dimanche, mai 30, 2021

SYMPHONIES PARISIENNES DE HAYDN



Joseph Haydn, Les six symphonies parisiennes n°82-87

Orchestre de chambre de Paris

Direction musicale : Douglas Boyd

2 CD NoMadMusic

            Extraordinaire destinée de Joseph Haydn : né en 1732 dans un village de la frontière austro-hongroise, fils d’un modeste charron et d’une mère cuisinière chez le seigneur local, mort en pleine gloire internationale à Vienne en 1809. Le père, on a du mal à l’imaginer avec son métier de charron, réparateur de chars, de voitures, d'engins agricoles, nécessitant grosses mains, de la poigne, la force manuelle, était harpiste : un instrument qu’on imagine mal au masculin tant il y a de tableaux du temps, une fine demoiselle pinçant de ses doigts délicats les cordes arachnéennes de la harpe.  Un cousin le forme à la musique et le garçon rejoint un chœur, remarqué pour sa jolie voix de soprano. Heureusement, si en Autriche comme dans toute l’Europe, on adore les castrats, on ne châtre pas les gamins avant la mue pour qu’ils conservent, adulte, leur jolie voix féminine d’enfant —s’ils survivent à la terrible opération. Mais, à dix-huit ans, avec la mue, il est obligé de quitter la chorale, mais nanti d’une culture musicale qu’il complètera essentiellement par la pratique, notamment du clavecin et du violon.

         Tout en vivotant comme musicien, la chance lui fait connaître Métastase, le plus grand librettiste de son temps, dont certains livrets d’opéra, notamment sa Didone, seront mis jusqu’à cinquante fois en musique par des musiciens différents. Celui-ci le présente à Porpora, ancien castrat, compositeur napolitain et sans doute le plus célèbre professeur du chant orné baroque du siècle, qui a eu pour élèves les plus grands chanteurs de l’époque, dont le célébrissime Farinelli. Haydn acquiert auprès de lui la technique vocale de la composition d’opéras. Musicien indépendant avant Mozart, mais à la vie incertaine, il est finalement engagé en 1761 par les princes Esterházy, grande famille hongroise richissime, au service de laquelle il restera trente ans dans un magnifique palais aux ambitions de Versailles local. Au service : car un musicien, à l’époque, est un serviteur comme les autres et la musique qu’il compose appartient à son maître. Le musicien, bien traité, maître de chapelle, dispose d’un orchestre, d’un théâtre de 400 places pour les opéras. 

Cependant, Nicolas Ier,  dit « le Magnifique » pour son faste, sous le règne duquel se déroulera la plus grande partie de ce contrat de Haydn, féru de musique, reconnaissant le génie de son musicien, lève la clause d’exclusivité de la propriété des œuvres et lui permet d’accepter les commandes extérieures qui arrivent de toute l’Europe et de diriger ses œuvres ailleurs que dans son palais, à Vienne et même à Londres.

D’Espagne, on lui commande Les sept dernières paroles du Christ en Croix, et, de Paris, ces six symphonies (sur les cent-quatre qu’il composera) dites « parisiennes ». Elles seront créées devant Marie-Antoinette, la reine autrichienne, en 1787 et dont une, sa préférée, la N°85, est surnommée « La Reine ». Mais nous écoutons un extrait de l’Allegro spiritoso du premier mouvement de la N°83, en G minor , je traduis, sol mineur. Elle est appelée « La poule » par son côté pittoresque, dont le chef fait ici non une fricassée, ouf, pauvre volaille ! mais une fracassante entrée dramatique pompeuse, un lever de rideau de star, vite démentie par l’ironie du hautbois qui souligne l’allure guillerette de la poulette, la cocotte coquette pas encore caquetante mais vite jacassante (plage 1).

         En contraste, admirant la maîtrise des pianissimi impondérables de l’orchestre mené de main de maître, délicate et ferme par Douglas Boyd, laissons-nous bercer par la douceur rêveuse, duveteuse, de l’andante suivant, une nonchalance de plume légère voletant au gré d’un agréable zéphyr caressant (plage 2).

         L’aristocrate éclairé Esterházy pouvait être fier de son serviteur musicien, fêté dans toute l’Europe, qui fit en retour connaître son nom de prince musicien et fastueux partout.  Haydn est tenu à composer sans cesse de la musique pour son maître plus celle qu’on lui commande. Le résultat est une œuvre immense : soixante-deux sonates pour piano, quarante-cinq trios, soixante-huit quatuors à cordes, de la musique sacrée, des opéras brefs, buffa qui sont donnés dans le théâtre d’Esterhazá et deux et longs oratorios, La Création et les Saisons. Autorisé à une tournée à Londres, où on lui commande douze symphonies, un genre dont il est devenu le maître et modèle.

