samedi, août 01, 2009

LA ROQUE D'ANTHÉRON

29 e Festival international de piano
de la Roque-d’Anthéron

Carte blanche à Katia et Marielle Labèque
27 juillet 2009

Mieux qu’un piano ? Deux pianos. Mieux qu’une sœur? Deux. Quand ce sont les sœurs Labèque, Katia et Marielle, la qualité est assurée dans leur défense sans faille du répertoire pour deux pianos. On connaît leur éclectisme, leur curiosité, leur originalité. Nous en eûmes, sous les ramures chanteuses de La Roque, encore une fois, la démonstration éclatante avec cette carte blanche qui leur fut accordée, qui mériterait le rose du bonheur.
Un premier concert, permit à ces grandes dames éternellement jeunes, de donner leur mesure « classique ». D’abord, En Blanc et Noir (1914-1915) de Debussy, plus sombre que blanc : trois « Caprices », marqués par la Grande Guerre, remarqués par leur jeu polyrythmique et polytonal, instable, d’une couleur angoissante pour les deux premiers, qu’on dirait déchirés de contrastes gris et noir ; dans le second, un choral luthérien (l’ennemi allemand) traversé de nuées sombres et combattu des accords d’une claire mélodie patriotique française. Le troisième enfin, s’éclaire d’un scherzo turbulent, vertigineusement virtuose, hommage à son dédicataire et ami Stravinski. De ce dernier, le Concerto pour deux pianos, des années 30 (créé par Igor et son fils) multiplie les difficultés techniques, explore toutes les possibilités du piano, de ses traits, trémolos, trilles, arpèges, etc, à un symphonisme équilibré entre les deux instruments, allié à des recherches harmoniques et rythmiques complexes. Entre ces deux œuvres, la Fantaisie en fa mineur de Schubert pour piano à quatre mains, étonne d’abord par la dynamique et le tempo si lents du début : des sons semblant naître du silence, des notes impalpables, à peine claires, du thème lancinant, poignant, émergeant de la nuit, s’affirment peu à peu comme l’évidence d’une fatalité à la fois inéluctable et douce, montant vers un crescendo impeccable et implacable dans une construction cohérente et sensible, qui replonge comme un rappel de lumière douloureuse en soi dans le motif initial : bouleversant. Il ne faut pas moins qu’un bis étourdissant de verve virtuose, La Campanella de Liszt, pour nous arracher, par l’enthousiasme, à la désolation délétère et tendre de Schubert.
Le deuxième concert fut un hommage des deux sœurs basques à leur compatriote Ravel. En premier, la version pour deux pianos de la Rhapsodie Espagnole, un « Prélude à la nuit » épuré, obsédant, motif repris dans la malagueña, et terminant sur une juvénile habanera, d’une sensualité en rien languide, bien fièrement ibérique. Après ce ruissellement de rythmes et de couleurs, la version pour piano à quatre mains de Ma Mère l’Oye, par l’osmose presque irréelle des deux sœurs, la délicatesse de leur toucher, effleurant les touches d’une efflorescence infinitésimales de notes issues d’un silence infini, nous plongeait, émerveillés, dans la féerie enfantine du rêve éveillé. Enfin, pour le Boléro, transcrit pour deux piano par elles-mêmes, Katia et Marielle avaient invité trois percussionnistes, Frédéric Chambon, classique, et Paxkal Indo et Thierry Biscary aux percussions basques. L’originalité fut que les deux pianos passaient le relais du fameux ostinato rythmique et la variation des timbres de l’œuvre initiale à la diversité des percussions dans le sens le plus large : instruments, mais aussi peau des tambours, bois, doigts, et même poitrine frappée ! Après avoir improvisé un défi de percussions sur de simples planches, demandant au public de fredonner un bourdon, les deux instrumentistes chantèrent une belle mélopée en langue basque, qu’on espère aussi universalistes et non nationaliste que la musique.
Le troisième concert de la nuit accueillait Mayté, grande chanteuse flamenco (chant aussi universel) de Barcelone qui, en réalité, possède tous les styles de chant, tous les accents espagnols, qu’elle sert avec un égal bonheur. Variations virtuoses aux piano (J. A. Amargós) de timbres hispaniques traditionnels (zorongo, Anda jaleo) ou modernes (Hijo de la luna) et vaste éventail de chants populaires ou savants, du tango de Carlos Gardel à Juanito Valderrama, aux vignettes archaïsantes et bouleversantes de simplicité de Joaquín Rodrigo (Adela, Pastorcito santo sur un texte de Lope de Vega), en passant par La maja dolorosa d’Enrique Granados : les pianistes magnifient par leur science la musique populaire à laquelle Mayté prête son intériorité et son savoir. Sa Nana , la berceuse des Sept chansons espagnoles de Falla, chantée comme on murmure à un enfant, avec à peine un déplacements syllabique des ornements mélismatiques de fin de phrases, retrouve une vérité bouleversante.
Mayté en tailleur veste et pantalons noirs, sur une chaise, Katia en noir, Marielle en rouge, dans la nuit avancée, retrouvaient une autre vérité profonde de cette musique, trop oubliée dans le grossissement des salles de concerts: le flamenco, en rien déclamatoire, est né, dans l’intimité tardive de la nuit, de la connivence, de la confidence chuchotée, chantée même au sanglot, entre amis.

Photos :
1. Marielle et Katia Labèque, photo C. Lacombe;
2. Marielle et Mayté;
3. Les trois artistes.





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