mardi, avril 01, 2008

HEURE DU THÉ

Solistes du CNIPAL
Musique contemporaine
On l’a répété et salué : les Heures du thé mensuelles offertes si gracieusement par le CNIPAL (Centre National d´Insertion Professionnelle d´Artistes Lyriques) dans le foyer de l’Opéra, non seulement permettent à un public nombreux d’entendre les jeunes stagiaires, espoirs d’aujourd’hui qui seront peut-être les grandes stars du chant de demain, mais de s’initier et de s’ouvrir à des champs nouveaux de la vocalité sans lesquels le répertoire de l’opéra ne serait qu’une vaste et vaine galerie de musée d’un art plus que moribond, mort et momifié.
Il faut le dire aux nostalgiques passéistes tournés exclusivement vers le passé : la musique a toujours été contemporaine et Monteverdi, Vivaldi, Hændel, Mozart et les compositeurs postérieurs ont toujours écrit de la musique de leur temps et il n’est que de rappeler les polémiques que suscita la modernité du premier, sa seconda prattica, ou du dernier (« Trop de notes, Mozart ! »). Ce n’est que le goût historiciste du XIX e siècle qui revient un peu sur un passé arrangé à sa manière, un peu de Bach (Mendelssohn), un peu de Gluck (Berlioz), un peu de Mozart mal arrangé. Mais on peut lire les carnets critiques du Monsieur Croche de Debussy pour constater que les programmes dont il rend compte sont strictement contemporains.
Cela pour répondre aux quelques critiques opposées à ce programme, au fond sagement et largement classique contemporain, proposé et commenté par Ivan Domzalski répondant aux questions de Gérard Founeau, interprété par trois pensionnaires, joli travail pédagogique.
Le seul compositeur vraiment contemporain et vivant était Philippe Roux (né en 1959), bien connu et reconnu internationalement. Sa mélodie a cappella, sur quelques strophes de la poétique chanson populaire du XVIII e siècle, Aux marches du palais (« La belle, si tu voulais »…) se présente comme un rap (rythm and poetry), rythme et poésie ou poésie rythmée et déclamée rapidement…qui au fond, est un recitar col canto, en « réciter en chantant », cher aux théoriciens florentins de la fin du XVI e siècle, inventeurs de l’opéra, de Caccini à Monteverdi. On retrouve aussi la vélocité vertigineuse de cette déclamation telle qu’on la trouve aussi dans l’opera buffa, dont Rossini, entre autres, fait un usage bien connu chez ses basses bouffes et des décompositions ou redoublements syllabiques comiques, des bégaiements de labiales, largement répandus chez Offenbach, des enrayements de vieux disque, des emballements qui, de « belle » français fait « bell », cloche en anglais, une élasticité et plasticité des mots qui n’oublie pas le sprechgesang de Schönberg. La pièce est d’une extrême virtuosité vocale, d’une périlleuse difficulté, exige souffle, diction et élocution parfaites, et le baryton suisse Étienne Hersperger y déploie une époustouflante agilité, un brio, un train d’enfer, un entrain entraînant et convainquant.
Sur le ruissellement onirique d’un piano au flottant continuo, il interprètera ensuite, en comédien consumé et chanteur prenant, le grand et grave récit d’Owen Wingrave (1971) de Benjamin Britten, manifeste pacifiste qui vise plus l’intensité expressive que la notion classique de vocalité, passant du chant au parlé et au cri. Mais ici on touche le danger technique de cet « air » écrit en fait pour studio et télé : les imprécations déplacent la voix et la vocifération fatigue le timbre. Des quatre chansons archaïsantes aux couleurs de far west d’Aaron Copland (1900-1990), la berceuse nous est murmurée avec une tendre rondeur vocale par le jeune chanteur mais, malgré la faconde et la truculence des autres, sa belle voix se ressent du ressenti trop vif de l’émotion précédente.
Émotion maîtrisée pour ne pas nuire à la voix mais maîtrisant le public ému, bouleversé aux larmes par le sentiment poignant qu’elle exprime et dégage, Eduarda Melo offre une saisissante interprétation d’une page, la plus lyrique du long monologue parlando cantabile de La Voix humaine de Poulenc. Visage chiffonné de réveil d’un rêve ou cauchemar, expression physique -musique déjà inscrite sur ses traits- avec un sens « fadiste » du destin, la jeune Portugaise, de la tendresse à l’hallucination désespérée conduit la montée en puissance de sa voix sur le cri « folle » ou « je ne pouvais plus vivre » sans rien perdre de la beauté ailée de son vibrato et de son timbre. Ce seront ensuite les quatre recettes de La Bonne cuisine (1947) de Bernstein qu’elle nous sert de façon savoureuse, du mouvement perpétuel de la première au staccato pressé et oppressé de la dernière, avec le même bonheur de la diction, de la malice : succulent !
Dans deux des mélodies d’Harawari de Messiaen, imprégnées de surréalisme, de lettrisme dans le texte, qui mêle parole en quechua du Pérou à une incantatoire langue inventée, Olivia Doray, sans rien abdiquer non plus de la limpidité et de la beauté soyeuse de son timbre de soprano aérien, en célèbre dignement le centenaire, colorant diversement les onomatopées, vaporisant sa voix, tour à tour liquide source, nébuleuse, vaporeuse, rêveuse sur les larges touches sombres d’un piano aux profondeurs venues d’ailleurs et aux éclats brisés de verre. Puis elle est une délicate Titania de Britten, reine des elfes et féerique reine, coquette, cocotante, délicieusement.
Enfin, à l’enfantine chansonnette de Copland I bought me a cat, par Hersperger, ces dames, pianiste et tourneuse comprises, donnèrent une miaulante, caquetante, cancannante meuglante et beuglante réplique de tous les animaux de la ferme récapitulés pour notre plaisir.
Au piano, Nina Uhari déploie une palette étourdissante de styles et de couleurs, d’une périlleuse virtuosité, un vrai récital à elle seule.

28 mars 2008

Photos M@rceau :
1. É. Hersperger ;
2. E. Melo ;
3. O. Doray ;
4. Les saluts avec Nina Uhari.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire