dimanche, septembre 10, 2017

L'ARMÉNIE AU CŒUR : ARARAT


Enregistrement 4/9/2017, passage, semaine du 11/9//16/9/17

RADIO DIALOGUE RCF (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)

« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 283

lundi : 12h15 et 18h15 ; samedi : 17h30

Semaine 36        
         Les vacances sont finies ou s’achèvent. La reprise s’amorce dans le proche quotidien. Mais, pour rêver encore un peu d’horizons lointains, voici un disque récent qui nous parle d’hier en nous faisant réfléchir à aujourd’hui. C’est un CD du label Ambronay, du groupe de musique ancienne d’Emmanuel Bardon Canticum novum et s’appelle ARARAT, sous-titré « France-Arménie, un dialogue musical ».
         Le mont Ararat, appelé Masis par les Arméniens, est un volcan recouvert de neiges éternelles, dont le sommet culmine à 5 165 mètres et en fait le plus élevé de Turquie dont il fait partie désormais. Il reste cependant un symbole cher aux Arméniens, d’autant que la Bible (livre de la Genèse 8,4) mentionne pour la première fois le mont Ararat où se serait échouée l'Arche de Noé après le Déluge. Ce disque, dont le projet fut soutenu par la Fondation Bullukian parlera beaucoup au cœur de nos concitoyens d’origine arménienne tout en nous berçant d’un charme étrange comme une mémoire musicale lointaine ressuscitée ou vivifiée par Canticum novum bien nommé : musiques, cantiques, chants anciens rendus neufs à nos oreilles d’aujourd’hui. 

