mardi, mai 13, 2014

Émission Laurent Wagschal


Enregistrement 12/05/2014, passage, semaine du 26/5/2014
RADIO DIALOGUE (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 130
 Lundi : 10h45 et 17h45 ; samedi : 12h45
 (Naturellement, l'émission présente des extraits des disques en question mais on en trouvera  avantageusement des exemples autorisés dans son site très bien fait : http://www.laurentwagschal.com/discographie.)

LAURENT WAGSCHAL

    Né à Lyon en 1972, couvert de prix nationaux et internationaux, le pianiste Laurent Wagschal n’est pas un inconnu dans notre région ni sur ces ondes. On l’a connu et apprécié comme accompagnateur partenaire de la soprano Brigitte Peyré lors d’une enchanteresse soirée du défunt Festival Les Nuits d’été en septembre 2008, au Musée Granet d’Aix-en-Provence, dans un programme L’Italie du Paris romantique et de Liszt. Nous l’avons retrouvé ici en 2012 dans un disque consacré à Henri Tomasi dans lequel il accompagnait cette fois la soprano Johanne Cassar dans des mélodies corses du compositeur et, enfin, l’an dernier, j’ai rendu compte du disque partagé avec la jeune violoniste Solenne Païdassi, L’Art du violon, consacré à des sonates de compositeurs français de la fin du XIXe siècle, César Franck (1822-1890) et à cheval avec le XXe, Saint-Saëns (1835-1921), Gabriel Pierné (1863–1937) (On peut retrouver ces chroniques en tapant son nom au bas de la page).
    Et nous sommes là au cœur du répertoire cher à ce talentueux pianiste attaché à défendre tout un pan oublié ou méconnu de la littérature pianistique française : à côté de Fauré, dont les mélodies occultent une grande part de sa création, avec plus de vingt disques, Laurent Wagschal défend aussi Ernest Chausson (1855-1899), Florent Schmitt (1870-1958), Maurice Emmanuel (1862-1938). Ses disques sont régulièrement salués par la presse spécialisée nationale, et même Télérama, Le Monde, ne manquent pas d’attirer l’attention sur sa grande activité.
   Laurent Wagschal, se produit régulièrement sur de grandes scènes prestigieuses à Paris (Théâtre du Châtelet, Théâtre des Champs-Élysées, Auditorium du Musée d'Orsay, Radio-France) mais aussi à l'étranger (Madrid, Bruxelles, Carnegie Hall à New York, à Seoul, à Tokyo). Il est l’invité de nombreux festivals (la Folle Journée de Nantes, organisée par René Martin, l’âme de notre Festival de la Roque d’Anthéron, le Midem de Cannes, le Festival Chopin à Bagatelle, Festival Présences, Festival du Périgord Noir...). De grands orchestres font appel à lui, l'Orchestre des Concerts Lamoureux, l'Orchestre Pasdeloup, l'Orchestre de la Cité Universitaire de Paris, l'Orchestre d'Auvergne, le Brussels Philharmonic Orchestra, l'Orchestre Classica de Moscou.
    Magnifique carrière donc pour un pianiste relativement jeune, qui en concertiste, soliste, a naturellement un vaste éventail de grands musiciens internationaux à son actif, et même dans sa discographie, qui ne se réduit certes pas au seul répertoire national évoqué : on y trouve, avec Mendelssohn le rare Karol Szymanowski, compositeur polonais (1882-1937). Et, encore plus rare, l’un de ses deux derniers disques, Arabesques, aux Éditions Prometheus, est consacré à des pièces du compositeur et pianiste allemand Martin Münch, né en 1961, avec lequel il a travaillé. Nous en écoutons et goûtons un bref extrait, la plage 26, une brève pièce de 2009, délicate et tendre, Pour Louise, d’autant plus tendrement et délicatement jouée par Wagschal qu’elle est dédiée à sa fille, pour sa naissance. On y sent battre doucement, comme un écho lointain, un doux bercement, une réminiscence du thème des Folies d’Espagne. La dernière pièce, Petit morceau, est une autre délicieuse dédicace à l'autre fille de l'interprète.

