vendredi, mars 06, 2009

Good morning, Mr. Gershwin

BABELLE MALHEUREUSE
ET PARADIS PERDU ?
Good Morning, Mr. Gershwin
Spectacle de José Montalvo et Dominique Hervieu

Grand théâtre de provence
Le 19 février 2009

Il y avait une logique dans la rencontre de Montalvo/Hervieu et de George Gershwin (1898-1937) : leur éthique et esthétique du métissage chorégraphique, urbain, interracial -ou plutôt interculturel, les races n’étant qu’une invention récusée par la science-, leur bannière, ne pouvait que remonter aux sources du pionnier que fut le compositeur russo-américano-juif qui sut génialement marier musique savante et populaire, assimilant au classique le jazz d’origine africano-américaine. Les deux joyeux comparses, après leur triomphale mise en scène de Porgy and Bess, « opéra nègre américain » selon l’étiquette apposée à ce chef-d’œuvre, dramatiquement réaliste par le sujet, ne semblent pas être sortis indemnes de cette confrontation entre leur optimisme hédoniste et cette vision, littéralement noire, d’un monde violent. Poursuivis sans doute par cette expérience, hantés par cette musique, ils l’ont prolongée par une sorte de portrait chorégraphique de Gershwin, vu et dansé d’aujourd’hui, mais resitué, à travers ses œuvres, dans son époque, celle de la discrimination raciale et celle de la grande crise : en somme, pratiquement contemporain, prémonition des convulsions néo-coloniales actuelles de la Guadeloupe, Martinique, avec l’espoir inattendu d’un Obama.
Une misérable cahute de bidonville et des tags rappelant « Porgy » est d’entrée, dans ce spectacle, un signe nouveau dans l’univers facétieux du tandem, signé cependant, comme dans tous leurs précédents ballets, de l’éclatement de la vision unitaire traditionnelle par l’utilisation de tous les niveaux scéniques: avant-scène, toit de la cabane comme ligne de crête et l’écran en toile de fond surélevée. Tout l’espace est pratiquement toujours occupé par des actions diverses des quatorze danseurs étagés du haut au bas de la scène élargie, doublés par leur image, ces fameuses et inventives incrustations vidéo d’une étourdissante verve (José Montalvo) qui occupent cette sorte d’écran de nos rêves et inconscient : désir de vol, d’envol, d’apesanteur de corps innocents de nudité, ondulant et ondoyant dans l’onde d’une nage bienheureuse dans l’amniotique bonheur enfantin d’un aquarium ou d’une piscine des films d’Esther Williams des comédies musicales et nautiques. Cependant, un immense château de sable, ludique symbole de plaisir enfantin, qui s’éboule à la fin, deviendra bien un autre signe baroque de la fugacité, de l’arrogance de cette fragile tour de Babel(le) humaine.
On retrouve donc les vives couleurs des costumes bien à eux (Dominique Hervieu assistée de Siegrid Petit-Imbert), la franche luminosité (Vincent Paoli), les animaux fantasques et fantastiques, les vocalises gargouillées, le mélange heureux des corps, les gags chorégraphiques, les pa(tchwork) de deux et plus, danse contemporaine et classique sur pointes, africaine, hip-hop, etc. auxquelles, Gershwin oblige, se mêle jazz, blues, charleston, claquettes, sur les fameux standards du compositeur (Lady be good, The man I love, etc) dont certains titres se déroulent sur l’écran avec le nom des grands cabarets du Broadway de son temps. Monde de l’âge d’or de la comédie américaine, baigné d’une nostalgie sur des airs de slow qui entraînent une lenteur et langueur toutes nouvelles chez nos deux dynamiques chorégraphes. Des bancs de poissons sauteurs illustrent plaisamment la fameuse phrase, « fishes are jumpin’ », de « Summertime ».
Mais la même berceuse sur la photo d’une enfant noire pleurant, insensible au « little baby don’t you cry » de la chanson, les images noir et blanc de la grande récession des années 30, des queues du chômage, de la ségrégation, ces étranges bateaux de boat people ramènent à un triste passé mais, aussi, à notre présent : la couleur de la peau change mais pas la misère. On a le sentiment que nos deux joyaux lurons, pressentant déjà la crise par ce spectacle antérieur, laissent derrière, mais sans l’abdiquer comme un utopique horizon de reconquête du bonheur, leur Babelle heureuse et leur Paradis. Le château de sable n'était qu'un château en Espagne.



Photo © Laurent Philippe

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