Spécialiste de musiques anciennes, l’ensemble Canticum Novum s’est forgé une identité singulière en puisant son répertoire dans des identités plurielles diverses, avec le facteur commun des traditions du bassin méditerranéen et des cultures qui en sont issues ou proches. Ainsi, répertoires afghans, turcs, persans, arabes, séfarades, arméniens et chypriotes du XIIIe au XVIIe siècle, sont tissés fraternellement avec les musiques d’Europe occidentale, tissage complexe mais simple à l’écoute, entre musique populaire et la musique savante qui y puise des racines. Bref, une croisée de chemins, de cultures et d’expressions artistiques, de musiques immémoriales qui restent encore très vivantes. Elles témoignent d’un passé toujours vivace et nous invitent aujourd’hui au respect et à la tolérance : la convivencia ancienne des Espagnols, ce "vivre ensemble" dont on se gargarise tant aujourd'hui, alors qu'il est battu en brèche par les nationalismes et les fanatismes, qui on une même origine : la peur et la haine de l'Autre. Ce disque de Canticum novum en est le vif témoignage, comme leur précédent, Shalom, Samlem, Paz, ‘Paix’, respectivement en hébreu, juif et espagnol (cultures qui surent coexister dans l'Espagne médiévale) que j’avais salué ici et ailleurs.
Nous en écoutons un premier extrait, un poétique chant traditionnel de l’Arménie du nord qui fut recueilli par le fameux Révérend Père Komitas ou Gomitas (1869-1935), un précurseur de l’ethnomusicologie moderne qui collecta et sauva quelque 3000 chants populaires. Ici, Barbara Kusa nous chante le Mont Alakias avec fraîcheur et fervuer :
1) PLAGE 6
Ce programme musical Ararat, qui a donné lieu à divers concerts, avec le résultat aujourd’hui de ce disque, fut conçu par Emmanuel Bardon en 2015, à l’occasion du centenaire du génocide Arménien, désormais reconnu officiellement, comme un dialogue interculturel entre la France et l’Arménie. Des liens —dont on eût aimé qu’une préface nous en dît davantage— furent noués entre les deux pays, il y a fort longtemps, à l’époque terribles des Croisades, impitoyables guerres mais qui, finalement, mirent en contact, des cultures qui s'ignoraient sauf en Espagne. Cette étroite relation entre les deux royaumes chrétiens fut établie dès 1252, quand Léon II de Lusignan, issu d’une noble famille poitevine, est nommé roi de Chypre, de Jérusalem et d’Arménie. L’influence de cette famille perdurera, avec plus ou moins d’intensité jusqu’en 1375, et la fin du royaume d’Arménie sous les coups des Turcs.
Canticum novum a intégré au disque deux airs séfarades, c’est-à-dire judéo-espagnols, autrement dit appelés ladinos, 'latin', par les Juifs pour les distinguer de l'hébreu, avant d'être chassés d’Espagne en 1492. Nostalgiques de "Sefarad", l'Espagne, les exilés s’établirent dans le pourtour méditerranéen, gardant au cœur, avec la blessure de la perte  du pays abandonné, un inestimable patrimoine culturel de cette ingrate Espagne ancienne qui les chassait de la patrie et les pourchassait, même convertis, sur le territoire péninsulaire. L’un de ces chants est un romance, et non une romance comme il est surnommé à tort dans le disque. Le romance est un bref poème octosyllabique narratif, assonancé régulièrement aux vers pairs, patrimoine hispanique qu’emportèrent les Juifs dans leur exil, conservant comme des trésors, préservés grâce à eux, des chants aujourd’hui disparus en Espagne.
Nous écoutons le second de ces chants, appelé encore à tort romance, car il est à six pieds, sans assonance régulière et n’es donc pas un romance. Il est chanté par Emmanuel Bardon et parle de ‘Mères éplorées ‘ sur la perte d’Israël, sur le malheur de l’exil, qui est bien universel, et a frappé si durement les Arméniens, légitimant l’inclusion ici de ce morceau qu’on dirait allogène :
2) PLAGE 13
On félicitera le chanteur d’avoir fait l’effort —sensible— de chanter le texte avec la prononciation des séfarades, qui est celle du vieux castillan de l’époque de leur expulsion qu’ils ont fidèlement conservée et, encore grâce à eux, les Espagnols ont la chance de savoir comment se prononçait leur langue à la fin du XVe siècle. Les chants séfarades sont très à la mode et l’on est affligé d’entendre que tant de chanteurs qui se frottent à ce répertoire,  ne prennent pas la peine d’en étudier la prononciation, se contentant de les chanter comme de l'espagnol moderne et encore plus ou moins bien prononcé. 
 Si chaque morceau est bien présenté dans le livret du disque, avec la nomination des instruments, on regrette cependant que le CD ne présente pas globalement l’instrumentarium, dont ce duduk nostalgique, instrument typiquement arménien, dont nous avons à Marseille un célèbre virtuose en la personne de Levon Minassian.
On aurait aussi aimé quelques mots sur l’histoire de l'Arménie, sur cette cour médiévale dont on nous joue les musiques.  L’Arménie d’aujourd’hui, enclavée entre la Géorgie au nord, l’Azerbaïdjan à l’est, l’Iran au sud, la Turquie à l’est, sans accès à la mer, fut un immense royaume durant l’Antiquité, comprenant, un siècle avant notre ère, partie de l’Iran, de la Syrie et de la Turquie actuels, s’étendant de la mer Noire à la Méditerranée, englobant le Liban. 
On sait désormais le génocide subi par le peuple Arménien. Un chant poignant sur lequel nous nous quittons, interprété par Varinak Davidian, nous rappelle les massacres de la ville d’Adana en 1896 et 1909, atroce prélude de 1915 : 
3) PLAGE 2
CD du label Ambronay, ARARAT, sous-titré « France-Arménie, un dialogue musical » par Canticum novum d'Emmanuel Bardon.
 Musique liturgique et populaire arménienne, chants séfarades.
Musique française : Estampies et Danses Royales – Le Manuscrit du Roi ca. 1270-1320.

Interprètes : trois chanteurs et neuf instrumentistes
Barbara Kusa, Emmanuel Bardon, Varinak Davidian  : chant ; Aliocha Regnard : nyckelharpa & fidula ; Emmanuelle Guigues  : kamantcha & vièle ; Valérie Dulac : violoncelle, vièle & lyre d’archet ; Spyros Halaris : kanun ; Philippe Roche : oud ; Gwénael Bihan : flûtes à bec ; Agop Boyadjan : duduk ; Ismaïl Mesbahi, Henri-Charles Caget : percussions.

http://www.canticumnovum.fr 

Écoutable sur : 
http://www.qobuz.com/fr-fr/album/ararat-canticum-novum-and-emmanuel-bardon/3760135104499

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire