Enregistrement
16/06/2014, passage, semaine du 30/06/2014
RADIO DIALOGUE
(Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE
DE BENITO » N° 135
Lundi : 10h45 et 17h45 ;
samedi : 12h45
Je parlerai
aujourd’hui des Vêpres de la Vierge de
Monteverdi (Mantoue, 1610) à l’occasion d’un disque exceptionnel, label Ambronay
(Harmonia Mundi), Vespero della beata Vergine de
Claudio Monteverdi, dirigé par
Leonardo García Alarcón, à la tête du Chœur de Chambre de Namur et
de la
Capella Mediterránea
,
deux
CD respectivement de 41’29’’ et 46’07’’.
Ce chef argentin, installé en Suisse où il
enseigne au Conservatoire de Bâle, n’est pas un inconnu ici puisque j’ai
souvent parlé de ses beaux enregistrements d’œuvres baroques souvent exhumées
par ses recherches, dont l’oratorio somptueux Nabucco, de Falvetti. (Voir dans ce blog ma chronique "Disques" : 11 déc. 2013)
Mais quelques mots
d’abord sur les célébrations de la Vierge, sur le culte marial, dont ce
monument de la musique baroque qu’il vient de publier est un témoignage
extraordinaire.
Culte marial
Le mois de mai, pour
l’Église, est le mois de Marie, c’est-à-dire la christianisation de la païenne
fête antique de Vénus, avec ses attributs sensuels et sexuels, les colombes et
les roses, devenues, inversés avec la christianisation, les symboles de la Vierge, de sa pureté : on ne se marie pas en mai et l'on fêtait encore, naguère, la "Rosière", la demoiselle vertueuse et méritante qui avait gardé sa "fleur", sa "rose".
Le
culte marial, né de la ferveur populaire pour la mère douloureuse du Christ, la
Mater dolorosa, s’est imposé au sein de
la religion catholique malgré la vive résistance de l’Église patriarcale, faite
par des hommes, et il faudra attendre le XIX e siècle pour que soit
proclamé le dogme de l'Immaculée Conception par le pape Pie IX en
1858, puis le XX e pour que
se vote en 1950 le dogme de
l’Assomption de Marie, sa montée directe au Paradis en corps juvénile intact, privilège unique, puisqu'elle n'attendra pas, comme tous les mortels, la putréfaction et la résurrection des corps après l'Apocalypse et le Jugement dernier. Deux mille ans donc, pour qu’un statut théologique soit
accordé enfin à Marie au sein de l’Église catholique, contesté par les
orthodoxes et refusé par les protestants qui s’en tiennent simplement aux
sources scripturaires, aux Livres sacrés, qui ne concèdent pas cette place hors
des mortels à la « Mère du Fils de Dieu » et non « Mère de
Dieu », titre ambigu et exorbitant qui supposerait qu’elle aurait précédé, créé ce Dieu incréé. (Voir B. Pelegrín, Figurations de l'infini. L'âge baroque européen, Le Seuil, 1999, III, Entre ciel et terre, le Baroque, 3. Assomption : la Mère au centre, p. 374-381)
Sans entrer dans ces
discussions que l’on dirait de chapelle, on ne peut que constater, dans
l’histoire chrétienne et culturelle que le culte marial, la dévotion à Marie,
est pratiquement, dans la religion du Père et du Fils, une religion de la Mère,
image universelle de l’amour, de la mère à l’enfant et de l’universelle douleur
de la mère pleurant son fils mort. Cette foi a donné des chef-d’œuvres dans
tous les domaines de l’art, de la poésie de l’amour profane des troubadours
devenu amour de la Dame parfaite qui ne peut être que la Vierge aux fameux
Stabat mater de la musique, sans oublier toute la floraison picturale des
Vierges à l’enfant, douloureuses près de la croix du fils sacrifié ou en glorieuse
Assomption, montant au ciel, les pieds sur la lune, entouré d’une nuée
d’angelots.
