vendredi, août 01, 2014

LES VÊPRES DE LA VIERGE, MONTEVERDI


Enregistrement 16/06/2014, passage, semaine du 30/06/2014
RADIO DIALOGUE (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 135
 Lundi : 10h45 et 17h45 ; samedi : 12h45

     Je parlerai aujourd’hui des Vêpres de la Vierge de Monteverdi (Mantoue, 1610) à l’occasion d’un disque exceptionnel, label Ambronay (Harmonia Mundi), Vespero della beata Vergine de  Claudio Monteverdi, dirigé par  Leonardo García Alarcón, à la tête du Chœur de Chambre de Namur et de la 
Capella Mediterránea
, deux CD respectivement de 41’29’’ et 46’07’’.
  Ce chef argentin, installé en Suisse où il enseigne au Conservatoire de Bâle, n’est pas un inconnu ici puisque j’ai souvent parlé de ses beaux enregistrements d’œuvres baroques souvent exhumées par ses recherches, dont l’oratorio somptueux Nabucco, de Falvetti. (Voir dans ce blog ma chronique "Disques" : 11 déc. 2013)

     Mais quelques mots d’abord sur les célébrations de la Vierge, sur le culte marial, dont ce monument de la musique baroque qu’il vient de publier est un témoignage extraordinaire.

Culte marial
     Le mois de mai, pour l’Église, est le mois de Marie, c’est-à-dire la christianisation de la païenne fête antique de Vénus, avec ses attributs sensuels et sexuels, les colombes et les roses, devenues, inversés avec la christianisation, les symboles de la Vierge, de sa pureté : on ne se marie pas en mai et l'on fêtait encore, naguère, la "Rosière", la demoiselle vertueuse et méritante qui avait gardé sa "fleur", sa "rose".
   Le culte marial, né de la ferveur populaire pour la mère douloureuse du Christ, la Mater dolorosa, s’est imposé au sein de la religion catholique malgré la vive résistance de l’Église patriarcale, faite par des hommes, et il faudra attendre le XIX e siècle pour que soit proclamé le dogme de l'Immaculée Conception par le pape Pie IX en 1858, puis le XX e pour que se vote en 1950 le dogme de l’Assomption de Marie, sa montée directe au Paradis en corps juvénile intact, privilège unique, puisqu'elle n'attendra pas, comme tous les mortels, la putréfaction et la résurrection des corps après l'Apocalypse et le Jugement dernier. Deux mille ans donc, pour qu’un statut théologique soit accordé enfin à Marie au sein de l’Église catholique, contesté par les orthodoxes et refusé par les protestants qui s’en tiennent simplement aux sources scripturaires, aux Livres sacrés, qui ne concèdent pas cette place hors des mortels à la « Mère du Fils de Dieu » et non « Mère de Dieu », titre ambigu et exorbitant qui supposerait qu’elle aurait précédé, créé ce Dieu incréé. (Voir B. Pelegrín, Figurations de l'infini. L'âge baroque européen, Le Seuil, 1999, III, Entre ciel et terre, le Baroque, 3. Assomption : la Mère au centre, p. 374-381)
     Sans entrer dans ces discussions que l’on dirait de chapelle, on ne peut que constater, dans l’histoire chrétienne et culturelle que le culte marial, la dévotion à Marie, est pratiquement, dans la religion du Père et du Fils, une religion de la Mère, image universelle de l’amour, de la mère à l’enfant et de l’universelle douleur de la mère pleurant son fils mort. Cette foi a donné des chef-d’œuvres dans tous les domaines de l’art, de la poésie de l’amour profane des troubadours devenu amour de la Dame parfaite qui ne peut être que la Vierge aux fameux Stabat mater de la musique, sans oublier toute la floraison picturale des Vierges à l’enfant, douloureuses près de la croix du fils sacrifié ou en glorieuse Assomption, montant au ciel, les pieds sur la lune, entouré d’une nuée d’angelots.
     Mais l'on écoutera l’éclatante entrée de ces Vêpres de Monteverdi par Leonardo García Alarcón (Disque I, plage 1) : d’abord, une voix masculine nue lance une antienne, un passage de l’Écriture qu’on chante en tout ou en partie, avant un psaume, et que le chœur répète en partie après, en plain-chant, c’est-à-dire en grégorien, un cantus firmus, chant sacré que l’on ne touche pas, chanté tel quel, mais que la musique va gloser, expliciter, développer. On ne peut qu’être frappé par cette entrée qui sonne comme une ouverture théâtrale, avec justement cette « Sonnerie des Gonzague », cette marche triomphale des ducs de Mantoue, dont Monteverdi était le maître de chapelle. Il l’avait déjà utilisée dans son fameux Orfeo de 1607, son œuvre qui marque l’avènement de ce qui sera l’opéra. C’est en quelque sorte une ouverture. D’autre passages sont d’une sensualité expressive qui ne dépareraient pas la scène. Ainsi, ces vers du Cantique des cantiques de Salomon, « Nigra sum sed fermosa… » (‘Je suis noire mais belle… ») qui chante les charmes peut-être de la reine de Saba (Disque I, plage 4).
    C’est déjà le théâtre qui pénètre l’Église, dessinant des personnages et leur prêtant des affetti, des affects, des sentiments que le Baroque ne cessera pas de peindre, de colorer, d'exprimer par les arts. Il faut parler du contexte religieux qui l'explique.
     Le XVIe siècle a connu, à la suite de la Réforme de Luther, créant les obédiences diverses du protestantisme, une rupture religieuse  irréconciliable du christianisme en Europe, suivie d’atroces guerres de religion.  Charles Quint, l’Empereur qui règne pratiquement partout en Europe, dont les états sont déchirés religieusement, impose un concile pour tenter de réconcilier dogmatiquement catholique et protestants. Il n’en verra pas la fin, il meurt avant. Le Concile de Trente (1545-1563), qui dure 18 ans, échoue dans la réconciliation des frères ennemis de la même religion d'amour. Il devient le Concile de la Contre-Réforme catholique, machine de guerre contre la Réforme protestante, une tentative de réforme de l’intérieur de l’Église catholique, mais aussi une minutieuse mise à jour, même artistique, de la vie du chrétien. Ainsi, le concile, affirmant dès sa première session et le réaffirmant dans la dernière, légitime le culte des images, les représentations picturales et sculpturales des saints, que les protestants, iconoclastes, les refusant, bannissaient de leur liturgie, réfutant le faste, le luxe de l’Église romaine, indigne de l’humilité des Évangiles. Au contraire, le Concile  affirme un triomphalisme artistique religieux. C’est, pratiquement, le lancement du grand mouvement que sera le Baroque et sa débauche fastueuse architecturale, picturale et musicale.
    Musicalement, la réforme conciliaire simplifie la complexe polyphonie de la Renaissance pour rendre compréhensibles les textes. Cela rejoint les recherches des lettrés et musiciens du temps : c’est le début du règne de la basse continue (accords plaqués au clavecin et frottés à la viole, en gros ou, ici, de l’orgue) qui soutient harmoniquement le chant, librement orné par l’interprète sur des mots-clés, toujours en accord avec les affects, les sentiments exprimés, chant syllabique pour laisser tout entendre du texte sacré, et chant mélismatique, orné, aux grandes vocalises émotives. Monteverdi utilise de façon géniale ces deux types de traitement du mot. Nous nous quittons sur le « Duo seraphim » (Disque I, plage 10) avec ses effets d’écho dans cette magistrale et voluptueuse version, toute baroque, entre ciel et terre, corps et âme, de ses Vêpres par Leonardo García Alarcón.








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