lundi, novembre 06, 2023

DEUX VOIX PLUS UNE

 

Jean Sébastien Bach : Sei sonate a Cembalo certato e Violine solo (‘Six sonates pour clavecin obligé et violon’)

BWV 1014-1019

Ambroise Aubrun (violon), Mireille Podeur (clavecin)

2 CD Éditions Hortus

         Le talent, le génie, qualités les plus individuelles qui soient, ne se peuvent exprimer, se manifester que si on leur en donne l’occasion et si on leur offre les conditions matérielles de s’épanouir. Il faut oublier la fausse idée moderne d’un art libre de ses faits et gestes, de ses créations : l’art, l’artiste a toujours dépendu, pour vivre, pour exister, de subventions officielles aujourd’hui, des commandes de grands mécènes autrefois qui ont permis, pour servir leur propre gloire, de faire éclore celle d’artistes à leur service : littéralement, des serviteurs. Si l’histoire de la musique a retenu les démêlés et la rupture du jeune Mozart avec le tyrannique Prince archevêque de Salzbourg, dont son père était déjà musicien, titulaire, simple employé qui voulait faire succéder son rebelle de fils à son poste enviable qui assurait le gagne-pain, on se souvient des rapports harmonieux de Haydn, tout aussi serviteur du Prince Esterházy qui laissait noblement son musicien devenu célèbre en Europe, et lui avec, libre d’assumer des concerts à l’étranger, le faisant rayonner de sa propre gloire.

Ainsi, on doit admirer ces protecteurs, ces employeurs moins connus, dont on ne mentionne au moins le nom que par l’emploi, la protection qu’ils ont octroyée à de grands artistes, des musiciens ici, dont les œuvres, les chefs-d’œuvre qu’ils leur ont permis de créer pour leur bonheur, sont arrivés, pour le nôtre, jusqu’à nous.

En décembre 1717, Bach est nommé Maître de chapelle du Prince Leopold Anhat-Coethen, qu’il servira jusqu’en 1723, à Köthen, dans la petite mais brillante cour comme il en existe tant dans une Allemagne non unifiée encore, fragmentée en principautés qui rivalisent entre elles de luxe et d’éclat. Son emploi de Maître de chapelle le fait responsable de la musique, de toute la variété des instruments de l’orchestre qu'il va étudier, exploiter, élargissant sa palette de claviériste de violoniste reconnu. C’est une époque aussi prolifique que bénie de sa création dont témoignent les œuvres qu’il nous lègue : Livre I du Clavier bien tempéré, les Six suites françaises et anglaises, la Fantaisie chromatique et fugue, les exercices pédagogiques pour son fils et sa femme, la transcription pour clavecin de seize concertos pour orchestre de divers auteurs, les célébrissimes six Concertos brandebourgeois, six suites pour violoncelle, etc, et tout l’éventail d’instruments à sa disposition qu’il découvre sans doute ou approfondit, dont ces Six sonates pour ces instruments, violon et clavecin, dont il a  déjà la pratique et même  belle une réputation de claviériste.

         Ces sonates ont la forme canonique de la sonata da chiesa, la ‘sonate d’église’ dont le moule a été imposé par le grand musicien italien Corelli, en quatre mouvements alternant en contraste les tempos lent-vif-lent-vif, sauf la sixième et dernière qui, sans doute après révision, présente une structure en cinq mouvements, dont le troisième, sans violon, est juste un solo, de clavecin au tempo allegro. Nous écoutons un extrait de ce troisième mouvement de la Sonate N°6 en sol majeur, et l’on percevra parfaitement les deux voix du clavecin, la main gauche pour la basse, grave, et la main droite qui chante une mélodie :

 

1) DISQUE II, PLAGE 11

 

          Cette netteté distincte des deux registres du clavier, le grave et l’aigu, main gauche et main droite, fait que, quand intervient le violon, ajoutant sa voix aux deux autres, cela en fait ce qu’on appelle des sonates à trois, à trois voix, violon et registre aigu du clavecin offrant des mélodies s’appelant, se répondant, s’affrontant, se poursuivant, jouant entre elles horizontalement tandis que la voix de la basse de la main gauche leur offre l’assise solide mais souple, d’un contrepoint assurant l’assise de leur mélodie.

         En effet, Bach, homme du nord de l’Allemagne, qui n’a pas fait le voyage d’Italie presque obligé pour les artistes, peintres et musiciens de son époque, comme Händel, n’est pas moins à l’écoute attentive de ce qui vient du sud, de la France mais, surtout de l’Italie de la musique. En effet, il réussit la synthèse des diverses influences qu'il avait subies dans ses années d'apprentissage, puis à Weimar et qu’il arrive à magnifier dans cette mirifique Coethen qui lui offre cet arc-en-ciel orchestral. Il adoucit le contrepoint solide mais sévère hérité des musiciens d'Allemagne du Nord en l’auréolant de la souple mélodie italienne, si sensible chez Corelli, et il crée, de ce métissage musical, une chantante polyphonie bien à lui.

         Voici un extrait de la Sonate N°4 en do mineur, le largo, qui semble implorer au violon dans une ligne implorante qui évoque comme un horizon de la Passion selon Saint-Mathieu, que le clavecin paraît ponctuer de larmes d’argent :

 

2) Disque II, PLAGE 1, Sonate N°4 en do mineur, Largo 

 

         Même si, effet de la prise de son, le violon semble plus sensible, la sensibilité du clavier n’est pas moins également présente et, les deux instruments jouent, se déjouent, se poursuivent, se rattrapent mais sans rivalité ni compétition, nous régalant d’une égale présence élégante, galante parfois, dans ce qui semble un duo parfois grave ou ludique, une conversation, harmonieuse forcément.

Les deux interprètes interprètent justement le parcours de tempi lents ou vifs, jamais mécaniquement repris, mais avec des nuances dont ils s’expliquent subtilement dans le livret érudit signé Mireille Podeur, révélant une hiérarchie nuancée du plus vif au plus lent, Presto, Vivace, Allegro, Allegro assai, Andante, Andante un poco, Largo, Adagio. Avec justesse, ils raccordent cette palette de tempi aux nuances de l’expression baroque des affects, des sentiments, dont Mattheson, compositeur, érudit, ami de Händel, avait dressé l’inventaire dans Der vollkommene Capellmeister « Le Parfait Maître de chapelle’). En somme les pulsations physiques et sentimentales ont leurs transcriptions dans les tempi de la musique : « affliction, lamento et plainte pour l’Adagio, (mouvement lent) soulagement pour le plus large Largo, espérance pour l’Andante, réconfort pour l’Allegro, désir pour le Presto. »

Nous quittons ce disque sur l’Allegro de Sonate N°4 en do mineur

 

3) Disque II, PLAGE 2

 Émission N°690 de Benito Pelegrín





 

 

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