Mais l'on écoutera l’éclatante entrée de ces Vêpres de
Monteverdi par Leonardo García Alarcón (Disque I, plage 1) : d’abord, une voix masculine nue
lance une antienne, un passage de l’Écriture qu’on chante en tout
ou en partie, avant un psaume, et que le chœur répète en partie après, en plain-chant, c’est-à-dire en grégorien, un cantus
firmus, chant sacré
que l’on ne touche pas, chanté tel quel, mais que la musique va gloser,
expliciter, développer. On ne peut qu’être frappé par cette entrée qui sonne
comme une ouverture théâtrale, avec justement cette « Sonnerie des
Gonzague », cette marche triomphale des ducs de Mantoue, dont Monteverdi
était le maître de chapelle. Il l’avait déjà utilisée dans son fameux Orfeo de 1607, son œuvre qui marque l’avènement de ce qui
sera l’opéra. C’est en quelque sorte une ouverture. D’autre passages sont d’une
sensualité expressive qui ne dépareraient pas la scène. Ainsi, ces vers du Cantique
des cantiques de Salomon, « Nigra sum
sed fermosa… » (‘Je suis noire mais belle… ») qui chante les charmes
peut-être de la reine de Saba (Disque I, plage 4).
C’est déjà le théâtre
qui pénètre l’Église, dessinant des personnages et leur prêtant des affetti, des affects, des sentiments que le Baroque ne cessera pas de peindre, de colorer, d'exprimer par les arts. Il faut parler du contexte religieux qui l'explique.
Le XVIe siècle a connu,
à la suite de la Réforme de Luther, créant les obédiences diverses du
protestantisme, une rupture religieuse
irréconciliable du christianisme en Europe, suivie d’atroces guerres de
religion. Charles Quint,
l’Empereur qui règne pratiquement partout en Europe, dont les états sont
déchirés religieusement, impose un concile pour tenter de réconcilier
dogmatiquement catholique et protestants. Il n’en verra pas la fin, il meurt
avant. Le Concile de Trente (1545-1563),
qui dure 18 ans, échoue dans la réconciliation des frères ennemis de la même religion d'amour. Il devient
le Concile de la Contre-Réforme catholique, machine de guerre contre la Réforme
protestante, une tentative de réforme de l’intérieur de l’Église catholique,
mais aussi une minutieuse mise à jour, même artistique, de la vie du chrétien.
Ainsi, le concile, affirmant dès sa première session et le réaffirmant dans la dernière, légitime le culte des images, les représentations picturales et
sculpturales des saints, que les protestants, iconoclastes, les refusant,
bannissaient de leur liturgie, réfutant le faste, le luxe de l’Église romaine,
indigne de l’humilité des Évangiles. Au contraire, le Concile affirme un triomphalisme artistique
religieux. C’est, pratiquement, le lancement du grand mouvement que sera le
Baroque et sa débauche fastueuse architecturale, picturale et musicale.
Musicalement, la
réforme conciliaire simplifie la complexe polyphonie de la Renaissance pour
rendre compréhensibles les textes. Cela rejoint les recherches des lettrés et
musiciens du temps : c’est le début du règne de la basse continue (accords plaqués au clavecin et frottés
à la viole, en gros ou, ici, de l’orgue)
qui soutient harmoniquement le chant, librement orné par l’interprète sur
des mots-clés, toujours en accord avec les affects, les sentiments
exprimés, chant syllabique pour laisser tout entendre du texte sacré, et chant mélismatique, orné, aux grandes vocalises
émotives. Monteverdi utilise de façon géniale ces deux types de traitement du
mot. Nous nous quittons sur le « Duo seraphim » (Disque I, plage 10) avec ses effets
d’écho dans cette magistrale et voluptueuse version, toute baroque, entre ciel et terre, corps et âme, de ses Vêpres par Leonardo García
Alarcón.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire