jeudi, février 05, 2015

SOLILOQUE À DEUX VOIX



PRISON POSSESSION
de et par François Cervantès
Compagnie l’Entreprise
Fiche de la Belle-de-Mai
22 janvier

    Simplement habillé de pénombre, malgré le costume sombre que l’on devine et la chemise blanche, François Cervantès avance nu dans son immobilité. Il se nomme, s’identifie, décline naissance, enfance, famille, profession : théâtre, vie. Et pourtant, pas d’autobiographie, pas de théâtre ici : d’une visite bouleversante, déconcertante, à la prison du Pontet, d’une correspondance avec des détenus, vite cristallisée en un seul, Érik, il vient, se présente devant nous imprégné d’un contexte qui se méfie du texte, avec des mots qui se défient de la phrase, de la phraséologie. Avec des paroles nues reprises de cet échange, à voix nue, une voix neutre qui prend ses distances avec l’éloquence, la grandiloquence, il pose, propose une scène qui se méfie de la scène, du théâtre : même la spectaculaire évasion en hélicoptère, digne d’un film à suspense, n’est pas un spectacle mais l’image de la trajectoire d’oiseau fou en cage d’Érik, brisé contre les murs de la prison depuis l’adolescence, sans abdiquer jamais le rêve de vol, d’envol, d’évasion.
    C’est à la fois, s’il faut définir cette indéfinissable parole, une confession, une confidence dans la confiance entre Érik et lui, entre lui et nous. Érik confie à François, dans une étrange correspondance aveugle, décorporalisée, du dedans vers le dehors, sans contact autre que la lettre, le papier, les mots, une cruelle expérience des limites de l’humain dans la déshumanisation carcérale, plus qu’habitée, encombrée  par « un tas de gens, en vrac », « une humanité en trop » : « au rebut ». Isolement absolu de longue durée qui fait perdre les repères, la mémoire des autres, et même de soi en venant à douter de soi-même.
    D’une réclusion criminelle dans le noir, Jean de la Croix, le carme déchaux persécuté avant d’être saint, se protégea de la folie en inventant oralement son sublime poème, La Nuit obscure de l’âme, fondement ou illustration de sa mystique négative, et réussit à s’évader et le réécrire. Érik, avec ses pauvres mots confiés à François, qui le convie à prendre la parole à son tour, dans une sorte de soliloque à deux voix, semble dire, dans cet isolement, l’effacement des formes de l’humain. Se dessine malgré tout, dans cette ombre, l’ombre d’un Quartier de Haute Sécurité, sécurité prétendue pour la société qui se protège des criminels mais dont ce texte montre, et l’actualité nous démontre aujourd’hui, avec la criminelle insécurité interne, vols, viols, violences, la violence radicale dans laquelle se jettent des prisonniers qui croient trouver la foi dans la haine.
      C’est dire l’actualité tragique de cette expérience presque pieusement exposée, avec une humilité franciscaine, par François Cervantès. Mais, « entre les corps et les mots », entre concret et abstrait, il livre, délivre paradoxalement, un message de liberté par la parole, par l’esprit qui abolit la frontière des murs et des corps. Pas de prêche, pas de discours, pas de gesticulation mais de simples mouvements des mains, à peine perceptibles dans le noir  accompagnant cette voix modeste : les réalités terribles le sont davantage d’être énoncées, dénoncées finalement, sans déclamation : le cri, par le murmure, devient plus percutant.

Prison possession
De et par François Cervantès,
La Friche de la Belle-de-Mai,
Du 13 au 25 janvier.
Son et régie : Xavier Brousse ; scénographie : Harel Luz ; Lumière : Nomade Village.
Production : Compagnie l’Entreprise : coproduction  Région PACA, Théâtre de Cavaillon, en partenariat avec l a Direction Interrégionale des Services Pénitentiaires.


Photo © Melania Avanzato : François Cervantès.

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