dimanche, novembre 01, 2020

GRÉGOIRE (GRÉGORIEN, ORGUE) ROLLAND

 

Enregistrement 29/10/2020

RADIO DIALOGUE RCF

(Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)

N° 470, semaine 44


       Les Sacrements, cycle musical de Grégoire Rolland, orgue, Chœur grégorien de la cathédrale d'Aix-en-Provence, direction Pierre Taudou, label Hortus.

Texte à partir de l'émission ci-dessous citée: 

       C’est un privilège de saluer un beau CD le jour même de sa sortie officielle le 30 octobre 2020, veille de notre deuxième confinement dont on le voudrait exorcisme contre ce mal viral, invisible mais si sensible aux cœurs et âmes qui nous afflige dans l’actualité.

       Justement, contre toute actualité éphémère, périssable, ce disque s’appuie, sinon sur un illimité du temps, qui nous échappe, sur une temporalité multiséculaire, le grégorien, pour dire, en musique, par sa forme cyclique parfaitement close en sa circularité formelle, un éternel retour symbolique pour le simple profane, une éternité pour le croyant catholique fondée sur les étapes progressives des sept sacrements : le baptême, l'eucharistie, la confirmation, la réconciliation, le mariage, l'ordination et l'onction des malades (extrême onction), le protestantisme n’en reconnaissant que deux, le baptême et l'eucharistie. Et je rappellerai que, non sans résistances et combats, le mariage n’est devenu un sacrement, très discuté, que lors du Concile de Latran de 1215, pour des motifs sociologiques : on décréta le mariage indissoluble pour contrer l’arbitraire des maris qui le rendaient soluble au gré de leurs intérêts financiers et politiques de dots cumulables et d’alliances mutables. Bref, mariage et divorce encadrés pour protéger les femmes. Les nobles essentiellement. Ce n’est que le Concile de Trente (1545-1563) qui le confirme, mais veillant plus distraitement sur son observance populaire. 

       Pour donner un écho musical aux huit tableaux du XIXe siècle sur les sacrements qui ornent le baptistère de la Cathédrale Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence dont il est organiste titulaire, Grégoire Rolland adjoint à ce septenaire le « Sacrement du Frère », sacrement de Charité tourné vers l’autre, et cette répartition en huit lui permet harmonieusement de visiter, exprimer et méditer, avec son vocabulaire musical d’homme d’aujourd’hui, les huit modes grégoriens d’hier et, semble-t-il, de toujours tant cette musique ancienne, finalement, ne semble pas vieillir passée —peut-être, pour un mélomane moins averti— la première surprise, qui est, sans doute, une redécouverte de la mémoire collective enfouie. 

         Grégoire Rolland, un nom de deux prénoms dont le premier, Grégoire, semble faire vocation, profession : fatalité onomastique, un prénom qui fait destin ? Son disque fait parts égales au chant grégorien et à l’orgue. Sans doute son père, dont il me dit qu’il était féru de grégorien, le baptisa-t-il sous ce signe musical prémonitoire dont il nous offre ici une exaltation poétique. Il me confie aussi une autre sans doute surdétermination familiale qui fait vocation : son grand-père, organiste, à Deauville, fait grimper l’enfant à la tribune d’orgue : pour le petit garçon, révélation ludique du fascinant instrument, ses tubes immenses, ses claviers, son pédalier, cette musique infinie en timbres. Non, l’orgue n’est pas un courant instruments domestique, sagement domestiqué, de salon, comme guitare, piano, à la rigueur orgue régale ou harmonium. Tout naturellement, du piano au clavecin parfois, les organistes passent grimpent (littéralement) d’un clavier à cette autre dimension, d’instrument plus ambitieux dans ses formes, sa monumentalité : certains orgues ont l’excroissance d’un immeuble lové, plutôt plaqué, à l’intérieur d’une cathédrale. La pratique, l’exercice se fait de l’orgue du Conservatoire à celui, enfin, indélogeable, in situ du temple qui l’abrite. 

           Compositeur et organiste, Grégoire Rolland a fait de solides études couronnées de diplômes et de récompenses : Master d'écriture (harmonie, contrepoint, fugue), Prix d'analyse, Master d'orgue et Prix d'orchestration au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, par ailleurs titulaire d'un Master de composition de la Haute École de Musique de Genève et d’une licence de musique et musicologie à la Sorbonne. Il compose aussi bien pour instruments solistes que pour orchestre, s’inspirant notamment de la culture asiatique. La qualité de ses œuvres lui a valu de nombreux prix de composition et des commandes prestigieuses. Nommé en mars 2018 organiste titulaire de la Cathédrale Saint-Sauveur d'Aix-en-Provence, il est également professeur de composition, orchestration et écriture au CRR, Conservatoire à Rayonnement Régional d'Avignon. Ses concerts le conduisent en France, en Suisse, en Espagne. Et il fut dernièrement à Marseille invité pour deux soirées de Marseille-Concert, l’une d’elles avec rien moins que Marie-Ange Todorovitch pour un éclectique programme classique, variétés et  jazz.

