dimanche, mars 28, 2010

LA CENERENTOLA

V
Benito Pelegrín

LA CENERENTOLA
( Ossia La Bontà in Trionfo)
Musique de Gioacchino Rossini
Livret de Jacopo Ferretti


L’œuvre
Avatar cendreux de la Cendrillon de Perrault (1697), celle de Ferretti (1817), sans fée, sans citrouille, sans pantoufle de vair ou de verre (chassez ce pied que je ne saurais voir, remplacée, puritanisme bourgeois oblige, par un pudique bracelet) est cependant sauvée par les coloris de la partition, la féerie musicale d’un Rossini déchaîné, qui enchaîne ensemble sur ensemble des plus étourdissants et des airs vertigineux de virtuosité qui requièrent de tous les interprètes une technique à toute épreuve : le bel canto dans sa plus exaltante palette.


La réalisation
Venue du festival de Spoleto (non d’Italie, mais de Charleston, USA) cette production bénéficie de plus de la baguette de l’enchanteur Charles Roubaud pour la mise en scène et de ses habituelles fées comparses, Emmanuelle Favre pour le décor et Katia Duflot pour les costumes, d’un strict romantisme pour les hommes, troussés de traits fantaisistes pour les personnages fantasques, retroussés de plumets assez Grand Siècle, délicates couleurs pour les pécores et pimbêches sœurs, tandis que Cendrillon passera de la simple blouse et de la robe de cendre au tissu doré de son triomphe.
Un fauteuil à l’avant-scène côté jardin, un balai et un gros poêle côté cour sont les signes rémanents du conte dans cette noble demeure aux grands portraits de famille avec, en fond, dans un vaste cadre, comme une perspective de rêve princier, l’image nébuleuse du Palais Longchamp de Marseille, couronné de portiques antiquisants, vastes escaliers en demi-cercle encadrant les larges degrés en cascade échelonnés de statues qui, au signe d’Alidoro le magicien, deviendront des jets d’eau magnifiques : jaillissement vers le ciel, image visuelle aquatique de l’image acoustique du feu d’artifice de ces airs jaillissants, bondissants de vocalises cristallines, crépitantes, aériennes. Une calèche qui passe est l’autre signe du carrosse absent (images vidéo de Gilles Papain). Comme par magie aussi, à vue, les portants tournés nous transportent à l’intérieur du palais, perspectives d’arcades sur un jardin peigné, qui renforce la folie décoiffante, croissante du crescendo de « Monsieur vaccarmini » où même les colonnes se mettent à avoir le tournis dans les lumières oniriques de Marc Delamézière. De la sorte, la réalisation rattrape l’absence de féerie du livret, et nous délecte de la cocasserie des personnages comiques, Don Magnifico et Dandini.

L’interprétation
Dès l’ouverture (en fait celle de La Gazzetta) le chef Roberto Brizzi-Brignoli adopte un tempo gai, guilleret, d’une vivacité acide, incisive pour les cordes, faisant fuser les flûtes ironiques, jaser les vents légers et railleurs, pinçant les pizzicati avec un humour tonique et dynamique qui ne se démentira jamais, un rythme vertigineux, époustouflant, essoufflant, pressant, oppressant sans doute les chanteurs par ce train d’enfer : un champagne pétillant en continu qui saisit d’une certaine ivresse.
Après les pépiements des pécores en papillotes, les hystériques sœurs (plaisantes et ravissantes Caroline Mutel et Julie Robart-Gendre) en dessous de petites filles pas modèles, la chanson au ton archaïsant, d’Angelina, la Cenerentola, est une nostalgique parenthèse de paix que nous offre Karine Deshayes dans la rondeur médiane de sa voix qui émousse de sa douceur les arêtes des angles aigus des deux autres : joli contraste vocal. De ce rôle écrasant où elle chante presque en permanence, elle se tire avec une aisance parfaite à quelques inégalités près de volume trop fort du haut médium, grimpant apparemment sans effort les redoutables vocalises joliment perlées, admirable d’agilité et atteignant le terrible rondeau final, apothéose vocale et pyrotechnique sans trace de fatigue. Tout en elle dit vocalement et charnellement une rondeur humaine, une bonté qui rend déchirante, sous les effets théâtraux comiques, la scène où son père impitoyable la repousse à chaque reprise de l’air.
Auprès d’elle, mince, élégant, un air espiègle d’enfant, Manuel Núñez-Camelino en Don Ramiro est un Prince vraiment charmant, ténor di grazia dont la voix mûrira encore mais qui déploie avec sûreté, dans des airs hérissés de vocalises meurtrières, une sûre technique du beau chant. En Alidoro, philosophe et magicien, Maurizio Lo Piccolo, déploie la beauté sombre d’un timbre séduisant, rond, moelleux, expressif. Naturellement, Rossini ne serait pas Rossini sans personnage bouffe et ici, ils sont deux, également bien traités : Dandini, le valet travesti en Prince, c’est Lionel Lhote, parfait comédien et chanteur, se jouant largement des terribles accélérations du chant, faisant la paire avec l’autre comique, le père à la fois cruel et ridicule, Don Magnifico, un Franck Leguérinel inénarrable, jonglant aussi avec ces mêmes pièges rossiniens ces passages de volubilité véloce, jubilatoires pour le public mais délicate prouesse pour l’interprète : deux grands bonhommes.
Les chœurs d’hommes dans cette œuvre aux femmes remarquables mais minoritaires, sont conduits, en maîtresse, par Aurore Marchand.

Opéra d’Avignon, 21 et 23 mars 2010
 La Cenerentola de Rossini
Orchestre Lyrique de Région Avignon Provence, direction : Roberto Brizzi-Brignoli ; chœurs de l’Opéra et des Pays de Vaucluse (Aurore Marchand).
Mise en scène : Charles Roubaud ; décors : Emmanuelle Favre ; costumes : Katia Duflot ; lumières : Marc Delamézière ; vidéo : Gilles Papain.

Distribution :
Angelina : Karine Deshayes ;  Clorinda : Caroline Mutel ; Thisbe : Julie Robard-Gendre ;  Don Ramiro : Manuel Núñez-Camelino ; Don Magnifico : Franck Leguérinel ; Dandini : Lionel Lhote ; Alidoro : Maurizio Lo Piccolo.

Photos Cédric Delestrade/ACM-Studio/Avignon :
1. K.  Deshayes,  Cendrillon toute en douceur ;
2. M. Núñez-Camelino , Prince charmant ;
3. Les sœurs, le père e les deux amoureux ;
4. Finale doré.

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