mercredi, janvier 27, 2016

Concert au Temple

Chant Libre
À travers une œuvre inspirée par le courant symboliste et impressionniste de son époque, Debussy a créé un langage sonore infiniment changeant, qui, à la façon d’un peintre, lui permettait de décrire les milles nuances du réel et fit de lui l’un des compositeurs qui révolutionna le plus la musique du XXe siècle.
Dans ce spectacle théâtral et musical, par le prisme d’un personnage inspiré de l’univers aristocratique qu’il fréquentait, d’un duo piano/voix qui interprétera quelques-unes de ses plus belles mélodies et certaines œuvres de ses contemporains, nous parcourrons la vie et l’œuvre de ce génie subtil souvent incompris et qui toujours composait de manière libre, refusant les succès faciles.

À travers une œuvre inspirée par le courant symboliste et impressionniste de son époque, Debussy a créé un langage sonore infiniment changeant, qui, à la façon d’un peintre, lui permettait de décrire les milles nuances du réel et fit de lui l’un des compositeurs qui révolutionna le plus la musique du XXe siècle.
Dans ce spectacle théâtral et musical, par le prisme d’un personnage inspiré de l’univers aristocratique qu’il fréquentait, d’un duo piano/voix qui interprétera quelques-unes de ses plus belles mélodies et certaines œuvres de ses contemporains, nous parcourrons la vie et l’œuvre de ce génie subtil souvent incompris et qui toujours composait de manière libre, refusant les succès faciles.

Programme musical

1°- Prélude : Voile (Debussy)
2°- Beau Soir (Debussy texte de Paul Bourget)
3°- Pierrot (Debussy texte de Théodore De Banville)
4°- Nuit d’Etoiles (Debussy texte de Théodore De Banville)
5°- Dis-moi sous l’ombre des branchages (P.I Tchaïkovski)
6°- Mandoline (Debussy texte de  Paul Verlaine)
7°- Gymnopédie (Erik Satie)
8°- Apparition (Debussy texte de Mallarmé)
9°- Le Colibri (Ernest Chausson texte de Leconte de Lisle)
10°- Clair de Lune (Debussy texte de Paul Verlaine)
11°- Clair de Lune (Fauré  texte de Paul Verlaine)
12°- Mélisande (Pièce pour Piano de Mel Bonis)
13°- The Little Sheperd (Pièce pour Piano de Debussy)
14°- La flûte Enchantée (Maurice Ravel)
15°- L’Âme Evaporée (Debussy texte de Paul Bourget)

Blerta ZHEGU
Née à Tirana (Albanie), Blerta Zhegu débute ses études de chant, dans son pays, auprès de Mme Nina Mula (mère et professeur de la soprano Inva Mula), puis elle se perfectionne au Conservatoire Claudio Monteverdi de Bolzano (Italie) dans la classe de Giulio di Raco. Pendant ces années elle complète sa formation auprès de M. Nathaniel Brodsky (ancien soliste de l'Opéra de Chicago et du Metropolitain Opera of New York). Elle est aussi diplômée du conservatoire Darius Milhaud d’Aix- en-Provence dans la classe de Laure Florentin.
Sa formation universitaire est complétée par ses participations aux masters classes d’artistes tels que Leo Nucci, Renato Bruson, Luciana Serra, Yvonne Minton, Claudio Desderi, Enzo Tel, Claudia Rueggeberg, Marie Ange Todorovitch, Renée Auphan et Inva Mula.
Sa carrière professionnelle débute sur la scène du Théâtre Municipal de Bolzano, Lucy (The Telephone de G. Menotti). Elle enchaîne ensuite, une série de concerts aux théâtres de Sienne, Vicenza, Rovigo, Bolzano, puis elle interprète une autre Lucy, L'Opéra de quat'sous de K.Weill, aux Théâtres de Livourne, Pise et Lucca. De retour en Albanie, elle est ensuite engagée dans plusieurs productions et concerts au Théâtre National de l'Opéra et Ballet de Tirana. Elle a eu l’occasion de collaborer avec plusieurs chefs d’orchestre : Nathalie Marin, Oleg Arapi, Eddie de Nadai, Roni Porat, Emir Saul, Edmond Doko and Samuel Jean, Vittorio Parisi.
En novembre 2012, elle est invitée à Quito (Equateur) pour chanter la 4e Symphonie de Mahler et en mai elle chante dans son deuxième concert récital à Tirana.  Pour la saison 2013-2014, elle a été Stagiaire au CNIPAL (Centre National d’Artistes Lyriques) enchaînant divers concert à l’Opéra de Marseille, Grand Opéra d’ Avignon et au Domaine d’O de Montpellier.
Blerta Zhegu est lauréate de plusieurs concours : le 1er Prix au « ArsKosova », Kosovo, le Prix Spécial du Jury au « VI Rassegna Concertistica » in Montichiari, Italy et le 3ème Prix « Trofeo la Fenice », Seravezza, Italie.
En décembre 2014 elle a fait son début au Theatre Coccia de Novara dans le rôle principal de Valeria dans l’opéra Il Canto dell’Amore Trionfante de Paolo Coletta et s’est produite plusieurs fois en tant que soliste à l’Auditorium Campra notamment avec l’Ensemble CBarré durant la saison 2014/2015.
Prochainement Blerta chantera dans plusieurs concerts à Aix en Provence, lors des  Vœux de la Ville d’Aix en Provence organisés par Me Maryse Joissains, elle sera le 18 juillet en récital  suite à l’Académie Internationale de musique française de nouveau à Aix lors du festival Musique dans la rue du 26 au 29 août.

Marion LIOTARD

Après des études musicales complètes (piano, musique de chambre accompagnement, maîtrise de musicologie sur la compositrice Louise Farrenc), Marion, guidée par son professeur Pierre Morabia, découvre dans l'accompagnement un métier extraordinaire qui offre la possibilité de s’exprimer dans de nombreux styles musicaux, et de partager la musique avec des partenaires très variés.
Toutefois, le répertoire vocal attire particulièrement son attention puisqu’il est enrichi d’une dimension littéraire passionnante. Depuis l’obtention d’un Premier Prix d’accompagnement en 2004, elle a été accompagnatrice au CNR de Marseille et dans diverses écoles de musique. Elle accompagne avec autant de plaisir des chœurs et des solistes, mais aussi des instrumentistes dans diverses formations de musique de chambre.
Elle intègre en septembre 2009 l’équipe de chefs de chant du CNIPAL à Marseille jusqu'à sa fermeture en 2014. Elle se produit régulièrement en récital piano/voix aux foyers des opéras d’Avignon, Toulon et de Marseille ; en mai 2010 , sur la scène de l’opéra de St-Etienne. On a pu l’entendre à l’Amphithéâtre d’O à Montpellier lors de la Fête de la Musique 2011, à l’Opéra de Marseille le 13 Janvier 2013 pour l’ouverture de Marseille Capitale Européenne de la Culture, à l’Opéra de Bordeaux pour un Midi Musical en avril 2013, au Festival de Radio-France à Montpellier en Juillet 2013, aux Festival « Musique à la ferme » de Lançon-de-Provence et Festival des Nouveaux Talents de Villers-sur-Mer en 2014... Elle a joué l'opéra Mireille de Gounod en version concert à l'Opéra de Marseille en Octobre 2014 et s'est produite au Bozar de Bruxelles dans un récital lyrique en novembre 2014 ainsi qu'à la Maison de la Radio en décembre 2014, lors du concert des Révélations Lyriques des Victoires de la Musique.
Très investie dans la création de la musique de son temps, elle participe en Juin 2010 à la création d’Act’tempo, association dédiée au développement de la création musicale. Elle crée en 2010 Un brasier d’étoiles (cycle de mélodies) et en 2013 Médée Kali (opéra de chambre) de Lionel Ginoux.

Guillaume CHAPUIS
Co-fondateur et membre de la troupe de théâtre amateur « Lez  ‘Ensoleillés » depuis 2010, et co-fondateur et co-organisateur du festival de théâtre Lambesc en Scènes depuis 2011. Guillaume a participé à plusieurs projets théâtraux représentés lors de divers festivals à travers la région PACA.
En août 2014, avec le dernier projet adapté et mis en scène par la troupe La Dernière Bougie, il eut l’occasion de jouer sur les planches de la Chapelle Notre-Dame de la Conversion (Théâtre des Italiens) pour le Festival d’Avignon OFF 2014.
C’est la rencontre avec Blerta Zhegu qui le fera s’intéresser de près à l’opéra. Ainsi, l’idée de mêler le chant lyrique et le théâtre a surgi comme une évidence. En s’inspirant de différentes biographies et études de sa musique mais aussi du magnifique film de Ken Russell The Debussy Film, la volonté fut de proposer, autour d’un programme de mélodies élaboré par Marion et Blerta, de rentrer dans l’univers intime de Claude Debussy « Musicien Français » qui fut un génie souvent incompris de par une personnalité sauvage.

Sur une ideé  de Blerta ZHEGU et Guillaume CHAPUIS

Texte, Scénographie : Guillaume CHAPUIS

Programme Musical : Blerta ZHEGU, Marion LIOTARD

À PERDRE LA TÊTE…

MARIA STUARDA

1834

Drame lyrique en trois actes de Gaetano Donizetti

Livret de Giuseppe Bardari

D’après la pièce de Schiller (1801)

(version concertante)

Opéra Grand Avignon

24 janvier 2016

Création à Avignon

À PERDRE LA TÊTE
     De Marie Stuart, on pourrait dire que sa fin tragique lui a laissé une place dans l’Histoire que son histoire ne lui aurait pas accordée.

     Et pourtant… reine d’Écosse à quelques jours de sa naissance, de 1542 à 1567, reine de France à dix-sept ans de 1559 à 1560, considérée par les catholiques reine légitime d’Angleterre et d’Irlande contre sa cousine Élisabeth (1533-1603) reine « bâtarde » car née d’Anne Boleyn après l’irrecevable divorce pour eux d’Henry VIII d’avec Catherine d’Aragon, et écartée de la succession par son père qui fit décapiter sa mère puis par son frère Édouard VI. Tout pour une grande vie de reine multiple. Élevée dès l’âge de six ans dans la cour de France, parée de toutes grâces et d’une belle culture pour une femme de son temps, à la mort du jeune roi François, catholique fervente, elle rentre à dix-huit ans dans son royaume d’Écosse protestant, régi par son demi-frère en son absence.
    À partir de là, de moins de tête que de cœur, malgré de bonnes intentions, elle ne fait que de mauvais choix : sans consulter personne, jetant dans la révolte son demi-frère et les nobles, elle épouse, son cousin germain, catholique. Son mari la trompe et maltraite, fait assassiner son favori musicien Rizzio sous ses yeux. Un mari tueur, à tuer… Il le sera par son amant, l’aventurier Bothwell. Il organise un attentat dont on croit qu’elle a donné l’ordre ou l’accord : il étrangle le roi consort et fait exploser une bombe, et le scandale, pour camoufler —mal— le meurtre. Marie le fait acquitter du crime sacrilège de régicide, confirmant les présomptions contre elle et, un mois après l’attentat, épouse en troisièmes noces l’assassin de son mari, protestant, s’aliénant, cette fois à la fois les catholiques, les nobles et sa cousine Élisabeth de neuf ans son aînée, la Reine Vierge, célibataire, rétive à l’hymen : il est vrai que l’exemple légué par son père Henry VIII, avec ses familles recomposées, ou plutôt décomposées, trois enfants de trois mères différentes, six mariages, deux divorces et deux femmes décapitées, n’incitait guère à donner confiance en l’institution conjugale. Élisabeth, choquée par la désinvolture matrimoniale et ce divorce à l’écossaise, à la dynamite, de sa jeune cousine, et rivale tranquillement déclarée pour son trône d’Angleterre, n’osant un procès sur le régicide, fera instruire une enquête sur l’assassinat du roi consort, son cousin aussi.

   Défaite par les lords révoltés menés par son demi-frère, emprisonnée —déjà— Marie s’évade  et va chercher refuge auprès d’Élisabeth, la prudente anglicane : elle a les Écossais sur le dos et se jette dans les bras des Anglais. Embarrassant cadeau pour Élisabeth qui enferme de résidence surveillée en prison de plus en plus sévère son encombrante cousine, soutenue par la France et la très catholique Espagne, pour empêcher, vainement, ses conspirations contre son trône et sa vie. Le dernier complot, de Babington, dans lequel on l’implique, à tort ou a raison, signera son arrêt de mort. On portera au crédit d’Élisabeth au moins d’avoir hésité dix-huit ans à se débarrasser de l’empêcheuse de régner en rond car les Tudor ont la hache facile : son père a fait décapiter deux de ses femmes, Anne Boleyn et Catherine Howard, son frère Edouard VI fait décapiter la gouvernante de leur demi-sœur Marie Tudor et celle-ci, Jeanne Grey, mise sur le trône à sa place. Dernière de cette charmante famille, Élisabeth tranche finalement dans le vif du sujet,  royal, mais après un procès qui condamne Marie à l’unanimité. À quarante-cinq ans, dont dix-neuf de captivité avec la prison écossaise, la triple reine, née apparemment pour les plaisirs, meurt atrocement : le bourreau, ivre, s’y reprend à trois fois pour la décapiter. Sans laisser une œuvre politique comme reine, elle sort de l’Histoire pour entrer dans la légende.


De la tragédie à l’opéra

    Après une pièce française du XVIIe siècle, c’est la légende que cultive la tragédie de Schiller que Donizetti et son librettiste ont vue dans la traduction italienne de 1830. Réduisant à six le nombre de personnages, contraintes déjà économiques de l’opéra baroque et romantique qui emploie tout de même un vaste chœur, condensant en un seul Leicester le personnage de Mortimer, l’amoureux, et celui qui complote l’évasion de Marie.

    Contrairement à la pièce de théâtre qui commence après le procès alors que Marie connaît déjà sa condamnation, l’œuvre en étire habilement l’angoissante attente jusqu’au dernier acte, en ménage le suspense après une montée dramatique qui culmine jusqu’au paroxysme de l’affrontement entre les deux femmes ; l’opéra élude le procès préalable et fait porter sur la seule reine Élisabeth la responsabilité de la sentence finale de mort, et non pour des raisons de justice et de politique, mais plus humainement passionnelles : la jalousie. Élisabeth dispute à Marie l’amour de Leicester qui a juré de la délivrer, et tente vainement de réconcilier les deux femmes et d’éviter l’issue fatale, qu’il ne fait que précipiter comme Desdémone plaidant pour Cassio et le perdant aux yeux du jaloux Othello,  tout ce qu’il dit en faveur de la reine d’Écosse se retourne contre elle.

 L’HISTOIRE SUBLIMÉE PAR UNE VOCALITÉ SUBLIME

   En musique et très beau chant, ces aménagements dramatiques ont l’intérêt d’opposer des personnages antithétiques, contraires (Talbot) ou défavorables (Cécil) à Marie, des duos parallèles très intenses entre les deux reines et leur commun amour Leicester, l’un avec des apartés dépités ou rageurs d’Élisabeth qui tente et sonde les sentiments de celui qu’elle aime en secret mais aime Marie, comme Amnéris testant et découvrant l’amour d’Aïda, l’autre, entre espoir et détresse, entre Marie et Leicester, enfin, le climax, le sommet, le duo entre les deux reines où Marie, tout humilité d’abord, précipite sa chute en traitant Élisabeth de « bâtarde ». Les ensembles s’inscrivent en toute logique et avec une grande efficacité dramatique comme témoins impuissants, intercédant en sentiments opposés entre les deux femmes. Le chœur exprime joie, pitié du sort de Marie et, dans sa dernière intervention, évoque l’échafaud, l’apprêt du supplice, rendant inutile leur présence scénique.

    Et, on ne devrait pas le dire trop haut en ces temps où l’opéra, par force, se fait concert, le spectacle disparaissant par la pénurie, c’est l’un des intérêts de cette version « concertante », « concentrante », concentrée sur la musique et les voix. Mais quelles voix, et quels artistes ! On oserait dire que tout parut plus fort, plus intense dans cet alignement des chanteurs ne diluant, pas dans une scène en mouvement et un jeu spatialisé, la puissance de leur expression vocale et dramatique. Et, si le mot n’était aujourd’hui aussi galvaudé, on oserait dire aussi qu’ils nous offrirent une représentation où le tragique de l’Histoire était sublimé, au vrai sens d’‘idéalisé’, ‘purifié’, par la beauté sublime de leur voix et de leur interprétation.

   Concentration dynamique, haletante, du chef, Luciano Acocella, qui ne délaye jamais la trame orchestrale toujours un peu lâche de Donizetti, la resserrant par un tempo qui participe de ce drame qui court vertigineusement vers son inéluctable fin, que l’on connaît tout en la rêvant différente, sachant tamiser en clair-obscur le chœur (Aurore Marchand) jubilant du début, passant à l’ombreuse prière à mi-voix de la requête de pitié. Contenant l’orchestre ou le stimulant, mais toujours attentif aux chanteurs, à leur souffle, au texte qu’il module silencieusement.


    En majesté, Karine Deshayes, dans le personnage ingrat, ici simplifié d’Élisabeth, déploie la générosité de son mezzo, qui semble s’être étoffé et unifié en tissu somptueux du grave à l’aigu facile, prêtant la volupté du velours de la voix à une virginale reine dont elle nous fait sentir, dans ce chant ardent, que toute cette glace sensuelle est prête à fondre, contrainte de confondre un évasif objet d’amour qui glisse entre ses doigts. Ses regards sur Leicester disent le dépit amoureux, la jalousie, la haine de l’autre, l’humiliation de la reine, la douleur de la femme : tout le rugissement d’un fauve à peine contenu par la politesse et politique de cour : la passion dévorante contrôlée apparemment par les tours et détours policés du bel canto. 
Karine Deshayes, Ismael Jordi (photo Muriel Roumier)

Face à elle, face à face, affrontée et même effrontée malgré le danger, Patrizia Ciofi, sur une tessiture moins vertigineuse que nombre de ses rôles habituels, un médium corsé, onctueux, assombri, fait planer des aigus rêveurs dans son évocation mélancolique des jours heureux de France, donnant un sens à chaque ornement, gruppetti égrenés telles des images vocales, des pétales effeuillés du bonheur d’autrefois : comme étrangère déjà à elle-même, elle dénoue avec une élégance nostalgique les rubans des vocalises comme elle délierait des liens qui l’entravent dans son ascension spirituelle vers la liberté : son adieu aux autres et un adieu à soi, elle fait poésie de la rondeur et douceur de son timbre mais, ses grands yeux bleus lançant des flammes, devant les provocations insultantes de la reine d’Angleterre, ose le déchirer du cri de l’injure impardonnable qu’elle sait payer de sa vie, défaite mais non vaincue.

     Entre ces deux femmes, une qui l’aime, l’autre qu’il aime,  tentant vainement de ménager et de fléchir la reine triomphante, vouant à la reine prisonnière un amour digne à la fois de la courtoisie troubadouresque et du désir héroïque sacrificiel chevaleresque, Ismaël Jordi est un Leicester juvénile, perdu, éperdu, entre ces deux grands fauves politiques, et tout son visage, son corps autant que sa voix expriment son déchirement. Sa voix riche de ténor flexible, déjouant en virtuose tous les pièges vertigineux de la partition, traduit avec une émouvante expressivité le drame vécu par ce témoin impuissant devant le conflit passionnel à en perdre la tête qui prend le pas sur la raison des deux femmes.
Reines ennemies mais reines du bel canto amies
(photo Muriel Roumier)

   Michele Pertusi prête sa grande et belle voix de basse, son élégance, sa noblesse, à un Talbot confident et confesseur ému mais non complaisant d’une Marie qu’il exhorte à mourir chrétiennement en avouant ses fautes qu’elle ne peut cacher à un dieu vengeur. À l’opposé, ennemi politique de la reine d’Écosse, Cecil, est chanté par le baryton Yann Toussaint qui en aiguise l’implacable Raison d’état d’une inflexible voix aux éclats d’acier qui en appellent à ceux de la hache. Dans le rôle sacrifié de la suivante désespérée, Anna Kennedy, qui bandera les yeux de la reine martyre, Ludivine Gombert, avec peine quelques phrases et des ensembles émouvants, fait entendre un soprano d’une pureté diamantine dans la pourriture politique et passionnelle.

   Emprisonnée en mai 1568 par Élisabeth qui, en réalité, se refusera toujours à la rencontrer, Marie Stuart, poétesse également, avait brodé sur sa robe cette devise : « En ma Fin gît mon Commencement ». La légende, sinon l’Histoire lui donnent raison.
Maria Stuarda de Donizetti
Opéra Grand Avignon, 24 et 27 janvier .
Orchestre Régional Avignon-Provence. Chœur de l'Opéra Grand Avignon. Direction musicale : Luciano Acocella. Direction des choeurs : Aurore Marchand. Etudes musicales : Kira Parfeevets.
Distribution
 : Maria Stuarda : Patrizia Ciofi . Elisabetta : Karine Deshayes ; Anna Kennedy : Ludivine Gombert. Leicester : Ismaël Jordi, Anna Kennedy : Ludivine Gombert ; Talbot : Michele Pertusi ; Cecil : Yann Toussaint
Sous l'égide de l'Association des «Amis du Théâtre lyrique»
Photos : Jean-François Canavaggia.
1. Les saluts : Gombert, Pertusi, Ciofi, Acocella, Deshayes, Jordi, Toussaint;
2. Gombert, Pertusi, Ciofi.


vendredi, janvier 22, 2016

À NE PAS RATER!

Swing Cockt'Elles en Scène
sam. 30 janv. 2016 de 20h30 à 23h00
Le 30 janvier 2016, retrouvez les Swing Cockt'Elles en concert sur la superbe scène de La Scène à Aix-en-Provence - Les Milles.
Ouverture des portes à 19h30
Concert à 20h30


Invité par Maafa Abdelhafid, le trio vocal accompagné au piano, Swing Cockt'Elles, vous réserve un beau programme avec des interprétations inattendues de standards de jazz, chansons françaises, musiques de films...
Harmonie, humour et swing seront au rendez-vous !
Après le concert, les 4 musiciennes vous retrouveront pour une séance de dédicace de leur album, sorti fin 2015, "Amour, Swing et Beauté" que vous pouvez acheter sur place ou en prévente, avec votre billet.
Réservez vos places dès aujourd'hui, il n'y en aura pas pour tout le monde !
Le soir du concert, une surprise vous attend. Un tirage au sort sera organisé.
Et l'heureux gagnant repartira avec notre album dédicacé.

jeudi, janvier 21, 2016

MUSIQUE ESPAGNOLE À L'ODÉON

 
Espagne, hispanisme, espagnolade

 D’Andalousie de Francis López

au pays de la zarzuela à l’Odéon

Marseille
 
Zarzuela
     Ce terme désigne aussi un plat qui mêle poissons et fruits de mer liés par une sauce. Ce mot dérive de zarza (qui signifie ronce), donc, zarzuela est un lieu envahi par les ronces, une ronceraie. Ce nom fut donné au Palais de la Zarzuela, résidence champêtre d’abord princière puis royale (c’est la résidence actuelle du roi d’Espagne et de sa famille), aux environs de Madrid.
Au XVIIe siècle
     Le roi Philippe IV, qui avait fui l’Escorial austère de son aïeul Philippe II, et habitait un palais à Madrid, venait s’y délasser avec sa cour, chasser et, disons-le, faire la fête, donner des fêtes somptueuses, des pièces de théâtre agrémentées de plus en plus de musique, qu’on appellera « Fiestas de la zarzuela », puis, tout simplement « zarzuela » pour simplifier. C’est pratiquement, d’abord, un opéra baroque à machines, d’inspiration italienne mais entièrement  chanté es espagnol ou, plus tard, avec des passages parlés à la place des récitatifs. Alors qu’en France , il faudra attendre 1671 pour le premier opéra français, la Pomone, de Robert Cambert, en Espagne, environ cinquante ans plus tôt, en 1627, une de ces fêtes musicales de la zarzuela est, en fait, un véritable opéra à l’italienne. Bien sûr, on ne l’appelle pas « opéra » puisque ce mot tardif, italien, signifie simplement ‘œuvre’, les ouvrages lyriques de cette époque n’étant appelés que dramma per musica, ‘drame en musique’, Monteverdi n’appelant son Orfeo que ‘favola in musica’, fable en musique. En Espagne, on l’appellera donc zarzuela. C’est La selva sin amor, ‘La forêt sans amour’, avec pour librettiste rien de moins que le fameux Lope de Vega, pour lors le plus grand dramaturge espagnol, qui serait auteur de plusieurs milliers de pièces de théâtre. La musique de Filippo Piccinini, italien établi à la cour d’Espagne, est malheureusement perdue. La mise en scène, fastueuse, extraordinaire, du grand ingénieur et peintre florentin Cosimo Lotti frappa les esprits et on en a des descriptions émerveillées. La zarzuela est donc, d’abord, le nom de l’opéra baroque espagnol aristocratique, fastueux.
Au XVIIIe siècle
     On appelle toujours zarzuela une œuvre lyrique baroque à l’italienne, parlée et chantée, parallèlement au nouveau terme « opéra » qui s’impose pour le genre entièrement chanté, qui mêle cependant, à différence de l’opera seria italien, le comique et le tragique. Cependant, l’évolution du goût fait qu’il y a une lassitude pour les sujets mythologiques ou de l’histoire antique qui faisaient le fonds de l’opéra baroque.
      L’Espagne avait une tradition ancienne d’intermèdes comiques, deux saynètes musicales insérées entre les trois actes d’une pièce de théâtre, la comedia (dont la réunion des deux en un seul sujet donnera, dans la Naples  encore espagnole, l’opera buffa). Au XVIIIe, ces intermèdes deviendront de brèves tonadillas populaires qui alternent danses et chant typiques ; étoffées, elles s’appelleront plus tard encore zarzuelas, avec des sujets de plus en plus populaires, puis nettement inspirés des coutumes et de la culture du peuple.


