le Forum Voix étouffées (FVE). Il se consacrait à la résurrection des œuvres laissées par les compositeurs victimes d’Hitler, de Mussolini, de Franco ou de Staline. Son action protéiforme avait pour armes, pacifiques, des concerts, des enregistrements, des ateliers divers, des colloques dans une vingtaine de pays de l’Union Européenne qu’il éveillait à la conscience de cet héritage dérobé à notre culture par la violence politique de certains régimes. Par ailleurs, à côté de ses compositions musicales personnelles, il est l'auteur du livre Les voix étouffées du IIIe Reich paru chez Actes Sud en 2005, l’année même du début concret de son forum.

Signalons qu’à Marseille, le Festival des Musiques Interdites, qui célèbre cette année ses vingt ans, fut lancé en 2004, presque à la même époque, par le Consul d’Autriche aujourd’hui disparu, est aussi consacré à la réhabilitation des œuvres musicales occultée et détruites souvent par les régimes totalitaires. 

Arnold Schönberg (1874-1951), père révolutionnaire de la musique moderne, compositeur et théoricien, demeure aussi une figure emblématique de la persécution nazie.

Dès 1933, à peine au pouvoir le régime d’Hitler, par ailleurs peintre banal, organise une série d’expositions pour dénoncer les avant-gardes artistiques comme une menace à la « pureté » allemande, commençant une purge méthodique des collections allemandes des musées. Plus de 20 000 œuvres, parmi lesquelles celles de Van Gogh, Chagall ou Picasso, etc, sont ainsi retirées, vendues ou détruites —certaines gardées secrètement, pour leur valeur marchande, même par des dignitaires nazis.

Le point culminant, c’est l’exposition « Entartete Kunst » (Art dégénéré), organisée en 1937 à Munich, qui va tourner, montrant plus de 700 œuvres d’une centaine d’artistes stigmatisés. En 1938, dans le cadre des journées de la Musique du Troisième Reich, qu’il fallait conserver dans la soi-disant pureté ethnique et esthétique, la race et la culture pures, c’est au tour des musique contemporaines d’être dénoncées comme Entartete Musik, ‘Musique dégénérée’. Dans une longue liste d’œuvres qu’il est interdit de jouer, de diffuser, d’enregistrer, sont ainsi bannis comme émanation condamnables des compositeurs modernes, de gauche, progressistes, tout le jazz nègre et la musique tzigane et, naturellement, d’auteurs juifs.

Schönberg, Autrichien, alors célèbre comme compositeur, théoricien et pédagogue de la musique à Berlin, a l’honneur et l’indignité d’être nommément cité et condamné pour ses deux tares de juif et de compositeur et théoricien d’avant-garde. Pour juger de son crime, écoutons un extrait de sa Erst Kammer symphonie, op.9, la Symphonie de chambre no 1 de 1906, dans un arrangement de 1922, réduit d’un tiers de l’orchestre, pour cinq instruments, de son disciple Anton Webern :

 

1) PLAGE 1 

 

Rien de révolutionnaire ici, dans une classique tonalité en mi majeur, mais des thèmes instables qui évitent les marches harmoniques habituelles prévisibles de la tonalité, avec une recherche des surprises qui en font une musique en perpétuelle évolution, littéralement inouïe. On y trouve déjà cette saveur, cette Klangfarbenmelodie, la mélodie de couleurs de timbres, d’instruments, comme des taches picturales dans la palette de ce compositeur qui était aussi un peintre.

La réduction, à seulement quelques instruments, des effectifs orchestraux massifs, qu’on trouvait chez Mahler ou Strauss, la miniaturisation des œuvres, devient une caractéristique de diverses musiques de l’époque, arrangements en réduction que l’on trouve de toutes sortes d’œuvres, souplesse d’effectifs répondant aussi à des nécessités économiques et des contraintes de lieux plus réduits où s’ajustent mieux quelques instruments. L’arrangement des œuvres trop grandes pour des salles et bourses modestes a toujours été une pratique musicale, comme les réductions au piano de salon des grands opéras fameux et inaccessibles par le prix des places. Schönberg, féru de Wagner et de Brahms, aux œuvres immenses, était lui-même un célèbre arrangeur, adaptateur des musiques des autres.

À l’inverse des effectifs réduits, le Britannique Howard Burrell signe, en 2007, l’amplification, pour quelques instruments, du cycle de lieder pour voix et piano de 1907, sur les poèmes du poète Stephan George (1868 - 1933), Das Buch der hängenden Gärten, ‘Le livre des jardins suspendus’. Schönberg semble abandonner la tonalité, entre dans l’atonalisme, ce dodécaphonisme, la gamme les douze demi-tons égaux, qu’il peaufinera en 1921 et va devenir sa marque, marque infamante au fer rouge des inquisiteurs nazis qui décrètent, en le désignant nommément, que l’atonalisme est « le produit de l’esprit juif. » Écoutons en entier le second poème du cycle par Maria Schellenberg :

 

2) PLAGE 3 

 

Arnold Schönberg, comme tant d’artistes dut fuir l’Allemagne pour se réfugier aux États-Unis, à Los Angeles, où il mourut. En saluant le livret très documenté du Dr.Philippe Olivier, et l’analyse de l’autoportrait de Schönberg, qui orne le CD, par Dominique Bouchery, nous quittons ce beau CD avec un extrait des Fünfe Orchesterstücke, ‘Cinq pièces pour orchestre’ de 1907, que ce génial arrangeur arrangea comme toujours plus tard :

 

3) PLAGE 21: FIN

 

 

Émission N° 815 du 3 juillet 2025 de Benito Pelegrín

https://www.rcf.fr/culture/la-culture-en-provence



 

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