lundi, février 21, 2011

l'Heure du thé


L’HEURE DU THÉ
YETE QUEIROZ, mezzo
Opéra de Marseille,
Février 2011

On se saurait manquer le rendez-vous crépusculaire de L’Heure du thé, celle des rossignols du CNIPAL (Centre National d’Insertion Professionnelle d’Artistes Lyriques). Cette fois-ci, exceptionnellement, dévolue en entier à la franco-brésilienne Yete Queiroz, et pleinement sirotée grâce cette adorable mezzo, admirée déjà ici-même dans la Djamileh de Bizet à Pourrières, en juillet 2009. Cette fois-ci, avec la complicité au piano de Nino Pavlenichvili, la chanteuse a déployé un vaste arc-en-ciel de musiques, du Baroque à l’opérette américaine et à des chansons, en passant par la zarzuela espagnole et autres mélodies hispaniques et brésiliennes avec un égal bonheur. Et le nôtre fut total.
En vaporeuse robe longue en lamé or aux chatoiements d’ananas, mettant en valeur son teint de fruit exotique et ses yeux noirs intenses, longs pendants d’oreille, elle attaque son récital par la magnifique déploration « Sposa, son disprezzata …», attribuée sans garantie au Bajazet de Vivaldi. Prudemment, elle coupe de respirations dramatiquement expressives les grands arcs de l’aria sans en détruire le galbe mais assure de jolis trilles et crescendi sans s’exposer encore à la périlleuse messa di voce. Le timbre est égal, soyeux, plein, l’émission facile, la voix ronde, souple, la ligne est tenue impeccablement. Même expression touchante sans dramatisme appuyé, d’une grande noblesse, dans le lamento, les déchirants et sobres adieux de la Didon de Purcell. Les ornements du da capo sont beaux, les aigus éclatants, les graves ombreux sur cette basse descendante  poignante, mais ce n’est pas une grande critique à cette charmante polyglotte que de lui conseiller de ne pas trop fermer certaines voyelles (a, o) de l’anglais. Après ces arie di portamento, sur la tenue du souffle et le legato, le troisième air baroque, de fureur du Sesto de Giulio Cesare de Händel, contraste par la vélocité voulue, volubilement vengeresse, de l’affect exprimé, et démontre encore la maîtrise technique vocale et stylistique autant que les dons d’interprète de la cantatrice.
Robe verte, cheveux dénoués, sa partie hispanique commence par deux morceaux traditionnels espagnols joliment harmonisés par le grand poète Federido García Lorca, les  délicieuses Morillas de Jaen, un zéjel du XV e siècle, bref poème octosyllabique au couplet monorime par trois vers du couplet et un refrain, d’une ravissante simplicité et des demi-teintes toutes en douceur ; excellente diseuse, elle chante avec un brio étourdissant et des couleurs parfaitement hispaniques le Café des chinitas avec un mordant, une netteté, une précision sans bavures de ce vrai bel canto à l’espagnole, toujours virtuose même dans le flamenco, qu’on appelle « cantar limpio », ‘chanter propre’. On retrouvera ces qualités dans les deux extraits de zarzuelas, ouvrages lyriques typiquement espagnols qui vont de l’opérette à l’opéra, la « Chanson de la gitane » de La alegría del batallón de José Serrano, avec une grâce toute andalouse et, avec un charme souriant madrilène, la piquante chanson de Paloma du Barberillo de Lavapiés d’Asenjo Barbieri.
Les deux autres airs du catalan Xavier Montsalvatje, extraits de ses fameuses Canciones negras, l’adorable « Berceuse pour un négrillon » qu’elle chante avec une tendresse fruitée et le « Yambambó » sur le poème du grand poète cubain Nicolás Guillén, avaient déjà toute la couleur caraïbe et africaine qui seront celles des mélodies toutes de couleur et rythme d’Heitor Villalobos de son Brésil originel, magnifique cadeau car ce sont des inédits. Nouvelle occasion pour l’interprète de faire preuve de couleurs et demi-teintes très variées, malicieuse, dramatique, déroulant l’envoûtant Xangô, invocation sur des percussions du piano, à l’orisha, divinité du panthéon de la santería, religion syncrétique originaire d’Afrique, acclimatées par les esclaves noirs dans les colonies. Ce voyage en Villalobos se clôt sur le Samba classico (masculin en brésilien], chant d’amour au Brésil que la chanteuse prend à l’évidence à son compte : « Ô ma terre, mon peuple, ma patrie… »
Deux extraits de comédies musicales américaines de Kurt Weill manifestent encore les versicolores possibilités de l’interprète, ainsi que deux chansons, l’une, qui modernise la vieille métaphore baroque de la vie comme théâtre, « La vie est un cabaret » et l’autre, un air brésilien dont on ne peut s’empêcher de lui renvoyer en écho et hommage les paroles captées : « que cosa mais linda… » , « moça de corpo », « a lindeza que existe ».
Mieux qu’accompagnant au mieux Yete Queiroz, Nino Pavlenichvili dialogua avec elle au piano, partageant aussi l’espace musical en soliste jouant, d’abord, une Sicilienne de Vivaldi, avec cette croche pointée comme une poignante blessure de douce mélancolie, puis l’Aria toute rêveuse de Bach, déroulant un éventail joliment perlé, le Tango alangui d’habanera d’Albéniz et l’Ouverture de l’Opéra de quat ‘sous de Weill.
Le soleil pouvait se coucher le cœur restait ensoleillé.
Photos :
1. Yete Queiroz ;
2. Nino Pavlenichvili.


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