LE FESTIVAL DE MARSEILLE
S’ANCRE AU CŒUR DU PORT
S’ANCRE AU CŒUR DU PORT
Le Festival de Marseille fête Marseille : depuis 1996 qu’elle en assure la direction, Apolline Quintrand en assume l’âme, profondément marseillaise et universaliste, loin de tout folklore superficiel, intimement près d’un sentiment et d’une sensation de cette ville sentie dans son histoire et vécue dans son présent, de sa puissance passée à sa ruine et sa volonté de renaissance.
Âme et lieux du Festival
Ce fut d’abord par des thématiques méditerranéennes puis élargies d’une cité ouverte aux quatre horizons de la rose des vents et par l’implantation dans des lieux symboliques de l’histoire de Marseille.
D’abord, dans la Vieille Charité du génial et malheureux Pierre Puget, architecte baroque local rejeté par Versailles. Étages de paupières rêveuses d’arcades aveugles, avides de regard sur la coupole ovoïde coiffant le théâtre intérieur de la chapelle aux colonnes serrées, bâtie dans cette rare pierre rose de l’Estaque et Carro prisée par les Romains, où l’on puisa pour la Tourette, la Tour du Roi René et le fort Saint-Jean, épuisée aujourd’hui : l’histoire pétrie dans la chair d’une pierre.
De la pierre encore vive, au béton du petit et doux théâtre de la Sucrière Saint-Louis : humble écrin au cœur ouvrier des quartiers nord, blotti au pied de l’austère forteresse des Raffineries de sucre, hélas récemment fermées, où des arbres anciens, témoins d’amère et amène mémoire ouvrière marseillaise, semblent veiller encore sur l’immense et désormais inutile gare de triage d’Arenc d’où les rails infinis partent pour nulle part.
Le Festival, qui faisait danser la chair dans la pierre, l’éphémère dans l’éternité, trouva aussi un cadre mouvant, émouvant, dans le théâtre végétal du parc Henri Fabre, alliant la danse à la chorégraphie naturelle des arbres immenses, autour de la majesté d’un micocoulier géant. Tout cela, je l'ai dit, écrit, mais il faut le répéter.
Enfin le port…
Puis coup de génie généreux, en 2008, sans renoncer à d’autres lieux, le Festival s’est ancré dans le saint du saint de Marseille, au cœur du Port Autonome, le cœur encore battant de la puissance marchande de Marseille, le cœur blessé de sa ruine après la perte des colonies, le cœur saignant de durs conflits actuels sur la réforme, le cœur palpitant de la question de ce renouveau espéré dont la tour en construction de la CMA-CGM semble amorce rêvée ou cauchemar de pierre si elle échoue.
C’est dans le Hangar 15 qu’ont lieu symboliquement nombre de spectacles et une exposition tout aussi emblématique venue du CND : La danse est une arme, l’art sorti de sa tour d’ivoire égoïste, est toujours un combat généreux au cœur de la cité, une interrogation individuelle sur le destin collectif.
Alors que le conflit sur la réforme statutaire des ports n’est toujours pas réglé, syndicat et direction se sont au moins accordés pour cette rencontre inédite dans le respect de la mémoire et du présent portuaire. Le Festival a surmonté la lourde gestion logistique, des contraintes douanières, policières (obligatoires) pour amener, par bus ou bateau, ces pèlerins nouveaux venus, joyeux et recueillis, émus souvent, dans ce navire inverse à quai, dans cette immense et austère cathédrale du travail en tôle ondulée, posée sur un môle devant une gigantesque grue hachurées sur le ciel telle une tour gothique à l’échelle des temps, face à la jetée du large qui semble en contenir son désir d'évasion sur les flots, au couchant, où des transats et des tapis à même le sol permettent ce face à face méditatif avec la mer. Ou avec le présent et le passé de Marseille.
On embarque au Vieux-Port, pas pour Cythère ni le Château d’If ou le Frioul, au milieu des voiliers serrés comme de sages moutons d’un troupeau marin bien gardé, on laisse derrière soi la joie facile de carte postale de la Vierge de la Garde, de la Mairie, puis les forts, le Pharo et, entre jetée du grand large et littoral flanqué par l’immense Major et ses rondes coupoles maternelles, l’on pénètre dans le port commenté par un invisible officiant : quelques grands et blancs navires, pour la Corse essentiellement. Mais où sont les bateaux à perte de vue d’autrefois amarrés le long de cette jetée presque vide ? On respire largement mais le cœur se serre et des images affluent et refluent entre aujourd’hui et hier, de ce Marseille entre ruine et renouveau qui dérive sur la rive au rythme de la navigation de la navette. Je l’ai écrit , je peux le répéter (1) :
« Docks déserts, usines délabrées, vieux silos en ciment désertés de grains perdus, anciennes minoteries autrefois regorgeant de farine, de riz ; huileries, savonneries, raffineries de sucre qui gardent encore, au souvenir, le tenace parfum, l'odeur rance, le relent du coprah, de l'arachide, du colza ou de la canne à sucre. Qui conservent des noms effacés des façades fantômes : Pâtes Scaramelli (aujourd’hui Panzani), Biscuits Coste, Huileries Roux, Sucres Saint-Louis, Savon le Chat, Savon l'Abeille, Javel Lacroix, Réparations navales Terrin... Hangars vides, entrepôts désaffectés, friches industrielles, vestiges, encore présents, d'une grandeur déchue comme l’ancienne gare maritime décharnée. Il n'en reste souvent que des toits défoncés, des pans de murs debout et des fenêtres vides, des ouvertures hagardes sur un passé enfui. »
Le regard et l’espoir s’accrochent sur les docks restaurés que le soleil éclaire, sur les tours promises, quelques silos repeints, la nouvelle Gare maritime, des conteneurs carrés, colorés comme un jeu de cubes enfantin pour une adulte résurrection à la fois ludique et fantastique.
Le Festival de Marseille, alliance de l'art et du travail, artisan au sens noble du terme, a vu et vise juste au Marseille profond, celui de notre cœur. Merci.
(1) Dans mes chroniques du Ravi à paraître sous le titre : Marseille, Quart nord, Chronique marseillaise, Éditions Sulliver, janvier 2009.
Photos :
G. Ceccaldi
1. Vieille Charité ;
2. Sucrière ;
Agnès Mellon :
3. La navette ;
4. Hangar 15 ;
3. Conteneurs.