mardi, mai 12, 2020

INVITATION AU VOYAGE




JOURNAL MUSICAL D’UN DÉCONFINEMENT (12)
Procida (Photo B. Pelegrín)
      C’est sans doute un paradoxe du confinement : en nous enfermant sur place, il nous ouvert des horizons. Sur nous, 
sur la société, sur le monde.
Ce temps suspendu nous a forcés à remettre nos pendules à l’heure, nous a ramenés à l’essentiel : prosaïquement, pressés de faire des provisions en évitant au maximum les contacts, mais à pas comptés dans les magasins à cadence métrique mesurée de la distanciation, nous avons sûrement tous renoncé à nous encombrer de babioles, bagatelles, friandises inutiles pour nous en tenir au nécessaire pour tenir longtemps chez soi sans courir encore l’aventure risquée d’autres achats superflus. Les rayons vides d’articles de première nécessité en sont la preuve. Et banalement aussi, je suis sûr, que seuls à la maison, on ne s’est guère mis en frais de vêtements frais par la mode, et ne parlons pas des coiffures.

À un autre niveau, cette obligation du sur place chez soi, dans la solitude ou non, nous a contraints à une remise en cause, une remise à plat de notre mode de vie, de nos relations avec autrui, compagne, compagnon, famille ou amis.

Mais surtout, il me semble que le confinement, en nous cloîtrant dans un espace limité, nous cantonnant dans nos frontières domestiques, a ouvert grand celles du monde.  Le confinement, en nous protégeant du virus infinitisimalement petit, nous a fait prendre conscience d’un monde infiniment grand, dont nous sommes partie prenante solidaire et ouverte : le microscopique Covid ne connaît ni frontière, ni nationalisme, ni race, ni religion, ni idéologie. Il ne connaît que les hommes, que la pandémie menace sur pied d’égalité, qui nous fait tous égaux, sinon frères. Voici ce que disait le poète et pasteur anglais John Donne (1572-1631) :


« Aucun homme n’est une île, un tout, complet en soi ; tout homme est un fragment du continent […] la mort de tout homme me diminue, parce j’appartiens au genre humain ; aussi ne demande jamais pour qui sonne le glas : c’est pour toi qu’il sonne. » 


On verra plus loin sa richesse érotique en images.

Notre société, saturée d’images a noyé l’imaginaire individuel, l’imagination, la faculté à se créer des images personnelles. Mais, cloîtrés, nous avons découvert ou redécouvert que l’imagination n’est plus la folle du logis, mais la fée : nous avons tous ri, souri, rêvé devant cette profusion, cette déferlante d’images, de vidéos dont certaines sont de vraies œuvres d’art, venues de l’infini d’internet qui nous ouvrait les murs.

L’espace réduit nous a fait prendre conscience de la mesure du monde que nous avions perdue dans des voyages trop rapides qui semblent abolir l’espace et le temps. Pas plus tôt partis qu’arrivés, sans trop même le temps de rêver à ce voyage pour le vivre mieux. Aussi, cette expérience du confinement, cette fermeture sanitaire des frontières, limitant ou interdisant les déplacements, nous invite-t-elle à repenser le voyage, à le rêver d’avance, à l’imaginer avant d’en ramener des photos, des selfies. Le théâtre baroque espagnol, appelé Comedia, n’avait pas de décors mais les pièces, par la parole, à l’inverse du théâtre classique français figé en un seul lieu, les multipliait, sollicitait l’esprit du spectateur immobile pour les imaginer, comme dit Cervantes :



          La Comedia est une carte

                    où à peine un doigt distant

                    tu verras et Londres et Rome

                    et Valladolid et Gant.

                    Peu importe au spectateur

                    que je passe en un instant

                    de l'Allemagne à l'Afrique

                    sans qu'il bouge pour autant,

                    car la pensée a des ailes

                    et il peut bien, un moment,

                    me suivre partout en rêve

                    ni égaré, ni fatigant.



Certains ont sans doute fait, comme Xavier de Maistre, le Voyage autour de ma chambre. John Donne (1572-1631) savoure le voyage amoureux sur le vaisseau du lit qui suffit à faire : « D'une chambrette un univers entier » et, des amants des mondes suffisants l'un à l'autre. Il part à la découverte émerveillée du corps de sa maîtresse, un embarquement pour Cythère en un lieu clos, miraculeusement ouvert par l’amour.

Mais de ma chambre encore confinée, de notre studio clos, sur le miracle des ondes de la radio et du téléphone, acceptez L'invitation au voyage de Baudelaire, musique d’Henry Duparc dans cette magnifique version et la diction impeccable de José van Dam :







                                       89.6/101.9


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