lundi, mai 13, 2024

16e PRINTEMPS DE L’ART CONTEMPORAIN,

 

 

            ENCORE SIX JOURS POUR GOÛTER AU PAC DONT LA CLÔTURE FESTIVE AURA LIEU À AIX LE DIMANCHE 19 MAI AVEC LA BIENNALE D’AIX : QUATORZE LIEUX DE RENDEZ-VOUS, QUATRE PERFORMANCES PUBLIQUES, SIX VERNISSAGES NOCTURNES, DANS DES GALERIES ET MUSÉES, AINSI QU’À ISTRES AVEC LA NUIT DES MUSÉES 
Printemps de l'Art Contemporain - PAC 2024

 

RAPPEL

16e PRINTEMPS DE L’ART CONTEMPORAIN,

 

Comme une éclosion printanière de bourgeons artistiques, le PAC, de nouveau, ouvre en grand les innombrables portes d’artistes, de leurs ateliers, de chez eux, du 2 au 19 mai 2024. Un printemps condensé de 17 jours que, je me répète, l’on rêverait éternel quand on aime l’Art, les artistes. L’Art, les artistes font plus belle la vie, même en la questionnant et nous interrogeant, inévitablement, sur nous-mêmes, au risque de la perplexité, de l’inquiétude, de l’énigme : de l’angoisse même. À défaut d’être éternel, ce Printemps d’un art d’aujourd’hui pour les gens d’aujourd’hui, en espérant aussi pour ceux de demain, a du moins un retour cyclique, circulaire, qui est une métaphore au moins de l’éternité, qui me réjouit. Car pour moi, l’Art, même marqué, daté par son époque, même ancré dans son temps, même frappé d’obsolescence par un nouveau temps, dans sa course toujours en avant, vise toujours un avenir dont l’Artiste est souvent un voyant avant-coureur.

Éclos à Marseille, ce PAC festif, ce festival, embrasse campagnes, villes, quartiers, rues, galeries du bord de mer, les parcs et sites patrimoniaux, de notre territoire, 60 lieux à Marseille, mais élargi à AIX, PORT-DE-BOUC, ISTRES, MIRAMAS, ROGNES, CHÂTEAUNEUF-LE-ROUGE, ROUSSET, un réseau tissé par l’Art, qui parle d’aujourd’hui, de nos imaginaires, de nos utopies : en somme, du politique, la vie dans la cité, pensée à l’échelle du monde élargi.

 

I. LE PAC

 

1°) le PAC, actuellement le plus grand réseau en France d’Art contemporain ? Son origine ?

Sa création ? en 2007, une dizaine de structures vouées à l’art contemporain, fondent le réseau Marseille expos. Deux ans plus tard, c’est la première manifestation sur les arts visuels, le premier Printemps de l'Art Contemporain, qui, d’année en année, va fédérer de nouveaux participants, des adhérents : aujourd’hui, 62, membres, des artistes, des galeries, des Musées.

 

II. ART CONTEMPORAIN

Peut-être n’est-il pas inutile redire ce que l’on entend par Art contemporain, difficile à réduire à une simple définition. L'art contemporain succède à l'art moderne depuis 1945, désigne des œuvres, principalement dans le champ des arts plastiques, produites de nos jours, quels qu'en soient le style, l’esthétique. Protéiforme, polymorphe, multiforme, l’art ne se laisse pas enfermer dans une forme, une définition. L'utilisation de nouvelles technologies. C’est l’Art, en toute liberté, qui se fait aujourd’hui, pour aujourd’hui et l’on espère demain, même s’il y a des œuvres éphémères.

III. BUTS, ENJEUX DU PAC

But, enjeux ? l’Art est toujours singulier, solitaire, même s’il nécessite souvent un artisanat impliquant les membres d’un atelier. Mais l’Art ne vit pas de soi, en soi, pour soi. Il a besoin du miroir des autres artistes, et du public. Le PAC est d’ailleurs l’occasion rêvée de le découvrir en voyant son élaboration, sa fabrique, par des artistes chez eux. Cet art insaisissable invite même, par sa liberté, à être soi-même artiste.

Créer ne doit pas être réservé à quelques-uns. Mais créer est aussi un travail, avec des femmes et des hommes dont le geste créateur est le métier. Accent sur la professionnalisation, la mutualisation des moyens des artistes ? Loi ?

Mais le PAC n’est pas un en-soi de professionnels de l’Art, un ghetto.

Rencontres avec le public : l’écueil de l’art aujourd’hui, qui est, sinon la hautaine tour d’ivoire de l’enfermement sur soi, la ghettoïsation, quand il se veut de recherche et non de démagogie consumériste, au risque de l’incompréhension, de la marginalisation. Mettre l’art et les artistes au centre, leur permettre, sinon de communier toujours avec le visiteur, au moins communiquer avec lui 

Invitation au voyage, pas autour de ma chambre, mais en Art contemporain : à pied, en navettes autour de l’ÉTANG DE BERRE, circuits guidés 

IV FESTIVAL, FÊTE

1 week-end d’ouverture dans tout Marseille, 2 mai : 4 nocturnes, des rendez-vous visites d’atelier. Programmation par quartiers, en nocturne et en journée, en centre-ville et en bord de mer, des quartiers Sud aux quartiers Nord. La grande clôture festive à Aix-en-Provence 19 mai. Les grands musées, Granet, le Pavillon Vendôme etc. 2e Biennale, du 5 avril au 29 juin bat parallèlement son plein. 157 artistes au rendez-. Des performances, une par jour. Une performance est une œuvre d'art, un spectacle ou un échantillon artistique, en direct souvent, créé en public par l'artiste.

Familles bienvenues : promenades, balades en famille, les enfants, toujours ouverts, toujours immédiatement sensibles, à initier à l’enfance de l’Art, les jours fériés de mai.

Pas élitiste, tout est pratiquement gratuit : goûters, apéros, simple verre convivial, partager une émotion, une interrogation.