     Münch, que nous révèle Laurent Wagschal, grand concertiste international et professeur en Allemagne, est un musicien élégamment à l’écart des modes et terrorismes théoriques, atonalité, sérialisme intégral, qui sévissaient à cette époque : il prise davantage une tonalité élargie que la prison de l’atonalité en vogue. Le CD contient une sonate de jeunesse (1978) très impressionnante chez un jeune homme de dix-sept ans, les Contes et arabesques, opus 32 ; Sechs verbotene Trauermärsche, opus 37 (‘Six  Marches funèbres interdites’, nous dit-on, sans que l’on sache pourquoi, aux USA) opus 37, très sombres, comme il se doit ; Sterl-Impressionen opus 49, six brefs morceaux, des miniatures littéralement pittoresques, aux accents slaves, russes, inspirées au compositeur par des tableaux du peintre allemand néo-impressionniste Robert Sterl (1867-1932), comme Moussorgsky avait composé ses Tableaux d’une exposition d’après ceux de Victor Hartmann et Granados ses Goyescas d’après ceux de Goya. Malgré les titres renvoyant aux tableaux, ces tableautins, loin d’être descriptifs comme une musique à programme, peignent avec une grande concision, dépeignent, suggèrent d’un pinceau dirait-on, d’une touche efficace d’autant plus que limités dans le cadre étroit temporel (la vignette la plus longue, 3 minutes, une autre), des atmosphères, des évocations, parfois des évanescences, des sfumatos vaporeux ou des impressions plus corsées et colorées. Pour rassurer sur la musique contemporaine, dont on entendra qu’elle est aussi parfaitement séduisante, il suffit d’écouter ces brèves vignettes de  Martin Münch sous les doigts coloristes de Laurent Wagschal, notamment la plus courte, courte qui clôt la série Am Hafen von Astrachan, ‘Sur le port d’Astrakhan’.

    Laurent Wagschal présente ce 22 mai ce disque consacré à Martin Münch dans le cadre du Neckar-Musikfestival, en Allemagne.
    L’autre disque jumeau de Laurent Wagschal, sous le label Timpani,  c’est rien moins que L’œuvre pour piano, intégrale, de Paul Dukas (1865-1935). Il est vrai que l’œuvre de ce compositeur parcimonieux aussi exigeant que Manuel de Falla, qui préférait détruire ce qui ne le satisfaisait pas pleinement, n’est pas géante, mais la sonate ici gravée amoureusement par Wagschal est gigantesque : près de 42 minutes ! Certes, de lui, ami de Debussy et grand orchestrateur qui influença tant d’autres compositeurs pendant ses cours au Conservatoire de Paris, on connaît son poème musical L’Apprenti sorcier (1897), devenu tube planétaire après le film de Walt Disney, Fantasia (1940) ; on joue rarement son magnifique opéra Ariane et Barbe-bleue (1907) heureusement monté à Nice il y a quelques années, et son ballet La Péri (1912), de justesse sauvé des flammes de son impitoyable perfectionnisme incendiaire !


    On ne peut que savoir gré à Laurent Wagschal de rendre cet hommage mérité à ce grand compositeur trop modeste. Le CD contient donc tout ce que Dukas a composé pour le piano, avec un regard rétrospectif à des maîtres du passé, Rameau et Haydn et une projection vers l’avenir dans la titanesque sonate hérissée des difficultés de celles des grands aînés du XIXe siècle :
Sonate, 
La Plainte, au loin, du Faune, Variations, Interlude et Finale sur un thème de Rameau, 
Prélude élégiaque sur le nom de Haydn.
Avec l’hommage à Debussy et à son faune, écho lointain dans la brume bleue du passé du maître mort, en une époque où l’on joue principalement la musique contemporaine (les carnets de Monsieur croche de Debussy témoignent des programmes tout modernes de son temps), ces belles variations sur un thème de Rameau, ces treize variations, clin d’œil aux Diabelli de Beethoven, et ce jeu musical à la Bach sur le nom de Haydn  aux lettres transcrites dans la gamme allemande, sont un témoignage du nouveau goût musical historiciste d’un tournant de siècle qui s’ouvre aussi en s’ouvrant au passé. C’est aussi l’apport précieux de ce disque qui défie courageusement les lois de l’opportunisme mercantile actuel : pas d’anniversaire à célébrer, pas d’actualité autre que celle d’un maître délaissé à redécouvrir avec respect.
    La sonate est, par ses proportions, sa difficulté, son ambition de résumer, de subsumer en une toutes les sonates du XIXe siècle, est un monument qui effarouche les pianistes et effraie le public, donc, le marché. Notre pianiste, lui, ne marchande pas : il marche, il court, il ralentit dans cette sonate au début haletant. Elle est touffue dans sa composition et pourtant, on appréciera comment Wagschal mène cette montée haletante du premier mouvement, sa clarté légère dans le troisième, comment il plonge avec ardeur dans cette effervescence fiévreuse pour la conduire, par sa vélocité, sa volubilité, pour en dérouler sans confusion les volutes virtuoses. Nous gravissons avec lui toutes les marches de ce monument qu’il nous invite visiter avec étonnement et bonheur de la découverte

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