samedi, juin 10, 2023

NYMPHES, PAS NYMPHETTES NI NYMPHÉAS…


NYMPHES

 Virginie Thomas, soprano,

Béatrice Martin, clavecin, Emmanuel Resche-Caserta and friends

Label Encelade

 

         Le label Encelade tire son nom du bassin de ce nom à Versailles, orné d’une statue d’Encelade. Elle représente le Géant Encelade, chef de la révolte des Géants contre l’Olympe, écrasé de rochers par Hercule, enseveli de terre par la déesse de la guerre : terré, atterré, enterré, il se transformera en Etna dont chaque éruption est une convulsion de ses tentatives d’évasion pour échapper à la vengeance des dieux. En Grèce, on continue d'appeler un tremblement de terre une « frappe d'Encelade ». À Versailles, il allégorise le triomphe de la monarchie française, grâce à Anne d’Autriche et Mazarin, l'Espagnole et l'Italien, contre les Grands de France rebellés de la Fronde, auxquels Louis XIV, adulte, sur son trône affermi, ne pardonnera jamais, créant la cage dorée de Versailles pour les enfermer autour de lui, les assujettir, les ruiner par l'obligation du faste les rendant dépendants de son bon vouloir et bon plaisir. Tout le parc du Château est ainsi peuplé de statues allégoriques ordonnées, asservies, servant le culte d’Apollon, le politique Roi-Soleil, dont le char triomphant est le centre au soleil levant. Mais il ne suffit pas au dieu de triompher durant sa course solaire, il a besoin de repos et, selon le Livre II des Métamorphoses d'Ovide, c’est dans la grotte marine de la déesse Thétys qu’il va le goûter, épisode illustré aussi par un groupe de statues de Versailles.

         On y voit Apollon, à la mythique musculature, dans le nu héroïque requis pour les dieux, à l’exception d’un voile pudiquement ou hypocritement à la Tartuffe, posé sur son bas ventre, indolemment assis, centre majestueux du cercle d’une chorégraphie bien réglée de six nymphes deux à deux, attentives et empressés autour du dieu, proche et lointain, apparemment indifférent, comme insensible à ces féminines beautés qui l'entourent dévotement, amoureusement. Derrière, solitaire, une autre semble approcher. Je ne peux m’empêcher de penser aux fameuses Mazarinettes, les sept jolies nièces que le cardinal Mazarin fit venir d’Italie, éduquées en princesses à la cour, papillonnant autour du jeune roi, qui apprécia de très près leurs charmes pris dans ses royaux filets, rêvant même d’épouser la singulière Marie Mancini. Plus que la photo du CD, une jeune femme en maillot de bain allongée sur le dos sur la vague alanguie d’une plage, ce groupe statuaire serait une parfaite illustration de ce disque ravissant qui gravite autour du personnage de la nymphe à partir de l’opéra mythologique français né, par la grâce de Lully, sous les auspices de Louis XIV.

         La nymphe, divinité féminine secondaire au service surtout d’une déesse, personnifiait les forces vives de la nature sous la forme d'une gracieuse jeune fille. La nymphe, terme générique, selon son nom qui la spécialisait, hantait les bois, dryade, hamadryade ;  des eaux des rivières, des sources, c'était la naïade, de la pluie, la hyade, de la mer, la néréide, de l’océan, l'océanide, et du ciel, l'oréade. Charmante constellation d’êtres bienfaisants que le spectaculaire opéra lullyste va abondamment utiliser pour ses chœurs et ses danses, en sages confidentes ou conseillères à la douce voix, des héroïnes tourmentées par la passion. Même si certains compositeurs et librettistes font de la nymphe, en général blessée d’amour, l’héroïne, de l’intrigue —et l’on se souvient du génial madrigal de Monteverdi, Lamento della Ninfa— sans compter la malheureuse Eurydice, chantée par Orphée, elles n'ont qu'un rôle secondaire de charmante figuration. Seules les nymphes Aréthuse, Scylla et Ismène, pour l’opéra baroque français, auront cet honneur.

