mercredi, octobre 25, 2017

MORCEAU DE ROI MAIS FEMME AU RABAIS, AU REBUT




La Favorite
de Gaetano Donizetti
Opéra en 4 actes
Version originale en français,
Livret d’Alphonse Royer et Gustave Vaëz
d’après le drame de François-Thomas-Marie De Baculard d’Arnaud,
Les Amants malheureux ou le comte de Comminges
Création à Paris, Opéra, le 2 décembre 1840
 
Opéra de Marseille
21 octobre 2017-10-22

La Favorite n’aurait-elle plus les faveurs du public ? On aurait pu le croire à juger des trous dans les places à cette dernière de la version de concert qui prive les spectateurs du faste d’une mise en scène, néfaste parfois pour l’écoute, mais exalte les voix : un plateau exceptionnel qui souleva l’enthousiasme justifié du public. Une œuvre disparue de la scène marseillaise depuis 1968 revenue avec les honneurs.


Mettre en scène ?
Mais quoi de cet opéra français commandé à Donizetti qui joue le jeu de l’opéra à la française, élaguant, au profit d’une élégante déclamation lyrique, les grandes fioritures à l’italienne, se bornant à quelques traits d’agilité et, plus que des da capo, multipliant des répétitions de phrases facilitant la compréhension du texte ?  Certes, passant de Saint-Jacques de Compostelle au fastueux Alcazar de Séville récemment conquise sur les maures, et cette île de León au large de Cadix où se retrouvent, on ne sait comment ni depuis combien de temps les amants, charnels ou platoniques, on ne sait non plus, cela prêtait à rêves exotiques pittoresques pour le public d’alors.



L’Histoire réduite à l’historiette
 L’opéra romantique, à puiser des sujets dans l’Histoire, en épuise le romanesque, qui dépasse souvent la fiction, en le réduisant à l’historiette d’amour convenue où le grand méchant baryton est l’empêcheur de tourner en rond le couple d’amoureux.
Un angélique jeune novice, Fernand, dans un couvent de Compostelle, au fin fond du nord de l’Espagne, avoue au roc religieux de son supérieur un amour pour un ange de femme et jette son froc par-dessus les moulins, pour retrouver apparemment la belle, yeux bandés, aux confins sud de la Péninsule encore en partie occupée par les maures. Il ignore qu’elle est Leonor de Guzmán, la maîtresse officielle du roi Alphonse XI. Privilège de l’emploi, la favorite, lui obtient un brevet de capitaine, il combat, sauve son suzerain, éperdu de reconnaissance pour ce héros. Hélas, une lettre d’amour malencontreusement perdue par la distraite suivante de la dame, et récupérée par le traître, dévoile au roi ces amours parallèles. Pour se venger perversement du couple amoureux, en en guise de récompense à son sauveur, le roi accorde en mariage sa favorite au jeune innocent aveugle pour de bon. Le pauvre marié ne découvre l’identité de sa femme, qui n’a pu la lui révéler par l’action encore du méchant Félix ayant intercepté la messagère Inés, qu’après la cérémonie nuptiale, ponctuée par les sarcasmes cruels des nobles riant de son déshonneur : épouser la maîtresse du roi ! Honneur en France, infamie au-delà des Pyrénées. Désespéré, le jeune homme drape sa dignité bafouée dans son froc retrouvé et prononce ses vœux perpétuels au couvent de Compostelle, où le retrouve Leonor expirante pour implorer son pardon.


Sacrifiée sur l’autel du mâle
Mais pardon de quoi ? Au fond, à y bien regarder, cette anecdote romantique n’est pas si révolue que ça et a même une étrange actualité. Passionnément aimée par le roi, qui songe même, bravant l’église, à répudier sa femme légitime Marie de Portugal —victime collatérale passée sous silence dans cette version réduite de La Favorite— pour couronner sa maîtresse, Leonor est bien une victime sacrifiée sur l’autel de l’amour-propre, pas très en fait, du roi et du jeune novice héros, religieux au pardon bien dur à sortir.
Certes, la pieuse Espagne n’est pas la frivole et libertine France où les favorites ont un statut et même des statues. On y connaît peu de monarques aux maîtresses avouées, encore moins officielles. Dans l’opéra, favorite malgré elle, Leonor rue dans les brancards et réprouve sa cage dorée : elle se sent déshonorée par la situation. Elle la reproche au roi : elle a « été abusée », « trompée », elle a cru suivre un époux et s’est retrouvée dans ce rôle de second plan, infâmant, un simple « trophée ». Le roi infidèle, qui ne lui pardonne pas son infidélité, la donne en mariage comme rebut à l’amoureux éperdu, mais qui ne veut pas d’une femme au rabais, perdue.
Dans les deux cas, la femme est la victime sacrifiée sur l’autel d’un honneur érigé par les hommes eux-mêmes, reposant sur la vertu féminine.  Et la pauvre favorite à son corps défendant et défendu malgré l’amour, intériorise même les valeurs qui la sacrifient, mourant en mendiant un pardon pour une faute dont elle n’est pas coupable : sans doute harcelée, abusée, trompée, trophée pour le roi puis butin de guerre et repos du guerrier pour Fernand, pour tout ça même, rejetée.


L’Histoire : la vraie Leonor de Guzmán
Alphonse XI de Castille est l’arrière-petit-fils du grand roi Alphonse X le Savant ou le Sage, poète (on lui doit le recueil des fameuses Cantigas de Santa María, monument de la musique médiévale), juriste, historien, astronome (ses Tables alphonsines des éclipses seront utilisées jusqu’au XVIIIe siècle), qui se proclame « Roi des trois Religions du Livre », la chrétienne, la juive, la musulmane, faisant coexister pacifiquement église, synagogue et mosquée dans une Tolède vouée à la science et à la culture où il réunit savants maures, juifs et chrétiens pour traduire les monuments littéraires et scientifiques anciens, prémisses de la Renaissance européenne. Grand homme mais piètre politique : le nez vers ses étoiles, il voyait mal ce qui se passait sur terre. Il laisse en héritage une Espagne déchirée de querelles dynastiques, de révoltes nobiliaires.

Alphonse XI en héritera et pâtira plus tard, contraint de lutter contre les nobles à l’intérieur et les maures à l’extérieur. En 1328, il épouse Marie de Portugal, mais deux ans plus tard, il fait la connaissance à Séville de la belle veuve Leonor de Guzmán. C’est le coup de foudre réciproque.  Ils ont pratiquement le même âge et mourront aussi à un an près : il a dix-neuf ans (1311-1350), elle, vingt (1310–1351). Il délaisse sa femme pour vivre publiquement avec sa maîtresse. Soulevant l’indignation des nobles castillans envers la favorite andalouse, la réprobation du pape et la fureur de son bureau-père roi du Portugal, il veut même répudier sa femme légitime et couronner sa maîtresse. Mais Leonor, aussi belle qu’intelligence, refuse pour éviter une guerre avec le Portugal, qui aura lieu malgré tout. Grande politique, de bon conseil, ses alliances andalouses permettent au roi de réduire la noblesse castillane et l’accompagne à la guerre contre les musulmans. Elle intervient sur le plan international en faveur de la France dans la Guerre de Cent ans. Elle est la reine de fait pendant vingt ans. Elle donne dix enfants à Alphonse, qui les légitime, ce qui compliquera la succession.
Mais, pendant une guerre à Gibraltar dont il veut libérer des Maures le Détroit, Alphonse meurt de la Peste noire. Léonor, présente, s’enfuit mais Marie de Portugal, la reine en titre, la saisit, la fait torturer et assassiner horriblement sous ses yeux et ceux de son fils. Cela ne réussira pas à la reine veuve et régente : elle sera elle-même assassinée par son père ou son fils, issu de son mariage avec Alphonse. Ce fils terrible, Pierre Ier, dit le Cruel, dont le favori sera un certain Don Juan Tenorio, qui donne lieu au mythe, mourra lui-même en se bagarrant avec Henri de Trastamare, son demi-frère, fruit des amours d’Alphonse et Leonor, qui lui succédera.


Interprétation
On a peur de tomber dans les clichés de la célébration enthousiaste aussi générale que généreuse, mais il y aurait mesquinerie à marchander, sous prétexte de distance ou réserve critique, des éloges hautement mérités tant par le plateau que par la fosse, disons l’orchestre, par ailleurs partageant le plateau avec les chanteurs, et sans doute exalté par ce voisinage et visionnage dans une belle émulation. On eut la sensation, le sentiment —et cela importe à l’affaire affective du drame romantique— que cette proximité des instruments et de la voix, en resserrait la cohésion, la solidarité, bref, l’harmonie : la fusion dans l’effusion du drame. On y sent, certes, tout le travail subtil du chef, Paolo Arrivabeni, dont l’élégance, la précision, l’engagement, donnent à cette musique toute sa dignité, en cisèle formes et rythmes. Ses indications, visibles hors de la fosse, rendent plus sensible la présence des pupitres auxquels il s’adresse comme s’il les faisait naître, d’un geste, sous nos yeux, pour le bonheur de nos oreilles, interlocuteur privilégié les faisant dialoguer à vue avec les solistes vocaux, nous prenant pour témoins de ce qui se joue et noue.  

Ce tissage serré de l’orchestre et des voix, tout intégré au drame, était aussi visible et audible avec les chœurs : sans la dispersion forcée d’une mise en scène qui les spatialise, choristes en rang serrés, on admire que de cette masse naissent des murmures, même des chuchotis, ou des grondements, d’une homogénéité et d’une expressivité dramatiques qui signent la minutie de la préparation d’Emmanuel Trenque.
Dans le rôle de celui par qui le malheur arrive, Loïc Félix, a l’élégance froide du traître de qualité, on ne sait si dévoué au service ou voué à la perte du roi auquel il remet la lettre prouvant l’infidélité de la favorite et faisant le malheur de tous. Confidente de Leonor et messagère des amours des jeunes gens, Jennifer Michel déploie la lumière de son soprano pour un air ravissant, très développé, au rythme hispanique, fleuri de vocalises qu’elle égrène avec sa souriante aisance.
Balthazar, c’est Nicolas Courjal : Père en religion du jeune Fernand, il a pour lui les tendresses de sa sombre et flexible voix, qu’il sait alléger au murmure dans une douceur qui pourrait être ambiguë dans son désir possessif, peut-être pas simplement spirituel, de le garder auprès de lui mais aussi les rudes sévérités paternelles et les foudres de l’imprécation morale contre le roi dissolu. À celui-ci, Jean-François Lapointe offre une noble stature, la majesté naturelle d’une voix puissante et contrôlée, éclatante dans l’aigu, une diction parfaite, une ligne de chant impeccable qui déroule en se jouant les légères vocalises belcantistes. On croit percevoir de l’humour dans la cavatine vive de son premier air, toute guillerette comme un passage d’Offenbach mais, il sait faire sentir la perversité du cadeau empoisonné du mariage qu’il offre, dans sa fausse générosité, à son sauveur protégé et anobli, dont les titres pompeux qu’il lui octroie royalement rendent l’infamie de cette union à leur échelle.

         Face au jeu si expressif de tous les interprètes, qui nous font vivre le drame sans le secours d’une mise en scène, après une indisposition lors d’une précédente représentation, innocent Fernand, le jeune ténor Paolo Fanale affiche presque un permanent sourire, comme étranger au drame, qui lui tombera brutalement dessus. Et sans doute l’est-il, arraché d’abord au couvent par l’amour. Un peu béat, mais les béatitudes dévotes dont il sort pour y rentrer désespéré à la fin, semblent très justement le définir comme n’étant pas de ce monde, son héroïsme sur le champ de bataille étant sans doute la plus grande invraisemblance, encore que la recherche du martyre, ou du massacre, est aussi de l’ordre de l’angélique démoniaque. La voix est superbe, ronde, moelleuse et, conquête des jeunes générations du chant italien, il ne vise pas un héroïsme vocal tonitruant, mais une expressivité faite de nuances délicates, de demi-teintes, avec une maitrise très grande de la voix mixte.
         Que dire de Clémentine Margaine ? Beauté justifiant le rôle de la favorite, grande voix de mezzo d’une chaleureuse couleur ambrée, homogène, facile, ductile, aux aigus d’une souveraine aisance et expressivité tout comme ses piani douloureusement introspectifs. On découvre, avec une grande sobriété de moyens, une grande actrice et une admirable chanteuse qui offre son personnage comme l’évidence de sa personne. 

La Favorite de Donizetti,
Opéra de Marseille, 13, 15, 18, 21 octobre
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale : Paolo ARRIVABENI.
Distribution :
Léonore : Clémentine MARGAINE
Inés : Jennifer MICHEL
Fernand : Paolo FANALE
Alphonse XI : Jean-François LAPOINTE
Balthazar : Nicolas COURJAL
Gaspard : Loïc FÉLIX

Photos : © Christian Dresse:
1. Arrivabeni ;
2. Lapointe;
3. Margaine ;
4.  Fanale ;
5. Michel;
6. Félix, Courjal, Arrivabeni de dos.

lundi, octobre 23, 2017

QUATRE JOURS À PARIS… ET AILLEURS


Enregistrement 25/9/2017, passage, semaine du 23/10
RADIO DIALOGUE RCF (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 288
lundi : 12h15 et 18h15 ; samedi : 17h30
Semaine 42
         Nous avons présenté le mois d’octobre lyrique à l’Opéra de Marseille. Couplé désormais à l’Opéra, le théâtre Odéon, sur la Canebière, facilement accessible par bus, métro et tram, est devenu un temple de l’opérette. Il offre en matinées, des séances les samedi et dimanche à 14h30. L’opérette, française ou étrangère, genre léger fait partie d’un authentique patrimoine culturel populaire très puissant qu’on aurait tort de mépriser et qu’on a raison d’exhumer, car il est loin d’être mort.
         Entre des pièces de théâtre de boulevard, qui vont de Sacha Guitry à Barillet et Grédy, programme qu’on peut consulter sur le site odeon.marseille.fr,  s’enchâssent huit opérettes célèbres Rêve de valse, d’Oscar Strauss, Valses de Vienne de Johan Strauss, Monsieur Beaucaire, d’André Messager, Là-Haut, de Maurice Yvain, deux irrésistibles Offenbach, La Vie parisienne, un classique, et La Fille du tambour major, moins connue, et deux opérettes du roi du genre des années 50,  Francis Lopez,  l’archi célèbre Chanteur de Mexico et Quatre jours à Paris, qui ouvre la saison les 28 et 29 octobre.  C’est une opérette à grand spectacle en 2 actes et 22 tableaux. Musique de Francis Lopez, livret d’Albert Willemetz et Raymond Vincy, créée à Paris, à Bobino, 1948.

La direction musicale est assurée par Bruno Membrey à la tête de l'Orchestre du Théâtre de l’Odéon qui a beaucoup progressé, la mise en scène est de Jacques Duparc ; la distribution comprend la jolie soprano Amélie Robins très remarquée cet été aux Chorégies d’Orange, le jeune premier Grégory Benchénafi lui donnera la réplique, tandis que la piquante mezzo Caroline Géa, habituée des lieux, sera l’empêcheuse de tourner en rond auprès de son acolyte Grégory Jupin, escorté de Julie Morgane, ces deux derniers couple d’acteurs-chanteurs-danseurs remarquables. On trouve aussi la charmante Carole Clin et l’espiègle Priscilla Beyrand. Le reste de la troupe est justement une équipe bien rôdée à l’Odéon, Bonelli,  Bonfiglio, Goltier. Costumes, chants, danses, scènes de comédie, feront de ce spectacle à coup sûr un succès pour les yeux et les oreilles.
L’intrigue se passe à Paris mais, avec Francis Lopez, Basque espagnol passé à la France, la latinité musicale ne perd jamais ses droits, même élargie comme ici au Brésil, un Brésil acclimaté à un Paname qui a acclimaté bien des Brésiliens, qui a toujours accueilli en son sein le monde entier, ses rythmes les plus endiablés. Souvenez-vous, le fameux, le pétulant Brésilien de La Vie parisienne d’Offenbach qui vient se faire voler à Paris par de jolies femmes tout l’or que là-bas il a volé. Eh bien, ici, nous aurons une pétaradante et puissante Brésilienne venue aussi faire la fête aux dépens de la bourse et de l’honneur de son riche mari. C’est le prétexte de l’air le plus fameux de Quatre jours à Paris, « La samba brésilienne », jolie redondance comme si la samba pouvait être d’ailleurs. En tous les cas chantée en français par le ténor et acteur célèbre à cette époque, Georges Guétary, ténor grec né en Alexandrie, en Égypte, et devenu français, bref, Parisien :
1) DISQUE .
Le succès fut immédiat. Quatre Jours à Paris se joua une année entière à Bobino et fut repris en 1960 à l’A.B.C., triomphalement. On en tira même un film.   Si, en général, les sujets des opérettes sont bien minces, ici, il s’agit d’un véritable vaudeville avec des quiproquos, des gags, les situations saugrenues et des rebondissements à répétition scandés par la musique fraîche et tonique de Francis Lopez.
Nous sommes donc à Paris, dans l’institut de beauté « Hyacinthe de Paris », du nom de son patron. On imagine déjà, avec une moue, ces dames plutôt mûres, des dondons dondonnantes venues pour tenter de « réparer des ans l’irréparable outrage » comme précieusement dit Racine, bref, pour se faire rafistoler. Mais non, je vous assure, les dames qui vont animer le plateau dans cette distribution n’ont rien à réparer : elles sont toutes irrésistiblement séduisantes. D’autant que ces clientes, viennent non seulement pour leur propre beauté mais attirées, toutes, par celle du beau Ferdinand, chef du personnel, amant en titre de Simone, la manucure, qu’elles rêvent toutes de séduire, d'avoir entre leurs doigts, leurs mains, leurs bras. Entre autres, la plus ardente, la volcanique et richissime Brésilienne, épouse de Bolivar, qui ne veut pas quitter Paris sans faire la conquête de Ferdinand et le mettre dans son lit. Elle a soudoyé le faible Hyacinthe, lui promettant de commanditer son commerce s’il lui obtient les faveurs du beau gosse. Le patron envoie donc son bel employé chez l’impatiente et ardente sud-américaine, mais celui-ci préfère se balader avec Gabrielle, une jolie provinciale venue passer quatre jours à Paris, dont il est tombé amoureux. Nous écoutons Annie Cordy qui chante le plaisir d’être à Paris, dirigée par Maurice Darnell :
2) DISQUE II
 Fureur d’Amparita la Brésilienne frustrée et de Simone, la maîtresse de Ferdinand, affolement des clientes privées de leur beau Ferdinand. Celui-ci, prétextant que sa grand-mère chérie est gravement malade, a filé immédiatement en province, en fait pour rejoindre Gabrielle qui est repartie. Il la retrouve enfin. Enfin, pas qu’elle, tout le monde se retrouve, comme dans un bon vaudeville, dans l’Allier, dans l’auberge du père de Gabrielle, avec des quiproquos d’une grande drôlerie, des scènes de ménage et de dépit amoureux Mais tout s’arrange dans le monde heureux de l’opérette : chacun retrouve sa chacune. On soupire. De plaisir : « Ah, qu’il fait bon… »  Plaisir d’être en province, en rêvant de revenir plus de quatre jours à Paris. C’est Annie Cordy et Luis Mariano qui chantent ce duo sur lequel nous nous quittons, sans trop savoir si c'est vraiment tiré de l'opérette car, figurez-vous, aucun disque accessible pour l'illustrer et cette anthologie agréable de Francis Lopez ne donne même pas l'origine des airs. Raison de plus pour courir la voir, vive, vivante, à l'Odéon :
3) DISQUE II : PLAGE 7.
Quatre jours à Paris, de Francis Lopez, à l’Odéon les 28 et 29 octobre à 14h30.


lundi, octobre 16, 2017

BAROQUE TCHÈQUE


Enregistrement 11/9/2017, passage, semaine du 16/10
RADIO DIALOGUE RCF (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 285
lundi : 12h15 et 18h15 ; samedi : 17h30
Semaine 41
ZELENKA

         À peine sorti le 8 septembre, voici un disque tout chaud d’un musicien venu du froid, du froid de l’oubli ingrat de l’Histoire de la musique. Heureusement, le temps commence à réparer son injustice et l’on découvre ou redécouvre un compositeur qui a plus laissé de traces par ses œuvres que par sa vie, dont on connaît de grandes lignes mais guère de détails : JAN DISMAS ZELENKA  (1679-1745). Le label-Hérisson (LH 05), avait déjà publié un CD de ses Sonates en trio par l’ensemble Pasticcio Barocco et lui consacre aujourd’hui, par les mêmes interprètes, un album simplement appelé ZELENKA (référence LH16) comprenant ses Sonates 1 et 2 en trio par Pasticcio Barocco, à quoi s’ajoutent deux pièces orchestrales, une Simphonie à 8, non dans le sens plus tardif du terme mais une sorte de concerto grosso, et Hipocondrie à 7, un genre d’ouverture solennelle à la française, ces deux œuvres par l’Orchestre de chambre d’Auvergne.
Les compositions de ce maître baroque d’Europe centrale démontrent qu’il s’agissait indubitablement d’un des plus grands compositeurs de son temps et qu’il peut être comparé, grâce à la richesse de son inspiration et à la rigueur de son style, même à Bach, c’est l’opinion, qu’on se permet de rapporter, de l’éminent musicologue Guy Erismann, dans son livre La Musique dans les pays tchèques, très connu pour son ouvrage sur Janáceck.
Vers le milieu du XVIIe siècle, dans les petites mais brillantes cours de la Bohème, aujourd’hui la Tchéquie, la musique instrumentale atteint un très haut niveau. Les grands seigneurs rivalisent de luxe dans leurs châteaux, fondent leur propres chapelles, des orchestres, et payent la formation musicale de leurs sujets talentueux. Parmi les musiciens de cette période, on distingue Jan Dismas Zelenka.
Mais écoutons un extrait de sa Simphonie à 8, en fait un concerto grosso ou quelques instruments concertent, dialoguent avec le gros, le tutti de l’orchestre. Ce sont ici deux hautbois, un basson, un violoncelle et un violon surtout dans ce début, qui jouent la voix soliste ou groupée en concertino sur le fond, le plein, appelé ripieno, des cordes de l’orchestre et la basse continue, le violoncelle et le clavecin :
1) PLAGE 9
Jan Dismas Zelenka naît en 1679 à Louňovice, près de Prague, en Bohème alors, en Tchéquie aujourd'hui. Son père, comme Bach à Saint-Thomas de Leipzig, a un poste officiel de cantor, c’est-à-dire de chef de chœur, organiste, dans une église, chargé de compositions pour les offices. Il l'initie très tôt à la musique. Jan Dismas étudie probablement au fameux collège jésuite Clementinum de Prague, pour lequel il écrira trois cantates. À Prague, il côtoie un compositeur et pédagogue Bohuslav Matěj Černohorský, qui y cultive la tradition polyphonique vénitienne. En 1710, il est engagé comme joueur de violone (contrebasse de viole) à la cour catholique de l'Électeur de Saxe et roi de Pologne, Frédéric-Auguste Ier, à Dresde.
Avide de se perfectionner, en 1716, il part pour le voyage en Italie presque obligatoire pour un musicien de l’époque, passant par Vienne, où il étudie avec Johann Joseph Fux et suit probablement l'enseignement d'Antonio Lotti, célèbre compositeur italien qui y est établi. Après un séjour à Venise, en 1719, il est de retour à Dresde, où il finira ses jours, ville fastueuse, surnommée la Florence de l’Elbe, en raison de ses collections d’art, mais aussi de ses célèbres monuments baroques d’une rare splendeur. On sait, hélas, que pratiquement à la fin de la Seconde guerre mondiale, un tiers de la ville fut détruit en 1945 par la Royal Air Force, et l'aviation américaine, qui écrasèrent et réduisirent en cendres ce joyau architectonique et un nombre incalculable de ses habitants avec 650 000 bombes incendiaires, alors que la ville n’était même pas un enjeu stratégique à neutraliser. Reconstruite désormais à l’identique, elle est classée au Patrimoine de l’UNESCO. Ironie de l’Histoire, Zelenka ne quittera Dresde qu'une seule fois, pour assister à Prague, en 1723, au couronnement de Charles VI de Habsbourg et de son épouse comme roi et reine de Bohême, dirigeant devant le couple royal son oratorio solennel, un rêve pacifiste, Sub olea pacis et palma virtutis ,‘Sous l'olivier de la paix et le palmier de la vertu’, portant le sous-titre de « Melodrama de Sancto Wenceslao ». Mais écoutons le « Capriccio », la gaillarde gavotte de sa Simphonie, où jaillissent des fusées, bien pacifiques, à chaque attaque d’une mesure rapides ornements, très brefs en gammes ascendante :
2) PLAGE 11
Un album de cet oratorio a été primé en 2002 au MIDEM de Cannes.
Ce fut sans doute là le sommet de la carrière de Zelenka même s’il ne figure même pas comme compositeur de l’œuvre mais comme simple interprète. Rentré à Dresde, son travail ne semble plus guère intéresser la cour. Une supplique au roi de Pologne Frédéric-Auguste II datée du 18 novembre 1733 témoigne de l'amertume du compositeur, qui réclame un salaire à la hauteur de ses responsabilités et de ses compétences, ainsi que sa titularisation en tant que maître de chapelle dont il exerce pourtant la fonction depuis trois ans. La requête de ce musicien, apprécié pourtant de Bach et Telemann, les figures tutélaires de la musique germanique de son temps, ne sera pas entendue. Mais nous, nous l’entendons et écoutons, pour nous quitter, son premier menuet de cette même Simphonie :
3) PLAGE 13
ZELENKA (label-Hérisson LH16) par l’ensemble Pasticcio Barocco et l’Orchestre de chambre d’Auvergne.