Par exemple, le 12 mai, est proposée une balade en pays d’Aix, de 10 à 18 : un circuit en navette : départ de Marseille à destination de Rognes, Château-neuf-le Rouge et Rousset. Le 19, balade sur les rives de l’Étang de Berre de 10 à 17h30, départ de Marseille et destination Miramas et Port-de-Bouc, et partout, des artistes à voir, des ateliers à visiter. Tarif : 10 €, 5 pour les étudiants, demandeurs d’emploi et bénéficiaires du RSA. On peut prévoir un casse-croûte.

UN art accessible. Ne pas rester le nez contre la vitre, contre la vitrine sans oser faire le pas d’entrer, de voir, de regarder de crainte de se sentir intrus, indiscret, pas à sa place. Tout le monde a sa place dans l’art, qui nous assemble toujours, même s’il semble ne pas nous ressembler. 

 

         Le 16e PRINTEMPS DE L’ART CONTEMPORAIN

Comment y participer ? S‘inscrire ? Réserver ?

 Retrouvez toute la programmation sur p-a-c.fr/, inter actif ?

 

https://www.dropbox.com/scl/fi/xirjbbp7qxm789w6sq9lh/BrochureMEP_100x160mm_240415-32p-BAT-bd.pdf?rlkey=e8vwtx93euaqp2jdak88nqc2c&dl=0

 

ÉMISSION  N° 745 DE BENITO PELEGRÍN, 25 AVRIL 2024


 

dimanche, mai 12, 2024


Le Nozze di Figaro

Opéra buffa en 4 actes.

Livret de Lorenzo Da Ponte

d’après la comédie de Beaumarchais

La Folle journée ou Le Mariage de Figaro (1785)

Musique de Wolfgang Amadeus MOZART.

Création à Vienne, Burgtheater, le 1er mai 1786

OPÉRA DE MARSEILLE

28 Avril 2024

Reprise de la production de 2019

L’ŒUVRE : Le Roman de la famille Almaviva

Le nozze di Figaro, ‘Les noces de Figaro’ de Mozart, opéra bouffe créé à Vienne en 1786, est avec Don Giovanni (1787) et Cosí fan tutte (1790), l’un des trois chefs-d’œuvre que le compositeur signe avec la collaboration du génial Lorenzo da Ponte pour le livret, poète officiel de la cour de Vienne. Il s’inspire de La Folle Journée, ou le Mariage de Figaro (1785), volet central de la trilogie théâtrale de Beaumarchais, Le Roman de la famille Almaviva, qui comprend Le Barbier de Séville ou la Précaution inutile, 1775, ce Mariage de Figaro donc et  L'Autre Tartuffe ou la Mère coupable, 1792, en pleine Révolution française, située à Paris.

Dans ce Mariage de Figaro, on retrouve les mêmes personnages que dans le Barbier de Séville : pour les secondaires, don Basile, le professeur de musique intrigant et vénal, pour les principaux, le Comte Almaviva, grand seigneur andalou qui, grâce à l’ingéniosité du barbier Figaro, a enlevé puis épousé la pupille de Bartolo. Rosine sera donc la Comtesse délaissée du Mariage de Figaro. Ce dernier, redevenu valet de chambre du Comte, va épouser le jour même Suzanne, nouveau personnage, camérière et confidente de la triste Comtesse ; la vieille Marceline, obstacle à ces noces car elle prétend épouser Figaro sur la promesse de mariage qu’il lui a faite contre un prêt d’argent qu’il ne peut rembourser. Enfin, un autre personnage essentiel à l’intrigue paraît, Chérubin, un jeune page turbulent et amoureux qui sème involontairement le trouble sur son passage, Barberine, sa mutine et lutine amoureuse, enfin, son jardinier ivrogne de père, Antonio, oncle de Suzanne.

Pièce prérévolutionnaire

Écrite dès 1781, la pièce de Beaumarchais n’est créée que trois ans plus tard, mais censurée pendant des années. Car c’est bien une pièce prérévolutionnaire, dont les répliques contondantes font mouches, comme le féminisme de Marceline, insurgée contre la dépendance des femmes qui ne pouvaient même pas administrer leur fortune, et s’indigne :

« Traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! »

Si, dans le Barbier, Figaro avait deux sentences d’une spirituelle impertinence contre les nobles : « un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal » et déclare impunément au Comte : « Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets ? », dans le Mariage, on trouve la fameuse phrase  de Figaro devenue la devise du journal éponyme, de même nom : « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. »

Il y a, surtout, dans le second volet du triptyque, la révolte argumentée du valet Figaro, parfait et loyal serviteur du Comte, qu’il aida à séduire et enlever Rosine : Suzanne lui découvre que son maître ingrat le trahit, veut rétablir le « droit de cuissage » qu’il venait d’abolir, droit du seigneur de posséder avant lui  la fiancée de son serviteur, veut coucher avec celle qu’il doit épouser le jour même. Car, tout comme Le Barbier de Séville précédent, c'est aussi une comédie à l’espagnole avec des parallélismes entre les maîtres et les valets, mais ces derniers deviennent aussi premiers, les valets disputent la première place aux maîtres et donnent même le titre de la pièce. Ils entrent en conflit avec eux, pour le moment en secret, avec la ruse, force des faibles. Et c’est la fameuse tirade, le monologue de Figaro, qui annonce la Révolution en dénonçant la noblesse :  

« Parce que vous êtes un grand Seigneur, vous vous croyez un grand génie !... Noblesse, fortune, un rang, des places […] Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus... »

Terrible réquisitoire d’un plébéien, d’un Tiers état, qui rue dans les brancards et demandera bientôt l’abolition des privilèges indus de la noblesse.

L’empereur Joseph II, frère de Marie-Antoinette, despote éclairé, favorable à Mozart, écartelé entre libéralisme et conservatisme royal, avait interdit à Vienne la pièce de Beaumarchais, mais pas sa lecture. Il approuva le livret de da Ponte, purgé de ses audaces, du moins la tirade finale impitoyable de Figaro contre la noblesse, qui devient simplement un air convenu contre les ruses des femmes quand il croit que Suzanne a cédé aux avances du Comte.

Cependant, sous la trame d’une ingénieuse comédie aux rebondissements incessants fous et loufoques de cette « folle journée », le conflit entre peuple et noblesse demeure latent et même avoué et ouvert : Figaro, découverts le désir et projet du Comte, décide de le déjouer et le noble, joué, désire se venger sans pitié de ses domestiques. C’est une lutte des classes, dont la franchise est cependant feutrée par le rapport des forces entre le maître tout-puissant et ses serviteurs contraints à jouer les renards contre le lion, la ruse contre la force.

NOCES FUNÈBRES

RÉALISATION ET INTERPRÉTATION

         Arbitraire décoratif

         Je ne peux que répéter ici mon admiration pour la beauté esthétique de l’ensemble déjà apprécié en 2019, sublimé par les lumières changeantes mais toujours expressives de Bertrand Couderc. Tout en regrettant toujours que Vincent Boussard, pour sa mise en scène, ait sacrifié à l’académisme déjà bien vieux de la supposée « modernisation » des œuvres scéniques mis en faveur, dans les années 70, par les Ponnelle et Chéreau, sentant bien fort son demi-siècle usagé, vu, trop vu, qu’on se fatigue de voir, qu’on ne peut plus voir tant cela frôle l’arbitraire et le mépris de l’œuvre intrinsèque, pour la coquetterie, décorative plus que significative, d’un placage extrinsèque d’effets qui finissent par ne plus en faire tellement on en est saturé.

Inutile bric à brac

Avec des superbes costumes d’un XVIIIe siècle réinventé par lui-même avec la collaboration d’Elisabeth de Sauverzac (qui n’est plus citée dans le programme 2024), véritable création saisissante, robes noires à paniers des dames gantées de couleur, perruques vertigineuses défiant tout ce qui se faisait d’audacieux en la manière (et matière), on se demande pourquoi une comtesse en costume pantalons puis lunettes d’aujourd’hui, un Comte et un Bartolo en habits XIXe, puis smoking pour le noble, une Marcelline en vamp hollywoodienne et une Barberine en Bunny de Playboy, une ascétique Suzanne en tristounette tenue noire et petit col blanc de collégienne ou sévère bonne de quelque famille puritaine, un Basile en chapeau melon, un Figaro indéfinissable. Pourquoi ce gramophone, cette voiture d’enfant absent de l’œuvre, ce lampadaire, etc, etc ? Si, comme le metteur en scène le soulignait dans la production de 2019 dans un avant-propos, « cette œuvre [a] une ‘contemporanéité’ définitive », la surligner par ces signes chronologiquement hétéroclites est un définitivement un pléonasme et n’apporte rien, réduits à l’anachronisme hétéroclite et hétérogène.

On se demande pourquoi Figaro, qui ne mesure que de l’œil la pièce que leur octroie la générosité intéressée du comte, attenante aux chambres des deux nobles époux, se réjouit de ce débarras ou dépotoir indigne autant des maîtres que des valets.

En tous les cas, la dimension historique, ce qui reste encore vif chez Da Ponte de la pièce subversive de Beaumarchais malgré l’amputation de la tirade prérévolutionnaire finale de Figaro remplacée par une satire convenue contre les femmes, sombre dans le noir malgré un Figaro juché sur l’échelle peut-être sociale : le triomphe hégélien de l’esclave sur le maître, qui passe sur le devant de la scène, même dans le titre de la pièce. On convient, cependant, qu’il y a deux signes forts de ce renversement social : le Comte laçant les souliers d’un Antonio mal fagoté pour le mariage, et la touchante inversion des rôles lorsque c’est la Comtesse qui habille sa camérière, là, oui, magnifique robe blanche comme la tardive version en noir de la Comtesse, fleur nocturne issue de la nuit étrange du jardin.

         Fantômes encombrants pour huis-clos expressif

         Sans qu’on comprenne pourquoi ces fantomatiques personnages, à l’indiscrète présence envahissant jusqu’aux loges d’avant-scène, interviennent dans l’action, ouvrant, fermant des portes, renversant une chaise, déplaçant le fusil du comte, détournant et parasitant l’attention de la musique et du jeu, du vrai théâtre qu’est cet opéra où tout du texte et musique est si miraculeusement imbriqué qu’il semble qu’il n’y a qu’à les suivre humblement pour les servir, comme la scène du déguisement de Chérubin avec Suzanne et la Comtesse où tout, de la gestuelle et du jeu, est précisément, génialement dicté par texte et musique : on peut s’écarter du texte pour en tirer du sens, mais s’en écarter pour ne rien apporter, est plus qu’une faute : une bêtise.

         On concède l’intéressante idée de mise en scène, cette cour (comme royalement et égoïstement isolée au monde) fermée sur trois côtés, vase ou champ clos sur lui-même orné de planches scientifiques semble-t-il de l’Encyclopédie, ou du moins dans le style, mais qui en deviennent cabalistiques. Sur ce plancher d’en bas se penche du haut d’un parapet ce public privilégié avec une curiosité, sans doute plus intellectuelle qu’affective, malsaine, morbide, d’une société savante au rationalisme poussé à l’excès : l’humain comme un spectacle et objet d’expérience. Au-delà de l’érotisme pervers, Sade, c’est cela. Les animaux empaillés, peut-être reliques muséales de l’Ancien Régime, sont peut-être déjà le résultat de semblables expérimentations. Qui nous font frémir de tant d’autres que l’Histoire a connues.

         Mais on regrette que cette métaphore ne puisse être filée longtemps, l’œuvre résistant de tous ses bords, réduisant ce somptueux public oisif , indiscrets témoins, à faire une sorte de figuration scénique inutile et encombrant l’espace. Les robes flashy, rose, vert, jaune cru, des jeunes filles chantant le généreux seigneur qui a aboli le droit de cuissage illuminent un moment la noirceur ambiante dans ces tons finalement variés de noir qu’on dirait inspirés des variations les plus subtiles de Soulages.  

         Il reste ce cube, chambre et antichambre de la Comtesse au plancher déclinant de fin de dynastie ou de régime, aux parois ornées d’une luxueuse tapisserie rasante de Vincent Lemaire, que les lumières latérales ou plongeantes de Bertrand Couderc doteront d’une vie, d’une suffocante beauté avec ces portes et fenêtres indiscernables pour des personnages pris au piège comme des animaux dans une cage, des insectes dans une boîte fermée d’un onirique voile, prolongation sans doute de l’expérience. Mais laquelle ? Si c’est le couple en crise, c’est aussi intemporel que tout mariage…Cependant, on goûte le raffinement esthétique de l’ensemble et ces projections de fonds de tableaux d’époque, Goya, Tiepolo ou Gainsborough, qui apportent une éclaircie de rêve à ce qui, estompant le bouffe, est bouffi de noirceur. Au rythme près, de comedia dell’Arte, de comédie mécanique de l’ouverture et fermeture répétée de ces portes qui ne claquent pas, de ces fenêtres dont une seule, on l’apprend par le saut de Chérubin, donne sur un jardin. Et un parc somptueux aux arbres animés ou inanimés par la lumière ou l’ombre.

Rajouts de scènes et suppressions

Avec l’inévitable nécessité de changement de décor et de costumes pour les choristes parfaits (Florent Mayet) imposant deux « précipités » allongeant par trop la longueur du spectacle, alors qu’il y a toujours des scènes amputées pour justement alléger la longueur de l’opéra, nous avons ici le rajout de certaines brèves scènes, traitées en inutile mimodrame muet (Barberine/ Chérubin, etc.). Quitte à rallonger, alors, pourquoi ne pas rétablir l’air final de Marcelline (contestataire féministe dans Beaumarchais), qui exprime chez Da Ponte/Mozart une « sororité » prémonitoire avec Suzanne et les autres femmes contre la cruauté des hommes ? D’autant que ce menuet, Il capro e la capretta, est le seul air à vocalises, à cadences virtuoses. Encore baroque, il donne la mesure d’un personnage sans doute du passé dans cet opéra conversation de l’avenir. Il y a aussi l’air toujours coupé de Basile, le seul air de ténor de l’œuvre, exprimant la nostalgie du passé, qui montre combien Mozart se préoccupait de laisser de l’air, des airs, aux personnages secondaires. Il est vrai que, s’ils apportent à la psychologie humaine des deux personnages datés, ils retardent une action qui va se centrer au final sur Figaro et Suzanne pris dans le jeu de dupes de leur deux airs respectifs, moments de rage pour lui, de grâce pour elle, mais, à part le suffocante beauté de la musique, une enfilade de clichés, homme dépité et femme se jouant de sa jalousie.

Vivifiante direction

En saluant le continuiste inventif au pianoforte, qui soutient les récitatifs, on regrettera l’absence de son nom dans la distribution, à moins que ce ne soit Astrid Marc, simplement indiquée « Pianiste/cheffe de chant ».

Le tout nouveau directeur de la musique, le flambant Michele Spotti, enflamme littéralement l’Orchestre de l’Opéra de Marseille par une vivacité sans faille, un tempo électrisant qui rend à la folie cette « Folle journée », sous-titre de l’œuvre. Il entre par la grande porte dans le cœur reconnaissant du public mélomane de notre Opéra qui, avec l’orchestre, lui réserve une éclatante ovation méritée. Seul regret pour l’Espagnol qui écrit ces lignes, le fandango. Mozart l’emprunte au ballet Don Juan de Glück (1761) qui l’emprunte lui-même à un air à la mode à Vienne. Spotti l’expédie si prestement qu’il en perd son caractère de danse, sans qu’on en sente la géométrie, les arêtes toujours découpées, sans « barbe », des rythmes espagnols qui trouvent toujours dans des lignes sensibles la sensualité élégante de la danse.

Mais on sent avec bonheur le contrôle sans faille, dans un heureux consentement, des chanteurs transcendés dans leur jeu par cette direction de feu. On apprécie le traitement des personnages pittoresques : un Don Curzio juriste (Carl Ghazarossian) affublé d’un masque de médecin du temps réchappé de l’expérience ou de la peste, ironique oiseau poussant des cris perçants sur une haute branche perché, comme un caquetant corbeau de mauvais augure pour cette société, un Antonio (Renaud Delaigue), haute stature et figure avinée et ravinée, laissant percer la brute patriarcale avec droits sur les femmes face à Figaro, autoritaire avec sa nièce Susanna, vainement grondant avec son espiègle et gaffeuse fille Barbarina, l’adorable Ammandine Ammirati, qui perd l’épingle, sans doute sa virginité, mais pas le nord en prenant le Comte à son piège de maître harceleur, lui arrachant le consentement de son mariage avec Chérubin. Tout aussi réussi que dans la version 2019, aussi ondulant dans sa soutane sous son chapeau melon incongru qu’insinuant et jubilant de malice perverse, le Basilio de Raphaël Brémard, distillant le venin ironique de son « quel ch’ho detto era solo un mio sospetto… » 

Venus empêcher le mariage de Figaro, couple qu’on marierait aussitôt s’ils ne le faisaient plus tard, la plaignante Macellina et son avocat Bartolo, vieux complices ou compères d’autrefois. Frédéric Caton, bougon, grognant, rumine la vengeance contre Figaro qui lui ravit Rosina, en lisant, comme s’il se répétait le code des lois, dans une technique vocale bouffe de ces airs de liste, d’énumération accélérée, dont le catalogue de Leporello sera un modèle. La Marcellina de Mireille Delunsch, retrouvée avec bonheur, pratiquement caricaturée toujours en vieille femme indigne saisie par le désir, n'en ferait pas une indigne conjointe de Figaro, qu’elle couve d’un œil frugivore, à notre époque qui inverse heureusement les rapports d’âge entre les couples, passant le relais aux dames arborant un jeunot : dans leur piquant duo, sa belle allure contredit la méchanceté de Suzanne tout en justifiant ironiquement, son trait qui semble vérité : « l’amore di Spagna ».

         Le Cherubino d’Eléonore Pancrazi est le garnement sympathique qu’on attend et on lui réserve un accueil chaleureux, palpitant et fiévreux dans son premier air fiévreux, teinté de mélancolie dans sa romance à la Comtesse malgré la suite escamotée du travestissement. Mais jolie trouvaille de scène, l’adolescent s’adresse alors, dans son désir vague sans objet particulier mais général, à l’ombre, à l’effigie, à la silhouette d’une femme absente, fantasme rêvé, qu’il étreint comme une poupée gonflable.

         Le Comte, qui finalement est vaincu par la coalition des femmes et du valet, est souvent intelligemment mis hors-jeu, isolé par le rideau d’un monde qui le dépasse, qu’il ne contrôle plus : vaincu. C’est une image plus dramatique que bouffe, mais frappante et plausible dans son expressivité. La baguette légère du chef, paraît déjà le fustiger mais souligne la légèreté de ce coureur de jupons campé par un Jean-Sébastien Bou, à la voix redoutablement acérée comme l’épée —absente— dont parle le texte avec insistance, remplacée —bêtement—par un fusil pour tuer le page, revenant dans la boîte à malice du piège du placard de la chambre de la Comtesse, sans les outils qu’il était parti chercher pour en forcer la porte. Redoutable époux caldéronien sur un simple soupçon d’infidélité de sa femme, infidèle par principe ou droit arrogant de naissance au-dessus des lois, il laisse exploser une peu noble rage, ivre de vengeance contre les serviteurs inférieurs dont il l’entend qu’ils l’ont roulé.

La digne épouse de cet indigne mari, c’est Patrizia Ciofi. ue dire que je n’aie déjà dit sur cette superbe et émouvante interprète dans chacun de ses rôles? Magnifique image, toute de noir vêtue, adossée à l'embrasure noire d'une porte, seul son visage blanc éclairé d’une lumière tombante, plus que la femme mélancolique habituelle, humiliée, par sa simple posture, elle est presque une  héroïne tragique au bord du désespoir dans son premier air, qui serre le cœur dans sa sobriété douloureuse, filant des sons à l’infini du souffle dans le second, de cette voix ronde, boisée, égale, aux aigus sûrs, secouée soudain par la révolte puis soulevée d’espoir : une prise de rôle bouleversante par sa vérité en 2019, affinée, raffinée et tout autant pleine de vérité humaine dans celle-ci. Elle adhère et s’arrache à son ombre projetée quand elle chante les ombres heureuses du passé enfui.

         Crise du couple : le couple de domestiques n’y coupera pas non plus dans le pessimisme ambiant de cette réalisation cohérente, au moins en cela, dans sa noirceur. Susanne est d’une gravité accusée par son strict costume de couventine sans grâce. Heureusement, par sa grâce scénique, Hélène Carpentier l’arrache à cette pesanteur, même si, encore une fois, dans une pièce bouffe malgré tout où les gifles volent dans la logique du genre, la mise en scène la prive de celles qu’elle dispense, en texte et musique, à Figaro ; elle est touchante de crainte et de malice dans le duettino, scène réussie, avec le Comte et suspendra les cœurs de délicatesse dans son air final dit des « Marronnier » où elle joue un Figaro égaré aux écoutes. La voix ruisselle comme le ruisselet qu’elle évoque, bouillonne de volupté retenue.

Son Figaretto, Robert Gleadow, dont la masse corporelle ne justifie pas forcément ce doux diminutif le justifie peut-être par son art, très ludique et bouffe de souplesse bondissante qui dit celle de son esprit sans cesse inventif. La voix est ronde, pleine, riche, mais, sans doute émoussée par des revêtements feutrés du décor et une mauvaise place par la mise en scène, sensible aussi pour Bartolo, elle semble manquer de mordant dans son premier air, alors qu’il est tout muscle et nerfs dans son jeu convaincant.

Encore un triomphe pour un Opéra de Marseille plein d’un enthousiaste public.

 

Opéra de Marseille

Le Nozze di FigaroDa Ponte/Mozart

Production Opéra de Marseille

Direction musicale : Michele SPOTTI
Assistant direction musicale : Federico TIBONE

Mise en scène et costumes Vincent BOUSSARD

Assistante mise en scène : Diane CLÉMENT

Décors : Vincent LEMAIRE
Lumières : Bertrand COUDERC
Assistant lumères : Julien CHATENET

Régisseur de production :  Jean-Louis MEUNIER/ Régisseur de scène : Camille BIDAULT/Régisseuse de figuration : Alexandra BEIGNARD

Surtitrage Richard NEEL /Régie de surtitrage Qiang LI

La Comtesse Patrizia : CIOFI

Suzanne : Hélène CARPENTIER

Chérubin : Eléonore PANCRAZI

Marceline : Mireille DELUNSCH

 Barberine : Amandine AMMIRATI

Le Comte Almaviva : Jean-Sébastien BOU

Figaro : Robert GLEADOW
Bartolo : Frédéric CATON
Don Basilio : Raphaël BRÉMARD

Antonio : Renaud DELAIGUE
Don Curzio : Carl GHAZAROSSIAN

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille/ Chef de chœur Florent MAYET
Pianiste / cheffe de chant Astrid MARC

 

Photos Christian Dresse

1. Suzanne et le Comte surpris dans le jardin;

2. Le comte, Chérubin, Figaro, Suzanne; 

3. Le piège de la chambre de la Comtess;

4. Comtesse et Comte recevant l'hommage des jeunes filles;

5. Curzio masqué, Bartolo, Figaro, Marcelline;

6. Prélude au mariage;

7. La Comtesse bafouée.


 

 

mardi, mai 07, 2024


CHANSON GITANE

Opérette en deux actes

Musique de Maurice Yvain

Livret d’André MOUËZY-ÉON et Louis POTERAT

Création 1946, à Paris, à La Gaîté-Lyrique

Odéon, Marseille, samedi 27 avril


         Étui à lunettes, stylo et notes perdues à l’Odéon à force d’applaudir, je me sers de mon émission de présentation, de mes souvenirs et des photos pour rendre compte de ce beau spectacle encore signé par Carole Clin.

            Les Roms, les Gitans, ont autant mauvaise presse auprès des bourgeois que ces derniers se pressent dès lors qu’un spectacle affiche une couleur romanichel, gitane. Après les Saintes-Marie-de-la-Mer le jeudi 18 avril, Marseille accueillait le vendredi 19 avril, chez Musicatreize, la Santa Misa Romani, ‘La Messe gitane’

de Yardani Torres Maiani. Et l’Odéon exhumait pour deux jours, cette rare opérette Chanson gitane, comme si ce peuple, ces peuples divers plutôt, étaient réduits au spectacle. Et il est vrai que leur culture s’exprime admirablement par le chant et la danse, la musique en somme. La figure de Carmen, attirante et inquiétante, exprime au mieux cette ambivalence, séduction et méfiance, dans la perception que l’on a en général des gitans, des roms.

Rom, signifie, en langue romani « homme accompli et marié au sein de la communauté. »

Les roms est devenu le terme générique depuis le congrès de de Londres de 1971 pour désigner globalement les Tziganes / Tsiganes, les Bohémiens, Manouches, ou Romanichels (d’Europe centrale, chacun de ces noms a sa propre histoire). On parle aussi de Sintis ; en Espagne, on a le mot dérivé d’Égyptiens, Gitans puisqu’ils prétendaient venir de la race de Pharaon, d’Égypte (l’Esmeralda, ‘Émeraude’, au nom espagnol de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo —alors que les Gitans arrivèrent en Espagne de France— est nommée avec justesse l’Égyptienne). Même étymologie en Grande-Bretagne, les Gypsies.

Leur nomadisme s’oppose, tout naturellement, à la sédentarité, à la fixité des villes. Mais, depuis ce fameux congrès de Londres de 1971, avec globalement le nom générique de Roms, sédentaires ou encore nomades, on les a également nommés « gens du voyage » et on les a dotés d’un beau drapeau sur fond vert (pour dire la campagne illimitée sans doute) et bleu (le ciel ouvert), avec l’emblème de la roue rouge de la caravane du nomade qui roule sans cesse.

Fixité et nomadisme

Le voyage, l’âme nomade éprise de liberté, opposée à la fixité citadine ou aux racines terriennes, nous avons-là le noyau théâtral, dramatique, d’une opposition de caractères, qui sera tragique dans Carmen, qui chante un hymne à la liberté, à « la vie errante », entraînant dans son sillage amoureux un Don José ligoté par les valeurs paralysantes de l’Armée, de l’Église, et de sa mère.

Même dans le monde guère tragique de l’opérette, ce conflit de tempéraments, de caractères diamétralement opposés, ne peut manquer pour nouer une intrigue d’amour faite de déchirantes contradictions.

Nous sommes en Anjou, en 1826, en pleine Restauration, sous l’ultra réactionnaire Charles X qui, monté sur le trône en 1824, voulant restaurer l’Ancien Régime, devra abdiquer en faveur de son peit-fils e dix ans, duc de Bordeaux, et fuir après la Révolution des Trois glorieuses de 1830 (27, 28 et 29 juillet) un mois après qu’il a fait la conquête d’Alger. Une allusion dans le texte anticipe l’événement colonial, tandis que les justes proclamations de Jasmin, le fils niais du garde-chasse rappellent le passé révolutionnaire les « principes éternels de 89 » dont on n’a pas perdu la mémoire.

 

Duchesse de Berry

Un vrai personnage historique et de roman, Marie Caroline Ferdinande Louise de Bourbon, princesse des Deux-Siciles(1798-1870), princesse napolitaine élevée librement, pratiquant le chant napolitain en patois, débarquée à Marseille en 1816, deviendra par mariage duchesse du Berry, vite veuve d’un mari assassiné par un révolutionnaire voulant en finir avec les Bourbon pas assez guillotinés, mère du duc de Bordeaux désigné successeur par le roi Charles X à son abdication. Originale, peu conformiste, peu férue d’étiquette de cour, lançant les modes, dont celle des bains de mer, célèbre aussi pour son goût des voyages en mer, elle déjà un bateau à vapeur. Elle fait du Pavillon de Marsan un lieu raffiné de modes et de fêtes. Musicienne, mécène de Rossini et Boieldieu qui lui dédie La Dame blanche. Même exagérée pour les besoins joyeux de l’opérette, sa sympathie pour la Bohémienne n’est pas invraisemblable. À la chute de Charles X, qu’elle suit un temps dans son exil anglais, elle conspire avec des ennemis du duc d’Orléans qui est monté sur le trône sous le nom de Louis-Philippe, prépare une constitution libérale pour la France, intrigue, tente vainement de soulever Marseille (comptant sur un millier d’insurgés elle se retrouve avec soixante) puis la Vendée pour placer son fils sur le trône sous le nom d’Henri V sous sa tutelle de régente. Fuyant, traquée, cachée même dans une cheminée, détenue, emprisonnée quelques mois dans une citadelle, elle sera expulsée de France vers sa Palerme sicilienne, mais désavouée par ses familles française et italienne et même, plus tard, ruinée par son second mari, par son propre fils ingrat qui la contraint à vendre son palais vénitien en échange de son aide. Elle mourra aveugle en Autriche.

Fixité campagnarde

Après les convulsions de la Révolution et de l’épopée de Napoléon, mort exilé sur son île en 1821, nombre d’aristocrates échappés à la guillotine jugent plus prudent de ne plus trop habiter les villes tumultueuses et dangereuses et, s’ils n’en ont pas, se font construire des gentilhommières dans de sûres campagnes. Au lever de rideau, une romantique toile de fond mollement verdoyante présente en horizon un château haut perché, plus de Bavière que de « la douceur angevine » moins montueuse chantée par du Bellay. Le comte Hubert des Gemmeries mène en son manoir une vie calme, disons une plate existence de hoberau provincial, de gentilhomme campagnard, réticent au mariage malgré les exhortations de sa mère soucieuse de perpétuer la lignée. Guère tenté par l’aventure, pour tout exploit, il ne rêve que de chasser les pauvres lièvres « fourbus » et les braconniers plus nécessiteux que lui de nourriture. En belle compagnie, en bel habit de chasse, sur une marche martiale à grand renfort de cors, il chante vaillamment, plus que le printemps, le plaisir de la chasse, priant, « pardonnez aux chasseurs » (prière que je n’exaucerai pas). Il confie préférer le grand air aux murs clos des salons, avoue qu’il n’est guère « mondain », se présentant comme un « ours mal léché ». Belle prestance, en élégante tunique grise plus de salon que de chasse aux bottes noires près, de son éclatante voix de ténor, Jérémy Duffau se tire au mieux de cet air dynamique de faux héroïsme, entraînant un chœur solide de chasseurs.

Sa mère, digne dame cheveux gris et robe grise, mine rogue, parfaitement campée avec la noble hauteur qu’il faut par une expressive Anny Vogel, tente de disculper son rustaud de fils en retard, qui n’est pas encore venu rendre ses devoirs à une belle et lumineuse invitée, robe rosée à volants, tout sourire et blondeur couronnant une rayonnante voix, l’indulgente duchesse du Berry, la belle Ève Coquart, plus curieuse que furieuse contre cet « ours mal léché », dont, se léchant les babines, elle se verrait bien finir par parachever la figure, puisque la légende dit que seul le tendre et patient léchage de la mère finit par donner figure acceptable à l’ourson informe d’abord.

Et là, horreur ! son garde-chasse Nicolas (Philippe Béranger), bourru personnage de comédie, escorté de son raccord de fils Jasmin (Eloi Horry), vient lui annoncer le drame : des Bohémiens voleurs de poules se sont installés sur sa propriété. Furieux de ces atteintes à son honneur, le grand aristocrate sans autre noble emploi, vole, court faire courir et décamper les intrus.

Le voilà au camp des Bohémiens : un foyer stylisé de trois bouts de bois d’où pend une marmite sur le feu et un aperçu saillant d’entrée arrière de caravane verte, sobre et suffisamment suggestifs décors de Loran Martinel.

L’assaut rageur du noble est stoppé net par la noblesse physique et morale de Mitidika, plus maîtresse de la tribu que Zarifi le maître vexé du camp, la belle et hautaine Zingara, qui se dresse devant lui et brave le bravache : elle descend d’un prince de Bohême et ne s’abaisse pas devant un simple comte. Quand on sait qu’elle est incarnée par Laurence Janot, beauté de figure, dignité d’allure, plus qu’une descendante princière, comme je l’ai déjà dit, c’est une reine que ce nobliau a devant lui, mains sur les hanches, cheveux coulant en ondes sur des épaules parfaites de statue, regard clair, capable de feu et d’ombre, et voix d’ambre. Comment n’en pas tomber amoureux ? Chasseur chassé et pris au piège.

Le jeu de cartes avec l’autre gitane annonçant l’avenir, est un clin d’œil à la Carmen de Bizet, « enfant de Bohême qui n’a jamais connu de loi », refusant les promesses d’un amour inégal, la belle, impossible à apprivoiser, s’envole, laissant elle aussi, telle l’héroïne lyrique, une fleur, relique amoureusement gardée par l’amant. Comme Faust revenant saluer, sinon « la demeure chaste et pure », la caravane, amoureux dépité, le comte Hubert, dévasté, la trouve désertée.

Ce désespoir vaut à Jérémy Duffau l’un des plus beaux airs de l’opérette, « L'Amour qu'un jour tu m'as donné… » qu’il nous offre avec une sensible émotion, aigus éclatants, mais avec des demi-teintes de la tradition du genre qu’on a peu l’habitude d’entendre.

Et voilà l’ours mal léché, même pas Arlequin poli par l’amour, mais mis en mouvement par lui, voilà Hubert, hanté par son souvenir, saisi de nomadisme, qui la cherche désespérément. Il la retrouve à Angers, au cirque Zarifi, dirigé par le chef de la tribu, jalousement amoureux de la belle. Introduisant le drame dans la comédie, dans l’intrigue d’amour, Marc Barrard l’interprète avec toute la puissance qu’on lui connaît et profère un air effrayant et menaçant, devenu célèbre, le tango « Jalousie, tu rampes autour de moi comme un serpent pétri d’effroi… », air tout intérieur qui ronge le personnage jusqu’à ce qu’éclate en force son désir extérieur de vengeance. Belle trouvaille de mise en scène significative, presque à la broyer, il manipule une marionnette à l'image de Mitidika  comme il a dû rêver de manier la gamine, poupée qu'il a vu grandir en femme  qui l'a  en réalité manipulé en pantin, arrachant même au mâle frustré la conduite de la tribu.

Le drame frôle le drolatique au cirque, où opère l'ami Antoine Bonelli en Monsieur Loyal. Mais nous avions déjà, bousculant l’économie générale des opérettes où les couples de « seconds » doublent simplement les jeunes premiers, une démultiplication des scènes comiques de dépit amoureux, ainsi, entre la sceptique et solide Jeannette de Flavie Maintier avec le Jasmin (Éloi Horry) hébété à hue et à dia tiré ensuite par l’astucieuse zingara Zita de Julie Morgane égale en rieuse souplesse à elle-même dans des scènes burlesques de charme, de sortilège, puis avec le père veuf Nicolas (Philippe Baranger) redécouvrant les attraits du mariage.

Vrai travail d’artisan des auteurs, tous ces personnages supposés secondaires ont des pas de danse, des airs, des duos et, les quatre réunis, un superbe quatuor, un vrai morceau de bravoure musical et de mise en scène. Sous de simple rideaux rouges nus à l’exception de deux austères portraits à la mode du temps, un complexe et redoutable quatuor où la danse, implacable de rythme, est régie par une impeccable précision du chant sous les dehors comiques, changements de tempo, entre fox-trot lent ou lent charleston, gestes, positions, des corps, des bras, des jambes, une vraie chorégraphie encore réglée minutieusement par Caroline Clin, avec un accelerando burlesque qui se souvient de Rossini. Je ne répéterai pas toutes les qualités que j’ai déjà soulignées chez Caroline Clin, art d’occuper l’espace réduit de cette scène sans l’encombrer avec tant de personnages ou des décors inutiles, une grammaire personnelle de gestes synchrones pratiquement chorégraphiés qui, ici, s’intercalent sans brouiller la belle chorégraphie de Maud Boissière, servie par de vrais danseurs professionnels : danse dans la danse qui n’est pas le moindre charme de cette nouvelle production.

On saluera aussi le charmant, trio aux ombrelles tournantes des deux zingaras entourant le noble triomphant puisqu’il a épousé, en dépit de sa famille, la roturière gitane, dont même la comtesse douairière mère feint de croire en la royale ascendance, tout en rejetant et humiliant sa trop brune bru. Mais les deux mondes, aristos et bohémiens, opposés nous ont offert le plaisir contrasté des costumes différents, libres gilets pour les hommes contre raides redingotes et chapeaux, jupes fleuries sur bottes de cuir des Bohémiennes, foulard sur la tête des femmes, contre coiffures « à la girafe » pour les grandes dames, célébrant en cheveux la célèbre Zarafa, la girafe offerte à Charles X par Méhémet Ali en 1827, la première en France. Sans compter les danses issues de chaque monde, valse, mazurka, contre accents slaves ou pasodoble hispanique pour les gitans, avec le clou de la danse à deux, en plein salon aristo scandalisé, au son de tambourins basques, par Zita et Mitidika, qui nous offrent cette facette de leurs multiples talents.

Péripétie : on accuse la Bohémienne comtesse du vol du collier de diamants de sa belle-mère, en réalité dérobé par Philippe (Jean-Luc Épitalon) l’autre rude fils, le joueur endetté. Drame : comme Manon disant adieu à sa « petite table » en abandonnant Des Grieux, la belle Bohémienne blessée écrit une lettre d’adieu à Hubert, qui nous vaut une émouvante interprétation de Laurence Janot, « Sur la route qui va, qui va et qui n’en finit pas… », qui n’en finit pas de filer le son final avec une finesse digne des plus grandes. C’était une chanson, devenue célèbre aussi, de Viviane Romance dans le film de 1941, Cartacalha dont Maurice Yvain reprend sa musique pour l’opérette postérieure.

Mais, en véritable deus ex machina, l’aventurière et aventureuse duchesse de Berry, amène les amoureux avec elle sur son navire (belle vue d’un port en toile peinte) pour les laisser vivre librement leur amour « sous d’autres cieux » comme proposait vainement Don José à Carmen. En somme, c’est avec la noble onction d’une lumineuse aristocrate que se comble le vœu de la gitane « oiseau de nuit » au « désir vagabond », en recherche permanente d’horizons sur des routes qui n’en finissent pas, entraînant le comte amoureux consentant. Ainsi se résout la contradiction du monde du noble enraciné à sa terre et celui mouvant de la nomade : Carmen et José réussissant leur première et seconde évasion.

Contrastes de cadres, d’atmosphères, de personnages, qui permet au spectacle de diversifier des scènes de danses gitanes opposées à celles du salon aristocrate, théâtre dans le théâtre enchâssé de rideaux comme un autre cirque, même mondain. Et à l’orchestre mené dynamiquement par Didier Benetti, de faire joyeux feu de tout bois musical pour notre plus grand plaisir.

 

CHANSON GITANE

 

NOUVELLE PRODUCTION

Direction musicale, Didier BENETTI

Mise en scène, Carole CLIN

Chorégraphie, Maud BOISSIÈRE

Décors , Loran Martinel.

 

Comtesse des Gemmeries, Anny VOGEL

Mitidika, Laurence JANOT
Duchesse de Berry, Ève COQUART
Zita, Julie MORGANE

Jeannette, Flavie MAINTIER
Une gitane / la spectatrice, Sabrina KILOULI

 

Hubert des Gemmeries, Jérémy DUFFAU

Jasmin, Eloi HORRY
Zarifi, Marc BARRARD
Nicolas, Philippe BÉRANGER

Philippe, Jean-Luc ÉPITALON
Monsieur Loyal, Antoine BONELLI
Un invité / le spectateur / le jeune homme, Damien RAUCH

Figurant Simon CHARNIER

Orchestre de l‘Odéon

Benoît SALMON, Marie-Laurence ROCCA, Hélène CLÉMENT, Anne FABRE, Isabelle RIEU, Alexia RICHE, Nicolas PATRIS de BREUIL, Tiana RAVONIMIHANTA, Vanessa CROUSIER, Eric CHALAN, Soizic PATRIS de BREUIL, Stephan BRUNO, Auguste VOISIN, Olivier GILLET, Hugo SOGGIA, Luc VALCKENAERE, Alexandre RÉGIS, Caroline DAUZINCOURT

Pianiste répétitrice Caroline DAUZINCOURT

Chœur Phocéen

Caroline BENOIT, Sneji CHOPIAN, Fiorella ALESSANDRA, Sabrina KILOULI, Sylvia OLMETA, Katherymne SERRANO, Pierre-Olivier BERNARD, Sylvio CAST, Angelo CITRINITI, Corentin CUVELIER, Sébastien SPESSA, Damien RAUCH
Chef de chœur Rémi LITOLFF

Ballet

Marion PINCEMAILLE, Guillaume REVAUD, Vincent TAPIA Danseur(se) circassien(ne) : Ambre ROS-LEPARC, Antoine DUPEYROT 

PHOTOS CHRISTIAN DRESSE

1. Duffau, Janot;

2. Vogel, Coquart, Duffau, Béranger, Horry;

3. Barrard, Janot, Duffau;

4. Morgane, Horry;

5. Horry, Maintier, Béranger;

6. Morgane, Duffau, Janot.