dimanche, juillet 05, 2009

FESTIVAL DE MARSEILLE (3)


Géométrique sérénité
Les sept planches de la ruse

d' Aurélien Bory, par les danseurs acrobates de Dalian


Les anciens Grecs ne l’avaient formalisé : la musique, l’harmonie des sphères célestes étaient d’essence géométrique, mathématique, suprême agencement de formes parfaites du divin équilibre de l’univers. Platon en fera sa philosophie idéaliste, Aristote, sa géométrie, Ptolémée, sa géographie et sa cosmographie : pensée du monde intellectuel et physique. L'idée intelligible peut être rendue sensible concrète, par la géométrie. Les Chinois, à en juger par ce spectacle d’Aurélien Bory, scientifique de formation, ne semblent pas étrangers à cette conception d’un monde réglé, régi par un agencement multiple, potentiellement infini, de formes géométriques harmonieuses. Il emprunte sa structure au jeu traditionnel du Tangram : un cube de bois découpé en sept « planches », cinq triangles, un carré et un parallélogramme qui permet quelque deux milles combinaisons et assemblages possibles.
Sur fond de lever de soleil ou de crépuscule, on retrouve sur scène ces pièces ,mais à l’échelle de 100 et 200 kg chacune, assemblées en un bloc d’abord, sur le rebord duquel, en ombre chinoise, une musicienne égrène et glisse les notes apaisantes d’un violon chinois. À partir de là, toujours comme des ombres, quatorze danseurs acrobates de la ville de Dalian vont décomposer la masse en ses pièces géométriques, triangles, carré, parallélépipède ou losange et composer, sans solution de continuité, des assemblages de formes noires et lisses qui glissent, sur fond de lumières irréelles, dans une fluidité et une célérité silencieuse, aux chants chinois près, entonnés poétiquement par les femmes. Un insolite peuple de silhouettes légères en ligne semblant à peine peser sur le sol, sans apparence d’effort, poussent, agencent les pièces du puzzle, se posent, s’apaisent en équilibre miraculeux sur une arête, dans une aisance naturelle d’insecte ou d’oiseau ignorant la pesanteur. Sans changer elles-mêmes, les formes changent dans un mouvement perpétuel dans leur agencement; chaque nouvelle figure surprend et séduit comme une évidence de beauté formelle, sitôt effacée par un nouvel emboîtement aussi séduisant, aussi précis, aussi exact que s’il avait préexisté de toute éternité: une combinatoire qu'on peut rêver infinie. Ce sont de vrais tableaux abstraits qui s'élaborent en continu sous nos yeux éblouis.
On frémit de ces équilibres humains élégants dans le déséquilibre des pointes et des pentes aiguës; on tremble, dans ce casse-tête et supplices chinois, écartements et écartèlement, ou jeu d’écrasement des personnages, de la chair contre les masses inhumaines. Mais le combat entre l’inerte massif et le fragile vivant est un jeu dans sa vérité profonde, pascalienne : misère et grandeur de l’homme, triomphe de l’intelligence humaine sur la nature chaotique à laquelle seul le regard et le travail humain donnent un sens, la singularité des sujets agissants n’existe que par la collectivité de l’action. Tout en beauté, poésie, sérénité : géométrie mouvante et émouvante.

Photos: Aglaé Bory.

Les sept planches de la ruse
d’Aurélien Bory, par les danseurs acrobates de Dalian ;
lumières : Arno Veyrat ; musique : Raphaël Wisson ;
Marseille, Parc Chanot, 24 et 25 juin 2009.

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