Haydn a joué des quatuors avec le jeune Mozart qui a vingt-quatre ans de moins que lui et, admiratif, écrit à Leopold, le père du jeune prodige, musicien aussi, que son fils est le plus grand compositeur qu’il connaisse : « Il nous dépassera tous ». On voit sa modestie : Haydn était débonnaire, souriant, défendait les intérêts de ses musiciens, et, affectueusement, tout comme le petit Mozart, ils l’appelaient « Papa Haydn ».

Entre autres élèves de Haydn qui deviendront célèbres, on trouve Beethoven qui part du classicisme du maître en amorçant l’âge romantique. Mais la brève période Sturm und Drang, ‘Orage et Passion’ de Haydn en était déjà une préfiguration.

Quand il meurt en 1809 dans la Vienne occupée alors par les Français, Napoléon enverra un détachement en hommage pour l’enterrement. Et l’on jouera le Requiem de Mozart qui était mort en 1791 pour le service funèbre.

Ce disque lumineux, avec un effectif chambriste  au volume sonore de la musique de ce temps-là, sert ces symphonies classiques sans raideur ni lourdeur,  avec une élégance gracieuse, rieuse parfois, pleine de charme.

Nous le quittons sur le Finale allegro de Symphonie N°86 en ré majeur, plein d’allégresse évidemment, que nous partageons (plage 8).


RCF Émission N°513 de Benito Pelegrín

Semaine 10

 Podcast

https://rcf.fr/culture/livres/haydn-integrale-des-symphonies-parisiennes-2-cd-nomade-music

 

samedi, mai 22, 2021

COUVERTURE EN GRIS POUR MUSIQUE ET POÉSIE EN COULEURS

 Murmures, Yves Rousseau

 

Abalone Productions

 

         À notre époque où tout va si vite, disons où tout allait si vite il y a peu encore, avec le coup de frein de la pandémie qui suspend le temps psychique sinon physique, un disque d’un ou deux ans en arrière pourrait sembler très loin dans le passé si, heureusement, la musique, la poésie ne passent pas quand elles sont bonnes, belles. Je dirai donc que le beau, comme l’amour, n’a pas d’âge : il est toujours naissant. Ainsi, toujours d’actualité. Comme ce CD.

         Je trainais ce disque comme un remords lointain, attendant un loisir plus grand, un moment meilleur pour en parler comme il le mérite, comme ces lettres, au temps encore de l’écriture à la main, dont on différait de plus à plus la réponse dans l’attente d’une disponibilité plus grande qui finissait par se réduire puis dissoudre dans le temps et le silence. Et se perdre dans l’amoncellement de disques, livres que je reçois et auxquels, je ne peux, malgré toute mon envie, et à mon grand regret, toujours matériellement donner l’écho qu’ils méritent, car j’ai aussi mes ouvrages, mes œuvres, mes livres, à faire, finir, fignoler,  trop sacrifiés au profit des autres. J’avouerai aussi que sa matière, musique et poésie, si chères à mon cœur, si harmonieusement et originalement unies, me paralysait un peu par la manière de l’aborder en un temps si court d’émission, comment en faire un commen/taire qui devrait être comment taire, comment se taire pour le laisser parler ? Puis, le réécoutant avec le même plaisir hier qu’autrefois, j’ai trouvé qu’il était trop égoïste de ne pas le partager avec autrui, au risque de ne pas trop savoir comment prendre et découper des plages très longues où la musique sonne, la voix résonne bien après, dans le silence autour d’elle, où sublimée par des sonorités étranges qui en subliment la singularité.

         Yves Rousseau, contrebassiste et compositeur, avait mis en musique Poète, vos papiers ! de Léo Ferré, de la prose lumineuse en ses noirceurs de Sade et Nietzsche cher à mon premier doctorat, dont l’écriture aphoristique et musicale est si proche de la poésie. Ce disque, Murmures, prend sa source dans des poèmes de François Cheng. Et c’était sans doute aussi une raison, sinon de ma paralysie, de ma longue attente à en parler. Né en Chine, ce plasticien, essayiste, écrivain, membre de l’Académie française est le poète dont l’un des recueils, Enfin le royaume, est  de mes livres de chevet que je feuillète de temps en temps avant le sommeil pour y lire au hasard, un de ses quatrains. Par ailleurs, aux éditions du Seuil, nous avons le même sympathique éditeur, Jean-Louis Giribone, avec lequel, j’ai parlé il y a trois du poète essayiste qu’il apprécie beaucoup. Mais comment résister à la beauté de ces poèmes dont les strophes sont souvent aphoristiques? Telle, celle-ci :


Du pied à la pierre,

il n'y a qu'un pas

mais que d'abîmes à franchir.

 

         Écoutez, plage 2, Ce sera par un jour d’automne. Les cordes pincées semblent des pas ou des gouttes de pluie qui s’égrènent alors que les vrilles chaudes de la clarinette basse semblent emmitoufler douillettement la voix charmeuse de la chanteuse pour lui éviter le froid. 

 

Pour ce disque, Yves Rousseau, composition et contrebasse, donc cordes frottées, réunit un ensemble d'artistes d'univers et instruments divers, Pierrick Hardy, aux cordes pincées des guitares acoustiques, Keyvan Chemirani, aux percussions d’origine iranienne, zarb, dafs, Thomas Savy, clarinette basse, souffle chaleureux du bois, et la voix qui narre, cite, récite, chante, murmure, susurre, soupire d’Anne Le Goff, une voix qui a un corps pour exprimer une âme.  On goûtera ces deux voix, mâle, grave, de la clarinette basse qui prépare en pénombre accueillante l’arrivée de la voix féminine, le corps à corps d’abord séparé dans Caresses : le souffle feutré effleure, frôle au frisson caressant la parole qui, elle-même, caresse le « jade lisse au toucher », caresse du rêve, dans un vaporeux paysage oriental, comme un haïku, bref poème japonais de ce poète chinois,

 

 Seule lune sur seul étang

où s’envole l’oie sauvage 

Vers l’infini ouvert

Au dedans de toi-même. 

 

Savourez comme à la voix s’enchaîne la musique dans Murmures , plage 6, qui donne son titre au disque enchaîné avec « Où rivière et fleuve/ ont leurs larmes mêlées » :

 

Nul ne peut violer

ton royaume à nu

Tes yeux ton sommeil

ton souffle enivré 

murmure inaudible…

Avec des couleurs parfois vaguement orientalisantes, cette musique jazzy n’est pas simplement de la musique le long des vers, ce que détestait et interdisait Victor Hugo. Dans ce disque, la voix a ses mots, sa musique ; les vers, les paroles, ont leur ligne, leur autonomie, ils ne sont pas enfermés, ne sont pas clos dans la limite de la mélodie. La musique n’est pas un simple accompagnement, autonome elle aussi, elle prépare et prolonge le texte, le plonge en elle :  elle semble émaner de l’ensemble du poème qui n’est pas « mis en musique », il est dans la musique, environné, auréolé de musique, il baigne dans la musique sans y être noyé : les mots sont élargis, disséminés dans les notes. Aucune musique, en soi, n’a de sens assignable en parole, elle s’adresse aux sensations : elle est pléthore de sens imprononçable, elle dit tout, en ne disant rien. Associée à la parole, elle la sublime, lui donne une autre dimension : l’ineffable, l’indicible advient au dire et brisant ses frontières, le fini atteint ou nous fait rêver l’infini.

On pourrait tout citer de ces poèmes, de cette envoûtante musique ce beau disque dont les mots nous hantent : Un jour, si je me perds en toi…, plage 8, au son des percussions tumultueuses tel un cœur éperdu battant la chamade ou qui sait la valeur ou la vanité de la parole, du son : 

Avoir tout dit

et ne plus rien dire

accéder enfin au chant

par le plus pur silence…

 


Yves Rousseau, compositeur, contrebassiste, Murmures, sur des poèmes de François Chang, avec Anne Le Goff, Keyvan Cheminiani, Pierrrick Hardy, Thomas Savy. Abalone productions

 

RCF  DIALOGUE, ÉMISSION N°514 DE BENITO PELEGRÍN

Semaine 10

 

PODCAST :

https://rcf.fr/culture/livres/presentation-de-murmures-d-yves-rousseau

 

 


 

 



mercredi, mai 12, 2021

ROYAL


Œuvres de François Couperin - Suites Royales

par Claire Gautrot, viole de gambe,  et Marouan Mankar-Bennis, clavecin, L’Encelade 

         La critique se plaît à reconnaître la qualité musicale, musicologique, des livraisons du label L’Encelade, spécialisé dans la musique baroque. Mais il me plaît, personnellement, de signaler la recherche esthétique de la présentation de ses albums, dont la beauté visuelle, picturale, anticipe favorablement le plaisir musical. Le Baroque, dans un rêve d’art total, est une intégration de tous les arts et, en cette qualité de spécialiste qu’on me prête en la matière, j’estime devoir signaler les réussites en ce domaine, dues à une intelligente recherche artistique d’une équipe de graphistes, qui contribuent aussi à l’agrément de l’œil comme les preneurs de sons à celui de l’ouïe, au confort d’écoute.

         Voilà donc une remarquable photo, évoquant subtilement les tableaux baroques par un cadrage en diagonale suivant la courbe asymétrique en bois doré d’un canapé sur laquelle sont posés les interprètes en buste, devant, derrière, en contraste clair et sombre. Un couple en belle tenue de soirée. Sur fond ombreux, au second plan, lui, fine moustache élégante, en costume et nœud papillon bleu, appuyé au dossier du somptueux canapé rococo, bois doré et velours ou soie damassée rouge sombre, surplombant le siège sur lequel, la dame, en légère robe en dentelle gris perle, mollement adossée, cheveux défaits sur une épaule, bras alanguis, d’une main abandonnée, tient ou caresse le violoncelle de miel dont le manche repose sur son giron.

La photo du livret montre le couple sous un angle plus large, à peine bougé en attitude sauf la dame, légèrement affalée, langoureusement renversée sur le coin du divan, les yeux levés au ciel du plafond et, semble-t-il, d’un pied un peu las, ôtant la chaussure de l’autre, peut-être la pantoufle d’argent sinon de vair, qui ombre une partition dans l’intérieur et surface métallique du CD. Un couple mondain rentrant du concert ou du bal, dans la lassitude amoureuse du bonheur récent de la musique visualisée par la troisième personne : le violoncelle omniprésent. Deux autres photos des deux interprètes, malheureusement en noir dans le livret, dans le cadre somptueux de la Galerie Dorée de la Banque de France, murs et plafond dignes de Versailles. La courante, de la Première suite de 1728, qu'ils auraient dansée pourrait expliquer, à trop les répéter dans les suites de danses avec d’autres rythmes vifs, la belle fatigue de la dame de la photo (plage 3)

Tout le Cd est consacré à François Couperin (1668-1733). On le surnommait « le Grand » pour le distinguer car il était de l’illustre dynastie de musiciens. Il fut compositeur, organiste, claveciniste.

Tout jeune, on lui donne la charge de titulaire de son père à l'orgue de Saint-Gervais. Il sera aussi l'un des quatre organistes de la Chapelle royale en entrant au service de Louis XIV. Mais alors qu’il est considéré comme le meilleur claveciniste de son temps, il n'obtiendra jamais le poste de claveciniste du roi, alors qu’il est chargé de la musique de sa chambre, plus intimiste que celle qui se déployait en grand dans l’opéra ou la chapelle de Versailles.

Son œuvre comprend de nombreuses pièces, instrumentales et vocales, à destination profane ou religieuse. On retient notamment ses messes pour orgue, ses Leçons de Ténèbres pour le Mercredi Saint, ses sonates et ses Concerts royaux, titre qu’il donne plus tard, en les publiant entre 1713 et 1730, à la musique qu’il composa et joua pour Louis XIV vieillissant tous les dimanche pour les « petits concerts » de sa chambre. Dans sa préface, il dit avec fierté que c’est le plaisir qu’en eut le roi, mort en 1715, qui fait qu’il les offre maintenant au public et les appelle « Concerts royaux ». C’est une musique, dit-il dans sa préface, qui convient non seulement au clavecin, mais à divers instruments, même à vent comme la flûte et le hautbois, au basson, et naturellement à cordes frottées comme le violon et, ici, la viole.

On écoute, comme surprenantun duo amoureux, cette chaude et sensuelle conversation entre la voix grave et engageante de la viole et les frémissements craintifs, pincés ou coquets du clavecin tiré de la « Gavotte » du Troisième Concert Royal de 1722 (plage 13).

Suit, maintenant, en contraste, cette « Musette » que Couperin demande de jouer « naïvement » pour cette musique faussement campagnarde où le flot voluptueux de la viole coule comme un miel onctueux délicatement arrosé par l’écume d’argent du clavecin qui glousse de plaisir, le nôtre  (plage 14).

Dans les préfaces de ses quatre livres de clavecin, Couperin priait les interprètes, de respecter à la lettre ses partitions, sans ajout ni omission.  Si dans ce qui relève encore de la traditionnelle Suite de danses il alterne, le vif et le lent, le gai et le grave, il donne d’infinies nuances : « Gracieusement sans lenteur », « mesuré sans lenteur », « « gayment », « gravement, », « lentement, » « légèrement »,  « Musette : « Naïvement »,  « Noblement sans lenteur », « très viste », « tendrement ».

Homme bien de son temps à cheval sur deux siècles, il entre dans une période rococo plus galante et moins pesante. Après les lourdeurs et pesanteurs grandiloquentes des fastes compassés d’un Versailles crépusculaires, même s’il y travaille toujours, sa musique, même qualifiée de royale, en est déjà loin : elle en déserte ses immenses galeries, préfère l’intimité heureuse de la chambre, puis des salons en ville, les formes légères et brèves en art.  C’est toute l'esthétique, je le répète, l’éthique du plaisir. Ses pièces courtes, assurément, sont de sortes d’aphorismes musicaux à la touche rapide dirait-on en terminologie picturale, qui sera plus tard en faveur dans la peinture galante des Boucher, Fragonard, Tiepolo.

 Disque par le goût, le talent, l'élagance, vraiment « royal », avec les variations obsédantes, comme un souci qui ronge aussi les fronts couronnés, de cette « chaconne » du Troisième Concert Royal  (plage 15)

Œuvres de François Couperin - Suites Royales

par Claire Gautrot, viole de gambe,  et Marouan Mankar-Bennis, clavecin, L’Encelade

Pièces pour violes avec la basse chiffrée :

Première Suite, 1728 

Prélude, gravement          

Allemande Légère            

Courante             

Sarabande Grave              

Gavotte, légèrement sans lenteur 

Gigue, gayement

Passacaille ou Chaconne                

Deuxième Livre de Pièces pour Clavecin, 9e Ordre, 1717

Les Charmes, mesuré sans lenteur             

Troisième Concert Royal, 1722

Prélude, lentement           

Allemande, légèrement   

Courante             

Sarabande Grave              

Gavotte 

Musette, naïvement         

Chaconne Légère              

Troisième Livre de Pièces pour Clavecin, 15e Ordre, 1722

La Régente ou la Minerve, noblement sans lenteur

Pièces pour violes avec la basse chiffrée, 

Deuxième Suite, 1728 

Prélude, gravement          

Fuguette             

Pompe Funèbre, très gravement   

La Chemise Blanche, très vite   

RCF  ÉMISSION N°511 de Benito Pelegrín

Semaine 8

25/2/2021 

Podcast :

https://rcf.fr/culture/livres/oeuvres-de-francois-couperin-pour-les-suites-royages-avec-claire-gautrot



vendredi, mai 07, 2021

HAÏTI, MON AMOUR

Célimène Daudet 

Haïti mon amour

œuvres pour piano de Ludovic Lamothe, Justin Elie, Edmond Saintonge.

 Nomad Music

         Comme ce disque nous fait rêver ! Non seulement en nous faisant découvrir des musiciens inconnus de nous auxquels Célimène Daudet rend amoureusement justice, mais parce qu’il nous projette dans les Caraïbes, ces chapelets d’îles qu’on croirait infinis quand on contemple, les myriades, les constellations d’îles d’une carte locale, à petite échelle, qui n’apparaissent même pas à la nôtre, trop lointaine. Après Cuba, l’île la plus grande des Caraïbes, c’est La Española ainsi nommée par Christophe Colomb, latinisée en Hispaniola, puis Santo Domingo. Elle se trouve à quelque 90 km de Cuba à l’ouest, à 100 de Porto-Rico à l’est. Et comme un confetti côtier, mais chargé de tant de légendes d’aventures, son île littorale et latérale de la Tortue, repaire de boucaniers, flibustiers, corsaires, pirates, qui guettaient les galions  espagnols chargés d’or rentrant vers l’Espagne, qui la colonisent pour la France.  L’île se divisera en deux, Haïti, partie occidentale de langue française et créole, et du côté oriental Santo Domingo, Saint Domingue un temps sous domination française mais de langue espagnole, aujourd’hui République dominicaine.

La Révolution française, qui abolira l’esclavage en 1792, avait permis l’émergence, dans ses rangs, de deux personnages extraordinaires, afro-caribéens, l’affranchi Toussaint Louverture (qui mourra prisonnier en France après l’avoir servie), chef de la révolution haïtienne, et Jean-Jacques Dessalines, son ancien esclave. La Révolution locale, partie de la révolte des esclaves (1791-1802) fait fuir vers Cuba les colons d’origine noble, qui y exporteront leurs techniques, leur raffinement et leur musique de salon.

Bonaparte, Premier Consul, rétablit l’esclavage en 1802 (du moins dans certaines îles pour contrer économiquement les Anglais), mais ne réussit pas à reconquérir l’île où il a envoyé son beau-frère le général Leclerc qui y meurt. Ainsi, après deux siècles de colonisation et d’esclavage, en 1804, Jean-Jacques Dessalines, ancien esclave, proclame la première république noire indépendante du monde, et appelle Saint-Domingue Ayiti, Haïti, en hommage aux indiens taïnos, les premiers habitants de l’île, disparus ou fondus dans le métissage. Bien avant Cuba au XXe siècle, Haïti est donc, au XIXe, un exemple d’indépendance réussie des colonies face aux métropoles colonialistes et, alors, esclavagistes.

         Je me suis permis ce rappel historique pour esquisser quelques traits d’un pays dont, malheureusement, nous n’avons que des images terribles, comme le séisme janvier 2010, et aussi en salut à l’ami René Depestre, poète, romancier (Prix Renaudot 1988) et essayiste haïtien qui, menacé par les tontons macoutes de Duvalier, réfugié puis déçu par Cuba, s’exila ensuite en France en une époque très dure : il pourrait aussi murmurer, clamer ou proclamer, Haïti mon amour comme Célimène Daudet, haïtienne par sa mère, qui en recherche les racines, ici musicales. Dédiée à Scriabine et Liszt sa Messe noire, nous avait ensorcelés. Ce disque nous envoûte avec des rythmes vaudous, la religion locale syncrétique aux origines africaines, proche de la santería cubaine. Mais en écoutant l’extrait de la seule pièce d’Edmond Saintonge (1861-1907), cette Élégie-Méringue, merengue, presque au rythme alangui d’une nostalgique habanera cubaine  nous fait sentir physiquement et émotionnelement, la proximité es deux îles sœurs.(plage 5) .

         Si ce disque, à coup sûr, coup de cœur dirai-je, vient et tient du sentiment, son programme vient de la tête, comme le précédent, dans sa construction équilibrée, presque également partagée entre deux compositeurs haïtiens, Ludovic Lamothe (1882-1953) avec six pièces, Justin Elie (1883-1931), avec cinq morceaux, Edmond Saintonge, n’en ayant qu’un. Un morceau de Chopin, transcrit par Liszt, est sans doute comme une référence à ces pièces de piano, qui ne déméritent pas, complète le disque. Tous sont à cheval entre les XIXe et XXe siècles et ont parfait leurs études à Paris. Célimène Daudet avait fondé en 2017 un festival de musique sur place, malgré des circonstances adverses. Mais ici, résultats de recherches de manuscrits, de reconstitutions, de Port-au-Prince, à Montréal en passant par Miami, aidée de professeurs, de musiciens et musicologues, elle réussit ce disque, aussi touchant que superbe hommage à cette culture métissée, qu’elle nous offre avec une généreuse chaleur. De Justin Elie, la Méringue populaire haïtienne N°4, (plage 7) a un motif entêtant, répété comme une douce ou lancinante obsession ou un persistant souvenir plein de paresseuse sensualité mais empreint de nostalgie dont  on préfère ne pas trop gratter la cause, lointaine ou proche des douleurs subies par un peuple violenté.

La méringue, populaire dans toute l’Amérique latine, est une danse aujourd’hui, originaire d’Haïti, mais il convient de rappeler que son origine, quel souvenir ! c’est le rythme forcément boiteux des esclaves en file dans les champs de canne à sucre, traînant une jambe à cause de leur cheville entravée par une chaîne… On regrette l’absence d’explication de ces rythmes dans la présentation du CD, dont je donne des éléments.  Ainsi, la Danza, à l’appellation hispanique, est sans doute un retour à Haïti des contredanses françaises, francisation de la country dance anglaise qui, immigrée à Cuba avec l’exode des colons français fuyant la révolte des esclaves en 1791, devint la contradanza, danza augmentée en danzón qui, avec la perte du z espagnol, deviendra le dansón, le son, matrice de grande part du folklore cubain.

Ces musiciens haïtiens me font penser aux compositeurs cubains, Manuel Saumell (1817-1870), et Ignacio Cervantes (1847-1905), pratiquement contemporains, qui intègrent des rythmes africains des anciens esclaves dans leur musique savante, dans la recherche qui s’instaure à cette époque, de musiques nationales, rythmes que nous avons dans l’oreille et surtout dans le corps, universalisés par la mode, même abâtardie, des danses de la salsa, terme générique réducteur de toutes les musiques, si nuancées, des Caraïbes. Le plus plus proche Ernesto Lecuona (1895-1963) sera aussi un grand protagoniste et propagateur de cette musique des Caraïbes, qui fera les beaux jours de la comédie musicale d'Hollywood, désormais universalisée en ses rythmes, tout comme le jazz, dont Célimène Daudet révèle et ravive les indispensables maillons méconnus.

Ce disque si attachant a un document passionnant Icônes vaudouseques. Loco (fou en espagnol) de Ludovic Lamothe le «Chopin noir» (inévitable et didactique manie d’assimiler l’Autre à nos références) où l’on sent, dans une cérémonie vaudou, le piétinement, le martellement de la terre par les pieds, dans un rythme de ronde qui devient de plus en plus effrénée, frénétique, une frénésie, cherchant la transe (plage 8).


Célimène Daudet Haïti mon amour

œuvres pour piano de Ludovic Lamothe, Justin Elie, Edmond Saintonge. Nomad Music

 


1. Ludovic Lamothe, Feuillet d’album no 1

2. Justin Elie, Chants de la montagne no 1 « Echo-Isma »

3. Ludovic LamotheDanza no 4Lamothe, Danza no 4.

4. Elie, Méringue populaire haïtienne no 2.

5. Edmond Saintonge, Élégie, méringue.

6. Lamothe, Danza no 1 « Habanera ».

7. Elie, Méringue populaire haïtienne n°4.

8. Lamothe, Icônes vaudouesques, « Loco ».

9. Elie, Chants de la montagne no 2, « Nostalgie ».

10. Lamothe, Feuillet d’album no 2.

11. Elie, Méringue populaire haïtienne no 1.

12. Lamothe, Danza no 3.

13. Frédéric Chopin, Chants Polonaisopus 74, « Printemps », transcription de Franz Liszt.

 

 ÉMISSION N° 520  de Benito Pelegrín : 26 avril 2021, podcast à venir


 

 


jeudi, mai 06, 2021

STATIQUE EXTASE DE LA RÉPÉTITION

 


 Metamorphosis par Célia Oneto Bensaid, pianiste,

Ravel Miroirs,  Glass Metamorphosis

Camille Pépin Number 1, NoMadMusic

 

Nous aimons ces artistes généreux qui, en plus du bonheur de l’interprétation musicale qu’ils nous donnent, nous offrent aussi un plaisir d’intelligence dans le choix des œuvres et leur agencement. Voici un disque, particulièrement réussi sur ce chapitre, de la pianiste Célia Oneto Bensaid : Metamorphosis, ‘Métamorphoses’ mais non les Métamorphoses mythologiques d’Ovide, et je ne dirais même pas celles de Kafka, dont pourtant les cinq pièces de Philipp Glass (1988) qui figurent ici sont la musique de scène, mais, dans ma perception de ce disque fascinant, la sensible métamorphose, l'insensible changement que leur donne cette intelligente mise en vibration, en équilibre, en harmonie déjà de nombre, avec les cinq pièces intitulées Miroirs de Maurice Ravel, (1904-1906) : en écho, en somme, en miroir sonore.  

 Ravel, expliquait le titre de ce recueil, par une citation de Shakespeare tirée de sa pièce Jules César : « La vue ne se connaît pas elle-même avant d'avoir voyagé et rencontré un miroir où elle peut se reconnaître. »  Regard dans le miroir, comme dans le miroir des yeux d’un autre.

 Nous voyons déjà la cohérence implicite entre la musique pour un théâtre de Phil(lipp) Glass et celle de Ravel, dont par ailleurs l’un des morceaux du recueil en espagnol, Alborada del gracioso, fait référence explicite au personnage du gracioso, le valet comique du théâtre baroque espagnol. Ajoutons la pièce de Camille Pépin, Number 1 (One), dans une numérotation comme celles de Glass ­—dont la musique nourrit aussi la sienne—qui s’inspire des vastes draperies, des rideaux quelque peu théâtraux du peintre expressionniste abstrait américain Pollock. On comprend que le ravélien Miroirs est un facteur commun à ces œuvres des trois compositeurs, dont l'écoute est ainsi renouvelée par cette confrontation sans affrontement, toute harmonieuse.

Oubliés donc et Ovide et Kafka, la métamorphose serait alors pour moi, le passage si naturel sous les doigts de la pianiste virtuose, d’un morceau à l’autre de ces compositeurs différents mais qui ont une évidente affinité sonore dans ces pièces : en passant de l’un à l’autre dans l’ordre subtil que leur assigne la maîtresse d’œuvre, on a la sensation, le sentiment, que c’est le même, mais dans la différence et, comme dans l’évidence auditive de la musique répétitive, où la répétition d’un groupe ou grappe de notes ne gomme pas l’infime différence. Jouant subtilement sur notre perception qui semble toujours prolonger un son au-delà de sa limite, chaque pièce finie, comme suspendue à l’infini, paraît rester en résonance, en réverbération fondue ou persistant dans le silence tout aussi équilibré entre les plages, passant, dans un glissando imperceptible, d’un morceau à l’autre.

  Ainsi, la pièce Metamorphosis One de Philipp Glass qui ouvre le programme.  On croit entendre de lentes, lourdes et longues cloches graves, peut-être un glas, une cellule de deux notes quatre fois répétées, coupées de silences, puis qui vont se décomposer en un fourmillement, un essaim voletant de notes dans l’aigu, un ostinato obsédant, avec à peine de légères variations infimes de hauteur (Plage 1) .

Comme une vague se meurt dans une infinie douceur imperceptible sur un sable l’absorbant indéfiniment, la fin se fond dans le silence d’une plage, qui amène, tout naturellement, sans hiatus, la plage suivante, le Miroir V, de Ravel, « La vallée des cloches », explicite transition, peut-être pas nécessaire pour faire sentir le reflet, la réflexion, la résonance avec le morceau précédent, scandée de lourds bourdons survolés de grappes d’obstinatos lumineux dans l’aigu (Plage 2).


Fondus dans l’évanescence du son, c’est alors par contraste, comme brisant un miroir, qu’explose Number 1 de Camille Papin, fracas, fulgurant éclat, éclaboussures, en expansion, en diminutions, en tourbillons dansants semblant aller se dissoudre dans la distance, le silence, mais toujours vibrants, vibrionnants, obsédants, hypnotiques (plage 3).

« Noctuelles », la première des pièces du cycle Miroirs de Ravel qui suit, montre combien le grand devancier, de son XIXe siècle, anticipait ces compositeurs des XXe et  XXIe siècles, Ph. Glass et C. Pépin : Célia Oneto Bensaid le montre parfaitement, sans faire assaut de démonstration. On trouvera aussi, chez Satie, cette obsession pour des formules obstinées, déjà présentes dans la basse continue baroque, comme une obsession du même dont la répétition entêtante, semble nier la ligne continue temps, semble le suspendre, produisant un efficace effet hypnotique, extase, transe, comme dans les plus primitives des musiques fondées sur le rythme obsédant, dont nous sommes aujourd’hui environnés aussi : cellules minimales répétées dans une fièvreuse pulsation, martellement implacable de motifs courts et entêtants, lancinante  et hallucinante scansion pressante, oppressante, montant parfois vers un crescendo vital, final, comme un spasme libérateur, ou allant se fondre dans l’espace infini d’un incernable silence. Si ce terme n'avais pris actuellement une morbide signification, je dirais un microscopique "cluster",  des grappes, un agrégat de petites notes, corpuscules en suspension dans l'air donnant, par cette infinie répétition, l'illusion d'un statisme extatique, le rêve non d'un temps retrouvé mais oniriquement suspendu.

Ainsi, la musique des années 60 des USA, dont Phil Glass est l’un des maîtres, avec La Monte Young,  Terry Riley, Steve Reich, etc qu’on l’appelle musique minimaliste, musique postmoderne, ou musique répétitive, même dans ses élaborations les plus fascinantes, les plus sophistiquées, est éminemment et primitivement physique, jouant de pulsions, de pulsations, et même répulsions humaines élémentaires, auxquelles on n’échappe pas.

Je remarque que Ravel, né en 1875, est mort en 1937, année de naissance de Phil Glass ; Camille Pépin, compositrice, est née en 1990.  Pourtant, ce programme de Célia Oneto Bensaid montre que l’aîné des  trois compositeurs, avec plus d’un siècle de distance, est à l’aise dans ce disque, les autres semblant, plus que ses successeurs, de stricts contemporains.  On saluera encore la pianiste et l'aisance joyeuse de ses acrobaties virtuoses dans le voltigeant Ravel de Miroirs IV  Alborada del gracioso (plage 10)

Metamorphosis par Célia Oneto Bensaid, pianiste,

Ravel Miroirs

Glass Metamorphosis

Camille Pépin Number 1, NoMadMusic

 

 RCF, émission N°525  de Benito Pelegrín

Podcast :

https://rcf.fr/culture/livres/metamorphosis-par-celia-oneto-bensaid-pianiste


 Dans ce blog également,  ma critique de 

 

   Chamber Music de Camille Pépin, avec Célia Oneto Bensaid (piano), Raphaëlle Moreau (violon), Natacha Colmez-Collard (violoncelle), Fiona McGown (mezzo-soprano) et l'Ensemble Polygones (2019, NoMadMusic).