dimanche, octobre 25, 2015

RENCONTRES


   MUSIQUE ET PATRIE
(II)

   La musique, l'art, n'ont pas de patrie. Mais, aux nationalismes qui affectent et infectent la pensée et réduisent l'horizon aujourd'hui, à leur air raréfié et vicié, on ne saurait trop opposer le vent vivifié sans frontières qui, comme on le disait du Saint Esprit, qu'on soit croyant ou pas, souffle où il veut et se trouve partout chez lui, comme la musique. C'est pourquoi je rappelle ce disque, entre autres, qui en est une belle illustration, auquel j'avais consacré une émission. 


Enregistrement 4/05/2015, passage, semaine du 25/5/2015
RADIO DIALOGUE (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)

« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 179


    À ceux qui rêvent de s’enclorent frileusement chez eux, de créer de nouvelles frontières, de nouvelles séparations, des compartiments étanches entre les cultures et les hommes voici un disque de l’audacieux label Indé !SENS qui vient nous rappeler opportunément que la musique n’a pas de frontières si elle a des pays et, si elle a des nations d’origine, au final elle n’a plus de nationalité. Paradoxalement, c’est en mettant en regard, ou plutôt, en écoute, en écho, trois compositeurs contemporains, deux Estoniens Arvo Pärt (né en 1935), Jaan Rääts (né en 1932) et un Russe, leur aîné Dimitri Chostakovitch (1906-1975), mais il est vrai, sous le label commun alors de l’Union soviétique qui englobait abusivement les pays baltes. C’est ainsi donc que ce CD élégant, intitulé Orient-Occident, en somme est et ouest, nous prouve la vanité des étiquettes nationalistes.
      En effet, si aujourd’hui les pays baltes, dont l’Estonie ont pu secouer le joug soviétique et russe, ce disque rappelle malgré tout, les affinités entre les trois compositeurs d’autant que les deux Estoniens, sous la férule soviétique, y avaient étudié et travaillé, si l’on peut dire, sous son ombre ou sa lumière.
 Nous trouvons donc dans ce disque, par l’Orchestre des Pays de Savoie sous la direction de Nicolas Chalvin, avec, en solistes, Éric Aubier, trompette et Roustem Saïtkoulov, piano, en premier, de Jaan Rääts, 
écrit en allemand, inutile coquetterie, son Könzer für Trompete, Klavier und Orchester, en tout simple français, son ‘Concerto pour piano, trompette et orchestre à cordes’ opus 92 ; ensuite, d’Arvo Pärt, écrit cette fois en italo-allemand, 
Concerto piccolo über B-A-C-H, für Trompete, Streichorchester, Cembalo und Klavier, en somme, si l’on traduit, ‘Concerto piccolo sur B-A-C-H (à savoir les notes Si bémol-la-do-si bécarre dans le système allemand) pour trompette, orchestre à cordes, clavecin et piano. Nous avons ensuite, toujours d’Arvo Pärt, mais en anglais cette fois, Cantus in memory of Benjamin Britten, ‘Chant à la mémoire de Benjamin Britten’ le grand compositeur britannique. Suit enfin l’opus 35 
du Russe Dimitri Chostakovitch
 mais toujours en anglais, Concerto number one for piano, trumpet and orchestra, ‘Concerto numéro 1 pour piano, trompette et orchestre’ et l’on finit sur un autre morceau de Pärt qui donne son titre au disque, Orient und Occident für Streichorchester, bref, ‘Orient et Occident pour orchestre à cordes’. D’accord, la musique est la langue internationale qui se passe de traduction mais les titres des œuvres, sûrement pas. Seule concession que nous faisons, non au nationalisme, mais à la compréhension linguistique nécessaire entre les peuples : savoir au moins quoi est quoi.
    Nous écoutons un bref extrait Concerto pour trompette, piano et orchestre de Jaan Rääts, où le piano, instrument à cordes percutées par de petits marteaux est vraiment traité comme un instrument de percussion dans un début aux accords rageusement martelés par la fougue de Roustem Saïtkoulov : 
     PLAGE 1.  Nous avons l’occasion dans cet exemple d’entendre la sonorité lumineuse de la trompette qui intervient après.

    Arvo Pärt, compose en 1994  son Concerto piccolo pour trompette solo, orchestre à cordes, clavecin et piano sur le motif musical B-A-C-H, le nom de Bach transcrit en notation allemande, je répète B (si bémol), A (la), C (do) et H (si bécarre), comme le faisait, pour s’amuser, le grand compositeur baroque lui-même, signant de cette façon ludique certaines de ses œuvres. Le musicien estonien s’en inspire, joue avec ce motif et ce souvenir, avec l’écriture de Bach, emploie même le clavecin, l’instrument fondamental de la musique baroque, aux cordes pincées, qu’il oppose au piano aux cordes percutées, très percutées ici aussi, et détourne certaines citations musicales parfaitement tonales de son grand aîné pour les tirer, bien sûr, vers une atonalité moderne. Écoutons un extrait significatif, le mouvement « Lent » du concerto où la magnifique trompette d’Éric Aubier déroule un nostalgique motif enrubanné de vocalises baroques, qui sombre dans un fracas orchestral de cordes hors du ton avant de ressurgir comme d’un sombre nuage avec la volute d’un trille solaire : 
    PLAGE 3.

    Jaan Rääts avait un an, Arvo Pärt, naîtra deux ans plus tard quand Chostakovitch compose en 1933, à vingt-sept ans son Concerto n°1 pour piano, trompette et orchestre à cordes. C’est un compositeur officiel en Union soviétique, et, loin des recherches révolutionnaires de la musique occidentale d’alors,  l’œuvre est sagement néoclassique, mais fantaisiste aussi, et même fantasque, qui ne dédaigne pas des accents jazzy ironiquement mêlés à une trompette aux accents de trompe guerrière. Quant aux différentes esthétiques du jeu pianistique, elles sont en perpétuel renouvellement. L’émouvant deuxième mouvement Lento, telle une valse lente, est d’une splendide douceur. Nous en écoutons le troisième mouvement, Moderato, où le piano de Roustem Saïtkoulov  perle délicatement ses notes avant que le chef Nicolas Chalvin ne soulève l’orchestre dans une magnifique vague :

3) PLAGE 8 .

   Le dernier morceau, la dernière plage revient à Arvo Pärt ; à une composition de 2000 qui donne son titre au disque, Orient & Occident pour orchestre à cordes, dont il avoue l’inspiration religieuse, sans en citer ouvertement les sources. Musicalement, l’Orient, avec un orchestre homophonique, jouant le même motif, est traduit par des effets de glissandi, glissements descendants entre les notes et les intervalles de demi-tons, mêlés à des résonances qu’on dirait de cathédrale, dont la mosquée de Cordoue, qui mêle harmonieusement le gothique à l’art arabe originel, donnerait peut-être l’image. Écoutons-en un extrait :

4) PLAGE 10


   On recommande don ce Un beau  CD INDESENS :  œuvres d’Arvo Pärt, Jaan Rääts, Dimitri Chostakovitch solistes, Éric Aubier, trompette et Roustem Saïtkoulov, piano, Nicolas Chalvin dirigeant l’Orchestre des Pays de Savoie qui fête heureusement ses trente ans.

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