lundi, octobre 02, 2017

GUITARE À QUATRE


Enregistrement 11/9/2017, passage, semaine du 2/10/17
RADIO DIALOGUE RCF (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 286
lundi : 12h15 et 18h15 ; samedi : 17h30

PULSE
QUATUOR ÉCLISSES
Semaine 39


         Comme les trois mousquetaires, ils sont quatre. Et, si en danse on dirait un quadrille, eux, avec une musique qui fait danser, ils forment un quatuor de guitares, de quatre guitaristes donc : Gabriel Blanco, Pierre Lelièvre, Arka Chambonnet et Benjamin Valette. Amis depuis leur rencontre au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, ces quatre jeunes hommes ont constitué cet ensemble musical qu’ils ont appelé Quatuor Éclisses, éclisse au pluriel : une éclisse est une attelle, une pièce simple d’assemblage, destinée à immobiliser plusieurs parties mobiles d'un ensemble, en musique, c’est une pièce de bois réunissant le fond et la table d'harmonie d’un violon, d’un clavecin, d’un piano et, bien sûr, de la guitare. Quatuor Éclisses : nom polysémique, qui a plusieurs significations à mon sens : claire allusion technique à leur instrument, mais sans doute aussi, symboliquement, à cet instrument lui-même, la guitare, qui les attelle tous quatre, qui les soude, et on se risque à dire facilement, à cette déjà longue amitié, à la musique, qui sert d’éclisse à tous niveaux, à leur groupe.
         Fondé en 2012, ce jeune quatuor s’est vite fait remarquer par l’originalité et la qualité de ses transcriptions de musiques classiques diverses pour la guitare. Trois disques déjà à leur discographie chez le label Ad Vitam Records. Le premier disque simplement appelé Guitares,  paru en 2013, l’année même de naissance de leur formation, présente le quatuor de guitares dans un répertoire large et varié, incluant des pièces originales contemporaines pour quatuor Grises y Soles  (‘Gris et soleils’, au pluriel) de Diego Máximo Pujol, Changing the Guard de Nikita Koshkin, mais aussi des transcriptions inédites d’œuvres pour orchestre le Troisième mouvement du Concerto Brandebourgeois n° 4 de Jean-Sébastien Bach, l’Ouverture de l’opéra Le Siège de Corinthe de Rossini
et, le répertoire espagnol ne pouvant manquer quand il s’agit de guitare, Estampas, ‘Images’ de Federico Moreno Torroba. J’eus le plaisir d’entendre ce programme l’an dernier au Festival voisin Classica Bandol.

Leur deuxième CD, sorti en 2015, avec le titre Invitation française, nous convie à une promenade à travers des transcriptions consacrées aux grands musiciens français de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, Saint-Saëns, Debussy, Fauré, Ravel et Bizet.
Voici enfin leur troisième CD, toujours label Ad vitam, intitulé Pulse. Ce disque mêle des créations contemporaines, Météores I, II et III,  de Karol Beffa (1973), franco-polonais d’origine suisse dont j'ai déjà parlé  et One 4 all 4 One du Brésilien Sergio Assad (1952) à des œuvres transcrites du répertoire d’orchestre, un extrait des Danses populaires roumaines du Hongrois Béla Bartók, Exaltación, Ensueño et Orgía (‘Exaltation, rêverie et orgie’) de l’Espagnol Joaquín Turina, Pavane pour une infante défunte du Français Maurice Ravel et quatre Estancias, (‘Ferme, propriété agricole’, mais aussi 'séjour') une suite orchestrale tirée de son ballet par l’Argentin Alberto Ginastera.
De ce dernier, nous écoutons un extrait de la quatrième et dernière Estancia, « Danza final (Malambo) » (‘Danse finale, Malambo’) :

 1) PLAGE 13

Le malambo est une danse argentine pour hommes, attestée dès le début du XVIIe siècle, accompagnée à la guitare. On en aura apprécié la pulsation vitale, virile, et ce n’est pas pour rien sans doute que ce disque s’appelle Pulse, dont on veut croire que, plutôt qu’un malheureux anglicisme à la mode pour dire ‘le pouls’, ‘la pulsation’ (en anglais cela signifie aussi ‘légumes secs’ !), il s’agit de l’impératif du verbe français pulser, qui, « en parlant d'une musique, signifie donner une sensation de pulsation et, en parlant du cœur, des artères, émettre des pulsations. » Mais pour cette hypothèse française, il faudrait un point d’exclamation absent… Enfin, ne grattons pas trop la regrettable manie anglicisante et laissons-nous plutôt séduire par ces musiques sans frontières séduisantes, dont le facteur commun avoué est effectivement la danse.
 Nos guitaristes nous disent à juste titre que la danse est présente dès les premiers stades de l’évolution de l’humanité, omniprésente dans les musiques populaires, mais rappelons aussi que la suite de danse baroque ou classique est faite d’une suite de danses, chacone, passacaille, sarabande (danses picaresques espagnoles au départ), pavane, allemande, gavotte, etc. Laissons-nous emporter avec eux par les pas de cette danse afro-brésilienne contemporaine, mais aux origines ancestrales lointaines, One 4 all 4 One de Sergio Assad :

2) PLAGE 8

Nos quatre mousquetaires de la guitare poursuivent donc une brillante carrière internationale sur plusieurs continents se produisant en France à Paris au Festival International de Guitare, au Théâtre du Châtelet, aux Invalides, sans oublier les festivals en province. En 2013, ils remportent le prestigieux 1er prix du Concours Européen de Musique de Chambre de la FNAPEC et sont lauréats de la fondation Banque Populaire. Les médias, presse écrite ou parlée, leur consacrent des critiques élogieuses, les invitent à des émissions. Écoutons un extrait d’Orgía où passe la pulsation et passion du flamenco de Turina :

3) PLAGE 7

La guitare est un instrument polyphonique, c’est-à-dire qui peut donner plusieurs notes à la fois. La multiplication par quatre de l’instrument, et les habiles transcriptions en amplifient la densité sonore, trame, la richesse. On aime donc ce bel échantillon de musiques transcrites avec raffinement, avec un véritable sens orchestral. Berlioz disait qu’une guitare était un véritable orchestre. Alors, que dire de quatre ? Goûtons, pour nous quitter, l’élégance et la fierté populaires d’un extrait Danses populaires roumaines de Béla Bartók :

4) PLAGE 4

Un CD label Ad vitam, Le Quatuor Eclisses, Pulse.
Karol Beffa, Joaquín Turina Sergio Assad,  Maurice ravel, Alberto Ginastera