samedi, octobre 31, 2009

Automne baroque à Marseille


LE C.R.A.B.
À semailles de Mars en Baroque, Automne fructueux : le succès du festival désormais rituel du Baroque de mars invitait à offrir une autre saison au public fidèle qui suit maintenant les manifestations du (Centre Régional d’Art Baroque P.A.C.A.) des concerts aux programmes exigeants centrés à chaque fois sur un thème qui en resserre la cohérence, et présentés par des conférenciers spécialistes.
Deux ensembles à géométrie variable sont le fer de lance musical du Centre, couvrant l’époque baroque de ses origines à sa fin :  Concerto soave issu de la rencontre  de la soprano Maria Cristina Kiehr et du claveciniste Jean-Marc Aymes, qui fait concerter des solistes spécialistes, instrumentistes ou vocaux, du répertoire italien du XVII e siècle, avec instruments adéquats (archiluth, harpe, viole de gambe, violons, clavecin, orgue...), hôte des plus prestigieux festival baroques ou non de France et d‘ailleurs. L’autre ensemble,  c’est  Euterpes, voué à la musique instrumentale du XVIII e siècle, qui associe aussi des instrumentistes de renommée internationale et des chanteurs comme Monique Zanetti, Sandrine Piau, Stéphanie d’Oustrac, Pascal Bertin (Philippe Jarousky a été deux fois invité), dans des formations allant du duo à l’orchestre baroque du temps. Directeur artistique du C.R.A.B., Jean-Marc Aymes est l’âme des deux ensembles tout en menant sa carrière internationale et enregistrant des disques, dont le dernier volume poursuit l’intégrale de l’œuvre pour clavecin de Frescobaldi*, salué par la critique.

ESCALES ITALIENNES

Quatre concerts et une conférence ont donc jalonné cet « Automne baroque », avec pour titre Escales italiennes, explorant des musiques inédites ou rares de Naples, Rome, Venise au début du XVII e siècle. Des quatre escales, on aura eu le bonheur d’en entendre au moins deux.

Escale à Venise
La première, Venise au temps de Monteverdi
, c’était des Vêpres à la Vierge de Donati, Grandi, Grossi, Mattioli, Mazzocchi, Merula, Rigatti, Rovetta, contemporains de Monteverdi.
Le catholicisme, jalouse religion d’hommes, qui refuse si obstinément la femme, l’aura pourtant merveilleusement chantée, peut-être comme un remords exhalé en chants qui, même dans les lamentations éplorées de Madeleine, en déplorant les douleurs de la Vierge ou exaltant sa virginale beauté, exhalent une volupté vocale virtuose, vigoureusement virile au fond, même dans les lacs et entrelacs les plus délicats des vocalises vertigineuses : c’est d’ailleurs le sens même, original, de virtuose, qui vient de vertu, vigueur, dérivé considéré comme logique alors du latin vir, homme.

On ne peut s’empêcher de penser à ce paradoxe de cette religion misogyne d’hommes d’autant plus fascinés par la femme, pour la redouter ou la vénérer, à écouter ces antiennes, ces antiphones, d’une raideur grégorienne, d’une mâle rectitude sinon érection monacale, lancées par les hommes, glosées ensuite dans des psaumes éperdus de lyrisme efflorescent, incandescent, où, finalement, à la voix à la fois instrumentale et si charnelle de Maria Cristina Kiehr, soprano, viennent se mêler, se lacer, s’enlacer, de bas en haut, amoureusement, comme le lierre au tronc, se fondre, se confondre harmonieusement, les timbres tout aussi magnifiques de Stephan MacLeod, basse, et Valerio Contaldo, ténor. Violons, basse de violon, archiluth, clavecin, font un ciel de lit scintillant à ces noces que les plis et replis plus chauds de l’orgue drapent voluptueusement de leur humaine chaleur.
La Renaissance offrait la géométrie polyphonique paisible aussi visible en ligne qu’une croisée d’ogives. Le nouveau style montéverdien, affectif, fait littéralement bouger, trembler les lignes, bientôt triller les voix et frémir d’émotion et frissonner sensuellement d’extase l’auditeur.



Eglise Saint-Laurent , 4 octobre 2009
Venise au temps de Monteverdi :

Oeuvres de Donati, Grandi, Grossi, Mattioli, Mazzocchi, Merula, Rigatti, Rovetta.
Concerto Soave : Direction, Jean-Marc Aymes, clavecin et orgue, Alba Roca, Béatrice Linon, violons, Étienne Mangot, basse de violon, Diego Salamanca, archiluth ; Maria Cristina Kiehr, soprano Valerio Contaldo, ténor, Stephan MacLeod, basse.

Ce concert donné aussi et enregistré à Ambronay, sera prochainement diffusé par Mezzo.
 On  aura encore le plaisir de retrouver Concerto soave  avec Maria Cristina Kiehr et Jean-Marc Aymes sur France-Musique le lundi 2 novembre, de 9h07 à 10 30, dans Le Matin des musiciens, émission d'E. Fouré Caul-Futy.




Escale à Naples: Ascanio Mayone
Naples fut l’autre escale à laquelle nous pûmes aborder pour y découvrir celui qu’on peut bien qualifier, par son audace innovante, ses trouvailles poétiques, un « Monteverdi instrumental », Ascanio Mayone (c. 1565-1627), organiste, harpiste et compositeur napolitain célèbre en son temps. En collaboration avec l'Institut Culturel Italien de Marseille, le festival Mousiké (Bari), le Copenhagen Renaissance Music Festival et la Fondazione Marco Fodella di Milano, le C. R. A. B., en la personne de son directeur Jean-Marc Aymes, s’est donné pour mission de faire redécouvrir ce compositeur, oublié depuis, dont on fêtait de la sorte le 400e anniversaire de la publication du Second Livre de Divers Caprices. Nous en eûmes, pratiquement, l’intégrale.
Ces pièces, à part certaines expressément indiquées pour clavecin ou harpe, sont pour cordes pincées, en sorte que les instrumentistes, Aymes, et la harpiste virtuose Mara Galassi, pouvaient se relayer, joindre leurs voix, le claveciniste passant aussi à l’orgue pour varier les couleurs, selon l’usage de l’époque. Effervescence lumineuse, nerveuse du clavecin, suivie des larges ondes fraîches de la harpe comme des cailloux négligemment lancés des doigts de la harpiste dans une eau calme ondulant mollement vers les rives du silence ; fraîcheur bruissante du clavecin, rayons chauds de la harpe, l’argent et l’or se succédant. Harpe et clavecin se relayaient dans les diminutions vertigineuses, jouant à tour de rôle la basse presque continue, feu d’artifice, poussière d’étoiles de petites notes dans l’aigu, dans une conversation pleine d’amicale et musicale émulation.
On savoure ces sons intermédiaires, palette de couleurs qu’on dirait irisée entre les tons entiers si l’arc-en-ciel en son prisme n’affichait une continuité, des dégradés subtils, ici démentis, déjoués par des contrastes, des dissonances non poliment résolues, un ténébrisme/luminisme qu’on dirait caravagesque, à côté de surprenantes estompes éclair des glissandi.
À défaut de clavecin chromatique, à touches différenciées entre dièses et bémols, inexistant aujourd’hui, oublié depuis le clavier trop bien tempéré, à défaut de harpe triple, autre instrument perdu permettant des chromatismes éperdus de délicatesse, la harpe double de Galassi permit, dans son jeu de fébrile araignée délicate tissant la versicolore virtuosité de ces textes, de ces textures diaprées, de nous insinuer dans l’oreille les couleurs harmoniques aux nuances les plus infimes.
Oui, je l’ai écrit, ce début de XVII e siècle baroque invente, innove, explore dans tous les domaines. Mais,  ce large vaste éventail de possibilités va vite se rétrécir, ces découvertes, victimes de leur succès, seront vite rhétorisées avant de devenir, par la répétition et l’usure, des clichés académiques que seuls transcenderont quelques génies singuliers.

Institut Culturel Italien de Marseille , 20 octobre.
Caprices napolitains : Ascanio Mayone, un Monteverdi instrumental.
Distribution : Jean-Marc Aymes, clavecin et orgue ; Mara Galassi, harpe.

Photos Marie-Ève Brouet:
1. Jean-Marc Aymes:
2. Maria Cristina Khier;
3. Stepen MacLeod;
4. Valerio Contaldo.
5. Mara Galassi.

* Girolamo Frescobaldi, Il Secondo Libro di Toccate, Canzoni alla Francese, par Jean-Marc Aymes, Ligia Digital, Distribution Harmonia Mundi.



dimanche, octobre 25, 2009

DER ROSENKAVALIER

DER ROSENKAVALIER
(Le chevalier à la rose)
Opéra en 3 actes
Livret d’Hugo von Hofmannsthal, musique de Richard Strauss
(1911)

L’œuvre
Le Bavarois, Richard Strauss (1864-1949) et Hugo von Hofmannsthal le Viennois sont, à l’opéra, un couple aussi indissociable que Mozart et da Ponte pour le meilleur de leur respective et commune production.
Après son premier succès lyrique, Salomé (1904-1905) sur le texte français d’Oscar Wilde (avant sa mise en allemand, Strauss renoue avec le succès grâce à Elektra (1906-1908) sur le livret du dramaturge von Hofmannsthal. Mais après la sensualité vénéneuse et perverse de Salomé dans une Judée décadente et corrompue, après l’hystérie frigide de la vierge sanguinaire et matricide des Atrides, où le musicien explore des chemins musicaux extrêmes aux limites de la tonalité et le librettiste des abîmes d’un inconscient qui n’ignore pas le Freud viennois, les deux hommes s’entendent sur un sujet léger hérité de Molière, Mozart, dans une esthétique Art Nouveau, ou Jugendstile germanique, ce néo-rococo qui baigne de sa claire lumière grise et rose ce début de XX e siècle encore léger et heureux, à peine trois ans avant les convulsions de la Grande Guerre qui balaiera cet ancien monde et cet Empire austro-hongrois raffiné et décadent qui vit ses dernières heures sans le savoir. C’est pourquoi le spectateur éclairé ne voit jamais cette œuvre sans y projeter, rétrospectivement, une nostalgie historique qu’elle possède certes par son retour à un XVIII e siècle et une Vienne de rêve, idéalisés, mais sans sentir sinon pressentir le proche cataclysme.
Mais cette mélancolie s’incarne de plus, humainement, par l’héroïne principale dont l’automne glorieux est miné par sa confrontation avec le printemps inconscient de son jeune amant, fatalement fasciné par une fille du même âge : la Maréchale, Comtesse des Noces de Figaro qui aurait cédé à Chérubin, trompant élégamment son mari à la chasse, après la prise de conscience d’une coiffure qui la vieillit et une belle méditation sur la cruauté du temps qui passe, sans attendre d’en être au crépuscule, rompt et rompt (métaphoriquement) à temps son miroir avant de voir ses appas dépréciés : elle abandonne avant que de l’être, fait le bonheur de deux jeunes gens, ne pouvant faire le sien. Elle reste la maîtresse, sinon d’Octavian, de la situation. Prolongement mozartien, conversation musicale avec des lignes wagnériennes de mélodie continue où se mêlent des éléments bouffes et une légèreté d'opérette viennoise.

La réalisation
Venue de Monte-Carlo, cette production manifeste une cohérence scénique (décors et costumes de Bruno Schwengl), du début à la fin: fond d’arbres toujours fleuris au jardin de l’amour d’une chambre à coucher où trône le lit, baignés d’aube au lever de rideau, ou gagnés par la nuit à sa tombée dans l’auberge (lumières de Davy Cunningham), en passant par l’arrière-plan qui en fait le parc du palais du bourgeois à moyens et prétentions de gentilhomme qu’est Faninal. C’est poétique et beau. On n’en dira pas tant des rideaux outrancièrement plastique du salon de Faninal, malgré deux éléments d’un Baroque doré stylisé, à moins d'en vouloir signifier le mauvais goût de parvenu. Les meubles rococo, lit, paravents, fauteuils, bois doré à tapisserie verte, rares mais somptueux, et les costumes, sombres sobrement à l’exception lumineuse de ceux de Sophie et d’Octavian, doré et argent, sont élégants.
Presque du début à la fin, en une sorte de contrepoint chorégraphique plein d’humour, quelques valets, presque aussi rustres que leurs maître, le grotesque baron Ochs sauvé de l’odieux par sa bouffonnerie bouffie d’orgueil nobiliaire, mènent une ronde parasite, se vautrent sur le lit de la Maréchale, incongruité qui prendrait son sens si l’on songe aussi à la proche vandalisation des châteaux pendant la Révolution française pour se venger de ce monde au fond impitoyable d’un Ancien Régime où artistes (chanteur, musiciens, modistes), familles en détresse (orphelines), étrangers sans travail (intrigants italiens), commerçants, armée de domestiques, sont à la merci d’une classe possédante, contraints de faire antichambre pour en espérer une obole pour vivre. En cela, la mise en scène respectueuse de Dieter Kaegi et le beau jeu d’acteurs serait une subtile réussite.

L’interprétation.
Dès l’ouverture, cette sorte de galop érotique, frénétique, qui monte au paroxysme et climax orgasmique, dans un spasme de cocorico mâle, puis retombe dans l’apaisement d’une chair comblée qui cherche sa respiration et se retrouve dans l’apaisement d’une sorte de chuchotement masculin et féminin, thème de la Maréchale, on a toute la dualité de cette œuvre enivrée de wagnérisme orchestral doucement mitigé de douceur mozartienne: Philippe Auguin, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, en mène de main de maître les crescendi et en estompe délicatement les sourdines, la puissance et la grâce.
Sur ce tapis somptueux, les voix éclosent et se déploient dans la grande courbe voluptueuse straussienne, en floraison épanouie au dessus de l’orchestre. En Maréchale, la soprano Gabriele Fontana rayonne d’un timbre riche, plein, lumineux dans ses larges aigus arrondis, voix puissante et maîtrisée, déployée et ployée au chuchotement, au murmure de la femme qui se parle à elle-même. Joueuse et juvénile après l’euphorie de la chair comblée dans les jeux avec son jeune amant dont elle semble alors partager les jeux enfantins, la jeunesse, elle retrouve sa gravité et une vérité bouleversante, dans sa méditation sur l’âge, sublime de noblesse dans le renoncement final.
Dans le rôle travesti d’Octavian, la mezzo Kate Aldrich réussit l’exploit d’être crédible physiquement et vocalement dans ce rôle de jeune amant fougueux, passionné, et, faux garçon déguisé en fille, de rendre sensible sans caricature la gaucherie du garçon travesti : double travestissement dans deux sens et deux genres, confondant et troublant de vérité, avec un vrai timbre, féminin somptueux.
Face à elles, Margarete Kobucar est une Sophie pépiante et mélodieuse, gamine éblouie dans l’aigu éblouissant de la remise de la rose d’argent, déjà femme triomphante mais suspicieuse face à la Maréchale qui lui fait cadeau de son amant. Sophie Pondjiclis fait mieux que simplement camper l’intrigante Annina : elle existe par sa belle présence et, en une seule scène, Anne-Marguerite Werster s’impose aussi dans cette comédie en musique si attentive à la théâtralité.
Avec Massenet et avant Puccini, Strauss, époux aimant d’une soprano, est sûrement le compositeur le plus amoureux des femmes, cœur palpitant de ses œuvres. Cependant, ici, le ridicule Baron Ochs, qui devait primitivement donner son nom à l’opéra, est le personnage le plus présent en scène et sa valse d’autosatisfaction dynastique est dans toutes les mémoires : personnage entre Monsieur de Pourceaugnac de Molière, dupé par les jeunes amoureux et le Falstaff coureur de jupons, sans caricature ni physique ni vocale, en jouant subtilement de sa superbe voix de baryton, il trouve son digne interprète cocasse en Manfred Hemm. On saluera la belle voix de Lionel Lhote en Faninal ébloui et naïf, la souple incarnation de Valzacchi par Oliver Ringelhahn en regrettant que le timbre raffiné du sensible ténor Avi Klemberg soit malgré tout un peu en retrait de la rutilance orchestrale. Tous les personnages qui fourmillent dans cette œuvre sont bien en place dans une mise en scène réglée comme du papier à musique, dont les chœurs (Pierre Iodice) sont à saluer.

Photos : Christian Dresse
1. Heureux amants (Gabriele Fontana et Kate Aldrich);
2. Séparation?
3. Relise de la rose: Margareta Kobucar et Kate Aldrich.

Der Rosenkavalier
Direction musicale : Philippe Auguin ; Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille.
Mise en scène : Dieter Kaegi; décors et costumes Bruno Schwengl ; lumières : Davy Cunningham

Distribution:
La Maréchale: Gabriele Fontana; Octavian: Kate Aldrich ; Sophie : Margareta Kobucar ; Annina: Sophie Pondjiclis; Marianne: Anne-Marguerite Werster ; Le baron Ochs: Manfred; Faninal : Lionel Lhote ; Valzacchi : Oliver Ringelhahn ; Un aubergiste / Majordome de la Maréchale : Christian Jean ; Un commissaire de police: Eric Freulon ; Un chanteur italien: Avi Klemberg ; Un notaire: François Castel ; L’Intendant de Faninal : Ji Hyun Kim.

Opéra de Marseille :
30 septembre ; 2, 4 et 7 octobre 2009.