jeudi, février 10, 2011

DER FREISCHÜTZ


DER FREISCHÜTZ
livret de Johann Friedrich Kind,
musique de Carl Maria von Weber
Opéra de Toulon
30 janvier 2011

L’Opéra de Toulon, sous la houlette avisée de Claude-Henri Bonnet, est devenu le lieu de productions d’un rare éclectisme où l’on peut applaudir dans une saison tant des œuvres du répertoire que des ouvrages plus rares et même jamais donnés en France, tel le superbe Street scene de Kurt Weill dont on a déjà parlé ici. La programmation 2010/2011 a déjà affiché, à côté d’une Thaïs aujourd’hui délaissée ailleurs, Orphée aux Enfers d’Offenbach venu du paradis du Festival d’Aix-en-Provence ; l’on attend la peu fréquentée Rondine de Puccini (25, 27 février et 2 mars), la guère plus escaladée vocalement Linda de Chamounix de Donizetti (25 et 27 mars), Dido and Æneas de Purcell, création, avec rien moins qu’Anna Caterina Antonacci (19, 22 et 24 avril), un autre hilarant Offenbach par « les Deschiens », ces Brigands (13 et 15 mai) fameux mais fantomatiques ailleurs, un récital de June Anderson (11 mars) et, aujourd’hui, l’opéra romantique par excellence, en création à Toulon, Der Freischütz.
L’œuvre
Il est un air, pour qui je donnerais,

Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber.
Un air très vieux, languissant et funèbre…

On se souvient des nostalgiques vers de Gérard de Nerval qui associait à ces fameux compositeurs en son temps Weber (prononcé Webre), à la vie encore plus brève que celle de Mozart, son cousin germain par alliance, aussi précoce et aussi prématurément disparu que lui puisqu’il ne vécut que cinq ans de plus (1786-1826).
Si le sujet en peut aujourd’hui sembler désuet, il ne faut pas minimiser, historiquement, l’impact, en 1821, à Berlin, de ce premier opéra proclamé « romantique » et allemand en une époque où règne la musique italienne en Europe avec, souvent, des thèmes néo-classiques encore antiquisants ou médiévaux. L’Allemagne, morcelée en une constellation de principautés et de royaumes indépendants, ravagée pendant la Guerre de Trente Ans (1618-1648), avait émergé lentement au cours du XVIII e siècle  et la Prusse, tentant d’imposer une unité qui ne se fera qu’un siècle encore plus tard, dans le camp des vainqueurs de Napoléon, se cherche une expression culturelle autonome, anti-française bien sûr, et anti-latine en général, ce que réussira plus tard Wagner pour la musique.
Weber en est le premier maillon avec cette histoire fantastique et réaliste à la fois, qui, sur fond de forêt germanique, mêle satanisme et monde rural local avec son folklore, ici les compétitions de tirs, située ici symboliquement en 1650, au sortir de la terrible saignée de la Guerre de Trente Ans. Manière de rénover le Moyen-Âge à la mode romantique, c’est comme un preux chevalier lors d’un duel que Max, garde-chasse, doit gagner la main de la fille du garde forestier du prince pendant un concours de tir dont il doit sortir vainqueur. Assailli de doutes sur ses capacités, il n’hésitera pas à signer un pacte avec Samiel, le Diable, par l’intermédiaire de Kaspar, âme damnée cherchant sa délivrance, qui lui fournira les balles magiques de la victoire. Il ne faut pas oublier non plus que l’ombre des forêts et de la magie noire est aussi un envers du Siècle des Lumières qui avait inventé le roman noir gothique.

Réalisation et interprétation
Considérant tout cela, on saluera l’atmosphère générale réussie des décors (Laurent Peduzzi), costumes (Marie Sartoux) et lumières (Joël Hourbeigt) : sur fond ombreux, une lune immense, des tables en croix renversée et, lentement, des personnages de sombre vêtus, chapeaux et amples manteaux détachant vaguement des visages. Sinon encore un cauchemar, un rêve éveillé dans les brumes épaisses d’une conscience malheureuse ou ténébreuse, mal à l’aise à coup sûr. De vagues éclats de fleurs jaunes et rouges : une atmosphère picturale angoissante à la Caspar David Friedrich, non une reconstitution chronologique. Seule note lumineuse, la longue robe blanche néo-classique d’Agathe dans sa chambre à l’acte II, avec cet œil de bœuf rouge en lune interne et le lit Restauration. La scène infernale de La Gorge aux Loups, telle une descente aux enfers de son inconscient par Max, est figurée par des escaliers et échelles métalliques modernes soulignées par la lumière rouge.
Dans sa mise en scène, Jean-Louis Benoît semble avoir opté pour la beauté plastique des tableaux, mais en accuse aussi le statisme, le seul mouvement étant donné par la chorégraphie d’Érick Margouet qui anime joliment les danses des paysans. La direction d’acteurs semble absente et abandonnée aux tempéraments personnels des chanteurs, telle la volubile et mobile Aennchen de Mélanie Boisvert, aussi ravissante que ses airs de voltige, jolie rôle et voix de soubrette ou second soprano complice et amie, un plaisir pour l’oreille et les yeux. C’est aussi le cas du Kaspar Roman Ialcic, qui emporte l’adhésion tant par son jeu dramatique de personnage possédé cherchant désespérément à se libérer de son pacte avec le diable que par la beauté d’une voix profonde de baryton basse. À côté de lui, le Max de Jürgen Müller, fatalement pâlit et pâtit d’un problème vocal qui lui fait détimbrer les piani à l’inaudible, ce qui n’est guère rattrapé par un jeu raide et inexpressif. En Agathe, grande et longiligne blonde, Jacquelyn Wagner a une très belle et noble allure, doublée d’une voix de même qualité, presque irréellement instrumentale, qu’elle tient, sans effort, admirablement et poétiquement à la corde tel un violoncelle ou violon, ligne superbe.
Tout le reste de la distribution mérite d’être cité : on retrouve avec plaisir la balle basse du Kuno de Nika Guliashvili ; Igor Gnidii, baryton,  campe un Kilian plein de charme railleur ; un autre baryton, Bartolomiej Misiuda, est le prince Ottokar  avec autorité et une basse encore dans cet opéra d’hommes aux voix sombres à l’exception du ténor et des deux femmes, Fernand Bernadi, est un Ermite vibrant. L’acteur Jean-Michel Fournereau  a le rôle  du Diable Samiel qu’il joue de son corps et allure.
Les chœurs sont remarquables de discipline et de nuances et l’on ne s’en étonnera pas sous la houlette et baguette de Laurence Equilbey. Dès l’ouverture, comme un lever de rideau, elle fait naître une onirique brume légère et rêveuse, des éclats estompés de cors d’une étrange douceur, puis déroule le motif d’Agathe comme un fil d’or de la partition. Les couleurs des divers pupitres sont mises en valeur sur le nappage tendre des cordes. C’est structuré mais souple, bien articulé, d’une infinie finesse qui fait rutiler les gemmes délicates de cette partition. Un bonheur. 

Opéra de Toulon, nouvelle production
en partenariat l’Opéra-Théâtre de Saint-Etienne
28, 30 janvier, 1er février
DER FREISCHÜTZ
Direction musicale : Laurence Equilbey
Orchestre, chœur et ballet de l’Opéra
Mise en scène :  Jean-Louis Benoît ; décors : Laurent Peduzzi ; costumes : Marie Sartoux ; lumières :  Joël Hourbeigt ; chorégraphie : Erick Margouet .
Distribution :
Agathe :  Jacquelyn Wagner ; Aennchen :  Mélanie Boisvert ; Max :  Jürgen Müller ; Kaspar :  Roman Ialcic ; Kuno : Nika Guliashvili ; Kilian :  Igor Gnidii ; Ottokar : Bartolomiej Misiuda ; L’Ermite : Fernand Bernadi :
Samiel :  Jean-Michel Fournereau.
Photos : ©Frédéric Stéphan
1. Roman Ialcic, Jürgen Müller, Nika Guliashvili ;
2. Mélanie Boisvert, Jacquelyn Wagner : mortuaire couronne de fleurs;
3. Sur la fiancée évanouie, se penchent Aennchen, le fiancé debout et, à droite, le père.

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