     XIX e siècle
    Du XIX e au XX e siècle, ce nom de zarzuela désigne définitivement une œuvre lyrique et parlée qui, donc, peut aller de l’opéra à l’opérette, dramatique ou comique. Les compositeurs tels que Francisco Barbieri, ou encore Tomás Bretón en ont illustré un versant pittoresque comique, typiquement espagnol. C’est souvent, pour la zarzuela grande, un véritable opéra (Manuel de Falla appellera d’abord « zarzuela » son opéra  La Vida breve (1913). Mais la plupart mêlent toujours, par tradition depuis le XVIIe, le parlé et le chanté, précédant d’un siècle l’opéra-comique français, « comique » car il « appartient à la comédie » (Littré), par les passages parlés, bref au théâtre
     Le XIXe siècle sera l’âge d’or de la zarzuela. Mais qui subit la concurrence de l’opéra italien qui règne en Europe avec Rossini, Bellini, Donizetti et bientôt Verdi. Vers le milieu du siècle, un groupe d’écrivains et de compositeurs rassemblés autour de Francisco Asenjo Barbieri (1823–1894), grand compositeur et maître à penser musical de l’école nationale renoue et rénove le genre, lui redonne des lettres de noblesse dans l’intention d’affranchir la musique espagnole de l’invasion de l’opéra italien. L’éventail des sujets est très grand, du drame historique à la légère comédie de mœurs. Mais toute l’Espagne et ses provinces est présente dans sa variété musicale de rythmes vocaux et de danses. Madrid devient le centre privilégié de la zarzuela urbaine, avec ses madrilènes du menu peuple, leur accent, ses fêtes, ses disputes de voisinage.
Zarzuela et vanité du nationalisme
    C’était l’une des conséquences des guerres napoléoniennes qui ont ravagé l’Europe, de l’Espagne à la Russie, le nationalisme commence à faire des ravages : le passage des troupes françaises a éveillé une conscience nationale, pour le meilleur quand il s’agit d’art, et, plus tard, pour le pire. Pour le moment, il ne s’agit que de musique dont on dit qu’elle adoucit les mœurs. Partout, d’autant que les gens ne comprennent pas forcément l’italien, langue lyrique obligatoire, il y a des tentatives d’opéra national en langue autochtone, même si les opéras italiens se donnent en traduction.
Des expériences naissent un peu partout, en Allemagne avec Weber et son Freischütz (1821), premier opéra romantique, en langue allemande (avec des passages parlés comme dans les singpiele de Mozart, L’Enlèvement au sérail, La Flûte enchantée), suivi de Wagner. La France a sa propre production lyrique. Mais jugeons de la vanité des nationalismes : l’opéra à la française a été créé pour Louis XIV (fils d’une Espagnole, petit-fils d’Henri IV le Navarrais, qui descend d’un roi maure espagnol) par le Florentin Lully. C’est Gluck, Autrichien, maître de musique de Marie-Antoinette, qui recrée la tragédie lyrique à la française dans cette tradition ; c’est Meyerbeer, Allemand, qui donne le modèle du grand opéra historique à la française ; ce sera Offenbach, juif allemand qui portera au sommet l’opérette française, et l’opéra le plus joué dans le monde, dû à Bizet, c’est Carmen, sur un sujet et des thèmes espagnols. Fort heureusement, l’art, la musique ne connaissent pas de frontière et se nourrit d’un bien où on le trouve comme dirait Molière.
L’Espagne
     Dans ce contexte européen, l’Espagne est plus mal lotie. Elle est plongée dans le marasme de la décolonisation, résultat des guerres napoléoniennes et de la Révolution française, car les colonies refusent de reconnaître pour roi Joseph Bonaparte imposé en Espagne. Il en sera chassé après une terrible Guerre d’Indépendance qui sonne le glas de l’Empire de Napoléon : rappelons non pas les heureuses peintures de Goya des temps de la tonadilla, mais ses sombres tableaux sur la guerre, ses massacres, ses gravures sur les malheurs de la guerre. En dix ans, entre 1810 et 1820, l’Espagne perd le Mexique, l’Amérique centrale et l’Amérique du sud dont elle tirait d’énormes richesses. Elle ne garde que Cuba, Porto-Rico et les Philippines, qui, à leur tour, s’émanciperont en 1898, année qui marque la fin d’un Empire espagnol de plus de trois siècle.
     Et paradoxalement, ces années 1890 sont l’apogée de la zarzuela, avec le género chico (‘le petit genre’), en un acte, qui connaît un essor sans précédent, indifférente aux aléas de l’Histoire contemporaine, chantant les valeurs traditionnelles d’une Espagne qui continue à se croire éternelle avec ses valeurs, courage, héroïsme, honneur, amour, religion, patrie, etc, tous les clichés d’un nationalisme d’autant plus ombrageux qu’il n’a plus l’ombre d’une réalité solide dans un pays paupérisé par la perte des colonies et les guerres civiles, les guerres carlistes qui se succèdent, trois en un siècle entre libéraux et absolutistes, la terrible Guerre de 1936, en étant qu’une suite en plein XX e siècle.
     La zarzuela devient une sorte d’hymne d’exaltation patriotique, de nationalisme autosatisfait où l’espagnolisme frise parfois l’espagnolade. Cela explique que le franquisme, isolé culturellement du monde, tourné vers le passé, cultiva avec dévotion la zarzuela, la favorisa de même qu’un type de chanson « aflamencada », inspirée du flamenco, comme une sorte de retour aux valeurs traditionnelles d’une Espagne le dos tourné à la modernité. Après un rejet de la zarzuela, et du flamenco, récupérés et identifiés à l’identité franquiste, il y a un retour populaire apaisé vers ces genres typiques, d’autant qu’ils avaient toujours été défendus et cultivés, sur les scènes mondiales par tous les plus grands interprètes lyriques espagnols, de Victoria de los Ángeles à Alfredo Kraus, de Teresa Berganza à Plácido Domingo, de Caballé à Carreras, chanteurs dans toutes les mémoires, et de María Bayo à Rolando Villazón. Domingo par ailleurs, né de parents chanteurs de zarzuelas, a imposée la zarzuela comme genre lyrique obligatoire dans le fameux concours qui porte son nom.
   Musique espagnole : du typique au topique
La musique espagnole traditionnelle, typique, a une identité si précise en rythme, tonalités particulières, mélismes, qu’elle s’est imposée comme un genre en soi, si bien que rythmiquement,certaines de ses danses picaresques, même condamnées par l’Inquisition comme licencieuse, la chacone, la sarabande, la  passacaille, le canari, la folie d’Espagne, le bureo (devenu sans doute bourrée), se sont imposées et dignifiées dans la suite baroque. Quant à ses modalités et tonalités, elles ont fasciné les grands compositeurs, de Scarlatti à Boccherini, par ailleurs faisant intégrés à l’Espagne, de Liszt à Glinka et Rimski-Korsakof, de Verdi à Massenet, de Chabrier à Lalo, Debussy, Ravel, en passant par la Carmen de Bizet qui emprunte son habanera à Sebastián Iradier et s’inspire du polo de Manuel García, père de la Malibran et de Pauline Viardot, etc, pour le meilleur d’une « vraie » et digne musique espagnole « typique », écrite hors de ses frontières. Mais le typique trop défini finit en topique, en cliché avec l’espagnolade, qui a ses degrés, pas tous dégradants, et qui tiennent plus à une surinterprétation, à un excès coloriste de la couleur locale dans la musique, mais, surtout, à des textes, pour la majorité de musiques chantées, qui surjouent un folklore hispanique où règne le cliché pas toujours de bon aloi, une Espagne plurielle réduite abusivement à une Andalousie de pacotille, qui agace et humilie les Espagnols, caricaturée au soleil, au faux flamenco, aux castagnettes et à l’abomination de la corrida.




UNE HEURE AVEC JENNIFER MICHEL ET JUAN ANTONIO NOGUEIRA
Mercredi 6 janvier
   Encore une heureuse initiative de Maurice Xiberras, Directeur de l’Opéra de Marseille et de l’Odéon qu’il a réveillé avec l’opérette : offrir une heure de chant, largement et généreusement débordée. C’était, accompagnés au piano par Marion Liotard, à la soprano Jennifer Michel, désormais bien connue et appréciée sur la scène lyrique marseillaise et au ténor espagnol Juan Antonio Nogueira, nom galicien pour un originaire des Canaries, patrie du légendaire Alfredo Kraus, qu’était confié ce moment musical, prélude espagnol à l’opérette franco-espagnole, Andalousie, de Francis(co) López. Soulignons encore l’inanité des frontières et des nationalités : ce compositeur fameux de chansons et d’opérettes, né en France par un accident de l’histoire puisque son père était Péruvien et sa mère, née en Argentine, mais tous deux d’origine basque, établis d’abord à Hendaye où le jeune homme passe son enfance, nourri comme Ravel par sa mère espagnole, des rythmes et mélodies ibériques.
   Le piano est couvert d’un mantón de Manila, ‘un châle de Manille’, si intégré dans les parures typiques traditionnelles des Espagnoles ; il servira aussi à quelques jeux de scène à la chanteuse ; les dames, pianiste et soprano, entreront, chignon éclairé d’un œillet rouge très espagnol et c’est le ténor qui introduit d’une rafale dynamisante de castagnettes, le premier morceau, un duo tiré du Prince de Madrid, opérette sur Goya, « España », un hymne à l’Espagne dont les paroles enfilent les clichés naïvement touristiques : ce n’est pas Chabrier mais cela n’en est pas moins agréable et bien chanté par les deux voix qui se marient  bien sur cette scène comme à la ville. En fait de scène, deux larges couloirs en équerre, qui mettent les chanteurs à moins de deux mètres du public nombreux, avec les contraintes de déplacement et d’angoisse inhérentes à la proximité.
   Le ténor, Premier Prix au Concours « Voix du monde » en Espagne, se lance dans l’air héroïque sur l’épée tolédane, dont il brandit une copie de théâtre, un air tiré du Huésped del sevillano de Jacinto Guerrero, une zarzuela inspirée de Cervantes. La voix est vaillante, plus acérée que vibrante, et convient ici. Ensuite, jouant joliment de l’éventail, la soprano française, aborde, avec un style vraiment espagnol, les vocalises virtuoses, si hispaniques, du carillonnant  « De España vengo », ‘Je viens d’Espagne, Je suis Espagnole’, du Niño judío de Pablo Luna, encore une arrogante proclamation d’hispanité, que la jeune cantatrice teinte d’un fier désespoir d’amour déçu qu’on perçoit rarement dans l’interprétation du « pont » de l’air.
    La pianiste Marion Liotard, ancienne du CNIPAL, très sollicitée comme accompagnatrice partenaire et créatrice également d’œuvres contemporaines, rend un hommage verbal à Ernesto Lecuona, le grand compositeur cubain, si peu connu en France, dont elle interprète « Granada », pièce tirée de sa suite Andalucía (1933) avec une virtuose souplesse dans les appoggiatures et autres mélismes andalous. Plus tard dans le concert, elle en proposera « Córdoba », de la même suite, avec intensité et intériorité, nous laissant le regret et le désir qu’elle nous livre d’autres de ses exécutions de ce compositeur, que personnellement, je révère, et qu’elle découvre et explore avec passion selon son aveu. À suivre.
Marion Liotard © M. Larcher
    Le ténor interprète alors, de Pablo Sorozábal, compositeur symphonique, républicain tenu à l’écart par le franquisme qui lui concéda néanmoins la direction de l’orchestre symphonique de Madrid mais pour la lui retirer brutalement en 1952 car il prétendait, pour ouvrir l’horizon musical d’une Espagne confinée, diriger la Symphonie Leningrad de Chostakovitch. Son œuvre lyrique est l’une des expressions les plus abouties et finales de la zarzuela au XXe siècle, comme le prouva l’extrait de Black el payaso (1942), que le chanteur aborde avec une mélancolique retenue qui s’anime ensuite. Sans doute le trac de ce trop proche voisinage avec le public à portée de main et un très grand nombre de collègues chanteurs répétant Andalousie et venus en voisins, une indisposition passagère, semblent lui causer une baisse de tonus pour la sorte de sérénade romantique de Bella enamorada, de Sotullo et Vert, dont il fait, cependant, avec habilité, une  sensible confidence rêvée. Il retrouvera tout son mordant et une expressivité dramatique bouleversante dans le « No puede ser » de La Tabernera del puerto du même Sorozábal, air dont Plácido Domingo, digne héritier de la zarzuela, a fait un classique pour les ténors.
    Étincelante, pétulante, Jennifer Michel, avec une superbe santé, de l’humour et un talent d’actrice comme stimulé par ce public assis comme à ses pieds, déploie tous les charmes d’un soprano dont le médium s’est enrichi sans rien perdre de son agilité et du brillant d’un aigu facile, rond, sans aucune des aspérités qui déparent parfois les coloratures, toujours musicale, des demi-teintes irisées, des sons finis en douceur comme des gazouillis. Accent espagnol parfait, naturel, et même andalou dans l’extrait fameux de l’opéra La tempranica de Gerónimo Jiménez, le fameux zapateado issu des danses méditerranéennes masculines, telle la tarentelle, pour écraser la tarentule supposée d’attaquer aux mâles en l’écrasant rageusement sous les pieds. Entre autres airs, dans « J’attends le Prince charmant » du Prince de Madrid de Francis López, avec un charme ravissant, elle démontre magistralement la grandeur de ce qui n’est pas une petite musique.
   Les deux chanteurs et la pianiste se taillent un succès mérité pour une heure bien allongée, qu’on aurait aimé encore plus longue.


ANDALOUSIE
   Après le triomphe inattendu de La Belle de Cadix en 1945, déjà avec Raymond Vincy comme librettiste et un Luis Mariano presque inconnu comme personnage principal, Andalousie, est créée en1947, encore un triomphe du trio formé par Raymond Vincy pour le texte, Francis Lopez pour la musique et Luis Mariano pour le chant, prémices d’une série de succès pendant plus d’une décennie, d’inspiration espagnole d’un duo de Basques, López et González devenus Lopez et Mariano, deux étrangers bien étrangers, heureusement, au nationalisme qui fait des ravages aujourd’hui dans ce même Pays basque et ailleurs.


    Bien sûr, nous sommes en pleine mais non plane espagnolade, moins par ces jolies ou belles mélodies enchaînées que par un livret pauvret (malgré deux librettistes…) mais riche en clichés éculés sur l’Espagne, ou plutôt une  caricature d’Andalousie : amour passionnel ombrageux, jalousie mais honneur farouche, vaillance, bravade plus corrida obligée comme mythique moyen de promotion sociale d’un misérable vendeur d’alcarazas, parfaite idéologie du franquisme restaurateur viandard de ce que la République appelait « La Honte nationale ». C’est sans doute cette présence de la corrida qui date le plus le spectacle, aujourd’hui largement désertée et réprouvée par la jeunesse qui, à l’inverse, après une période de rejet des danses d’un folklore sclérosé imposé aussi par le franquisme, revient joyeusement à ces habaneras, boléros, séguedilles, sévillanes et fandangos revitalisés dans leurs fêtes modernes.