         Comme marquée par le signe de la nymphe depuis que William Christie lui confia en confia le rôle dans l’Armide de Lully, lui proposant un récital pour son festival en plein air Dans les jardins de William Christie, la soprano Virginie Thomas, a eu l’idée de ce CD qui place au premier plan ces personnages du second ou dernier, leur rendant ainsi justice. Nous l’écoutons justement dans ce rôle avec un beau prélude introductif à « la douceur d’aimer » :

 

MORCEAUX SUR SPOTIFY

 

1) PLAGE 4

 

         Le Cd, suivant un schéma à la mode aujourd'hui, est habilement construit sous la forme d’un opéra de l’époque en trois actes et un prologue, un parcours de trois quarts de siècle d’histoire du genre en France de 1674, la Circé de Desmarets, à 1753, la Platée de Rameau, nous permettant d’en suivre la filiation et l’évolution.

         Le premier acte correspond à ce que l’on peut appeler le règne de Lully, aussi absolu en son domaine que le Roi-Soleil (contraignant à l'ombre ses potentiels rivaux éclipsés), mais il y quelques visites à ses héritiers immédiats qu’il laissa vivre mais non s’épanouir, Desmarest avec sa Circé ou, moins connu, le Ballet des saisons cosigné par Colasse et Louis, le fils, rarement évoqué, de Lully.

         Le deuxième acte est à la charnière des XVII et XVIIIe siècles avec Campra et Colin de Blamont. L‘Aixois Campra, qui fit carrière à la cour, fait enfin d’une naïade le cœur d’un opéra, Aréthuse ou la Vengeance de l’Amour (1701). Aréthuse était une nymphe du cortège d’Artémis, la Diane des Romains. Un jour de grande chaleur, pour se rafraîchir, elle se baigne dans la rivière Alphée dont le dieu, brûlant d’amour, veut la posséder. Pour la sauver du liquide dieu harceleur, comme Apollon poursuivant Daphné qui se transforme en laurier pour lui échapper, Artémis la change en fontaine, qui existe toujours de ce nom, la fonte d’Aretusa, en plein cœur de la ville sicilienne de Syracuse. Mais Alphée obtient d’un dieu plus puissant le don de passer souterrainement la mer ionnienne pour surgir, se couler et unir amoureusement son flot viril aux eaux de la fontaine de son Aréthuse, écoutons, un extrait :

 

2) PLAGE 11

 

         Le dernier, acte enfin, voit triompher autour de 1750 des compositeurs comme Leclair et Rameau, qui honore même Clarine, modeste nymphe suivante de l’immodeste grenouille Platée, d’un air noble pour faire fuir le soleil loin des « humides naïades ». Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772), dans Titon et l’Aurore (1753) gratifie le petit rôle de la nymphe d’un air délicieux tout ruisselant de vocalises, très bref

 

3) PLAGE 23 : 1’14’’

 

         Conçu comme un opéra, le CD fait la part belle à la jolie voix fraîche de Virginie Thomas mais elle est entourée, parfois un peu noyée dans l’enregistrement, brouillant un peu les paroles, par une douzaine d’instrumentistes, Béatrice Martin au clavecin avec quelques pièces solistes, Emmanuel Resche-Caserta, qui tient le dessus de violon, Alexis Kossenko (flûtes) et autres amis, « friends », étrangement british pour la musique française évoquant l'antiquité, qui font parfois chorus.

    Nous, oui, nymphes, nymphettes aguicheuses et même les nymphéas, les aquatiques fleurs de l'onde de Monet ou pas, nous les aimons. Chateaubriand, dans Le génie du christianisme, se félicite que cette religion ait rendu leur silence aux forêts —certes peuplées aussi de satyres poursuivant les belles enfants—  en en chassant la population des nymphes. Eh bien non, nous, nous aurions envie de chanter nostalgiquement :

         « Nous n’irons plus au bois, les nymphes sont parties », en nous consolant avec ce joli disque qui rend un hommage apollinien aux nymphes humbles, sans grade mais bien pleines de charmes comme la chanteuse et ses "amis"

    Nous quittons le CD avec la déploration ,« Serments trompeurs », tiré de Sylla et Glaucus de Jean-Marie Leclair :

4) PLAGE 25 

* Le groupe de statues d'Apollon et les nymphes est l'original protégé des intempéries dans le musée : il y manque la septième nymphe qui arrive par derrière et la grotte rocaille de Thétys où se repose le dieu de sa course solaire.

 

Émission N°676 de Benito Pelegrín, 01/06/2023 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire