PERCUSSIONS
Musée d'Histoire de Marseille
Dimanche 5 Juin 2016
11h00
Entrée Libre
Billets Gratuits à la Billetterie
dans la limite des places disponibles
Alexandre Régis
et les élèves de sa classe de percussion
au Conservatoire de Région Pierre Barbizet.
Bruno Giner, John Cage, Alexandre Régis...
Instruments bruts, percussions aux matériaux bruts, proches des instruments ethniques : lames de bois, tambours d’eau, darbukas, métaux asiatiques… Une musique spectaculaire plutôt que savante.
En partenariat avec les Musées de Marseille
et la Ville de Marseille
mardi, mai 31, 2016
lundi, mai 30, 2016
mercredi, mai 18, 2016
HOMMES FOUS ET FOLIE DES FEMME
Lucia de Lammermoor
de Gaetano Donizetti, livret de S. Cammarano
d’après Walter Scott
Opéra Grand Avignon
24 avril 2016
À reprise de production, reprise
d’introduction. Je
reprends donc, un peu enrichie, mon entrée en matière d’avril 2007 lorsque cette
mise en scène magnifique de Frédéric Bélier-Garcia fut présentée à l’Opéra de
Marseille, d’autant qu’elle n’a pas vieilli
si elle a certainement mûri. De même, je reprends mes notes, augmentées, sur «
La folie dans l’opéra» de l’émission ancienne de France-Culture, Les
Chemins de la musique de
Gérard Gromer à
laquelle je participai, en partie utilisées pour mon émission de Radio Dialogue, « Le blog-note de
Benito ».
Hommes et femmes en folie
Je rappelle donc, simplement que, dans l’opéra,
la folie semble d’abord masculine : dans une tradition médiévale du « chaste fol »,
le Perceval de Chrétien
de Troyes (le Parsifal de Wagner) ou fol par amour, dont La Folie Tristan aussi de la fin du XIIe
siècle, l’Orlando
furioso (1516,
1521, 1532) de l’Arioste, met en scène Roland, autre preux chevalier
délirant,
vaincu par l’amour, qui aura un sort lyrique prodigieux, mis en musique par
Lully, Hændel, Vivaldi, Haydn, et des dizaines d’autres compositeurs, modèle de
l’héroïsme déchu par le triomphe du sentiment amoureux sur la valeur des armes
dans l’idéologie courtoise et féminine où l’amour prime la force et civilise le
guerrier. Xerxès, Serse, de Cavalli ou Hændel, et de tant d’autres sur le livret de
Métastase, est un général et roi des Perses fou qui chante son amour à un
platane dans le célèbre « Largo ». Mais il faut attendre la fin du XVIIIe
siècle et Mesmer, le célèbre magnétiseur, puis Ségur au début du XIXe,
pour attirer l’attention sur le somnambulisme féminin, référé à la folie et
provoqué par la musique, l’harmonica en l’occurrence.
La folie féminine est donc un thème à la mode
lorsque Walter Scott publie en 1819 son roman, The bride of Lammermoor, qui fait le tour de l’Europe, inspiré
d’un fait réel, histoire écossaise de deux familles ennemies et de deux
amoureux, autres Roméo et Juliette du nord, séparés par un injuste mariage qui
finit mal puisque Lucy, lors de sa nuit de noces, poignarde le mari qu’on lui a
imposé et sombre dans la folie. Les grandes cantatrices, qui remplacent
désormais les castrats dans la plus folle virtuosité, requièrent des
compositeurs des scènes de folie qui justifient les acrobaties vocales les plus
déraisonnables, libérées des airs à coupe traditionnelle mesurée. Bref, sur
scène, la femme perd la raison qu’on lui dénie souvent encore à la ville : à la
fin du XIXe siècle, des savants, des phrénologues, concluent encore
sérieusement que le moindre poids du cerveau de la femme explique son infériorité
naturelle comparée à l’homme…
Peut-être n’est-il pas indifférent de rappeler
que, juste avant sa mort, Donizetti, qui fixe pratiquement le modèle canonique
de l’air de folie fut enfermé dans un asile d’aliénés à Ivry…
La
réalisation
Parler encore des mises en scène de
Bélier-Garcia, c’est aligner une suite, jusqu’ici, de productions où
l’intelligence le dispute à la sensibilité. C’est dire si nous attendons avec impatience sa vision
du Macbeth de
Verdi à Marseille en ce début de juin, après ses superbes Verlaine Paul et Don Giovanni ici même, avec presque la même équipe (Jacques
Gabel pour les décors,
Katia Duflot pour
les costumes et Robert Venturi pour les lumières). Et c’est redire que Frédéric
Bélier-Garcia reprend,
affinée, raffinée encore sa mise en scène exemplaire de profondeur, de
subtilité et de sensibilité : ensemble et détail y font sens, sans chercher le
sensationnel, avec un naturel sans naturalisme comme je disais alors. À
Avignon, sa Note d’intention, « L’obscure fascination du plongeon », est exemplaire et traduit sa fine
analyse de l’œuvre et des héros romantiques dont il synthétise la fascination
pour leur propre perte en une saisissante formule littéraire et poétique à la
fois : l’ « enivrement solaire du malheur », allusion au « soleil noir de
la mélancolie » de Nerval sans doute. Du malheur, faire lumière, et musique.
Une scénographie unique justifiée par l’histoire
et la symbolique des noms : évoquée sinon visible, mais sensible, la tour en ruine de Wolferag (‘loup loqueteux’) d’Edgardo, ruiné, est le présent et
sans doute le futur de ceux qui l’ont ruiné et se sont emparés du château de Ravenswood
(‘ bois des corbeaux’) des charognards,
à leur tour menacés de ruine : deux faces d’un même lieu ou milieu social,
façade encore debout pour le second, incarné par Enrico, nécessité de maintenir
le rang, de redorer le blason, quitte à sacrifier la sœur, Lucia, Juliette
amoureuse de l’ennemi ancestral, le trait d’union humain et lumineux entre les
lieux et les hommes, victime du complot des mâles. Toujours semblable mais
variant selon les lieux divers du drame, la scénographie symétrique des
ennemis dit la symétrie des destins, la vanité des luttes civiles, des duels,
car tout retourne au même : à la ruine, à la mort.
L’espace global, apparemment ouvert, pèse sur
toute l’œuvre comme un paysage mental de l’enfermement, intérieur d’une
indécise conscience, d’un esprit fragile sinon déjà malade, assiégé par l’ombre
et les fantasmagories, se regardant avec la complaisance au malheur soulignée
par Bélier-Garcia dans la fontaine sans fond de la conscience obscure ou puits
de l’inconscient. Une nocturne et vague forêt de branchages enchevêtrés,
brouillés, gribouillés sur un sombre horizon qui ferme plus qu’il n’ouvre, qui
opprime et oppresse et se teint de rouge d’un sang qui va couler, image mentale
de l’inextricable. Vague horloge détraquée ou lune patraque. On songe aux encres
fantomatiques de Victor Hugo, à quelque cauchemar de Füssli, cohérence
esthétique avec l’univers romantique fantastique de W. Scott, époque référée
par les costumes de Duflot, mais aussi, par ces lumières signifiantes, à
la Caravage et Rembrandt, peintres de la lumière et de l’ombre. Règne du «
clair-obscur », au vrai sens du mot, mélange de clair et d’obscur, de l’ombre,
de la pénombre, de l’angoisse de l’indéfinition ; un vague rayon diagonal,
presque vertical, arrache du noir des groupes plastiques d’hommes,
l’inquiétante « nuit des chasseurs » de la Note d’intention du metteur en scène, sinon « Nuit du
chasseur »,
référence presque explicite au film de Charles Laughton de 1955 avec l’inquiétant Robert
Mitchum : sur des lignes diagonales et horizontales, flots confluents de
corbeaux morbides, prêts au combat à mort. Des ombres deviendront immenses,
menaçantes. Seule lumière pour Lucia, astre lumineux de cette nuit, une écharpe
rouge, le sang de la fontaine, prémonition du meurtre final de l’époux imposé :
une passerelle, dérisoire balcon romantique sur le vide amoureux ou le gouffre
où plonge la folie. Un étrange nuage flotte parfois vaporeusement sur un fond
incertain. Des signes remarquables marquent la décadence : meubles sous des
housses, déjà des fantômes pour l’encan des enchères, un lustre immense, au
sol, déchu, enveloppé, se lèvera comme une lune de rêve pour les noces de
cauchemar.
Les costumes de Katia Duflot, sombres comme l’histoire, sanglent
les hommes de folles certitudes meurtrières, adoucissent les femmes de voiles
et de teintes plus tendres ; le manteau clair de Lucia est un sillage de pureté
qui prolonge son innocence mais sa robe rouge est déjà sanglante.
Interprétation
Dès
l’ouverture et son inquiétante
sonnerie de cors, expressivement sombre dans sa brièveté, cédant vite la place
à l’action dramatique et funèbre, Roberto Rizzi Brignoli, à la
tête de l’Orchestre Régional Avignon-Provence au mieux, se situe dans la lignée des grands chefs
lyriques italiens, habile à dessiner nettement les contours d’une remarquable
construction dramatique concise, efficace dans l’alliance du librettiste et du
musicien, tout en faisant rutiler des couleurs romantiques qui ne semblent
aujourd’hui des clichés que parce qu’elles ont fait école en leur temps, sans
jamais mettre en danger des chanteurs généreusement dirigés et servis pour une
œuvre où prime la vocalité.
Comme toujours, à Avignon, grâce à l’oreille de Raymond Duffaut, tous les changeurs méritent mention, même dans ces
rôles dits mineurs mais sans lesquels n’existerait pas l’opéra. On citera donc
le Normanno d’Alain Gabriel de
belle allure. Tout d’élégance physique et vocale, Julien Dran, autre ténor, impose un Arturo de grande classe,
mari imposé à Lucia et future victime de sa contrainte épouse. Dans l’emploi de
l’ambigu chapelain Raimondo, au rôle guère glorieux d’un prêtre entrant dans un
complot familial contre la jeune femme manipulée, lui faisant un chantage
familial au souvenir de sa mère pour lui imposer un mariage politique et non
moral, la basse Ugo Guagliardo déploie
une voix on ne sait si de brume ou de rhume, mais un talent certain de
comédien. Du rôle toujours ingrat de confidente, en Alisa, Marie Karall, mezzo, fait une sensible amie impuissante à la
première loge du drame de l’héroïne.
Enrico, le frère brutal de Lucia, c’est le baryton Florian Sempey, superbe d’arrogance, d’impatience, de violence,
qu’il traduit d’une riche voix sans faille même dans l’aigu, timbre mordant
d’animal prêt à mordre, représentant extrême de l’univers des hommes, des
chasseurs impitoyables, prêt à fondre sur la proie, à en découdre, à déchaîner
la foudre, mais s’abaissant aux retorses manœuvres : le piège le plus bas,
le leurre à la colombe pour la prendre dans ses rets.
Face à lui, l’Edgardo du ténor Jean-François Borras, n’est pas un héros romantique désarmé fuyant dans
l’évanescence et les rêves d’aigus montant avec aisance au mi bémol mais un
digne ennemi capable de tenir tête : la voix est mâle, large, puissante,
ample dans un médium aux couleurs presque de fort ténor qu’il sait magnifiquement
alléger. Aux côtés d’une déjà morbide Lucia, fascinée par la mort, sa solidité
physique et vocale très terrestre, rassure par la protection qu’il peut
apporter à cette femme éthérée. La grâce un peu irréelle de la voix de Zuzana
Marková répond à une silhouette
gracile qui prête au personnage une fragilité touchante qui la rend plus
vulnérable et pitoyable au milieu de cet univers sombre et animal des
hommes : victime désignée par son physique et ses gestes affolés d’oiseau
candide égaré au milieu des rapaces prédateurs. Placés trop loin pour percevoir
si elle a dramatiquement la folie du personnage dans son ultime scène, elle en
a personnellement les notes (du moins celles de la version colorature aiguë
traditionnelle, qui n’est pas l’originale, plus basse, rétablie par le chef Jesús
López Cobos). Voix facile, longue,
elle la file avec délicatesse grâce à une solide technique, aborde avec
franchise les écueils de la tessiture, tente des pianissimi d’une rare finesse,
au risque d’un soupir absent de souffle, aussitôt renoué, replacé : une
belle virtuose.
On ne saurait être complet sans un salut aux chœurs (Aurore
Marchand) participant de la fureur
des hommes, de la compassion des femmes, funèbres spectateurs du sombre final.
Opéra
Grand Avignon
Lucia
di Lammermmor
de
Gaetano Donizetti
24
et 26 avril
Orchestre
Régional Avignon-Provence et chœurs de l’Opéra Grand Avignon (Aurore Marchand) sous la
direction de Roberto Rizzi-Brignoli.
Mise
en scène : Frédéric
Bélier-Garcia, assistante : Caroline Gonce. Décors : Jacques Gabel.
Costumes : Katia Duflot. Lumières : Roberto Venturi.
Distribution :
Lucia : Zuzana Marková ; Alisa : Marie Karall ; Edgardo : Jean-François Borras ; Enrico : Florian Sempey ;
Raimondo : Ugo Guagliardo ; Arturo : Julien Dran ; Normanno : Alain Gabriel.
Photos : Cédric Delestrade
(ACM-STUDIO) :
1. a) Du fragile bois des victimes : Marková ; b) Impossible protection : Borras, Marková ;
2. Amitié impuissante des femmes : Marková, Karall ;
3. Nuit des chasseurs des hommes ;
4. Masse écrasante du frère : Sempey, Marková ;
5. Le prêtre dans le complot : Guagliardo, Marková ;
6. Le mari proche victime de la femme : Dran ;
7. Meurtre consommé à la face des hommes ;
8. Mort d'Edgardo.
jeudi, mai 12, 2016
DE LA CITÉ RADIEUSE À RONCHAMP…LE CORBUSIER EN MUSIQUE
LE CORBUSIER, INVENTEUR DU "MODULOR", LA STRUCTURE MODELANT IDÉALEMENT SON ARCHITECTURE, MUSIQUE VISUELLE, MODULÉ EN MUSIQUE, ARCHITECTURE SONORE, PAR TOUT LE TALENT DE GILBERT AMY SERVI PAR LES TALENTS UN ET MULTIPLES DE MUSICATREIZE
dimanche, mai 08, 2016
LA GUITARE AU CŒUR : ARTHUR DENTE
LAS INDIAS, D'ARTHUR DENTE
L’universel de l’errance
mais ancrée et interrogée dans le local d’ici et maintenant, déracinement et
enracinement, est la recherche profonde, douloureuse parfois, d’un magnifique
instrumentiste guitariste et compositeur, professeur dans le secondaire, Arthur Dente.
Né en France, mais issu de
l’immigration portugaise de ses parents, contraints de fuir leur pays pour
trouver une avenir meilleur à leurs enfants, puis retournés chez eux, partagé
ou déchiré ainsi entre deux cultures, la familiale portugaise irriguée aussi de
proche d’hispanité, et celle qu’il a acquise dans cette France de son éducation
et scolarité secondaire et universitaire, Arthur Dente, dans des voyages en
nombre, des séries d’émigrations en quelque sorte, des stages, des concerts, a
enrichi ce fonds culturel par l’expérience, la pratique d’un grand éventail de
formes, de styles, qui vont du fado fondamental portugais au flamenco en
passant par le hard rock, les Pink Floyd. À la liberté interprétative, à l’improvisation
de formes de musique populaire et même de rue, s’ajoute sa culture classique
solide acquise aux Conservatoires d’Albi et de Toulouse de 1972 à 1987, à
l’École Normale Supérieure de Paris de 1988 à 1990, puis à l’université. Cela
lui permet de brasser, d’embrasser un vaste répertoire de genres musicaux,
d’ouvrir grand un éventail tel un arc-en-ciel irisé d’harmoniques de sa guitare
dans une musique où l’on identifie des sources, des origines, mais très
expressive, très personnelle, dont la pulsation, certes, parle au corps, le
meut, l’émeut rythmiquement et, le mouvant, l’émouvant, parle à l’âme.
En témoigne son disque Las Indias, ‘Les Indes’ (label Caminando, bien nommé : ‘Cheminant’) au sous-titre très justifié de « Poésie en
guitare », avec d’abondants appuis textuels poétiques comme autant de
repères dans l’errance, moins descriptifs que vagues évocations, paysages
intérieurs, états d’âmes. Ce sont les Indes occidentales, comme on appela
d’abord les Amériques, qui renvoient aux Découvertes, mais, surtout, dépassés
les affrontements cruels de l’Histoire, à la rencontre de deux mondes, de tant
de cultures qui forment le spectre coloré réconcilié, de cette musique. Il
suffirait d’écouter un extrait d’ « Irlande/Andalousie » pour
s’en convaincre, où la guitare a des rêveries arpégées de harpe celtique et des
sécheresses nerveuses de cordes pincées, du flamenco : ibère et celte,
celtibère en somme, brume et soleil… Mais on trouve aussi emblématique
« El indio barroco », cet ‘indien baroque’ qui mêle accents
latino-américains et hispaniques.
Riche déjà d’une belle
carrière de concertiste virtuose qui l’a promené de la Californie à la France
en passant par le Portugal, Arthur Dente a par ailleurs formé plusieurs
ensemble et, dernièrement, l’Octuor vocal d’Aix-en-Provence, quatre
voix de femmes et quatre d’hommes, avec lequel il a créé les 15 et 16 avril Mundo
entero pour guitare, flûte, percussions et voix.
Mundo
entero
Comment
qualifier ce ‘Monde entier’? La guitare, concertant avec la flûte et quelques
pincements légers ou ponctuation de percussion, tire l’œuvre vers le concerto
pour deux instruments privilégiés mais les vastes passages vocaux l’inclinent
vers la cantate instrumentale. Peu importe la dénomination : c’est une
œuvre hybride par sa forme, syncrétique par les matériaux musicaux convoqués
venus des quatre horizons de la culture musicale polymorphe du compositeur, très contemporaine aussi.
Cette vaste fresque est composée de sept moments ou parties largement
instrumentales mais qui introduisent des textes pour le chœur et parfois des
solistes, en français espagnol et portugais, très simples, trop simples
peut-être, dont les paroles, par ailleurs, sont difficilement compréhensibles.
Dominante, la guitare
prélude chaque partie, mais si longuement, si largement, avec une telle
virtuosité généreuse, sans doute abandonnée à l’improvisation, que c’est déjà
une œuvre en soi, avant que la flûte, d’une rare délicatesse, n’apporte sa note
vaporeuse, brumeuse, un souffle, un halo autour des grappes argentines de notes
rasgueadas (‘pincées)’ ou caressées en arpèges celtiques, ondes douces
modulantes dans
« Irlande/Andalousie ». Cet accord guitare et flûte, qui
déborde à l’évidence, à l’ « audience », qui saute aux yeux et
séduit l’oreille, de l’amour du père Arthur Dente envers son
instrumentiste de fille, l’adorable et délicate Valentine Dente, est l’une
des plus belles réussites de l’ensemble. La flûte sait s’alanguir d’ondoiements
debussystes et la guitare a de sensuelles vibrations brésiliennes dans
« Dilemme ».
Il est difficile de juger
sur une seule et première écoute cette œuvre ambitieuse mais l’écriture vocale
de l’octuor, rarement polyphonique, sans être complexe, pose et cause quelques
problèmes aux solistes : les sopranos Fabienne Hua et Géraldine
Jeannot sont sollicitées dans des aigus sans préparation et la partie de
basse pourtant profonde d’Yves Bergé, est maintenue souvent dans sa corde
la plus grave en une sorte de recto tono qui rend impossible toute
projection de la voix. Il faut reconnaître que, solides musiciens, ils s’en
tirent avec honneur. La même qualité est à louer chez les altos Florence
Blanc et Laetitia Alliez, les ténors Miguel Camacho et Nicolas
Soheylian, l’autre sombre basse Guillaume Barralis. Un bel
octuor pas simplement d’interprètes, mais de musiciens très engagés au service
d’une œuvre dont ils nous communiquent l’émotion. Et le sommet en est
certainement, comme si Dente avait besoin du substrat affectif pour porter à
l’acmé sa musique, le morceau qu’on voudrait final « Meu pai », ‘Mon
père’ en portugais, un hommage sensible et puissant à cet émigré dont il se
revendique : Portugal, patrie, paternelle autant que maternelle. Mais,
monté sur le faîte, on ne peut que descendre et, après ce sommet émotif, qui
semblait conclusif, ce qui vient après ne nous étreint (éteint) plus avec la
même force.
Église Saint-Jean Baptiste
Aix-en-Provence
16 et 17 avril
Mundo entero
d'Arthur Dente
Arthur Dente, guitare ; Valentine Dente, flûte.
l’Octuor vocal d’Aix-en-Provence :
Fabienne Hua et Géraldine Jeannot, sopranos ; Florence Blanc et Laetitia Alliez, altos ; Miguel Camacho et Nicolas Soheylian, ténors ; Yves Bergé et Guillaume Barralis, basses.
l’Octuor vocal d’Aix-en-Provence :
Fabienne Hua et Géraldine Jeannot, sopranos ; Florence Blanc et Laetitia Alliez, altos ; Miguel Camacho et Nicolas Soheylian, ténors ; Yves Bergé et Guillaume Barralis, basses.
Prochains concerts :
Récital de guitare le 4 Juin, 20H30, Patio du Bois de l'Aune 1, Place Victor Schoelcher, 13090 Aix-en-Provence.
Mundo entero
Dimanche 26 Juin, 18h
Paroisse Saint-Paul, 71 Boulevard de Saint-Loup 13010 MARSEILLE
Dimanche 26 Juin, 18h
Paroisse Saint-Paul, 71 Boulevard de Saint-Loup 13010 MARSEILLE
Réservations : 06 04 50 73 03
site web: www.arthurdente.com
site web: www.arthurdente.com
dimanche, mai 01, 2016
"COSÍ FAN TUTTE" D'EXCEPTION
Sextuor exceptionnel
COSÍ FAN TUTTE
Dramma giocoso en deux actes (1790)
Musique de Wolfgang Amadeus Mozart
(1756-1791)
Livret de Lorenzo da Ponte
(1749-1838)
Opéra de Marseille
19 avril 2016
Une œuvre de son temps, intemporelle
Si on veut bien croire, pour entrer dans le jeu
misogyne de l’opéra, que Cosí fan tutte,‘Qu’ainsi font-elles toutes’, en trahissant,
heureusement, ainsi ne font-ils pas tous (les metteurs en scène) qui, miracle aujourd’hui, se
contentent, pour notre bonheur, de respecter texte et musique sans besoin de
transposer, de transporter l’œuvre dans quelque insolite Mac Do ou lointaine
galaxie : une recherche acharnée d’originalité de temps et lieu qui sent
depuis longtemps
le lieu commun ranci. Bref, on redécouvre tout bêtement que, comme Le Nozze
di Figaro, Cosí
fan tutte, loin de
l’opéra baroque et seria mythologique ou historiciste, sont bien ancrés, avec
leurs personnages et situations, dans ce XVIIIe siècle des Lumières, avec ses
ombres, là sociales pré-révolutionnaires, ici psychologiques, solairement
libertines et ombreusement perverses.
