mardi, avril 17, 2018

TRÈS HAUT




LÀ-HAUT

MAURICE YVAIN

Opérette-bouffe en trois actes   et quatre tableaux

Livret d’Yves MIRANDE et Gustave QUINSON,  lyrics d’Albert WILLEMETZ

SAMEDI 14 AVRIL

Marseille Théâtre de l’Odéon

            Très haut en effet, ce Là-Haut, et non parce qu’il traite du Ciel, mais par le niveau artistique général et particulier. Par la grâce de cet heureux Paradis nous sommes, littéralement, aux anges. En effet, direction d’orchestre, décors, costumes, mise en scène et interprétation, tout concourt à en faire un joyau joyeux de l’Odéon, à notre connaissance le seul théâtre voué à l'opérette, un genre ailleurs largement abandonné.


L’œuvre

L’immédiate après-guerre veut oublier les horreurs de 14/18, on panse les plaies et pense au plaisir. Le compositeur Maurice Yvain participe de cette euphorie. Déjà auteur de chansons à succès comme Mon homme (1920), et d’une opérette remarquée, Pas sur la Bouche (1922), il participe de cette euphorie, de ce goût de vivre : est-on mort dans son Paradis de Là-haut, sinon de rire ? Histoire céleste d’Évariste, viveur sans vie : après un bref passage au Purgatoire où il purge une vie dissolue, il gagne une éternité paradisiaque, et sème le trouble parmi les troublantes élues ou anges. Il perturbe Saint Pierre, qui n’est pas de roc (et ne sera pas de marbre face à la tentation) au point que ce saint homme candide et poli (« Je vous en prie, entrez », dit-il aimablement aux arrivants) lui accorde une permission de minuit de revenir sur terre pour surveiller de près sa veuve presque éplorée qui, sans être joyeuse, à en croire son ange gardien Frisotin, ne vit pas trop mal son veuvage.


Concoctée par des librettistes ingénieux, facétieux, jouant des progrès faisant rêver toute une époque (lavabo, eau, gaz et électricité à tous les étages, même là-haut…), sachant user de culture encore populaire alors avec des clins d’œil bibliques, lyriques ou poétiques (« En vérité, je vous le dis… », « Anges purs, anges radieux… », « Voici des fruits, des fleurs, des feuilles… » , etc), s’amusant faire bondir et rebondir la langue, les mots, avec une virtuosité digne des librettistes d’Offenbach, (« mort mordu… », «  Elues-u-u-u-ues… »), jonglant avec les allitérations  « Aime-moi, Emma … », « Ose Anna= Hosanna » ), les paronomases « Par(ad)is/ Paris), cette opérette opère un vrai plaisir du texte, redoublé par l’allégresse de sa musique au rythme trépidant des Années folles, fox-trot, charleston, one-step, shimmy, etc…, danses venues d’Outre-Atlantique aussi bien acclimatées en France qu’Un Américain à Paris.


Réalisation et interprétation

L’Opéra de Marseille, qui régit l’Odéon, conjointement dirigés par Maurice Xiberras, n’a pas lésiné sur les moyens. Emmanuelle Favre, qui travaille dans les plus grands théâtres, avec son style dépouillé toujours expressif signait un décor d’une grande pureté : Paradis, le ciel, l’éther, un rectangle d’un bleu délicat forcément éthéré, piqué de quelques vaporeux flocons de nuages d’une ouate lumineuse. Au second acte terrestre, juste un changement de lumière, table, fauteuil, canapé en canne et c’est un léger salon jaune paille, éclairé de panneaux suspendus transparents de fenêtres qui, assemblés, deviendront lumineuses baies vitrées 1900 de demeure bourgeoise raffinée.


L’éternité du Paradis n’ayant pas d’âge, les robes de Katia Duflot, habituelle complice d’Emmanuelle Favre pour les plus grandes productions, ne collant pas exactement aux garçonnes des Années folles, moulent discrètement les formes féminines de soies, satins, des coupes élégantes des années 30 de toute beauté et selon l'éventail des modes requises par les clins d'œil cinématographiques et historiques de la mise en scène, de la Jeanne d'Arc dont la cuirasse du Ciel devient une élégante cotte de maille prisée sur terre à la célèbre robe de Marilyn soulevée par un courant d'air fripon. Même les saluts auront de somptueux costumes différents, soieries, lamés, pour toutes les dames, l’élégance masculine n’était pas en reste, même plus sobre. Décors et costumes d’une rare harmonie.


