dimanche, décembre 04, 2022

À NE PLUS OUBLIER

 

Pierre Colin, trésor oublié de la Renaissance

par la Note brève

Label Paraty


         Né en 2007, LA NOTE BRÈVE est un ensemble de musique ancienne, servant la musique du Moyen-Âge et de la Renaissance. C’est un collectif de chanteurs et musiciens spécialisés dans ce répertoire. La Note Brève redécouvre cette musique et l’interprète dans le respect des recherches musicologiques. Le groupe travaille à partir de traités d’époque et sur instruments anciens. Depuis sa création, La Note Brève se produit dans les plus grands festivals en France et en Europe et dans des lieux patrimoniaux, tels l’Hôtel de ville de Lyon ou les Invalides à Paris. Depuis 2013, La Note Brève est en résidence au Musée des Tissus et des Arts décoratifs de Lyon, où elle donne un concert chaque mois.

         Son premier disque, très réussi, nous offre une découverte : celle d’un compositeur oublié de la Renaissance française, du milieu du XVIe siècle, Pierre Colin (vers 1538-1572). Nous ignorons quasiment tout aujourd’hui de ce compositeur, que l’on peut qualifier de grand à juger par le nombre et la qualité de la musique qu’il nous a léguée. En effet, il est l’auteur d’une abondante musique religieuse : quelque 150 œuvres, pas moins de 26 messes, 36 motets, 12 magnificat et 57 psaumes parmi la production qui en est conservée. Il laisse témoignage des principaux genres de musique religieuse de l’époque.

          En plus de cela, homme de son temps, humaniste baigné de culture antique, dans la préface de son Liber octo missarum, son ‘Huitième livre de messes’ paru à Lyon en 1542, il affirme qu’il a ordonné cette production, sa publication, sous les auspices du chiffre parfait huit, dit-il, « divisible en nombres égaux » répondant à l’harmonie des orbes célestes d’un cosmos parfait. J’en ai parlé dans mon ouvrage, Figurations de l’infini : c’est le credo, hérité de l’idéalisme grec ancien, la croyance en cette mathesis universelle de la Renaissance d’un microcosme, notre petit monde, répondant au macrocosme céleste, réglé par la perfection mathématique d’un Dieu parfait, Sumo artifex, Artiste Suprême, dont on ne peut se rapprocher qu’en tentant d’élaborer des œuvres d’art reposant, à son image, même à notre petite échelle humaine, sur la perfection mathématique. C’était l’enseignement scolastique exact du quadrivium « les quatre chemins », au-delà du trivium (Grammaire, dialectique, rhétorique), quatre voies traitant du « pouvoir des nombres », arithmétique, astronomie, géométrie, parmi lesquelles, la musique. C’est bien le cœur central du XVIe siècle car, dès sa fin, les travaux astronomiques de Kepler, détruisant la belle croyance en l’harmonieuse et parfaite révolution circulaire des orbes célestes à laquelle fait référence Colin, ouvre la voie à l’incertitude du Baroque.

         Mais, pour l’heure, écoutons, de sa Missa estant assis, qui laisse entendre que l’on était souvent debout, le bref « Kyrie » et l’harmonieuse réponse équilibrée du grave terrestre à l’aigu féminin, angélique, comme de la terre au ciel :

1) PLAGE 1

         Pratiquement inconnu de nos jours, on sait qu’il fut chantre puis maître de chapelle de la cathédrale d’Autun au milieu du XVI siècle. Mais il est alors célèbre en France, puisque, en 1554, il figure dans un recueil contenant des œuvres de celeberrimis authoribus, d’« auteurs célèbres » de son temps, parmi les plus connus aujourd’hui, tels Clément Janequin, Pierre Certon ou Claude Goudimel, ce qui n’est pas mauvaise compagnie.

         Cependant, loin d’être cantonné à Autun, dans la Bourgogne alors espagnole, non seulement il est célébré en France mais semble avoir joui d’une notoriété véritablement européenne. Son importante production paraît d’abord à Lyon, ce qui est logique, Lyon était une importante capitale éditoriale, même d’œuvres espagnoles, un lieu géographique stratégique de passage, un nœud de communications nord-sud par le Rhône, ouest-est, vers l’Italie et via la Suisse, vers les pays germaniques.     L’œuvre de Colin se répand ensuite dans toute l’Europe.  Je propose, à l’excellente introduction au CD de Jean Duchamp, une hypothèse personnelle géographique et historique à cette diffusion sans doute par cette voie plus que royale, impériale, littéralement. La musique de Colin est éditée chez les principaux éditeurs parisiens, mais, comme une tache d’huile, on en suit les traces dans la voisine Genève, pourtant calviniste. On la trouve tout naturellement dans les Flandres espagnoles catholiques à Anvers, par la voie logique de la Bourgogne et de la Franche-Comté dont on oublie, ou ignore, qu’elles sont espagnoles de 1493 jusqu’à leur conquête par Louis XIV en 1678.

         Mais avant de poursuivre sa progression européenne, faisons une halte dans cette même messe « Estant assis », son « Agnus dei » :

2) PLAGE 5

         Ainsi donc, la musique de Colin, au cœur d’un empire habsburgo-espagnol —et la musique n’a pas de patrie— n’est pas forcément étrangère dans la bavaroise Nüremberg qui, avec Aix-la Chapelle et Francfort, est une des trois villes impériales où siège la Diète de Charles Quint, qui s’en détourne car elle a embrassé la Réforme luthérienne. Ce chemin impérial germano-espagnol explique sans doute que cette musique se retrouve aussi à Tolède et, comme le soleil ne se couche jamais sur cet empire, elle voyage par-delà les mers jusqu’au Guatemala.

          Si la diffusion et impression et réédition de l’œuvre de Colin en Italie, à Venise, grand centre éditorial, semble toute logique géographiquement, il ne faut pas exclure non plus encore cette voie impériale des armées espagnoles remontant de Naples aux Flandres révoltées par ce qu’on appelle encore dans telle ville de la Belgique actuelle le « Chemin des Espagnols » remontant de Milan, Suisse, Savoie, Bourgogne et Franche-Comté, et inversement.

         On souhaite donc longue vie à la Note brève, Simon Gallot, basse et direction ; Laura Cartier, soprano ; Marie Remandet, mezzo-soprano ; Josquin Gest, contre-ténor ; Jean-Noël Poggiali, ténor ; Ryoko Katayama, orgue positif. On les quitte avec un extrait vraiment magnifique du Magnificat à deux voix, terre et ciel, partant du motif grégorien :

3) PLAGE 10

 On attend avec intérêt et curiosité leur Bestiaire annoncé, polyphonies médiévales et renaissance sur le thème des animaux

 

       ÉMISSION N°637, 17/11/2022 DE BENITO PELEGRÍN                                                                       


 

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