Le cœur
farcesque de l’intrigue, le pari de deux amoureux pris au jeu d’un roué
libertin cynique, le faux départ des deux amants pour une guerre subite, s’il
se justifie à l’époque où l’Empereur Habsbourg d’Autriche tente de reconquérir
les anciens Pays-Bas espagnols et, l’Espagne, sa Naples perdue, devient
invraisemblable dans tant de mises en scènes laborieusement tirées vers notre
époque surinformée par médias, téléphone internet : même la farce a
besoin d’un minimum de vraisemblance car du postulat du pari découle tout le déroulement logique
de la suite des événements. Si le retour des amoureux déguisés en nobles turcs
ou valaques (la Turquie fait alors face à Naples) est dans la tradition des
turqueries de l’époque et du goût bien attesté des travestissements, déjà assez
incroyable même si l’anecdote, dont furent victimes deux dames de Ferrare à
Vienne ou isolées dans la sensuelle Naples, sur laquelle se fonde l’opéra est
paraît-il réelle, elle serait absurde aujourd’hui avec ces faux Albanais
richissimes, même pas migrants, outrancièrement travestis d’habits
traditionnels.
Certes, l’opéra n’est réaliste que dans les
sentiments, qui ne sont pas d’un temps, mais intemporels. Justement, sans
invoquer la filiation avec le conte de La Fontaine et l’opéra-bouffe de
Dauvergne Les Troqueurs (1753) sur l’échange des fiancées, cette œuvre semble emblématique de
toute la frivolité et
l’inconscience d’une société aristocratique qui danse en 1790 sur un volcan
(ici, le Vésuve!) révolutionnaire : Marie-Antoinette, la sœur de
l’empereur commanditaire, et sœur légère de nos héroïnes, sera guillotinée
bientôt. Despina, dans ses récriminations contre ses patronnes, est cousine de
Figaro de Beaumarchais, même édulcoré par la censure de Vienne dans l’opéra. La
cruauté froidement expérimentale de l’épreuve et ses déguisements révélateurs,
très Marivaux, le cynisme assez Laclos (Les Liaisons dangereuses), digne du libertin à l’œil froid
de Sade, sont bien des divertissements d’époque d’une classe sociale oisive et
décadente que ne biffe pas le bouffe de ce dramma giocoso. Cosí est bien la captivante émanation
captée par deux génies, le librettiste et le musicien, de l’air du temps fol et
léger d’un Ancien Régime à son crépuscule qui vit naître l’œuvre et qui va
mourir avec la Révolution. Et c’est en étant de son temps, profondément
frivole, qu’il parle au nôtre en profondeur.
Réalisation
Bains
Le rideau se lève non sur un de ces cafés devenus alors à la
mode, mais sur les vapeurs sensuelles d’un bain turc où les deux jeunes
officiers demi-nus, fiers de leur corps, et leur philosophe d’ami Don Alfonso,
le cerveau, suent, mijotent et se font plus ou moins cajoler par de plus ou moins
rudes masseurs enturbannés, prélude logique à la proche Turquie adriatique et
turquerie drapée : culture du corps pour le culte du cœur dont dissertent ces gentilshommes
oisifs avec une volupté volubile sur les mérites respectifs de leurs belles.
Lieu mâle de rencontre tout occupé des femmes. Se mettre à nu engage à la
confidence et à la vérité, mais qui décide, ici, paradoxalement, du mensonge et
du déguisement du pari : à vérité drapée, menteurs attrapés.
Lit
Le bain a la creuse rotondité matricielle des
thermes romains, qui est souvent celle de l’architecture napolitaine du baroque
urbain. Sobre scénographie modulable de Roberto Platé, qui devient dès la seconde scène,
l’appartement des deux fiancées, fermé d’une immense porte persienne, ouverte
sur une abstraite bande jaune et un bleu du ciel ou de la mer, qui évacue
l’encombrement décoratif : seul élément de décor, un sensuel
Saint-Sébastien alangui sur son tronc d’arbre, apparemment érotique objet de
dévotion des deux sœurs, que l’on découvre s’éveillant langoureusement dans un
lit qui trône ostensiblement au milieu du vaste espace, surmonté du voilage
d’un baldaquin ou ciel de lit —promettant le septième— objet à peine légèrement
voilé de tous les désirs latents ou avoués : l’enjeu dévoilé de l’affaire,
le lieu des tendres combats plus amoureux que guerriers. Le plaisir de
Dorabella qui s’y attarde paresseusement signe d’avance sa sensualité alors que
le baldaquin drapera la pudeur de sa sœur ou couronnera du voile ses rêves
matrimoniaux.
La haute porte se fermera sur l’injonction de
Dorabella jouant la tragédie laissant percer ombre et lumière striée des
persiennes, pénombre mentale des sentiments indécis ; et une fenêtre enchâssée
donnera plus tard à Don Alfonso le regard du voyeur en surplomb de sa trame sur
le drame qui vivent les malheureuses dupées, et la cruelle duperie découverte
par Ferrando. Les éclairages de Jacques
Rouveyrolles disent les heures qui
passent et le passage des émotions, des sentiments de l’ombre à la lumière
brutale de la révélation.
Dans la tonalité générale de beige, les
costumes tout aussi sobres de Jacques Schmidt et Emmanuel
Peduzzi,
mettent en valeur les soieries, les châles colorés des faux Valaques (plutôt
des Touaregs, des hommes bleus du désert), le corsage vert et la tournure de
Despina. Un parti pris minimaliste qui évacue, avec la barque, les chœurs
chantant dans un lointain peu audible. Cela concentre l’attention sur le jeu
des six protagonistes et la mise en scène de Pierre Constant, riche de cette
pauvreté visuelle mais qui, sans l’encombrer, remplit le vaste espace de
trouvailles scéniques bien venues, malgré un mariage final bien a minima pour
des époux opulents a maxima à ce qu’on nous en a dit : retour au statut quo noces sans faste, néfastes? On aime, entre autres signes, ces soieries, ces châles orientaux dont
on sent bien lorsque les filles se les passent, qu’ils outrepassent l’ornement
pour exprimer la possession et la passion du sentiment nouveau, comme
Fiordiligi, lucide, se l’enlève comme exorcisme pour revêtir le manteau protecteur de son
fiancé à l’amour duquel elle se range après le dérangement de l’émoi physique
avec le faux Turc. On avait déjà bien vu, pendant son premier grand air où elle
chasse les intrus, l’humour dans sa tentative de ne pas entrer dans ce nœud ni
habits en tentant de déchiqueter le lien de la longue écharpe et, faute d’y
parvenir, la tordant convulsivement, ne faisant que la nouer davantage.
Barrière à l’affrontement ou ancien lieu de rencontre entre Despina et Alfonso,
le lit central, aux barreaux démontés, sera aussi champ et armes de bataille
entre les prétendants et les prétendues offensées qui les bombardent de ces
oranges qu’ils leur ont offertes. Mais le don de l’orange de Guglielmo, accepté
par Dorabella, devient promesse de se donner. On ne sait si le metteur en scène
a pensé à la symbolique platonicienne, mais non platonique, dans certains pays méditerranéens de l’orange coupée
en deux, dont on dit que chaque sexe doit chercher obstinément l’autre :
la moitié qui lui convient, sa moitié. À l’évidence, le
masque fait advenir la vérité des caractères et la correspondance des voix
assortis : la quadrature du cercle de l’orange puisque, les masques
déposés, on en revient à la fausse donne conventionnelle de départ : le
Don Juan Guglielmo avec sa douce moitié Fiordiligi qu’il trompera, la frivole
Dorabella avec le tendre Ferrando qu’elle cocufiera. À moins de rêver à
l’harmonie des contraires.
Interprétation
Notamment dans les finales d’actes concertants,
le rythme, est souvent vif au risque de petits décalages —parfois inévitables
dans le spectacle vivant— sans la parfaite musicalité et maîtrise des
interprètes qui corrigent vite, jouent et chantent avec une égale crédibilité,
soumis à la baguette rigoureuse du chef Lawrence Foster. On connaît le
sens de l’humour de ce dernier et,
on a beau connaître son Cosí par cœur, note à note et parole à parole, on
reste encore étonné d’en découvrir, avec émerveillement, des effets
instrumentaux ironiques, humoristiques qui soulignent, surlignent, ou
contredisent, les tirades pompeuses des protagonistes. Un régal de discours
orchestral qui sertit de joyaux les paroles de Da Ponte, dont les récitatifs,
vifs et inventifs, sont joliment brodés avec esprit au pianoforte par un
interprète malheureusement omis dans la distribution.
L’œuvre requiert un sextuor vocal sans
faiblesse et nous fûmes ici dans l’excellence. Avec ses airs solistes dans une
répartition équilibrée qui correspond aux exigences du temps, deux pour le
premier et second soprano (selon la terminologie de l’époque) mais avec une
longueur et une difficulté plus grandes pour Fiordiligi et une amorce d’air et,
récit obligé et arioso supplémentaire pour elle (« Fra le
amplessi… »), deux pour Despina, deux airs pour les amants, tous plus
brefs, et brévissimes interventions d’Alfonso, Cosí fan tutte est un opéra qu’on dirait madrigalesque tant les
ensembles sont importants et complexes, duos, trios, quatuors, quintettes,
sextuors. Aucune faille dans cette distribution jeu et chant d’artistes aussi
bons musiciens qu’acteurs.