Le disque

 L’album très beau à l’œil. La pochette pliée offre au recto une photo en buste de Grégoire Rolland adossé nonchalamment à une colonne du ravissant cloître dont on perçoit en perspective les délicates colonnettes romanes. Cet élégant album s’ouvre en triptyque, disque posé et pincé au milieu sur la photo de la petite coupole octogonale d’une géométrie classique renaissante, chacun des huit quartiers triangulaires percé d’un oculus filtrant la lumière sur l’antique baptistère du Ve siècle, entouré de huit colonnes romaines aux chapiteaux corinthiens, au fût gris supportant des arcs de style toscan. Harmonie du gris et rose et beige des panneaux des pendentifs, ces triangles sphériques permettant de passer du plan carré au tambour rond sur lequel repose la voûte. Sur l’un des rabats, le Chœur grégorien, partition en mains, autour de la cuve encastrée au sol du baptistère, mérovingienne sans doute. Les photos sont remarquables.

Deux livrets, l’un avec une Préface du Père Michel Desplanches, Vicaire général du diocèse d’Aix et Arles, Président de « Musique Sacrée à la cathédrale d’Aix-en-Provence, d’un texte sur les Sacrements du Père Benoît Tissot, curé de la Cathédrale Saint-Sauveur, la note d’intention du compositeur Grégoire Rolland, ses brefs commentaires sur chacun des sacrements et des mélodies grégoriennes choisies, assortis de concises mais éclairantes explications sur sa musique. On a tous les textes latins, leur traduction en français, les biographies des artistes, et l’ensemble traduit en anglais.

L’autre livret est constitué d’un beau cahier des reproductions photographiques des tableaux illustrant les sept sacrements, peints entre 1846 et 1848, commande passée par l'Archevêque aux Beaux-Arts à sept artistes aixois : Alphonse Angelin, Antoine Coutel, Baptistin Martin, Joseph Richaud, François Latil, Léontine Tacussel, et Joseph Marc Gibert. C’est une représentation en série des sept sacrements, peut-être unique. Les tableaux le sont moins. À notre connaissance, tous ces artistes aixois sont passés par Paris et ont figuré dans des salons. Ces tableaux, dans le goût bourgeois de leur temps, conventionnels, sont d’une facture excellente, c’est de la belle ouvrage mais pas des chefs-d’œuvre, celui d’Alphonse Angelin, Le Mariage fleurant, à travers son mièvre style troubadour, le flirt avec la bondieusaille saint-sulpicienne. Mais on ne peut dénier au seul tableau d’une femme, Léontine Tacussel, La Pénitence (baptisé ici La Réconciliation), juste deux personnages sur le noir, pénitent à genoux surgissant de l’ombre du péché vers la soutane éclairée du prêtre rédempteur, avec son ténébrisme et ses lignes dépouillées, une force caravagesque, une puissance à la Zurbarán. On signalera que Gibert fut le professeur de Cézanne.

Les Sacrements

Très construit, ce cycle des Sacrements de Grégoire Rolland. C’est un parcours dramatique, au sens théâtral et existentiel qui hante philosophies et religions, emblématisé par le Baroque, la traversée de la vie humaine du ventre de la mère à la mort, qui en est le retour pour les psychanalystes. Pour le croyant catholique, ce sont les étapes de la vie, naissance, baptême, confirmation, etc, jusqu’à l’extrême-onction, scandées par les sacrements de l’Église. Dans ce disque, c’est exprimé par la pureté du chant grégorien et sa glose à l’orgue, non une simple paraphrase, mais une écoute en sympathie et un élargissement moderne. Mariage réussi entre cette musique ancienne et celle proposée par Rolland, respectueuse, jamais lourde, jamais écrasante pour le motif grégorien qui en est le départ.

Le Chœur grégorien

Constitué en 2019 par le curé de la cathédrale le Père Benoît Tissot, qui fait partie du sextuor de chanteurs, sous les auspices de l’association Musique Sacrée à la cathédrale d’Aix, le Chœur grégorien, dirigé par Pierre Taudou, signe ici son premier disque, une réussite.

Le répertoire grégorien choisi, est monodique bien sûr, mais il y a a ici la liberté, parfois, d’un bourdon grave, sombre tapis, noire nappe d’eau à peine frémissante d’où s’élance la tige, le jet, jaculatoire, de la lumineuse voix d’un chantre soliste qui fait s’épanouir la mélodie grégorienne fleurie de délicats mélismes sur les pétales accentués des syllabes latines. On est heureux des délicates accentuations de cette prosodie arrachée à la monotonie aplanie, par assimilation erronée du grégorien au plain-chant, par la restauration de Solesmes. C’est pourquoi on regrette quelque peu, alors qu’on connaît depuis longtemps la prononciation restaurée, restituée, du latin, la banale prononciation à la française de certains phonèmes selon une tradition ecclésiale vieillie. Ainsi, les g et t sont sonorisés, fricatisés, au lieu de leur son authentiquement dur en latin (pretium prononcé « pressium » au lieu de « prettium » ; gentium, « genssium » au lieu de « guenttium », etc. Mais c’est d’une grande, grave et légère beauté, les six voix des choristes ont une grande homogénéité que le halo réverbérant de l’acoustique du baptistère nimbe d’une planante et lumineuse fraîcheur comme une grâce doucement filtrée de la petite voûte ajourée de ciel. La prise de son est parfaite.

Interventions de l’orgue

Sitôt posée la référente mélodie grégorienne, souvent, avec à peine une frange ombreuse de silence entre les deux, presque sans solution de continuité, l’orgue, en douceur, comme une lente pierre dans une onde calme crée des ondes qui vont en douceur s’élargissant, dilue en extase le thème, le mode, en élargit les bords, le brode, l’auréole et le flux encore perceptible à notre oreille des voix  qu’on voit, ouïe et vue se complétant dans l’imagination, parcourant les vastes nefs, cet afflux sonore semble emplir en plénitude  et béatitude la vaste cathédrale comme une aspiration à un infini à peine contenu par la chair des murs, évadé  en rêve par les pores des vitraux.

Bien sûr, les enchaînement voix orgue varient en fonction du « Sacrement » musiqué. Ainsi, la première plage, l’introït « De ventre matris meæ… », ‘Du ventre de ma mère…’, est en douceur suivi, élargi, par la pédale d’un sourd et sombre palpitement viscéral, scandé comme un battement de cœur s’ouvrant lentement à la lumière comme une délivrance, de la mère ou du baptême ouvrant des voies de salut, de salutation, au monde ou à la foi.

Prêté à Thomas d’Aquin, l’hymne « Pange lingua gloriosi corporis mysterium sanguinisque pretiosi… »,Chante, ô ma langue, le mystère de ce corps très glorieux et de ce sang si précieux…’ oppose à l’orgue deux mouvements, deux éléments, l’un déploie une solide matière, l’autre éploie, distille, une plus subtile : pain et vin de l’Eucharistie ?

On ne peut détailler plage par plage, la réussite de cette osmose des voix et de l’instrument qui s’en fait l’écho, le propos liturgique, éthique, devenant proposition esthétique ; le mélomane profane n’est pas forcément tenu à en traquer l’adéquation entre le fond sacramentel de la mélodie grégorienne glosée par l’orgue, la communication, pour en goûter la pure beauté musicale, qui suffit déjà comme communion. Ainsi, au-delà du sens fermé par le thème précis du Sacrement, « l’Ordre », tiré du graduel « Ecce sacerdos magnus… » (plage 12), on est séduit par le commentaire de l’orgue, un frêle frémissement fleuri tourbillonnant, printanier, céleste, azuréen, un motif obsédant, léger, comme le scintillement lumineux d’une auréole d’ange.

En effet, la musique de Grégoire Rolland, même adaptée ici à un cycle à programme, est expressive en soi, non platement descriptive, elle est d’un figuralisme symbolique : du noyau immémorial du motif grégorien il tire, file et tisse une glose d’aujourd’hui,  avec des tonalités éclatées, des dissonances, qui disent douleur, déchirement du parcours terrestre de chaque homme, chrétien ou non, d’autant mieux mises en valeur que la gamme diatonique, posée dès le début comme harmonie d’entrée, scelle le cycle par le retour à l’unité du « septenaire » tonal amplifié en apothéose aux douze tons diachroniques.

Cet ensemble si construit, avec une progression que je répète, théâtrale au sens dramatique du voyage de la vie humaine, symbolique déjà antique et baroque, a son acmé à la plage 15 avec le « Sacrement du Frère » surajouté, tourné vers l’impérieuse charité envers le prochain, précédé d’une antienne grégorienne sur les vertus théologales : foi, charité, espérance.  Glose grandiose, la plage 16 qui enchaîne et clôt le cycle, renvoie tonalement au début, immense rideau de fin, fin de monde sans doute, ou fin qui est un début, rideau s’ouvrant, de ce monde de douleur, à un autre, de gloire, de lumière, dans un crescendo musical ascendant de la gamme, apothéose de couleurs : arc —littéralement—en-Ciel.

Les Sacrements, Grégoire Rolland, orgue, Chœur grégorien de la cathédrale d'Aix-en-Provence, direction Pierre Taudou, label Hortus.

03 Antienne _Confirma Hoc Deus_ 1.mp3 

04 Les Sacrements_ II. Confirmation 1.mp3 

16 Les Sacrements_ VIII. Le Sacrement Du Frère 1.mp3

 

LIEN VERS L'ÉMISSION :
 https://rcf.fr/culture/livres/les-sacrements-gregoire-rolland-organiste?fbclid=IwAR1H1sC-Zi_lAmXW8iaWxsYTTH2zqfy6XDOCrwlMr3lm8kFpO07LHoZMzG0

 

 

 

vendredi, octobre 23, 2020

GRANDES DÉLICES DES GRANDES ORGUES

Enregistrement 07/10/2020

RADIO DIALOGUE RCF

(Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)

N° 464, semaine 41 

Rendez-vous au Gaumont-Palace

Orgue de cinéma et orchestre, un CD Hortus 

         L’orgue, avec ses tuyaux spectaculaires, son clavier et son pédalier souvent, attesté depuis l’Antiquité, est un instrument très sonore qui pouvait remplir les vastes espaces des théâtres et cirques, avant que le gigantisme de ses proportions ne vienne logiquement trouver sa grandiose place dans les grandes églises et monumentales cathédrales gothiques, associé de la sorte à la célébration, autrefois populaire, des cultes. Il existe, bien sûr, des formats réduits, transportables comme un piano ou clavecin, qu’on appelle « orgues régales ».

Comme symboliquement, pour les amoureux de la musique et de l’instrument, l’orgue partage délicieusement, amoureusement, avec amour et délice, une particularité de la peu rationnelle langue française, d’être du genre masculin au singulier, et du genre féminin au pluriel. Ainsi, on dit « ce plat est un délice » mais je dirai : « j’ai vécu de grandes délices grâce à mes nombreuses et heureuses amours. » Donc, dans notre région abondent les « belles et grandes orgues historiques. » Et, cependant, encore une insolite exception, il y a des pluriels masculins : les orgues romantiques de Cavaillé-Coll sont très puissants.

L’orgue est exceptionnel parmi tous les autres instruments de musique tant pour ses proportions monumentales, parfois la taille d’un immeuble meublant le fond d’une cathédrale, mais aussi ses caractéristiques musicales, la plus large tessiture du grave à l’aigu, et son immense palette de timbres qui lui permet, à lui tout seul, d’être tous les instruments d’un orchestre, non seulement du plus puissant mais aussi au plus doux.

Immense machine technique, l’orgue épouse aussi la modernité. Ainsi celui de notre église des Réformés en haut de la Canebière, qui fut l’orgue électrique le plus ancien d’Europe, en fait, deux orgues face à face en haut dans les tribunes. Mais aujourd’hui, face au chœur, comme un insolite papillon géant par ses dimensions, pour l’envol de la musique, une aile courbe immense posée à même le transept, la nef transversale spacieuse, trône cet étrange vaisseau spatial : une console d’orgue descendue de ses hauteurs, mais électronique, avec voyants lumineux, cinq claviers, ponctués de constellations de boutons des tirants de jeux, une myriade de combinaisons sonores possibles, infini arc-en-ciel de couleurs, de nuances qui, d’en bas, règle les jeux des tuyaux d’en haut

Riche en orgues historiques nichées dans les églises, notre région s’honore d’un proche Festival international d'orgue de Roquevaire et d’un à peine plus lointain Festival d'Orgue de Saint-Maximin, de type classique, naturellement. Notre ville même a vu fleurir depuis quelques années un autre type de manifestation musicale : comme pour arracher l’orgue à ce qui semble une tradition ecclésiale séculaire, mais sans bien sûr le déloger, ni déroger au lieu sacral, mettant au contraire en valeur église et orgue, Marseille-concerts a créé la tradition d’accueillir, dans ces temples parfois désertés, un répertoire profane et festif, y attirant un public jeune et nouveau qui découvre à la fois orgue et lieu patrimonial.

Il y eut, le Festival Orgue et chanson, avec Aznavour, Brel, Gainsbourg, Michel Legrand. Il y a peu, comme résurrection musicale après le terrible confinement, Classique, jazz pop, avec rien moins que Marie-Ange Todorovitch, et Orgue et cinéma, avec le jeune titulaire des orgues de Saint-Sauveur d’Aix, Grégoire Rolland, dont nous reparlerons.

Mais écoutons :

 1) PLAGE 1

    Il s’agit d’un extrait de l’opérette viennoise Les Trois valses d’Oscar Strauss. Oui, vous avez perçu un enregistrement ancien, très ancien. Il s’agit de la reprise d’enregistrements de 1939, des disques encore en cire,  tiré du CD label  Hortus, Rendez-vous au Gaumont-Palace  Orgue de cinéma et orchestre. C’est un témoigne historique passionnant d’une pratique aujourd’hui disparue : la musique au cinéma. Non dans les films, mais entre les films avant eux, après eux, dans les entractes.

      « Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », chantait Aznavour. Qui a sans doute chanté dans les cinémas, comme Montand, qui débuta au cinéma Gyptis de la Belle-de-mai. En effet, la musique a toujours accompagné le cinéma, d’abord muet, avec un pianiste qui scandait et improvisait sur les images qu’il découvrait souvent à peine, ou un petit effectif de musiciens, quels musiciens ! qui, sur des partitions trouvées à la va vite, collaient musicalement à cet écran où défilait un drame sans voix. Ensuite, les entractes furent meublés parfois d’orchestres plus ambitieux, des chanteurs parfois vedettes qui parrainaient un débutant.


       Parmi ces cinémas, le Gaumont-Palace de Paris occupe une place à part, exceptionnelle : c’était plus grand cinéma d’Europe avec six mille places, des fauteuils de velours rouge, avec un immense écran. Façade imposante en angle coiffée d’un dôme en casque que l’ardoise parait de reflets métalliques guerriers, il occupait l’emplacement du vaste hippodrome de Montmartre. Entre 1907 et 1972, date de sa destruction, il aura trôné sur le monde du cinéma.

En voici un tout petit entracte musical :

2 ) PLAGE 12 :

C’est la « Chanson Solveig » du Peer Gynt de Grieg. Car le Gaumont-Palace, temple du cinéma, était aussi celui de la musique grâce à ses préludes et entractes animés par son fameux orgue et les nombreux orchestres venus s’y illustrer. Musique légère mais savante qui était aussi une manière d’éducation musicale, d’initiation à de grandes œuvres pour un public sans doute de profanes musicaux.