Quelques jeux de mots téléphonés font sourire. On sourit aussi à ces toiles peintes de notre enfance, ondulantes, gondolantes sur leur tringle, une rue à arcades andalouses, un fond exotique vénézuélien, et l’on en redécouvre rétrospectivement l’avantage d’un rapide —et économique— changement de décor et de lieu au lieu de nos actuelles scénographies uniques : finalement cela souligne le jeu bon enfant de l’ensemble, mais surligne aussi deux belles fautes d’orthographe espagnole pour le nom de l’auberge avec : « Dona » pour « Doña » et « Vittoria » pour « Victoria ». Mais, on apprécie le bon accent hispanique général, bien sûr, on ne s’en étonnera pas, surtout de Marc Larcher et de Caroline Géa. Les costumes, en revanche, d’un hispanisme de fantaisie, sont somptueux et très nombreux et ne sont pas pour rien au charme à la fois fastueux et désuet du spectacle que goûte un public largement âgé qui y retrouve, sinon un regain de jeunesse, du moins un rajeunissement des souvenirs.

    Avec ce peu musical, la direction de Bruno Conti aiguise au mieux l’Orchestre du théâtre de l’Odéon en progrès et le Chœur Phocéen (Rémy Littolff) s’en donne à cœur joie et joue en jouant, enjouement communicatif, dans une mise en scène toute en rythme de Jack Gervais, sans temps mort,  mais trop de bras levés en signe superfétatoire et convenu de liesse, avec une plaisante mise en danse coulant de source de certains ensembles (chorégraphie de Felipe Calvarro).

   La répartition des airs est inégale dans l’œuvre : un ensemble pour la Greta de Julie Morgane ; deux airs, deux valses, obligées, pour la supposée cantatrice viennoise majestueusement et emphatiquement campée par Katia Blas ; et on aurait aimé davantage d’airs pour la jolie voix de Caroline Géa ; en conspirateur libéral, on a le plaisir trop rare d’entendre la sombre puissance de Jean-Marie Delpas
.
Une très poétique mélodie nous permet de découvrir le joli timbre de Samy Camps en Séréno, le veilleur de nuit, chargé de donner l’heure et d’ouvrir les portes des immeubles dont il avait toutes les clés, institution espagnole pittoresque dont le franquisme fit un délateur officiel du régime veillant entrées et sorties des maisons, surveillant tout rassemblement suspect. Les autres personnages n’ont pratiquement pas d’air, comme le Pepe, un toujours irrésistible Claude Deschamps qui se suffit à lui-même, vrai gracioso de la tradition espagnole de la comedia faisant paire avec la sémillante et pétillante Pilar de Caroline Gea, dont les amours ancillaires sont comiquement parallèles à celles des jeunes premiers. En Allemand vêtu à la tyrolienne à l’accent marseillais, le Baedeker d’Antoine Bonelli est une vraie réussite comique, salué par des applaudissements dès son entrée en scène, tout comme Simone Burles : ils habitent le plateau comme chez eux et le public leur marque ainsi une joyeuse connaissance et reconnaissance, tout comme au ténor Marc Larcher qui a aussi su faire sa place dans ce théâtre qui dignifie l’opérette.
Par son allure, sa prestance, Larcher échappe au ridicule qui, en Espagne, s’attache toujours à la fausse virilité et vaillance du matador, ‘le tueur’ : vaillance, virilité, c’est la beauté de sa voix lumineuse, aux aigus droits et drus comme une lame tolédane, élégance de la ligne, du phrasé, et une impeccable diction. Il a une digne et belle partenaire dans la soprano Amélie Robins, timbre raffiné, aigus faciles pour un médium large et sonore. Elle se meut avec grâce, esquisse avec gracilité quelques mouvements de bras en rythme andalou sans caricature. Tous deux assortis en voix, charme et beauté, sont de vrais jeunes premiers qui remportent les cœurs dans une troupe nombreuse, heureuse époque de dépense, où même les figures les plus passagères existent.
Flamenco et zarzuela

    Mais il faut souligner qu’à la musique espagnolisante facile de l’opérette de Lopez, on a ajouté avec raison, un authentique ensemble flamenco au-dessus de tout éloge : un guitariste chanteur, Jesús Carceller qui, malgré le micro pour l’immense salle, ne se contente pas de hurler comme le font trop souvent ceux qui caricaturent l’essence du cante hondo, mais, avec une belle voix, en fait ruisseler les mélismes délicats, murmure la déchirante plainte d’un père à la recherche de son fils, avec une sobre émotion. Mis en pas par le chorégraphe et danseur Felipe Calvarro, le groupe de danseurs, Nathalie Franceschi, Valérie Ortiz, Félix Calvarro déploie tous les sortilèges de la danse flamenco dans des fandanguillos de Cadix, des bulerías, etc. dans des zapateados virtuoses au crépitement conjoint des castagnettes.

   Mais, dans le dernier tableau, où fut judicieusement intercalé, sans aucune annonce dans le programme, l’intermède complet de la gracieuse zarzuela de Gerónimo Jiménez (1854-1923), qui inspira par sa musique Turina et Manuel de Falla, El baile de Luis Alonso,  on put apprécier que ces danseurs avaient une solide formation de la Escuela bolera classique en interprétant avec beaucoup de charme la jota. Ce fut un triomphe.
     L’Espagne vraie rattrapait la gentille espagnolade.

Andalousie de Francis Lopez
Marseille, Théâtre de l’Odéon, 16 et 17 janvier.
Direction musicale : Bruno Conti.
Mise en scène : Jack Gervais
.
Chorégraphie : Felipe Calvarro
Orchestre du théâtre de l’Odéon, Chœur Phocéen

Dolores : Amélie Robins ; Pilar : Caroline Géa
 ; Fanny Miller : Katia Blas ; 
 Doña Victoria : Simone Burles
 ; Greta : Julie Morgane ; la gitane : Anne-Gaëlle Peyro ; la fleuriste : Lorrie Garcia.
Juanito : Marc Larcher ; Pepe : Claude Deschamps ; Valiente : Jean-Marie Delpas
 ; Baedeker : Antoine Bonelli
 ; Caracho: Damien Surian ; Le Séréno: Samy Camps ; un alguazil : Pierre-Olivier Bernard ; 
un consommateur : Patrice Bourgeois ; Gómez : Daniel Rauch ; Aubergiste : Emmanuel Géa ; Péon : Vincent Jacquet.
Guitariste chanteur : Jesús Carceller ;  
Danseurs : Nathalie Franceschi , Valérie Ortiz , Félix Calvarro.
Chorégraphe danseur : Felipe Calvarro.

Photos Christian Dresse :
1. Fanny (Blas) et ses boys ;
2. Pepe et Pilar affrontés (Deschamps et Géa)
3. Juanito et Fanny (Larcher, Blas) ;
4. Trois femmes déchaînées (Burles, Robins, Géa) ;
5. Estrellita et le conspirateur galant homme (Robins, Delpas) ;
6.  Le torero et ses dames ;
7. Tablao flamenco ;
8. Tableau final.








samedi, janvier 09, 2016

CHRISTINA ROSMINI

 
Enregistrement 21/12/2015, passage, semaine du 4/1/ 2016

RADIO DIALOGUE RCF (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)

« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 207

Lundi, 12h15, 18h15, samedi à 17h30

Portrait de Christina Rosmini



     Malgré un emploi du temps très chargé, entre un concert récent à Paris après l’Égypte, avant un autre en Espagne à Tarragone, et un spectacle à créer au Toursky, elle avait répondu généreusement à mon invitation à participer à notre concert du 13 décembre au Temple Grignan. Faute de ses musiciens absents, elle nous avait enchantés en interprétant d’abord à cappella un poème de Miguel Hernández mis en musique par Étienne Roda Gil, puis, s’accompagnant à la guitare, une chanson de la Chilienne Violetta Parra, mêlée à une belle chanson, Utile, de Roda Gil et Julien Clerc, qui est sans doute la profession de foi de cette artiste engagée, militante progressiste et féministe.


   Alors, faut-il présenter à Marseille cette Marseillaise Christina Rosmini même si, sur les ailes du succès, elle a couru le monde jusqu’au Brésil? On l’a vue sur les écrans, à la télé, on l’a entendue dans les radios. Paris nous la rend enfin un peu et elle fait une escale dans son port d’attache, avec lequel elle ne rompt jamais les amarres.


       Rappelons tout de même quelques éléments de sa riche biographie. Née à Marseille, d’origine espagnole et corse, Christina, avec bien des cordes à son arc, dont le cinéma et le théâtre disais-je, sans oublier la danse, s’est vouée chanter cette Méditerranée aux deux rives opposées mais apaisées.

    Elle avait fait ses classes de danse avec Roland Petit à l’Opéra de Marseille, des études littéraires à Aix où elle se fit remarquer déjà en chantant et jouant dans la troupe étudiante de théâtre, avant d’être happée par Paris et le théâtre où elle incarne, Carmen la Nouvelle de Louise Doutreligne (mise en scène Jean-Luc Paliès), en version bilingue, français-espagnol, promenée deux cents fois en France et en Espagne, avec une halte à guichet fermé au théâtre Gyptis. Ensuite, elle écrit et crée une pièce de théâtre musical sur l’Espagne médiévale des trois cultures, illustrant son rêve de coexistence harmonieuse des trois religions du Livre, Al-Andalus, le Jardin des Lumières, lors de festival d’Avignon 2002, faisant une étape aixoise pour le festival d’Horizontes del sur.   
    Mais cette militante humaniste, féministe, très engagée socialement, ne s’arrête pas là et écrit et monte un autre spectacle sur le Front Populaire, les premiers congés payés et la Guerre d’Espagne au beau titre Au Devant de la Vie en 2006. On la voit au cinéma dans Marche et Rêve de Paul Carpita, à la télévision (Les Z’années Zazous aux Folies Bergère, les Années Tubes, etc...). Jean Marais l’engage dans l’Arlésienne, Georges Moustaki l’invite à chanter au Casino de Paris. Elle chante avec Marianne Faithfull, se produit en première partie en première partie de Enrico Macias à l'Olympia janvier 2014 et dans de nombreuses villes du sud de la France.


    Étienne Roda Gil l’encourage à écrire ses propres chansons. Et nous aimons l'humour de celle-ci, au titre qui sonne comme une identité, De Méditerranée de son disque Sous l’oranger. C’est un plaisant manifeste, où elle mêle avec humour le rythme de la sévillane andalouse et de la java parisienne. C'est la plage 2 de son premier CD, dont nous avons ici quelques extraits :

http://search.yahoo.com/search?ei=utf-8&fr=aaplw&p=Christina+Rosmini




     La musique et la danse sont ainsi l’étincelle et le feu de cette flamme vive à la voix ardente et fruitée. Car, même si elle ne dédaigne pas des chansons de grands auteurs, les siennes sont un plaisir d’intelligence, de sourire, de rythme, de poésie. Dans son album Sous l’oranger, on trouve, dans un mélange hispano-arabo-français, de petits joyaux autobiographiques, des confidences malicieuses (sur la psychanalyse, dans un plaisant bégaiement rythmique : En anana, en anana, en analyse, sur le rêve féministe coquin de harems masculins ou des confidences plus émouvantes et pudiques sur des déchirements intimes.

    Puis elle fait une rencontre qui la marque en profondeur, celle de la Mahatma Amma, celle femme considérée par les Indiens comme un "Mahatma", c’est-à-dire une "grande âme", incarnant pour ses fidèles, qu’elle prend dans ses bras, l'amour maternel infini. Christina met ses pas dans les siens, la suit dans ses œuvres humanitaires et ses tournées européennes jusqu'à l'Ashram Amritapuri, sorte de lieu de prière dans le sud de l'Inde. Dans le cadre des œuvres d'Amma, Christina Rosmini donne régulièrement des concerts caritatifs (notamment au profit du Népal suite au tremblement de terre de 2015) et se produit Zénith de Toulon à chaque venue d'Amma,  essentiellement les nuits de Devi Bhava, qui appellent la paix dans le monde. De cet engagement auprès de cette figure spirituelle et humanitaire, Christina a tiré une chanson d’hommage intitulée Dans les bras d'Amma, dans  nouvel album Lalita, plage 1. Par ailleurs, un clip de la chanson a été tourné lors de l'été 2015 par Christian Boustani et Axel Clévenot et vient de sortir  et se trouve en ligne :

https://www.youtube.com/user/chrisrosmini


    Elle avait présenté au Toursky, un spectacle, D’Autres rivages à vocation de voguer de rivages en rivages qu'on peut heureusement trouver aussi en ligne : 

http://search.yahoo.com/search?ei=utf-8&fr=aaplw&p=Christina+Rosmini.


    Elle  fait escale encore dans ce grand théâtre marseillais et nous la retrouverons les 12 , 13, 14, 15 et 16 janvier, pour son prochain spectacle El Niño Lorca, ‘L’Enfant Lorca’. C’est un conte musical sur l’enfance du poète espagnol assassiné en 1936 par les franquistes, Federico García Lorca, spectacle familial pour enfants et grands. Ce sera, avec des marionnettes, des dessins, des vidéos, dit-elle, « une fable joyeuse où la fantaisie », l’humour et les mille facettes du poète « se révèlent au gré des compositions de Christina et des chants traditionnels espagnols et andalous qu’il avait lui-même harmonisés. Et c’est grâce à la Lune, qui accueille à sa mort l’âme de Federico », que nous découvrirons son histoire. À ne pas rater

    Nous quittons Christina sur une chanson de ce dernier disque Lalita, qui a pour titre justement Mi niño, ‘Mon enfant’ :

http://search.yahoo.com/search?ei=utf-8&fr=aaplw&p=Christina+Rosmin


12, 13, 14, 15 et 16 janvier, El Niño Lorca au théâtre Toursky, de et par Christina Rosmini. Informations et réservations : 0 820 300 033



On peut soutenir spectacle de Christina Rosmini


https://www.youtube.com/user/chrisrosmini