À Don Alfonso, sachant alléger sa voix pour la
volubilité de sa première scène, Marc Barrard prête sa faconde ironique mais,
sous l’apparente bonhomie, une noirceur vocale qui colore le cynique philosophe
d’une inquiétante dose de perversité jouisseuse à contempler, de sa fenêtre,
les souffrances des marionnettes qu’il manipule. Il a une digne partenaire dans
la rayonnante maturité de la Despina d’Ingrid
Perruche, piquante et picaresque, voix
corsée pour femme, sinon du monde par injustice sociale, de ce monde, de cette
terre, dont elle nous fait sentir avec émotion qu’elle en a une expérience pas
forcément rose : sans doute une grande âme trahie par la vie.
Le quatuor des amants est d’une fraîcheur et
d’une jeunesse qui semblent directement issues de l’œuvre elle-même : si
le complot est né de l’esprit pervers d’un homme mur et roué, qui, sinon d’imprudents hommes
jeunes peuvent y entrer et qui, sinon de naïves oiselles et demoiselles
y succomber? Beauté physique et vocale sont l’apanage de ces jeunes chanteurs.
Imposant une voix pleine d’assurance virile pour ce sympathique personnage
outrecuidant, le baryton basse Josef Wagner campe un Guglielmo
gandin, grand gaillard goguenard et élégamment égrillard, dont on entend vite
qu’il a sa moitié d’orange dans la chaleur vocale et la féminité chantante à
tous niveaux de la belle Dorabella de Marianne Crebassa
, qui ne se laisse
pas si facilement dorer la pilule : à séducteur, séductrice et demie, voix
de voluptueux velours sans lourdeur, admirable dans sa parodie d’air tragique,
aimable et légère dans le survol, sans poser, sans peser, au charme
irrésistible, de son second air, « È amore un ladroncello… »
Les deux
voix aiguës se marient également de manière idéale (ce qui rend cruel le retour
final aux couples désassortis). Beau gosse mais gugusse naïf et touchant, Frédéric
Antoun,
a une stature athlétique digne du gymnase et bain du début, force qui rend plus
touchante sa faible figure brisée
d’amant trahi : argentée, la voix est large, solide sur toute sa
tessiture, élégiaque pour dire l’ardeur amoureuse, puissante dans le
déchirement. Avec une certaine réserve pudique, Guanqun Yu, Fiordiligi, lui
semble prédestinée : douceur du timbre, léger velours du grave, elle se
lance vaillamment dans les deux airs terribles vocalement, hérissés de
difficultés du grave aux sauts aigus, avec un bonheur de tessiture, de timbre
et d’expression qui bouleversent.
Surtitres plats
Dans la réussite totale de ce spectacle, on
regrettera la platitude des surtitres. Pour les spectateurs qui ne comprennent
pas l’italien et la langue savoureuse et savante de Da Ponte, parfois bardée de
parodies érudites du latin, de plaisantes références mythologiques, ce ne sont
pas ces surtitres qui en donneront la moindre idée. Certes, on ne peut traduire
toute l’abondance du texte, mais, même sans contresens, ils sont synthétiques à
l’excès, résumés abusivement et gomment systématiquement les images
pittoresques, les traits humoristiques et dépouillent les personnages comme
Alfonso de sa culture latine (finem
lauda),
Guglielmo de sa mâle verdeur langagière de soldat et Despina, de la populaire
truculence de ses jurons : son Caspita ! (‘Saperlipopette’,
‘non d’une pipe’), son vigoureux Corpo di Satanasso ! (‘Par la queue du
Diable !’, cette queue du diable qu’elle invitait les filles à connaître
dans son air) sont banalisés à la simple interjection et l’ardent Vésuve que la
Napolitaine Dorabella sent dans son cœur est affadi en quelconque
« volcan ».
Opéra
de Marseille
Cosí fan
tutte de Da
Ponte/Mozart
19, 21, 24
, 26, 28 avril.
Orchestre
et Chœur (Emmanuel Trenque) de
l’Opéra de Marseille
Direction
musicale : Lawrence Foster.
Mise
en scène : Pierre Constant. Décors : Roberto Platé. Costumes :
Jacques Schmidt et Emmanuel Peduzzi. Lumières : Jacques Rouveyrolles.
Distribution :
Fiordiligi :
Guanqun Yu
; Dorabella : Marianne Crebassa
; Despina :
Ingrid Perruche ; Don Alfonso : Marc Barrard ;
Ferrando : Frédéric
Antoun
;
Guglielmo : Josef Wagner
Photos ©
Christian Dresse :
1. Réveil langoureux des deux sœurs (Yu, Crébassa) ;
2. Comédie des pleurs de Don Alfonso (Barrard);
3. Despina mise dans le coup (Perruche, Barrard) ;
4. Intrusion des faux Turcs ;
5. Les deux acolytes et Alfonso (Antoun, Wagner, Barrard) ;
6. Dorabella, maillon faible des deux sœurs ;
7. Mariage sans faste : chacun sa chacune sans joie.