Les Éditions Hortus, qui ont déjà gravé un monumental catalogue des Musiciens et la Grande Guerre, font encore œuvre de mémoire populaire et musicale en réunissant dans cet album des cires Odéon (on revoit ces disques noirs) de 1939, juste avant la guerre. Avec ces gravures soigneusement restaurées, on dispose ainsi de l’intégrale gravées par le chef d’orchestre et violoniste Georges Tzipine et par l’organiste de cinéma Georges Ghestem.

Émouvant témoignage d’une pratique culturelle d’un temps révolu. L’esprit généreux du Front Populaire de 36 régnait encore dans le souffle de cette noble culture pour le peuple.

Nous les quittons sur des extraits d’une fantaisie à partir de thèmes de Schubert :

3) PLAGE 4 : FIN ET FOND                                        

Rendez-vous au Gaumont-Palace

Orgue de cinéma et orchestre, un CD Hortus

 

Orchestre du Gaumont-Palace  
Georges Tzipine, direction  
Raoul Gola, piano  
Georges Ghestem, orgue  

HORTUS 160
T.T. 60'00
1 CD 
DDD
© 2018 

15,00 €

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Orgue Christie de l'Cinéma Gaumont-Palace de Paris 

Programme détaillé
HORTUS 160 | CD DDD ℗ Hortus 2018 | T.T. 60'00 
 Oscar Strauss (1870-1954) 
1.Trois valses 6'17
 Guy Lafarge (1904-1990) 
2.Dans les bois 3'13
 Transcription : G. Ghestem et G. Tzipine
 Rimski-Korsakov 
3.Chant Indou 3'09
 Franz Schubert (1797-1828) 
4.Schubert Fantaisie 6'16
 Fantaisie sur des thèmes de Franz Schubert
 Transcription : Salabert
 Eric Coates (1886-1957) 
5.Les Oiseaux dans le soir 3'09
 Transcription : G. Ghestem et G. Tzipine
 Robert Planquette (1848-1903) 
6.Cloches de Corneville 5'49
 Transcription : F. Jeanjean
 Frédéric Chopin 
7.Tristesse 3'07
 Transcription : G. Ghestem
 Jacques Offenbach (1819-1880) 
8.Orphée aux enfers 6'24
 Paul Misraki (1908-1998) 
9.Dans mon coeur 3'14
 Transcription : G. Ghestem et G. Tzipine
 Joëguy 
10.Le Carillonneur de Bruges 3'12
 Transcription : G. Ghestem et G. Tzipine
 Maurice Ravel (1875-1937) 
11.Boléro de Ravel 5'34
 Edvard Grieg (1843-1907) 
12.Chanson de Solveig 3'11
 Transcription : G. Ghestem et G. Tzipine
 Franz von Vecsey (1893-1935) 
13.Chanson du Souvenir 3'15
 Arrangement de la "Valse Triste"
 Transcription : G. Ghestem et G. Tzipine
 George Gershwin (1898-1937) 
14.Rhapsody in Blue 6'26
 Transcription : Ferde Grofé 

 
© Hortus 2014-2020


Lien vers l’émission :

 

https://rcf.fr/culture/livres/rendez-vous-au-gaumont-palace

 

vendredi, octobre 16, 2020

EN MARGE DE "LA MANIFESTA" , MAIS AU CŒUR DE LA VILLE ET DU SUJET

 

 

Enregistrement 24/9/2020

RADIO DIALOGUE RCF

(Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)

N° 461, semaine 40

MARSEILLE PRIVATOPIA Exposition art-science de la plasticienne Anke Doberauer et des géographes Élisabeth Dorier et Julien Dario (Aix Marseille Université) 8 - 24 octobre 2020

    N. B. Ceci est le texte de l'émission dont on trouvera le lien en bas, un échange vivant avec Anke Doberauer, augmenté plus longuement de mes réflexions après ma visite de l'exposition.

       En marge de la Manifesta,  qui l'a étrangement ignorée, MARSEILLE PRIVATOPIA , aurait pu en être au centre, au  cœur même de sa thématique : une exposition originale, civique et citoyenne, solidement ancrée sur le terrain.

Anke Doberauer, vous êtes un(e) peintre graveur, une artiste plasticienne allemande. Par ailleurs, professeure de peinture à l’Akademie der Bildenden Künste de Munich, ‘Académie des beaux-Arts’, avec des élèves de diverses nationalités. Vous vous partagez entre Munich et Marseille : personnalité bien connue chez nous dans le milieu artistique. En 2013, pour Marseille/Provence capitale européenne de la culture, au Mucem, l’exposition Au Bazar du Genre, mettait en miroir, je dirais en regard du fameux tableau de Courbet Les deux amies, alanguies de volupté dans un lit, un seul tableau : le vôtre, un portrait en pied d’un jeune homme barbu en habit de mariée tandis que le MAC Musée d'art Contemporain de Marseille, qui rouvrait à cette occasion, offrait un vaste mur à votre grand tableau, la Plage, de 3X6 m ! Au Mucem toujours pour l’exposition 2015/2016, J’aime les Panoramas, vous couvriez 5 m de ses murs avec le vôtre Marseille 360°, impressionnante vue de la ville depuis le haut de la Tour du Roi René. Cette année encore au Musées regards de Provence, du 12 septembre au 21 février 2021, vous exposez aussi, dans la cadre de la Manifesta, Local Heroes, Marseille & Berlin, une série de tableaux panoramiques des Catalans.

