dimanche, décembre 17, 2006

Les trois contre-ténors, Basilique du Sacré-Cœur du Prado

TRIO DIVIN


Après l’intime et antique Chapelle Sainte-Catherine gothico-baroque, l’immense nef de la Basilique du Sacré-Cœur du Prado, en style massif néo byzantino-roman, lourdement dressée en 1920 pour commémorer la peste de 1720, avec une grande débauche de chatoyantes mosaïques entre Art Nouveau et Arts Déco, lumineuse et assez sonore pour être devenue un lieu couru de la musique. Foule des grands jours où le dieu de la musique aurait eu du mal à reconnaître les siens pour écouter trois jeunes contre-ténors qu’Euterpes, pouvant hautement soutenir ici son titre de Centre Régional d’Art baroque, pouvait aussi fièrement revendiquer l’honneur de nous les avoir fait connaître à Marseille tous trois : Philippe Jarousky, aujourd’hui au faîte de sa gloire fut au Gyptis, sous la férule d’Andonis Vouyoucas, un hystérique Néron, jeune coq hissé sur l’ego et les ergots de ses aigus éclatants dans Le Couronnement de Poppée de Monteverdi, avant de revenir nous enchanter à Sainte-Catherine pour Mars en baroque ; Roméo Cornélius, toujours au Gyptis, cette fois sous la baguette de Françoise Chatôt, y fut un sombre Orlando de Hændel qui promène d’Antibes à Chartres ; quant à Pascal Bertin, il fut un émouvant héros martyr du San Giovanni Battista de Stradella d’abord à Tarascon avant de se produire à Salzbourg.
Le public mélomane ne s’était pas trompé en attendant beaucoup de ce baroquissime concert où ces jeunes chanteurs, stimulés par leurs propres performances, dans une compétition vocale amicale mais toujours délicate tant ce répertoire raffiné, d’une extraordinaire exigence de virtuosité, de vélocité, de musicalité, les expose sans filet, malgré le somptueux tapis musical déroulé royalement à ces jeunes princes de la voix par Jean-Marc Aymes à la tête de l’Ensemble instrumental CRAB.
La première partie était dévolue à des chansons et duos de Purcell qui fait poésie de la musique tant il y a une osmose impondérable chez lui entre paroles et chant. Après une aérienne Butterfly dance toute papillonnante et moirée par les violons ailés d’Hélène Schmitt et Camille Antoinet et les frissons irisés du clavecin, c’était un hommage à John Blow, contemporain et modèle de Purcell, un duo joyeux entre Bertin et Cornélius, ce dernier peut-être un peu en retrait. Avec Dry those eyes, Philippe Jarousky imposait d’emblée, avec une grâce enfantine lumineuse, ses aigus percutants, sa ligne impeccable et ses longues tenues, aussi à l’aise dans le staccato que dans le legato, déroulant des guirlandes de vocalises d’or sur le ground, grave et mordoré, de l’orgue régale d’Aymes, du miel ému du violoncelle d’Isabelle Saint-Yves et de la douceur de l’alto doré de Myriam Cambreling. Roméo Cornelius fit chatoyer tout son sens des ornements subtils dans la fameuse Music for a while. Tout douceur et rondeur boisée dans cette tessiture de contre-ténor aux timbres hérissés parfois ingrats, Pacal Bertin illustra Here the deities, pièce exceptionnelle de musique, puis avec Jarousky ce furent deux étincelants duos où le cristal vocal de ce dernier faisait merveille avec le timbre ambré de l’autre. Enfin, pour clore cette partie, les trois chanteurs offrirent une scène de Didon and Æneas, cette « horrid music » suivie de la "Danse des Furies", l’invocation de la Magicienne, superbement incarnée par Bertin, convoquant les sorcières pour son complot contre la reine de Carthage.
La seconde partie fut le feu d’artifice des airs grandioses tirés d’opéras baroques (Vivaldi, Porpora, Hændel, Giacomelli) , essentiellement solistes pour ces one man show qu’étaient les spectacles autour des castrats. Les personnalités de chacun des interprètes furent manifestes : Cornélius, beau ténébreux, héros fiévreux, tourmenté, dramatique, éclatant spectaculairement en aigus et graves profonds ; Bertin tout en nuances dans une cantate de Vivaldi, véritable opéra miniature, alternant récitatifs obligés et arie da capo tour à tour lente et vive, de bravura et de portamento, excellant dans les deux ; Jarousky, se jouant des cadences du rossignol de Farinelli, désarmant de simplicité radieuse, physique tendre de vaincu triomphant par l'intensité et l’art, parfait dans le rôle de victime qui fait de sa plainte « Alto Giove » un déchirement en messa di voce, enflant et diminuant le son comme un cri qui s’intériorise en gémissement. Il sera tout naturellement le touchant Abel face au sombre Caïn plus mûr de Bertin tandis que Cornélius sera la voix de Dieu dans des extraits d’un oratorio d’Alessandro Scarlatti.
Triomphe mérité.

Le 14 décembre 2006

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