Tout en vivacité revigorante, actualisant par sa direction la vitalité musicale de cette œuvre ancienne mais sans ride, à la tête de l’Orchestre de l’Odéon, qui s’amuse, heureux Bruno Conti, avec ce duo de dames, non trio, car il faut ajouter Caroline Clin, que l’on applaudit souvent en chanteuse, qui signe ici la mise en scène. Et quand on dit mise en scène, on ne rend pas exactement la qualité, l’alacrité électrique de son travail minutieux, sans rupture de rythme. Il faudrait parler, pour être juste, de chorégraphie, tant les mouvements des personnages, des ensembles chantants sont d’une précision d’horlogerie, mais sans aucune raideur mécanique : tout semble couler de source. Le duo entre Évariste et Frisotin est un véritable pas de deux et trio avec Martel. On pourrait parler d’une vraie partition gestuelle : non seulement Caroline Clin fait bouger les corps, les jambes, naturellement, mais les bras, les mains, et même les doigts participent de ce bal, ce ballet étourdissant de virtuosité. On imagine sans peine la peine, le travail !



Mais il est vrai qu’elle a une équipe rompue à ce travail, et l’on devine, aux bis terminaux prodigués à un public enthousiaste ,sans regarder à la dépense d'énergie, leur enthousiasme personnel dans cette production.

 Les cohortes célestes angéliques ont des hiérarchies, commençons par elles. On dit que les anges n’ont pas de sexe et le mot, injustice machiste des religions, n’a pas de genre féminin : on n’en discutera pas ici mais, à coup sûr à voir ces élues, ces anges, ces « angelles », par forcément des agnelles, la question est tranchée à voir leurs formes si humainement féminines et on se damnerait (que Saint Pierre me pardonne !), oui, même un saint se damnerait pour atteindre le septième Ciel avec elles, dotées d’ailes et, tant pis, tant pire : on braverait même l’Enfer comme le héros.

En effet, un quatuor de charme accueille le fringant Évariste : auréole couronnant la tête et, telles des houpettes, de coquettes paires d’ailes au dos, on découvre une blonde Marilyn (Émilie Sestier) jouant du postérieur, une Dalida par l’accent ou Rita par la rousse chevelure (Sofia Naït), une adorable brune Betty Boop des premiers cartoons blanc et noir contemporains, l’éternelle amoureuse aux accroche-cœurs, un cœur grand comme ça plaqué, placardé d’ailleurs sur le sien (visez au cœur, c’est là qu’est le génie !) avec un nez et air mutin de mutine Liza Minelli (Priscilla Beyrand), une aguicheuse Betty censurée par le Code Hays, choqué par la fresque de ses frasques en bandes dessinées et son coquin petit cri « poo-poo-pee-doo », repris sensuellement par Marilyn.


 Pour de saintes amours plus cuirassées, phénix issue de ses cendres, on ne s’étonne pas de trouver  au Paradis une belle Jeanne d’Arc (Lovénah Lhuillier) et, longue, mince, raide, rude et rogue, deux longues tresses brunes sur son costume deux pièces immaculé, jupette et corsage mini, long bas tels des cuissardes et talons hauts, cravache à la main, tronche et trogne vindicative, regard farouche et culpabilisant, une Mercredi de la Famille Adams, pas petite fille modèle, mais modèle de perversion enfantine : avec elle, qui engage son cœur engage sa tête avec cette collectionneuse sinon chasseuse de têtes : c’est Julie Morgane, amoureuse et vierge frustrée, ici moins servie en airs, mais air et allure dont elle sait faire un vrai poème humoristique avec ses savants décrochages de tons. Le Ciel, compatissant, pouvait-il se passer de l’ange pur et radieux de Marguerite (Katia Blas), dont le chant a rédimé Faust ? C’est une plantureuse plante avec le double rôle céleste et terrestre de bonne lyrique hilarante. Car ces anges au féminin en surplomb ont leur pendant au monde en amies de la veuve.



Cette dernière, c’est la piquante brune Caroline Géa, séchant ses larmes et sablant le champagne avec ses compatissantes amies en son salon de partie de bridge entre dames daubant sur le défunt, vantant les avantages du veuvage et rappelant le danger des larmes pour la beauté : « Être veuve, en vérité… ».  On voit aussitôt la résurrection de la coquine coquette sous la voilette et toilette noire, arborant un imperturbable sourire rouge aux lèvres, débitant avec une fière impertinence ses couplets « Parce que » à son amoureux transi.


Celui-ci, s’accompagnant seul au piano jaune comme son rire pour lui plaire, c’est Dominique Desmons, tel qu’en lui-même, une essence du théâtre comique. Lunettes sur son crâne abondamment garni d’une chevelure nuageuse, Saint Pierre, débonnaire vieillard d’imagerie pieuse, clés au côté, regrettant de ne pas connaître Paris, c’est Philippe Fargues en rondeur, vêtu de lin et de blancheur candide, candidat à la terre en découvrant l’affriolante veuve qui va donner un ange au ciel. Un Bibi moins Fricotin que Frisotin farfelu, farfadet fada frisant l’angélisme enfantin, touffe blonde de cheveux, ange gardien assurant le gardiennage, disons la filature terrestre de Madame, costume blanc de la fonction, longue-vue et corne de brume de la conscience embrumée, c’est Grégory Juppin : on le connaît danseur acrobatique avec Julie Morgane, on l’apprécie chanteur et que dire dans ce rôle qui réunit tant de ses facettes ? Sans jamais être forcées, ses mimiques sont justes et font sens : malicieux, naïf, touchant même. Il sait donner à sa voix droite bien conduite des inflexions enfantines : un artiste complet. Et que dire de son partenaire car tout repose sur leurs solides épaules : ils sont servis par la quantité des airs et des « numéros » dansés en solo ou ensemble et une mise en scène intelligente qui sait utiliser leurs grandes qualités. Le ténor Grégory Benchénafi semble représenter en France le meilleur de l’école américaine, on ne dira pas de music-hall puisqu’on ne colle pas des étiquettes aux USA, mais de la comédie musicale qui allie les exigences du lyrique, du théâtre et de la danse. Ce grand et beau garçon athlétique bouge avec une souplesse étonnante, joue de tout son corps, expressif autant dans sa belle voix que son visage : le jeune premier au meilleur sens du terme.

Le public, exalté, exulte et salue sans fin ce spectacle brillant, tonique, qui devrait tourner.
Odéon Marseille,
14 et 15 avril
Là-haut de Maurice Yvain
Direction musicale :  Bruno CONTI

Chef de chant :  Anna PECHKOVA

Mise en scène : Carole CLIN

Assistant mise en scène : Sébastien  OLIVEROS

 Scénographie :  Emmanuelle FAVRE ; Costumes :  Katia DUFLOT

Décors et costumes fabriqués par les ateliers de l’Opéra de Marseille

DISTRIBUTION

Emma :  Caroline GÉA
Maud :  Julie MORGANE
Marguerite :  Kathia BLAS
Quatre élues : Priscilla BEYRAND, Lovénah LHUILLIER, Sofia NAÏT et Emilie SESTIER .

Évariste Chanterelle : Grégory BENCHENAFI
Frisotin : Grégory JUPPIN
3
 Saint-Pierre : Philippe FARGUES
Martel : Dominique DESMONS

Orchestre de l’Odéon

Cécile JEANNENEY, Anne-Céline PALOYAN, Isabelle RIEU, Christine AUDIBERT, Cathy BENOIST, Elisabeth ANDREOULIS, Nicolas PATRIS de BREUIL, Pierre NENTWIG, Sylvain PECOT, Soizic PATRIS DE BREUIL, Mireille LOMBARD, Cédric LECELLIER, Benoît PHILIPPE, Marc BOYER, Luc VALCKENAERE, Gérard OCCELLO, Yvelise GIRARD, Alexandre REGIS, Anne-Sophie DAUPHIN 

Photos Christian Dresse
1. Un Saint Pierre bien entouré  (Fargues);
2. Une élue à la cravache (Morgane, Bénéchafi) ;
3. Évariste et deux élues (Beyrand, Bénéchafi, Estier) ;
4. Ange gardien et Évariste (Juppin, Bénéchafi) ;
5.Amoureux transi et veuve (Desmons, Géa) ;
6. Aviateurs tombés du ciel et Martel (Juppin, Desmons, Bénéchafi)
 
 



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