Marseille Privatopia 

Enfin, à partir du 8 octobre, vous êtes de la prodigieuse aventure de longue haleine Marseille Privatopia avec deux acolytes, deux géographes Élisabeth Dorier et Julien Dario (d’Aix Marseille Université). Elisabeth Dorier est professeure de géographie à l'Université d'Aix Marseille. Elle est spécialiste des études comparatives du développement urbain et a publié sur le thème nombre de travaux d’une implacable et impeccable rigueur scientifique. Avec une équipe universitaire d’étudiants, dont Julien Dario, un de ses doctorants, depuis 2007, elle a mené à Marseille des observations très poussées sur le phénomène des « résidences fermées », une véritable enquête au long cours, passionnante. À laquelle vous vous êtes intégrée, traduisant en tableaux peints les travaux abstraits.

C‘est quoi, Anke Doberauer , c’est « résidences fermées » ?

    Comme cette Résidence Talabot, telle une paupière fermée sur le monde extérieur…

 Marseille villages

Marseille était une série de villages différents, devenus des quartiers, par agglomérations. Il semblerait à lire les passionnants et effrayants dossiers de Dorier, et les superbes illustrations picturales que vous y apportez, que, désormais, c’est une sorte de fragmentation et replis de la ville de séparatisme, comme dit Macron,  ici urbain, de communautarisme immobilier, qui se répand, imposant des murs, des barrières, des clôtures, des entrées filtrées, finalement des frontières de méfiantes et frileuses forteresses fermées à l’Autre de ces souvent très somptueuses résidences.

Cartographie révélatrice

Élisabeth Dorier a cartographié rigoureusement l’emprise de ce phénomène croissant : privatisation de l’espace public par promoteurs et copropriétaires, tournant le dos à la rue et aux espaces publics : sécurité, crainte des Autres, désir de vivre entre soi. L'enquête comprend toutes les unités de plus de dix logements ayant des « parties communes » ouvertes, mais dont l'accès est restreint par une clôture. C'est la seule enquête cartographique complète sur ce sujet dans une grande ville européenne.

 Constat accablant : près d'un tiers des logements de Marseille sont situés dans des communautés fermées et jusqu'à 80% dans certains quartiers privilégiés du sud. Ces enceintes concernent 13% de la zone urbanisée, plus de 50% dans certains quartiers. Quant aux espaces "végétalisés", 28% sont enclos dans des zones privées, inaccessibles au public. Ces morceaux de nature, éléments de paysage, arrachés à la collectivité au profit de quelques uns,  deviennent ornement exclusif, argument de vente, de standing de la résidence fermée. À mon humble niveau, à la recherche d'un logement convenable, j'ai pu constater, en linguiste et amoureux des mots, que les agences, guère en souci d'originalité langagière, répètent à satiété le terme "féerique" pour qualifier la moindre vue agréable de l'appartement qu'on cherche à vous vendre.                De ces lieux et emplacements préférentiels pour privilégiés, qui phagocytent la ville, des documents, irréfutables, comme la carte ci-dessus attestent, non en rose mais, comme éclatants de santé, des globules rouges triomphants sur la morose grisaille générale, tandis qu'une autre carte, plus pâle, dessine, en clair, les artères publiques des voies en voie de privatisation, d'obturation, avec les conséquences inévitables de bouchons, caillots sur la circulation générale du cœur battant de la ville. C'est le fond intellectuel de l'exposition, je dirais diagnostic au sens médical du terme, en noir,dont les toiles peintes sont une apparemment plus souriante approche.

Votre rôle Anke Doberauer dans le projet ? Depuis quand ? Combien de toiles peintes ? Comment avez-vous procédé ?

 Vous avez peint la sélection de communautés fermées qui avaient déjà fait l'objet d'une enquête par les chercheurs géographes.  Comme votre panorama du Mucem, vous avrze peint un tableau par jour, pour en capter la lumière ? 

Approche sensible  

C'est une perception artistique sensible, bien sûr, et plus encore par vous, Allemande, que vous rendez encore plus sensible pour nous Marseillais qui n’avons plus les yeux pour  voir cet extraordinaire patrimoine marseillais, paysages, résidences de rêves, mais rêve grillagé, barré, par des murs, des barrières. Cadenassée même, comme cette Résidence Pythagore, où le mythique mathématicien de la musique des sphères verrait peut-être une ironique anticipation de tables algorithmiques.

       En contraste avec la quiétude et la beauté des paysages, il y a la présence obsédante des portes et des clôtures ainsi que les parties communes encloses : l’espace public privatisé. C’est aussi un témoignage émouvant de lieux patrimoniaux aujourd’hui disparus, livrés aux pelleteuses des démolisseurs, perception sensible, poignante, du temps.

 Les toiles exposées, combien, sur les quelque cent-cinquante que vous avez exécutées sur tant d'années ? 

Paradis perdu, pas par tous

La « résidence fermée » est comme le fantasme du paradis terrestre perdu. Mais pas un paradis pour tous ! pas très démocratique, ségrégationniste, d'une distinction dont on sait qu'elle cherche toujours la distance aux autres : un bel et large espace non bellement et largement partagé, très sélect et sélectif.  Rêve sécularisé du Hortus conclusus qui, depuis Salomon, qui y enclot l'Aimée, hante le Moyen-Âge qui y place et enferme la Belle Dame, souvent Sans Merci, séduisante et dangereuse, ainsi inoffensive enclose entre ses murs, posée comme une fleur en son jardin fleuri, et sans doute faute de béguin, même les charitables béguines cherchent le confort et la distance au monde derrière les ombreux, paisibles et opaques remparts de leurs béguinages, comme dénonçait autrefois Françoise Mallet-Joris. 

Réflexe sinon réflexion archaïque, immémoriale, me semble-t-il encore, sous couvert de modernité immobilière, que ce repli sur soi, chez soi. Après ces images d'élégant isolement que cherchait déjà le poète latin Horace, mais à la campagne, ici, on l'acquiert à prix d'or au cœur même de la ville, préservé de ses nuisibles promiscuités, désordres, tapages, rages et ravages, dont je pointerai aussi l'occulte agressivité agonistique ou inconsciente ambition médiévale de se tailler un fief, de détailler l'espace en parcellisation particulière avec la précaution de fortifications : murailles, fossés, douves, pas de créneau pour autrui, chacun chez soi, pas de vivre ensemble, mais possible guerre des territoires appropriés, des propriétaires, des clans, des gangs : même combat et les conflits commencent en procès de citoyens excédés de voies publiques retrouvées fermées contraignant à des détours, privées d'accessibilité aux enfants, vieillards, handicapés. Là encore, des documents d'affaires sont significatifs.

Panoramas signifiants

Une ville amplifiée avec le temps semble ainsi se segmenter, parcelliser, et je ne peux m'empêcher de voir, dans les virtuoses panoramas d'Anke Doberauer, tel celui en dix panneaux de la Colline Périer, sans solution de continuité, sans "couture" apparente entre les diverses toiles, comme un symbole subliminal, inconscient, d'une ligne unique du regard sans barrière, une continuité mythique du paysage, qui se perd désormais, intégrité d'un monde naturel unitaire qui, unilatéralement, se découpe inexorablement aujourd'hui, comme les fameuses "ventes à la découpe" à des promoteurs hollandais de la Rue de la République, par le désir, la volonté, l'avidité de l'homme qui en veut son exclusive part. Ainsi, les superbes panneaux sur le Parc Valmer, les rampes arrondies de cet escalier à double révolution débouchant en grand sur l'esplanade barrée du pointillé de l'élégante balustrade à l'italienne  offrant vue sur la mer et les arbres, avec le dégagement en perspective aérienne sur l'Île Maïre, miracle d'espace public naturel et artistique en plein cœur de la ville, menacé de privatisation.


Peinture à l'air du temps

La touche rapide, légère, nerveuse parfois de cette peinture semble respirer le plein air dans lequel elle se peignit, sent parfois la hâte de devoir la finir avant la nuit, avant peut-être les gouttes de pluie d'un ciel innocent menteur ou un coup de vent intempestif qui menacent soudain l'artiste héroïque sur le sujet, qui réussit le miracle fragile de capter une sorte, on dirait, d'instantané d'un jour unique, qui ne reviendra plus jamais pareil, d'un lieu qui demain n'existera peut-être plus. Il y a quelque chose de déchirant dans les tableaux de ciels, au gré du caprice du temps lorsque Anke Doberauer les peignait patiemment, sur des années, un par jour pour en fixer la lumière singulière, ces variétés de nuages moutonnants, floconneux, ou striés, déchirés, diaprés, moirés de rose et gris crépusculaire, sur cette rade qui ouvre sur un infini d'espace rêvé, et en dessous, sur des trouées rêveuses de verdure, de paysages, de mer, la brutalité de ces portes, portiques, portails, grilles, grillages. Certaine, de la Colline Périer, garde le charme désuet d'une pergola au crépi rose des années 30, trois arcs évidés comme un léger début d'arabesque sur pied, l'arcature comme un front dentelé de tuiles romaines à la génoise. Certaines encore, arborent comme un luxe muséal,  les vestiges anciens de  colonnes solennelle de noble entrée carrossable de bastide ou "campagne" (Résidence Flotte). Cependant, c'est toujours moins entrée que clôture, fermant le regard, opposant au visiteur, au promeneur, une fin de non recevoir : forclos, exclu, interdit. Un rêve d'évasion barré. Ou visitable sur invite.

La Colline Périer, quatre-vingts hectares, en est comme un symbole, ou symptôme d'une maladie urbaine qui gagne toute la ville : écrin de verdure au sommet, dominant la mer, gardé, "gardienné", contrôlé, vidéo surveillé, piscine et terrain de tennis privés, pour deux conglomérats de quinze "résidences fermées", dont les propriétaires, à forte puissance économique, politique et sociale, ont réussi  à bloquer le projet de voie publique traversante accédant à la mer, n'y consentant, au piéton courageux, qu'un étroit escalier, deux mètres de large, cerné de murs, si ardu, qu'il a été promu en sentier de randonnée classé GR(2)!

Et ce phénomène urbain sans urbanité, signature des quartiers chics du sud, est comme assignation aux quartiers nord à se fermer à leur tour. Le vaste panorama de la Colline Consolat, avec fond de l'aqueduc en briques rouges et pierres blanches amenant l'eau de la Durance à la ville, devant le clocher en béton Arts Déco de l'église et, aux pieds, la cité ouvrière Saint-Louis de 1930, en est un autre témoignage, précisé dans d'autres tableaux de détail du Plan d'Aou : ici aussi on se mure, s'enmure à un modeste niveau parfois de parpaings, de plaques en tôle, la clôture du pauvre…


 Saint-Antoine, l'Estaque, Saint-André, Saint-Henri, Saint-Louis au nord, et autant au sud, ces villages s'amalgamèrent lentement pour devenir Marseille et, pour aller au centre, on disait "aller en ville". Un mouvement  inverse de repli identitaire, individualiste, amènerait-il à la désagrégation? Ou conflagration ente communautés devenues étrangères?  

Mais aussi, je me souviens que déjà, fermant de mystérieuses propriétés invisibles, signalées par la pointe indiscrète d'un cyprès ou le jet d'eau végétal d'un cèdre, qui faisaient rêver ou cauchemarder, de ces murs d'autrefois  aux redoutables dents de requins de tessons de bouteille dans la mâchoire du ciment plantées. Plus dissuasif que le Cave canem des romains, attention au chien —rarement méchant— aujourd'hui substitué par l'œil de la vidéo et les hurlements des systèmes d'alarmes.

Perdu dans ces pensées, je suis ému  des trois toiles du Village de Morgiou, deux petites rues d'autrefois, qu'on dirait orientales, et ce bout de mer où les barques bleues se pressent et balancent, se poussent joliment du coude sur une onde amicale. 

Tableaux de textes

De grands tableaux de textes, clairs, éclairants, tirés des travaux des géographes, sont d'indispensables repères et explications qui scandent les toiles dans une subtile mise en miroir réciproque et des immenses cartes de la ville situant parfaitement  les espaces répertoriés et peints pour certains. Cela fait souhaiter d'urgence la publication de la thèse de Julien Dario dirigée par Élisabeth Dorier, qu'on peut consulter sur place avec d'autres documents,. Avec ces précieux matériaux,scientifiques mais accessibles, l'on espère la logique d'un livre d'art et politique original avec les toiles de Doberauer, qui devrait séduire un éditeur et nombre de lecteurs.

Cette exposition science-art, Doberauer/Dorier lève un lièvre, pose un sacré problème politique au sens précis du terme : ce qui relève de la polis, de la cité, du bien commun, un bien commun privatisé par certains. Pose le problème du P.O.S., du Plan d’Occupation des Sols, de l’entretien des voies publiques et voies privées, un imbroglio historique à Marseille qu'une municipalité avisée devrait enfin  juridiquement débrouiller.    

 Rares sont les expositions qui fassent réfléchir comme celle-ci qui, partant d'un intense et assidu travail de terrain, sur des années, porte un véritable projet civique, social. Ce n'est pas un pamphlet subjectif, mais un accablant constat politique objectif, de dénonciation et de proposition implicite, irrécusable :  les édiles seraient inexcusables de ne pas le considérer sinon s'en inspirer.

     Finalement, cette exposition me fait penser au texte révolutionnaire de Rousseau, à son Discours sur l'origine de l'inégalité, 1754 :

     « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile ». 

Entendons : qui porte en germe la guerre civile.

 Pour clore notre émission, Anke Doberauer, voici une œuvre allemande, de 1930, satire du capitalisme, on dirait aujourd’hui du néo-libéralisme et de la société de consommation : fuyant un Berlin corrompu et fermé sur ses égoïstes intérêts, le héros fuit, rêvant d'une  utopie américaine (qu'il ne trouvera pas, dans la corruption et la quête de l'alcool de la prohibition) :

 Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny  de Berthold Brecht, et Kurt Weill : « Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny », 

    Écoutons la quête du "little whisky bar" de l'« Alabama song » pour oublier, en buvant, car avouent-elles : "We lost our old good Mama". Deuil de la mère ou de la Mère Patrie des exilés.

https://duckduckgo.com/?q=alabama+song&t=osx&ia=videos&iax=videos&iai=https%3A%2F%2Fwww.youtube.com%2Fwatch%3Fv%3DYi-hEFKs9gk  

MARSEILLE PRIVATOPIA Exposition art-science de la plasticienne Anke Doberauer et des géographes Élisabeth Dorier et Julien Dario (Aix Marseille Université) 8 - 24 octobre 2020

VERNISSAGE  Jeudi 8 oct. à 18h FiNISSAGE PROJECTION
vendredi 23 oct. 18 -21h (sur inscription) lped.eurequa@gmail.com marseilleprivatopia@free.fr +33 770 41 20 98 www.urbanicites.hypothe- ses.org/688
Salle Pouillon, Campus Saint-Charles, Aix-Marseille Université
3 place Victor Hugo, 13003 Marseille
Entrée gratuite
Contact : 
lped.eurequa@gmail.com 
marseilleprivatopia@free.fr 

ou +33 770 412098 et +49 176 51023166
www.urbanicites.hypotheses.org/688

P. S. : Marseille intra muros possède, rare dans une ville, des terrains agricoles, paysans avec animaux, dont une ferme pédagogique dans les quartiers nord (Dimanche en politique, par Thierry Bezer,  FR3, 11/10/2020)

Lien vers l'émission :

https://rcf.fr/culture/livres/exposition-privatopia


 

 


 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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