mardi, juillet 29, 2008

III e FESTIVAL DES MUSIQUES INTERDITES

III e FESTIVAL DES MUSIQUES INTERDITES
(II)
Opéra de Marseille
12 juillet

Après ce temps fort hors du temps en rappelant l’horreur d’un temps, d’un camp, le lendemain 12 juillet, ce fut une soirée consacrée à trois autres musiciens frappés d’interdit Nicolae Bretan (1887-1968), victime du stalinisme, Paul Aron Sandfort (1930-2007), rescapé de Terezín, et Viktor Ullmann (1898-1944) qui n’en revint pas après sa déportation à Auschwitz. Ce concert avait également été présenté à Terezín le 22 juin.
La première partie de la soirée, présidée par sa fille Judit, fut un hommage au grand compositeur Nicolae Bretan, Hongrois pour les Roumains, Roumain pour les Hongrois, né en Transylvanie, marié à une juive dont toute la famille fut exterminée. Ballotté d’une nationalité à l’autre, c’est dans la musique qu’il fit sa résidence sur terre, composant 210 lieder en hongrois, roumain et allemand, réunis sous le titre significatif de Mein Liederland (‘La terre de mes chants’). Premier baryton à l’Opéra, il compose trois chefs-d’œuvre de concision, en un acte, Lucifer (1921), Golem (1924) et Arald (1942), trois contes poétiques et philosophiques, pour quatre personnages, dont il écrit lui-même les livrets. Ce sont ces deux derniers dont nous avons le privilège de la création en France en forme de concert.

Golem et Arald
Golem est une belle histoire biblique de cet embryon, cette substance informe d’argile selon le sens hébraïque. Un rabbin arrive à le former et à l’animer presque comme un homme ainsi que Dieu avait fait d’Adam : l’homme démiurge, créateur, rivalise ainsi avec Dieu, son Créateur. Comme Frankenstein, comme des robots de notre temps dans tant d’histoires, la créature créée de la sorte se révolte et manifeste un désir complet d’humanité qui lui sera refusé, ici, l’amour de la fille de Löw, son Docteur fou qui l’a créé. C’est inverse de la poupée mécanique, Olympia, fabriquée par Coppélius dont s’amourache le poète dans les Contes d’Hoffmann : l’homme tombait amoureux de la créature artificielle, ici, c’est la créature artificielle amoureuse d’une humaine, drame romantique de l’amour impossible qui hante aussi les légendes de sylphides, ondines et autres Roussalka amoureuses aux dépens de leur vie d’un beau Prince, que l’on retrouve aussi chez la Brünnhilde de Wagner hasardant sa divinité car humaine, trop humaine. Conflit entre l’homme et le divin.
Cela est servi par une musique fluide, très lyrique, d’une tonalité très élargie, aux harmonies subtiles miroitantes, d’une grande richesse de timbres instrumentaux, sensuelle, immédiate. Le discours vocal, mélodique, est continu sans géométrie formelle sensible d’air à découpe, d’une grande force, dans un orchestre très nourri, très symphonique. On ne s’étonnera pas que la voix de baryton, comme celle du compositeur, y soit très sollicitée : Jean-Philippe Lafont, en Golem, maîtrise le torrent de sa voix chaude jusqu’à l’humble supplique, rugit de menace, tonne et murmure avec une touchante vulnérabilité de colosse humanisé quémandant sa totale humanité, posant des questions existentielles universelles : à quoi bon avoir été créé, pourquoi des yeux, des bras, pour n’étreindre que le néant? Jean-Luc Viala exprime avec une grande sensibilité, de sa voix tendre de ténor, le dilemme du rabbin créateur presque dépassé par sa créature et père aimant, défendant sa fille, enjeu du conflit, une Delia Noble, gracile et belle silhouette, soprano léger, toute faiblesse et fragilité. Sorte de servant infernal du Maître, Roman Vocel, en une brève intervention, met en lumière l’ombre profonde de sa voix.
Après ces 45 minutes intenses, les 25 minutes d’Arald, légende poétique, épique, moins humainement universelle, débutent par une sorte de chevauchée fantastique, dans une effervescence héroïque où passe le frémissement, orchestré à une échelle grandiose, de Roi des Aulnes de Schubert. Réminiscences ou citations, on a du mal a décider par rapport à des situations complexes, moins archétypales que dans la première œuvre, on sent passer des souvenirs mélodiques de Carmen et des questions de Sigmund à Brünnhilde sur le Walhalla dans la Walkyrie de Wagner. Sans air de forme close, il y a tout de même, un grand retour formel, du texte et de la musique, presque à la fin dans la bouche du Mage qui revient sur lui-même. Encore une fois, le baryton y a la voix essentielle et le même quatuor vocal sert ardemment cette épopée lyrique.
Économe en gestes pour déployer les richesses de ces deux partitions, Antoine Marguier, pour la troisième fois à sa tête, enflamme l’Orchestre Philharmonique de l’Opéra de Marseille et la salle d’une baguette incandescente.
Le format bref de ces œuvres que nous avons le privilège de découvrir, est un mince handicap qui peut se résoudre en les programmant, pour des raisons d’affinités géographiques et historiques avec le bref Château de Barbe-Bleue de Bartok ou La Vie brève de Manuel de Falla, opéras courts trop absents de nos affiches.

Le Rabiot
La deuxième partie de la soirée était d’abord consacrée à la création française de Nachschub (‘le rabiot’) de Paul Aron Sandfort, déjà jouée à Terezín, Manchester, Londres et Berlin. Décédé il y a un an à Hambourg, cet auteur, dramaturge et compositeur, après que son père, réfugié, fut arrêté à Paris par la police française puis exterminé, fut interné à 12 ans à Terezín où il fut trompette dans l’orchestre du fameux et terrible Requiem (celui de Marseille était dédié à sa mémoire) et dans un opéra, car le miracle de l’humain c’est l’activité intense de vie artistique, de vie donc, de ce camp. Libéré en 45 par la Croix Rouge danoise (car cet « apatride » né en Allemagne avait la nationalité danoise), en 1947, il écrivit ce poème déchirant sur son expérience d’enfant dans ce camp dont il fit, en 2007, cette sorte de mélologue ou mélodrame dans la tradition tchèque ancienne de Jiri Benda (1722 - 1795), un poème récité sur et entre la musique écrite pour un septuor constitué, ici, par les Solistes de l’Orchestre Philharmonique de l’Opéra de Marseille, le poème étant confié à l’émouvante Dominique Koudrine.
On n’évoque pas sans serrement de cœur ce texte d’un adolescent sur son expérience d’enfant martyr comme ces milliers ou millions d’autres, ces queues d’espoir devant la cuisine, l’espérance des déchets, des épluchures pour subsister, survivre, l’horreur désespérée d’arriver quand la maigre pitance est terminée, le froid, la peur, que la récitante, avec ses simples intonations, quelques gestes sobres réglés par Michel Pastore sous des lumières blêmes de Roberto Venturi, nous assène, de sa douceur, en plein cœur.
Encore une fois, trop d’émotion pour juger l’œuvre, la course folle d’apocalypse des cordes stridentes du début, les gémissements de la flûte, une harmonie qui n’arrive pas à se construire. Et le pourrait-elle face au mur d’incompréhension contre lequel on se casserait indéfiniment la tête : POURQUOI ?

Sonate de Terezín
Disciple de Schönberg, sans être jamais inféodé à son atonalisme et sérialisme, Viktor Ullmann était un compositeur célèbre quand il fut interné 26 mois à Terezín, dont il ne sortira en 1944 que pour un camp de la mort. C’est dans ce lieu tragique et miraculeux qu’il composa une vingtaine d’ouvrages, dont deux symphonies, un opéra (L’Empereur d’Atlantis ou le Refus de la mort…), un mélodrame sur un poème de Rilke et trois sonates pour piano, dont la dernière en juillet 44. Il fut gazé le 18 octobre.
La vie chevillée au corps traverse donc cette œuvre taraudée par l’urgence, belle, puissante, servie avec ferveur par Vladik Polionov au piano. On cherche à se raccorder, pour évacuer l’émotion, à son jeu formel subtil, d’une modernité échappant aux assauts d’un modernisme officiel, de pousser la tonalité dans ses extrêmes limites atonales mais il faut renoncer car revient toujours la lancinante interrogation. Je me dis qu’il faudrait une autre écoute, sereine, qu’on rêve dans un festival de piano, tout en sachant impossible une écoute du texte pianistique coupé de son contexte historique et biographique.
Le grand Baltasar Gracián, persécuté à sa manière pour le crime de se vouloir artiste, écrivain, envers et contre tous, écrivain, écrivit :
« L’art fut peut-être le premier emploi de l’homme dans le paradis. »
Nous avons ici la preuve que c’est vrai aussi en enfer.

Photo : Viktor Ullmann

Samedi 12 juillet, Opéra de Marseille
Création de deux opéras de Nicolae Bretan sous la présidence de Judith Bretan, en collaboration avec l’Opéra de Bucarest et The Nicolae Bretan Fondation.

Nicolae Bretan
Golem et Arald, création française ;
Direction musicale: Antoine Marguier
Avec : Delia Noble, Jean-Luc Viala, Jean-Philippe Lafont, Roman Vocel ;
choeur Adfontescanticorum, direction Jan Heiting ;
Orchestre philharmonique de Marseille .

Paul Aron Sandfort
Le Rabiot, création mondiale dans le cadre du
III e Festival des musiques interdites.

Viktor Ullmann :
Sonate de Terezín
Avec: Vladik Polionov, piano,
Quatuor et solistes
de l’Orchestre philharmonique de Marseille

samedi, juillet 26, 2008

IIIE FESTIVALS DES MUSIQUES INTERDITES (I)

III e FESTIVAL DES MUSIQUES INTERDITES
Opéra de Marseille

11 juillet
De dégénéré à interdit
« Interdites » mais ardemment défendues par Michel Pastore, son Conseiller culturel, et le Consul d’Autriche à Marseille, Jean Léopold Renard. De Marseille, de cette enclave d’une Autriche revenue d’un électrochoc électoral qui choqua l’Europe, ces deux hommes, adonnés avec passion à la tâche d’en revisiter le passé, se sont donnés la mission d’exhumer et de faire revivre tout ce pan du patrimoine musical européen exécré, excommunié et exécuté par les nazis sous le titre infamant révélateur de : Entartete musik, ‘musiques dégénérées’. « Dégénéré » : ‘qui s’écarte du ‘gène’ réputé bon (aryen), ‘qui sort du rang’ (formé par qui ?), qui s’écarte de la règle, de la norme (décrétées par qui ?), de la loi (édictée par qui ?). Bref, tout qui ne va pas, qui ne file pas droit dans la bonne direction assignée par le Pouvoir, vers le bon sens signalé par l’index, dans le sens unique obligatoire d’un art officiel et d’une société aux ordres où tout ce qui n’est pas interdit est obligé, tout cela est forcément (par la force) décrété insensé, le fou étant naturellement l’Autre, étrange et inquiétant, le non politiquement correct, le non bien-pensant, le non-conforme et conformiste, en somme, le déviant, le dévoyé, sorti de la bonne voie et remis sur les rails uniformes (vert-de-gris) conduisant à Auschwitz. Ou aux asiles psychiatriques staliniens. Dictatures du monde entier, unissez-vous : même combat contre la culture libre et la libre pensée.
On imagine la ferveur, la foi de Pastore et des associations qui ont soulevé des montagnes et permis de se fédérer en une plateforme européenne pour pérenniser recherches et colloques sur ces musiques étouffées auxquelles ce Troisième Festival vient apporter un oxygène vivifiant, soutenu par l’ARES (Association pour l’enseignement et la Recherche de la Shoah en France), la République tchèque, l’Opéra de Bucarest et, ici, l’Opéra de Marseille qui offre fidèlement un lieu et un orchestre.

Verdi à Terezín
Forteresse autrichienne du XVIII e siècle que le régime nazi, déjà en pleine déroute, voulut ériger en « ghetto modèle : le tout confort possible pour cette antichambre de la mort, camp de transit direct pour Auschwitz-Birkenau, camp modèle d’extermination industrielle de masse, fonctionnant jusqu’à la fin.
1933 et 1937 : les expositions d’ « Art dégénéré » (entartete Kunst, selon l’expression de Goebbels) montées par les nazis condamnaient tous les courants de l’art moderne, Impressionnisme, Cubisme, Dadaïsme, Expressionnisme, Futurisme, Abstraction, illustrés par Cézanne, Kandinsky, Miró, Picasso, Matisse, Soutine, Chagall, etc. œuvres confisquées, détruites, qui vont rejoindre les autodafés de livres interdits. Suit l’exposition de Düsseldorf en 1938 : Entartete musik. Si l’on n’a pas oublié non plus, on ne s’interdira pas de rappeler tout ce que la modernité culturelle européenne doit à une élite culturelle « juive » d’Europe centrale : Freud, Mahler, von Hoffsmanthal, Kafka, Schönberg, Berg, Korngold, etc.
On ne s’étonnera donc pas qu’aux confins de Berlin, Vienne, Prague, dans ce camp de Terezín de Bohême, prévu pour 5000 internés mais y entassant 80 000 déportés, se retrouve un grand nombre d’artistes, dont nombre de musiciens, interprètes ou compositeurs dont le seul crime est d’être nés. Juifs. Parmi eux, le chef d’orchestre tchèque Rafael Schächter qui, malgré la faim, le froid, la misère, aide à la survie grâce à la musique. Pour donner le change à l’opinion internationale enfin éveillée au sort des Juifs, les nazis permettent au chef de monter le Requiem de Verdi, spectacle paravent cynique et pervers donné pour la visite de la Croix Rouge et devant les dignitaires nazis, dont Eichmann, en 1944, alors que la machine à tuer ronronne à plein rendement. Schächter prépare orchestre, choristes, les quatre solistes, recommençant inlassablement, formant des remplaçants quand les convois incessants de la mort diminuent impitoyablement ses effectifs. Lui aussi prendra le train pour Auschwitz. Messe de Requiem catholique, messe des morts écrite par un athée et jouée par des Juifs devant leurs bourreaux pour masquer le génocide…

Verdi Requiem à Marseille
Josef Bor, un juriste tchèque, survivant, fut témoin des répéitions et en a laissé un terrible récit dans un livre (Éditions du Sonneur) dont Michel Pastore a tiré un texte sobre, une sorte d’oratorio pour une voix parlée soliste qui fait le lien entre les parties de l’œuvre, jouées ou rejouées dans l’ordre ou le désordre de l’exécution (mot terrible !) des répétitions à Terezín, selon la présence ou l’absence des solistes partis successivement dans les convois de la mort. Donc (seule restant jusqu’au bout la soprano) pour quatre solistes requis, sept exécutants, les uns venant remplir le vide laissé par les partants. Traduit en tchèque, ce Verdi Requiem fut donné en première audition le 21 juin à Térezín même, avant de venir à Marseille
Le récitant, c’est Fabrice Luchini, chemise blanche, voix nue, dans une simplicité complexe qui contient (de) l’émotion, qui détaille les phrases, mord syllabe par syllabe les mots, avec crudité et lucidité, commente les parties de l’œuvre qui s’affichent en latin sur un écran avec un sens terrible : « Dies irae » (‘jour de colère’), « Libera me… » ('Libère-moi de la mort éternelle au jour de colère terrible') et ce « Recordare » dédié au souvenir que le chef place au début, comme un défi et une dédicace à ceux qui sont déjà partis, et le « Lacrymosa » sur les larmes à la fin. Jamais Messe des morts ne porta mieux son nom.
Que dire de cette interprétation, ou, plutôt, célébration, cérémonie musicale retrouvant le sens profond et puissant de cette Messe des morts devant une salle comble, vibrante, bouleversée, en larmes souvent ? Les mots semblent alors dérisoires et le jugement doit laisser parler l’émotion. Tous les interprètes, du chœur à l’orchestre, on les sent conscients de cette sorte de mission de résurrection exceptionnelle et font corps autour du chef Cyril Diederich qui les enflamme, insuffle la tempête ou l’apaisement. Marie-Ange Todorovitch est la mezzo au timbre à la couleur « boisée », égal et rond, pétri d’humanité chaude, douloureuse et noble et Veronika Hajnova, à qui elle laisse la place après le départ vers l’ombre qu’on sait, plus fragile, dorée, déploie des envols mordorés d’âme souffrante. Jean-Luc Viala exprime une sensibilité frémissante en tendres touches, remplacé par la jeunesse éclatante et déchirante du jeune Jesús García. Jean-Philippe Lafont et Roman Vocel apportent la touche sombre de leur voix de ténèbres ardentes. Mais, lumineuse, avec un vibrato suave qui semble la vibration d’aile d’un ange, Sandrine Eyglier est une âme élue. Restée seule comme la chanteuse de Térézín qui chanta pour la première et dernière fois le Requiem devant ses bourreaux, elle est un pan de ciel descendu en enfer.

Photos :
1. Térézín ;
2. Auschwitz
3. Rafael Schächter.

jeudi, juillet 17, 2008

ENFER SANS DAMNATION

HELL

D’Emio Greco et Pieter C. Scholten
Festival de Marseille


L’art est difficile mais critiquer n’est pas aisé. Du moins quand le critique se donne le travail, peu facile, d’abord, de comprendre l’artiste, son propos, sa proposition puis d’en rendre compte en comptant, avec défiance, sur sa propre subjectivité car un sentiment ne peut passer pour un argument. Le pire est de céder à la facilité de la formule, du mot qui peut causer bien des maux s’il n’est pas pesé, léger à qui l’écrit, lourd chez qui il s’inscrit dans la vive chair de sa dignité et de son travail.
Ainsi, on ne tombera pas infantilement à pieds joints dans le piège du cliché facile du « l’enfer est pavé de bonnes intentions » qu’on a entendu, intention et tentation sottes et méchantes du lieu aussi commun que la fosse commune de l’enfer de la banalité à propos de Hell, ‘enfer’. Pour juger ce spectacle qui déménage d’abord et remue ensuite, il faut oublier certes une présentation malheureuse du programme qui l’annonce comme une festive réjouissance passant du hard rock à la comédie musicale, ce qui ne correspond qu’au dix premières minutes, follement endiablées et joyeuses, mais ne répond nullement à la longue suite : de la fête de la vie à sa défaite, la mort.
Dans une folle ambiance de discothèque, mais noire comme une messe, une kermesse funèbre, danse en noir, rythme infernal, pulsion, pulsation, frénésie, ivresse de vie mais guettée, hantée par une ombre. Puis sonnerie de glas, glaciation, ralentissement du rythme des corps et du cœur, grondements, grincements, crissements, sinistres grillons ou stridulations de cigales ; cris lointains d’enfant d’une lointaine enfance du début de vie : peut-être l’homme-roi dont le clairon qui annonce sa venue en ce monde n’est jamais que celui de ses pleurs, qui annoncent ce qui l’attend dans cette vallée de larmes, dans son parcours du berceau au tombeau. Pour qui sonne le glas ? Certes, dans des déflagrations, des mitraillades, les danseurs, fauchés dans leur envol, disloqués, tour à tour tombent sur le sol ; le frémissement de chair frappée au cœur qui se débat encore est saisissant : le protagoniste tremble, semble vivre sa mort, jusqu’au dernier souffle qui fait tressaillir les fibres ultimes de sa jambe. Mais dans cette pénombre d’angoisse, cette brume, le spot qui se promène sur les spectateurs, lentement, spectralement, éblouit, aveugle : éblouissement de la vie, aveuglement de l’existence, nous ne sommes plus une masse indistincte de spectateurs mais des acteurs aussi, des individus singuliers impliqués, chacun tour à tour désigné, éclairé par le spectre de la mort. On devine Le jeune homme et la mort, La jeune fille et la mort mais, dans cette médiévale et baroque danse macabre, c’est l’égalité de tous devant la mort, l’arbre dépouillé côté jardin, et, peut-être, du jugement d'un Dieu attendu comme le Godot de Becket, porte étroite du salut côté cour, à la volte et montants éclairés d’une double couronne d’ampoules.
Portés par toute la technique classique tournée et détournée vers un expressionnisme impressionnant (comme ces mouvements d’exercices à la barre périphérique exécutés au centre, en groupe), les danseurs sont prodigieux. Quand, avec la beauté du diable, nus, frémissants, ils se campent sous l’arbre décharné, chairs sculptées sous des lumières livides, on songe à la peinture flamande, à des groupes de Cranach l’Ancien, contemporain d’un Michel-Ange et de ses réprouvés du Jugement dernier : signature des deux chorégraphes, l’un du nord, l’autre du sud, unis par cet Enfer de Dante dont la Béatrice serait cette ombre errante.
Dans cette angoisse lugubre, la romance de Nadir des Pêcheurs de perles de Bizet, en tango, sonne comme un ciel rêvé entrouvert sur l'espace que les quatre notes du début de la Cinquième symphonie de Beethoven viendra balayer comme un inéluctable destin : beau et terrible, le nôtre.
Mais l’enfer, c’est les autres, le monde : moi et les autres, les autres et moi dans le je(u) spéculaire de la vie. Et dans ce hangar, temple d’un travail dans ce port déserté ou déshérité, cet enfer prend un sens aigu aujourd’hui : de l’enfer du travail d’autrefois, nous sommes passés à l’enfer du manque de travail.

En 2007, le Syndicat professionnel de la critique de théâtre, de musique et de danse, a décerné à ce ballet le titre de « Meilleur spectacle étranger

Festival de Marseille 2 et 3 juillet 2008, Festival d’Avignon, 23 et 24 juillet
HELL (création 2006)
Chorégraphie : Emio Greco / Pieter C. Scholten ;
Conception lumières, scénographie et son : Emio Greco | Pieter C. Scholten ;
Lumières : Henk Danner ;
Costumes : Clifford Portier ;
Danseurs : Ty Boomershine, Victor Callens, Vincent Colomes, Sawami Fukuoka, Emio Greco, Nicola Monaco, Marie Sinnaeve, Suzan Tunca.


Photos : Laurent Ziegler

samedi, juillet 05, 2008

FESTIVALS 2008 (Orange, Roque d'Anthéron, Salon, Peynier, etc)

(F)ESTIVAL DANS LA RÉGION PACA

Estival se cache sous festival. Par la vertu de la consonance, de la paranomase dirait-on en bon terme rhétorique, on ferait presque des synonymes de ces mots. Or, ces festivités artistiques en un lieu et une période donnés n’ont pas de saison, tel le printanier Festival de Cannes ou le Festival permanent des deux saisons de Toulon, hiver été, dont la frontière entre les deux n’est que la belle étoile qui permet des concerts à l’air libre. Mais, la Région PACA étant devenue, sinon une terre de mission une Terre de Festivals, pour ceux qui ne veulent pas simplement bronzer ou toaster idiots, on survolera quelques festivités d’été, ces festivals estivaux –en bon accord grammatical.
D’abord, on saluera la belle diversité des programmations : des musiques savantes, anciennes ou contemporaines, au rock et aux musiques du monde, de l’art lyrique aux variétés, du théâtre le plus classique au théâtre de rue, de la danse contemporaine aux danses folkloriques, de la photographie au cinéma, l’éventail est aussi large que les prix. On remarquera ensuite, qu’Avignon a déjà été capitale européenne de la culture et que la région a deux autres villes candidates, Nice et Marseille, qui peuvent honnêtement y prétendre malgré l’étrange politique locale, reflet de la nationale, qui sabre paradoxalement les subventions de la culture et, dans la cité phocéenne, menace des théâtres, dont tel, vrai et rare foyer régional de création.
Dans la fonte des subventions décrétée d’en haut, on constate que l’Etat semble réserver ses subsides aux manifestations de prestige, abandonnant aux collectivités locales, qui assument déjà le financement des structures, un art et une culture du terrain attentifs aux publics moins favorisés et plus éloignés des grands centres culturels et artistiques, officialisant de la sorte une politique culturelle à deux vitesses, renversement historique des lois Malraux et leur rêve d’élitisme démocratique de l’art pour tous. Retiré de certains petits festivals, le Ministère en a signé la mort.

Culture intermittente
Un festival, fête à durée limitée, est donc, littéralement, une manifestation que je dirais « intermittente » si ce terme n’avait aujourd’hui fonction d’épouvantail : reposant en très grand majorité sur le travail, très précaire, des « intermittents du spectacle » (artistes et techniciens), voués au chômage plus qu’à la scène, les festivals ne peuvent survivre sans eux pas plus que les grandes villes festivalières ne peuvent économiquement vivre sans leur festival : 1€ investi dans la culture engendre 5, 30 € de retombées économiques induites.
Significatif : après la vague des annulations de festivals due aux grèves des intermittents il y a quatre ans, face au désastre économique de la Ville des Papes, la Maire réélue d’Avignon, UMP, fidèle du gouvernement qui mit le feu aux poudres en faisant exploser leur statut, appelait aussitôt à la concertation pour débattre du problème. Débattu, non résolu : on se souvient, 30 000 intermittents rayés, le double, prévus ensuite, puis le brouillard. De l’art de faire baisser, sinon le chômage des artistes, les statistiques. La culture, dans cette Région, entraîne 30 000 à 40 000 emplois par an dont seulement 12 000 permanents. Les intermittents sont donc largement employés…sans emplois fixes.
Quelque 50 festivals morts en 2006 faute de moyens, 305 restaient en 2007 ; aujourd’hui, 282 sur 279 communes. Mais concentrés presque tous en une saison. Donc, les lampions du festival éteints, certains lieux retournent à leur désert culturel après la floraison estivale. En dehors des grandes villes, la culture est donc bien intermittente. Echelle du phénomène : si le Festival in d’Avignon offre une cinquantaine de manifestations (lectures comprises), le off est le parent pauvre, proposant chaque année (de sa poche) plusieurs centaines de représentations par quelque 400 compagnies.

Festivals de…
Les festivals sont d’abord de…lieux : Festival d’Avignon, de Bargème, de Beaulieu, de Brignoles, de Gardanne, de Lacoste, de Marseille de Martigues, de Méouges, de Mimet, d’Olivary, de Peynier, de Ramatuelle, de Roubion, de Salon, de Serres, de Trigance, etc, presque à l’infini des villes et villages de la région. Ces lieux se précisent parfois vaguement In situ, se dessinent localement en Enclave, Village, Rues, Côté cour, l’Enclos, les IV colonnes, Parvis, Parc, en campagne, Festi’Val des Prés, des oliviers, dans les vignes, sous les pins, du Rocher, des collines, dans l’eau, etc, avec une prédilection populaire aristocratique pour les Châteaux (Amphoux, l’Empéri, Gréoux, Mandelieu, Peyrolles, Trets, Vins, etc), le Palais (des Bulles), un goût martial pour la Citadelle, la Courtine, ou, plus pieusement, dans une gradation monacale et ascétique, les Abbayes, la Chartreuse, l’Ermitage, et les chapelets d’églises et de chapelles. Tel autre se décline modestement Opérauvillage.
Certains festivals se déclarent poétiquement sous les étoiles, d’autres, précisent lumineusement nocturnes (Palais des papes, piétonnes, Vins) et, au cas où l’on n’aurait pas compris que jamais au grand jour, d’autres insistent : les nuits (blanches, estivales, guitares, Caroline, du Brusc, du Rocher, de Parons, de Juan, de Garoupe, de Nesque, de Fréjus, de Coudon, du blues, du jazz chaud, de Nice, etc). Sans doute à l’estranger frivole, on prend soin d’indiquer la direction du Sud et de bien souligner la saison : festival d’été, musiques d’été, soirées d’été, les estivales (Allauch, Aiguilles, Carpentras, Coudoux, Puyvert, Turriers ), les estivades, et, bien sûr, festival estival.
Si beaucoup de festivals affichent platement leur matière d’Art lyrique, de chorales, de guitare, de piano, de flamenco, de jazz, du livre, de théâtre, etc), d’autres proclament ou menacent : Gare aux oreilles!, Festival de musiques inclassables, Contre courant, musique en liberté, ou en remettent Encore plus fort! Certains se font ambigus, prometteurs: les journées particulières, peut-être complétées des nuits des falicomédies à phallique écho ou incitent à La folie des lacs.
D’autres déclarent une couleur un peu trop exclusive, semblant maladroitement réserver leur festival aux gens d’aqui. On lui préfère celui de Convivència, (coexistence), et tous les festivals métis dont celui, unanimiste et universaliste Tous humains sous les étoiles du Haut Verdon.

Photos
1. Le château de l'empèri, Salon ;
2. Peynier.

Lieux du cœur

Orange
C’est pourquoi, au moment de présenter quelques lieux intimes privilégiés, on saluera Orange et ses grandioses Chorégies, auto-financées à 90 %, condamnées au succès populaire par une municipalité que l’on sait, qui suspend sur sa tête l’épée de Damoclès d’une subvention, promesse tenue ou retenue. Le toit nouveau protège le mur de scène soumis au rages et aux ravages des vents et de la pluie. Puisse-t-il être un parapluie protecteur contre la ruine, sinon du temps, de notre triste époque politique.

Photo : Il trovatore de Verdi, 2006

Chorégies d’Orange
Du 12 juillet au 5 août 2008
Carmen de Bizet : 12 et 15 juillet, 21h45 : Plasson, Uria-Monzon, Jaho, etc.
Faust de Gounod, 2 et 5 août ; 21h30, Plasson, Alagna, Mula, etc.
Opéras :
Prix : 48 à 220 € ;
Requiem de Verdi : 19 juillet, 22 h.
Prix : 14 à 90 €.
Requiem de Fauré : 26 juillet, 21h30.
Prix : 14 à 30 € ;
14 juillet au Théâtre Antique, projection d’Orphée et Eurydice de Gluck, chanté par Roberto Alagna dans une production de Federico et David Alagna sur la scène des Opéras de Bologne et Montpellier. Entrée libre
Tél. : 00 33 (0)4 90 34 24 24


Festival international de Piano de la Roque d’Anthéron
Réduire le Festival de Piano de La Roque d’Anthéron à un feuillet, c’est résumer la forêt à un arbre et l’arbre à une feuille : 100 concerts en 5 semaines, le clavier dans tous états, du clavecin au piano-forte en passant par l’orgue et l’organe vocal de chœurs (Accentus de Laurence Équilbey accompagné par Brigitte Engerer), le jazz, les ensembles concertants, symphoniques…L’aristocratie mondiale du clavier démocratiquement offerte en un éventail qui embrasse de la musique baroque à la contemporaine en divers lieux dans.
Parc du Château de Florans : le doigté végétal de la nature en écho visuel à la touche délicate du piano. Le ciel, rougi par le couchant, à travers les ramures sombres des arbres du parc, c’est une amoureuse chair rosie sous la dentelle noire de la soie. Avec l'ombre avancée, les cigales mettent une progressive sourdine au profit des grenouilles du parc et les oiseaux, étonnés, entonnent des chants nouveaux pour le jour tout neuf des projecteurs. Sous la conque acoustique, nid inversé fait de coquilles d'œufs géants, posé sur la scène, grand oiseau noir prêt à l'envol, le piano ouvre son aile luisante de corbeau striée par les cordes brillantes.
La Roque a essaimé dans deux lieux tout aussi naturels : les carrières de Rognes et l’Etang des Aulnes, la pierre dorée et l’eau argentée. Coupée à angles vifs dans le beurre calcaire de la colline, la carrière étage ses cubes creux de ville géométrique virtuelle, dont les surfaces virent du jaune à l’or, au roux, dans la lumineuse patine progressive des crépuscules d’été. Des pins hirsutes griffonnés sur leur crête, quelque brouillonne broussaille tombant avec des nonchalances de chevelure, adoucissent la rigueur géométrique des lignes pures. Ici règne le jazz.
Les Aulnes se nichent dans un creux de la Crau, à Saint-Martin. Longue ligne de lauriers-roses, de peupliers verticaux au bout, le plan d’un vaste pré, une inflexion douce du relief et, en contrebas, un étang buvardant de ses eaux plates les teintes mourantes du soleil, lumineux miroir ensuite à un astre pour nous disparu. A gauche, une belle bastide restaurée ; à droite, une grange aménagée où la musique est chez elle.

Du 19 juillet au 22 août,
concerts de 11 à 21 heures
La Roque d’Anthéron (13640) et nombreux autres lieux

Tarifs : 15 à 51 €
Tél. : 33 (0) 4 42 50 51 15

Festival de l’Empèri (Salon)

Au cœur de la Provence, au creux de la Crau, la petite ville de Salon-de-Provence, de Nostradamus le mage, mérite hommage et arrêt. Du centre fleuri, de la Fontaine moussue, par une porte ancienne flanquée de murs, on monte vers le Château de l’Empèri. Juché sur un socle rocheux, dominant la plaine, c’est le fort le plus ancien de Provence, l'un des trois plus grands dans le style à la pure géométrie du Palais des Papes d’Avignon et de celui du Roi René à Tarascon. Sa haute tour semble un doigt pointé vers le ciel que ses créneaux semblent mordre. Mais bien qu’il abrite le Musée de l’Armée, dépendance des Invalides, des trésors napoléoniens, ce Château de l’Empire, peu belliqueux aujourd’hui, n’en reconnaît qu’un : celui, pacifique et universel de la musique. Une estrade dans un coin, contre les paupières rêveuses des arcades, la nuit tombe et s’illumine de musique.
En effet, dans sa cour Renaissance, quand le soir d’été dore encore les murailles, il abrite depuis 16 ans un Festival de Musique de chambre patronné par des noms prestigieux du monde de la musique et de la culture : Claudio Abbado, Daniel Barenboïm, Pierre Boulez, Michel Dalberto, Michel Portal, Lambert Wilson, etc : c’est dire programme et exigence sur les choix.
Concordant avec la Présidence française de l’Union européenne, le Festival se donne le point de concorde idéal avec Beethoven l’Européen, le passeur génial entre deux siècles, entre deux musiques, la classique et la romantique, musicien ouvrant l’avenir et homme des Lumières. Les affinités électives ouvriront l’éventail du programme jusqu’au cinéma.

Photos N. Tavernier :
1. L'entrée du château de l'empèri ;
2. Un coin de scène.


Du 27 juillet au 7 août, 21 heures
Château de l'Empèri

Montée du Puech

13300 Salon-de-Provence
Tarifs de 10 à 26 €
Tél. : 33 (0) 4 90 56 00 82

Festival de Peynier

Aux confins des Bouches-du-Rhône et du Var, à deux pas de Rousset, de Fuveau et de Trets, à une vingtaine de kilomètres d’Aix, Peynier est un exemplaire petit village provençal : une vieille église romane (1098), un château XVII e siècle aux tours rondes dans le style de celui de Vauvenargues, de charmantes ruelles capricieuses, ombreuses, aux jolies façades peintes, ornées de lierre. Au sud, la chaîne verte de Regagnas, au nord, l’imposante barre calcaire de la Sainte-Victoire chère à Cézanne, aux creux bleuis ciselés par le vent. Dans ce champêtre décor, l’écrin d’un théâtre de verdure : quelques gradins comme des marches vertes vers une forêts de pins et de chênes de la Garenne. La musique aime les arbres qui le lui rendent bien en parfaite sonorité. En ce lieu, inauguré il y a deux ans, Les Nuits musicales de la Sainte-Victoire sont devenues un festival qui apporte, sur le pas de la porte, sur ce plateau végétal, la musique au village.
Pour sa troisième année, après le succès en 2007 de Tosca, le festival, réitère l’expérience en proposant, en version concert racontée, Madame Butterfly de Puccini les 25 et 28 juin. La distribution et le récit seront encore assumés par Ève Ruggieri, remarquable conteuse et qui a plus d’un jeune chanteur talentueux dans sa poche de programmatrice de divers festivals. Les 26 et 29, un Hommage à Luciano Pavarotti fera alterner films et deux ténors, présentés aussi par Ève. L’Orchestre de l’Opéra National d’Ukraine sera dirigé par Grigori Penteleïtchouk, Directeur artistique de ce petit mais ambitieux Festival.

Photo :
Éve Ruggieri, diseuse de charme.


Du 25 au 29 juin, 21 heures
Théâtre de verdure

13790 Peynier
Tarifs : 29 €
Tél. : 33 (0) 4 42 53 16 43
06 25 97 26 87

L'OpérAuVillage (Pourrières)
Six ans déjà de Festival et, en trois : les turqueries au début du XIXe siècle en 2006, les chinoiseries en musique en 2007 et, de cet Orient proche ou extrême, nous voici dans les "Nuits romantiques" pour l'atmosphère et l'époque, et dans Une soirée musicale chez George Sand. Chez la romancière, journaliste et première femme moderne, nous rencontrons l'inspiratrice de Consuelo, l'extraordinaire Pauline García Viardot, sœur de la Malibran, et son opéra de salon, Cendrillon dirigé ici par Luc Coadou et mis en scène par Bernard Grimonet.
L'égérie musicale des grands compositeurs de son temps (de Berlioz à Gounod en passant par Saint-Saëns et Massenet… n'était pas que la grande cantatrice qui, en plein XIX e siècle ressuscite Gluck et garde la flamme belcantiste des castrats, de Mozart et de Rossini, elle a laissé, comme sa sœur d'ailleurs et son père Manuel García, nombre de compositions, notamment de mélodies, que l'on recommence à découvrir. Une conférence
par Christelle Neuillet, aussi simple que documentée et illustrée musicalement et visuellement avec le concours Bernard Grimonet avait joliment présenté cette femme d'exception.
Dans le cloître intime du couvent des Minimes (XVI e s.) de Pourrières, où un arbre joue le S baroque en tendant vers le ciel, nous aurons le privilège de voir exhumée cette œuvre délicate après un convivial repas à thème sous les marronniers en ligne sous le mur rempart. Beau festival animé par des bénévole mais servi par des artistes professionnels triés
sous les volets.

Photos Savary

L'OpérAuVillage

880, Chemin de la Santé 83910 Pourrières Tél. : 04 94 78 50 35 06 86 92 10 63 www.loperaauvillage.fr Tarifs : 20 €, apéritif compris avec repas : 35 €…




mercredi, juillet 02, 2008

ZEITUNG


Zeitung

D’Anne Teresa de Keersmaeker

Sur le plateau, au fond, côté jardin, un piano noir de concert dont le creux accueillant d’épaule est animé de scintillante lumière rasante comme l’aile moirée d’un corbeau prêt à l’envol. Une douche frontale de froids néons, puis latéraux, éclaire, sans donner de chaleur, une vaste scène nue, meublée de quelques chaises et d’un fauteuil aux côtés moins parés que désemparés par des panneaux qu’on croirait de tableaux, mais à l’envers : envers d’un décor qui se refuse à l’être. Minimalisme affiché. La lumière latérale sculpte et creuse les visages et, dans le noir, un pinceau sur le piano exalte sévèrement le magnifique pianiste Franco.
Les costumes, on les oublierait dès qu’on les a vus, n’était-ce, sous ce hangar chauffé à blanc le jour par la canicule, brûlant encore de la chaleur de la nuit et de celle de ces danseurs, la pénible angoisse de les voir ruisselants de sueur, en robe longue, en veste et pantalons certains, en pull un autre.
La musique alternera des parties de piano, Bach et trois pièces de clavier de Schönberg et des morceaux enregistrés de ce dernier et surtout, en gros, du premier Webern : d’un Baroque géométrique à un néo-romantisme expressionniste effusif qui semble approfondir, explorer la nuit avec des explosions stellaires trouées d’espace, des éclats, des scintillements ; et les notes éparses de Schönberg distillées magistralement au piano par Franco s’enfilent tout naturellement dans le fil du collier déroulé de Bach.
La dizaine de danseurs, alterne une suite de numéros solistes compétitifs et quelques ensembles, improvise apparemment, se coule, se glisse dans la musique, tout leur corps, de la tête aux pieds semblant devenir notes capricieuses, capricantes, émancipées de la mélodie, de la logique de groupe, jouant solo, jouant, vivant, dans de vives accélérations, des ciseaux, des bonds, des pirouettes, des frémissements, des tressautements, les traits, les trilles, les mordants, las appoggiatures, tous les ornements de la musique baroque, baignant comme en apesanteur et sans mouvement dans le flot de la musique sérielle.
Malgré tous ces fils ironiquement déroulés (du temps, de la narration ?) on a la sensation d’une danse en pointillé, contenue, continue dans le discontinu des singularités mais qui s’agrège rarement en collectif, en pelote, suite d’aphorismes comme ceux d’un certain Webern, qui ne s’érige jamais en facilité narrative ni émotive : la danse se regarde danser, dans sa pureté mais aussi sa limite.
Car, bannie l’émotion si ce n’est celle, secourable de la musique, c’est une démonstration de savoir-faire qui sait se faire savoir et valoir, un cours qui ne s’érige jamais en discours mais le problème est qu’on a beau avoir miraculeusement ou monstrueusement repoussé les limites physiques des corps, le répertoire, le vocabulaire chorégraphiques, en demeurent tout de même humainement limités et, sur cette trop longue durée de temps, les improvisations les plus inventives tombent inévitablement dans ce qui paraît, peut-être injustement, des répétitions, la trop grande subtilité, la tension, se diluant dans les contraintes d’une réception où l’attention du spectateur, dans un hangar surchauffé, ne peut rester à vif près de deux heures durant. Bref, les danseurs ont beau, à la fin, effilocher le long tapis central, dérouler de temps en temps des fils, la danse abstraite le reste et, sans le fil narratif, la bobine globale de Zeitung paraît un peut longuette.

Photos : Herman Sorgeloos.


Zeitung, Festival de Marseille, 29 juin 2008
Concept : Anne Teresa De Keersmaeker et Alain Franco
Chorégraphie : Anne Teresa De Keersmaeker
Piano : Alain Franco
Musique : J.-S. Bach, Schönberg, A. Webern
Vocabulaire de danse en collaboration avec David Hernandez
Décors et éclairages : Jan Joris Lamers
Costumes : Anna-Catherine Kunz
Dansé par et créé avec
Bostjan Antoncic, Tale Dolven, Fumiyo Ikeda, Cynthia Loemij, Mark Lorimer, Moya Michael, Elizaveta Penkóva, Igor Shyshko, Sandy Williams.