dimanche, décembre 31, 2006

RIGOLETTO, Opéra de Marseille

Bouffon tragique
Rigoletto,
de Verdi, livret de F. M. Piave,


L’œuvre
Du drame de Victor Hugo Le Roi s’amuse, qui échoue en 1832, Francesco Maria Piave tira un livret génialement condensé auquel la musique de Verdi donna en 1851 une portée humaine archétypale et un succès universel jamais démenti depuis, malgré les traverses de la censure obtuse de l’époque et les dédains minaudiers d’une critique éprise de doucereuses fadeurs. Mais le public ne s’y trompa point, qui fit de l’œuvre un des succès les plus justement populaires du répertoire. Si François I est transfiguré en Duc de Mantoue pour satisfaire la bienséance politique qui n’admet pas un roi immoral, la trame n’en perd pas de sa puissance.
A sujet fort, force et expressivité d’une musique toujours étonnante d’inventivité mélodique sans cesse jaillissante : beauté extérieure d’un souverain libertin vulgaire et d’une cour raffinée mais aux bas instincts ; laideur et difformité du bouffon bossu Rigoletto, complice complaisant des petitesses des grands mais qui cultive au fond de lui, et en secret, la beauté d’un amour pour sa femme perdue et pour la pureté sa fille qu’il entend préserver, en tyran jaloux, de la dépravation morale du monde : c’est quasiment Quasimodo amoureux d’Esméralda dans Notre-Dame de Paris, rédemption et tourment. Grain de sable dans la machine bien huilée des cruelles facéties des courtisans, cyniques pourvoyeurs en gibier féminin des caprices de leur maître : la malédiction d’un père outré de l’outrage à sa fille et dont l’imprudent bouffon se moque sans pitié. Ce thème, qui sonne dès l’ouverture à l’orchestre, pèse comme la fatalité antique sur le héros bossu et le poursuit jusqu’à la tragique fin où le père est puni par où il avait insulté un père. Mais du lever de rideau à la fin, ce héros difforme, choquant pour la bourgeoisie du temps, passe par une gamme large de sentiments humains : sarcasmes grossiers, mépris, crainte superstitieuse, remords, amour et jalousie envers sa fille, détresse, révolte, supplication, vengeance, désespoir. Et cela, dans une continuité dramatique toute neuve pour l’époque, que la musique exprime avec une rare et efficace économie de moyen, dans un flux mélodique continu plus que dans des morceaux à découpe traditionnelle, même les airs du Duc et de Gilda (états d’âmes opposés des jeunes héros, rêverie de jeune fille, déception amoureuse et désinvolte et élégant cynisme du séducteur) sont intégrés à l‘action.
Monter Rigoletto à Marseille est une assurance de succès, mais non tous risques, tant le public a fétichisé cette œuvre qu’on risque de s’y piquer à trop s’y frotter imprudemment. Mais foule pas folle forcément au rendez-vous et les insolites efforts vestimentaires, si rares aujourd’hui, dont on a pu juger dans la salle me semblaient être moins la signature d’un spectacle de fin d’année que le signe du respect pour cette œuvre. A cette attente respectueuse a répondu pleinement cette dernière production marseillaise.

La réalisation
Dans un cadre noir de scène, un amphithéâtre en bois, aux entrées basses de cirque, surmonté d’une vertigineuse bibliothèque noire à galeries, empilement de sombres livres de connaissance, peut-être ésotériques, et sûrement scientifiques dans ce théâtre expérimental de la science de la Renaissance où, durant l’ouverture, le metteur en scène Arnaud Bernard, nous fait assister à une expérience scientifique qui fait penser à celle que subit le malheureux Wozzeck : sur une table de dissection, définie par la voisine statue d’un « écorché » qui renvoie implicitement aux dissections de cadavres de Padoue du célèbre André Vésale, le duc teste, de sa dague, la bosse de son futur bouffon comme on piquait autrefois, lardait le dos des supposées sorcières. Dans un coin, toute petite, chapeau pointu et robe noire, sans doute l’une d’entre elles attend, terrorisée, son tour pour la torture ou l’expérience, ainsi que deux jeunes femmes effarouchées, comme des cobayes d’un autre genre pour la curiosité érotique et thanatique du souverain et de sa cour venue au théâtre de ce spectacle. Dans la même scénographie, à la fin de l’œuvre, une barque tient lieu de table de consommation sexuelle et d’autel du meurtre avec la même dague qui devrait, cette fois, percer le Duc débauché. Bonne unité dramatique, sous les éclairages poétiques ou sinistres de Patrick Méeüs dans ces beaux décors d’Alessandro Camera qui circonscrivent aussi la demeure de Rigoletto en rotonde et tour ronde prises à la Ville idéale de Piero della Francesca, dont nous aurons joliment les maquettes, les modelli, à l’acte II : la laideur du monde circonscrite dans la beauté géométrique rêvée par la Renaissance italienne.
Ce dispositif vertical bicolore permet d’heureux effets de lumière et couleur et de disposition des personnages, clairs sur le sombre comme Gilda descendant de la chambre ou le Duc facétieux en gloire plastronnant sur l’escalier en colimaçon ; la jeune fille en Juliette en son balcon et écrin d’amour ; splendeur sévère des vêtements des courtisans en noir et fraise blanche (Katia Duflot) à la mode d’une Espagne dont l’ombre s’étend alors sur l’Italie, avec des effets d’arabesque à la Gréco. Les groupes sont particulièrement bien animés et personnalisés si les rapports entre les héros sont parfois un peu distants, mais compensés par l’excellence singulière du jeu des principaux protagonistes et, même des comparses, comme l’impressionnant vocalement et scéniquement Monterone de Cyril Rovery, le remarquable Marullo expressif d’André Heyboer, la solide Giovanna d’Aline Martin et le sombre et caverneux mais incompréhensible Vladimir Matorin, en Sparafucile.

L’interprétation
Dès l’ouverture, au pupitre, Paolo Arrivabeni fait sonner l’orchestre avec un dramatisme sans pathos qu’il maintiendra dans cette intensité sans emphase, ciselant les cordes comme des lames de dague affûtées de cruauté dans l’acte II, éclairs cinglant de cuivres dans l’air de la vengeance, et, dans le fameux quatuor, l’orchestre est une cinquième voix tragique, peut-être un peu trop forte pour le velours voluptueux de la Maddalena sensuelle de Nona Javakhidze un peu estompé. Doté d’un timbre raffiné, d’une technique élégante, d’une présence certaine, Giuseppe Gipali pâtit sans doute d’une salle qui excède la puissance de sa jolie voix, mais a du panache. Mobile, ductile, agile, Sylvia Hwang, ancienne du CNIPAL que l’on retrouve avec bonheur, est une Gilda à l’aigu facile et précis avec une vérité scénique émouvante. Elle a la chance d’un Rigoletto d’exception en la personne de Carlos Almaguer, voix puissante, égale, chaude, souple qui, dès son monologue, manifeste un sens poignant du texte en ses recoins ombreux et la musique en ses plus subtiles nuances : il fait vivre ce père tendre et bête blessée au plus cher de sa vie, avec une bouleversante évidence et une humaine et confondante simplicité. Les chœurs sont toujours d’excellente tenue (P. Iodice).
Un spectacle qui est un magnifique cadeau de fin d’année.

29 décembe 2006

dimanche, décembre 24, 2006

L'Heure du Thé, déc 06, Opéra de Marseille


L’HEURE DU THÉ
Comédie américaine
Opéra de Marseille

La dernière Heure du thé de 2006, même sans Tea for two et thé pour tous (remplacé par du champagne), consacrée à la comédie américaine, avait un goût festif de célébration joyeuse de fin d’année. Il faut reconnaître que, sur la simple et mince estrade du foyer de l’Opéra, réussir à faire jouer et danser à l’américaine, de façon expressivement stylisée, la douzaine de jeunes chanteurs du CNIPAL tenait de la gageure, pourtant gagnée, avec humour, par Yves Coudray, metteur en scène et Gérard-Michaël Bohbot, chorégraphe, sans oublier le « coach » d’américain (en sous-titre, le ‘maître’, voir dans les archives de ce blog mon article En français ans le texte) et, au piano, Nino Pavlenichvili, menant la musique tambour battant.
Bref, ce fut une anthologie d’opérettes, de ces comédies venues d’outre-Atlantique qui nous ont enchantés ici, certaines devenues des films célèbres comme Show Boat de Jerome Kern dans lequel même la merveilleuse Ava Gardner chantait sans doublure, les Rita Hayworth, Gene Kelly, Cid Charisse, Fred Astaire, Ginger Rogers et tant d’autres étoiles de l’écran ayant illustré nombre de ces airs et danses d’une culture du spectacle où les acteurs sont aussi chanteurs et danseurs, où l’on ne trace pas de frontières entre genre supposé « mineur » et « grand genre », usurpant souvent prétentieusement son étiquette qualificative. Le plus bel exemple était donné par Leonard Berstein, chef d’orchestre, compositeur d’opéras et de comédies musicales, dont l’universel West Side story entre autres. Mais on n’en oubliera pas les airs d’Irving Berlin, de Jeanine Tesori, qui vit toujours, et les inoubliables chansons de Cole Porter qui on fait le tout du monde.
Mais pas pour autant facile à chanter : outre qu’il faut savoir remuer, danser, en plus de l’aisance dans le style que demandent ces airs, leurs tessitures, plus moyennes que celles requises canoniquement par les emplois vocaux de l’opéra, exigent une adaptation technique non négligeable. Dans la bonne humeur générale et la griserie d’un spectacle plein d’entrain, sans temps mort, avec le bonheur léger de sortir du répertoire plus grave en général de leurs emplois d’opéra, les jeunes chanteurs s’en tirèrent de façon convaincante.
Parmi ceux de l’an dernier, Virgile Frannais, avec son chaleureux baryton, confirme ses qualités d’acteur, entraîne par son abattage, sa faconde joyeuse de Monsieur Loyal du spectacle, de meneur de jeu. Mihaela Komokar, somptueux soprano dramatique à l’opéra, à contre-emploi ici, dévoile sa verve bouffe en incarnant une irrésistible et terrible féministe d’Annie get your gun (‘Annie t’a pris ton pétard’), sorte de Lulu Carabine ou de Calamity Jane en compétition ouverte avec le macho, avant d’émouvoir avec le voluptueux So in love de Cole Porter où elle déploie toute la richesse sensuelle de son médium. Face à elle, en mâle dépossédé de son attribut viril par Annie l’insatiable, Marco di Sapia n’en est pas pour autant châtré vocalement, baryton éclatant et brillant comédien autant dans la drôlerie que dans la mélancolie : déjà entendu lors du premier concert de la saison, il semble posséder une séduisante palette d’artiste complet. Également entendus la fois précédente, d'abord Hye Myung Kang, soprano lyrique à la rayonnante puissance, nous fait la jolie surprise de « crooner », de « jazzer» de façon intimiste, câline et féline, coquine, on l’imagine susurrant son micro (mais sans trop articuler) et Andeka Gorrotxiategui-Azurmendi qui, tout en restant un ténor torrentiel époustouflant, se coule avec naturel dans ce répertoire, allège sa voix, son comportement scénique et, séduisant jeune premier, n’écrase pas sa fine partenaire, Li Chin Huang, soprano délicat, léger, perlé, que nous découvrons.
On découvre aussi, bien en voix et en jambes, Eugénie Danglade, mezzo déluré qui brûle les planches et Manuel Núñez Camelino, ténor di grazia, léger, désinvolte, mine naïve et allure dégingandée de jeune Fred Astaire ; Étienne Hersperger, « passe la balle » avec humour malgré un trac sensible. Il faudra réentendre ces jeunes. Olivia Doray se coule en physique et voix, en poésie, dans la María de West Side story comme dans une robe faite spécialement pour elle mais son partenaire, Marc Larcher, ténor qui affiche une belle étoffe bien qu’affligé d’une méchante trachéite, illustre courageusement la dure loi du « show business » : « The show must go on »…
Joyeuses fêtes à tous.

Photo M@rceau, Enthousiasme final.
14 décembre

dimanche, décembre 17, 2006

Les trois contre-ténors, Basilique du Sacré-Cœur du Prado

TRIO DIVIN


Après l’intime et antique Chapelle Sainte-Catherine gothico-baroque, l’immense nef de la Basilique du Sacré-Cœur du Prado, en style massif néo byzantino-roman, lourdement dressée en 1920 pour commémorer la peste de 1720, avec une grande débauche de chatoyantes mosaïques entre Art Nouveau et Arts Déco, lumineuse et assez sonore pour être devenue un lieu couru de la musique. Foule des grands jours où le dieu de la musique aurait eu du mal à reconnaître les siens pour écouter trois jeunes contre-ténors qu’Euterpes, pouvant hautement soutenir ici son titre de Centre Régional d’Art baroque, pouvait aussi fièrement revendiquer l’honneur de nous les avoir fait connaître à Marseille tous trois : Philippe Jarousky, aujourd’hui au faîte de sa gloire fut au Gyptis, sous la férule d’Andonis Vouyoucas, un hystérique Néron, jeune coq hissé sur l’ego et les ergots de ses aigus éclatants dans Le Couronnement de Poppée de Monteverdi, avant de revenir nous enchanter à Sainte-Catherine pour Mars en baroque ; Roméo Cornélius, toujours au Gyptis, cette fois sous la baguette de Françoise Chatôt, y fut un sombre Orlando de Hændel qui promène d’Antibes à Chartres ; quant à Pascal Bertin, il fut un émouvant héros martyr du San Giovanni Battista de Stradella d’abord à Tarascon avant de se produire à Salzbourg.
Le public mélomane ne s’était pas trompé en attendant beaucoup de ce baroquissime concert où ces jeunes chanteurs, stimulés par leurs propres performances, dans une compétition vocale amicale mais toujours délicate tant ce répertoire raffiné, d’une extraordinaire exigence de virtuosité, de vélocité, de musicalité, les expose sans filet, malgré le somptueux tapis musical déroulé royalement à ces jeunes princes de la voix par Jean-Marc Aymes à la tête de l’Ensemble instrumental CRAB.
La première partie était dévolue à des chansons et duos de Purcell qui fait poésie de la musique tant il y a une osmose impondérable chez lui entre paroles et chant. Après une aérienne Butterfly dance toute papillonnante et moirée par les violons ailés d’Hélène Schmitt et Camille Antoinet et les frissons irisés du clavecin, c’était un hommage à John Blow, contemporain et modèle de Purcell, un duo joyeux entre Bertin et Cornélius, ce dernier peut-être un peu en retrait. Avec Dry those eyes, Philippe Jarousky imposait d’emblée, avec une grâce enfantine lumineuse, ses aigus percutants, sa ligne impeccable et ses longues tenues, aussi à l’aise dans le staccato que dans le legato, déroulant des guirlandes de vocalises d’or sur le ground, grave et mordoré, de l’orgue régale d’Aymes, du miel ému du violoncelle d’Isabelle Saint-Yves et de la douceur de l’alto doré de Myriam Cambreling. Roméo Cornelius fit chatoyer tout son sens des ornements subtils dans la fameuse Music for a while. Tout douceur et rondeur boisée dans cette tessiture de contre-ténor aux timbres hérissés parfois ingrats, Pacal Bertin illustra Here the deities, pièce exceptionnelle de musique, puis avec Jarousky ce furent deux étincelants duos où le cristal vocal de ce dernier faisait merveille avec le timbre ambré de l’autre. Enfin, pour clore cette partie, les trois chanteurs offrirent une scène de Didon and Æneas, cette « horrid music » suivie de la "Danse des Furies", l’invocation de la Magicienne, superbement incarnée par Bertin, convoquant les sorcières pour son complot contre la reine de Carthage.
La seconde partie fut le feu d’artifice des airs grandioses tirés d’opéras baroques (Vivaldi, Porpora, Hændel, Giacomelli) , essentiellement solistes pour ces one man show qu’étaient les spectacles autour des castrats. Les personnalités de chacun des interprètes furent manifestes : Cornélius, beau ténébreux, héros fiévreux, tourmenté, dramatique, éclatant spectaculairement en aigus et graves profonds ; Bertin tout en nuances dans une cantate de Vivaldi, véritable opéra miniature, alternant récitatifs obligés et arie da capo tour à tour lente et vive, de bravura et de portamento, excellant dans les deux ; Jarousky, se jouant des cadences du rossignol de Farinelli, désarmant de simplicité radieuse, physique tendre de vaincu triomphant par l'intensité et l’art, parfait dans le rôle de victime qui fait de sa plainte « Alto Giove » un déchirement en messa di voce, enflant et diminuant le son comme un cri qui s’intériorise en gémissement. Il sera tout naturellement le touchant Abel face au sombre Caïn plus mûr de Bertin tandis que Cornélius sera la voix de Dieu dans des extraits d’un oratorio d’Alessandro Scarlatti.
Triomphe mérité.

Le 14 décembre 2006

ENSEMBLE JACHET DE MANTOUE, Chapelle Sainte Catherine

Polyphonies de la Renaissance


L’association Euterpes, faisant une subtile infraction à sa récente élévation en Centre Régional d’Art baroque, qui consacrait sa vocation bien confirmée en programmations de ce style, remontant un peu le temps, invitait le prestigieux Ensemble Jachet de Mantoue, deux ténors, un contre-ténor, un baryton et une basse, couvert de récompenses pour ses disques nombreux. Ce groupe de chanteurs a capella, qui prend son nom du compositeur breton Jacques Colebault, dit Jachet de Mantoue (1483-1559), de sa Bretagne initiale, rayonne partout en Europe, au service de la polyphonie de la Renaissance.
Beau parcours européen, donc, avec des musiciens anglais, espagnols, italiens et français dans des œuvres religieuses en première partie et profanes pour la seconde. Mais, par trois fois, ils donnèrent en plain-chant, le chant grégorien (faussement) plat, la « teneur » initiale, voix fondamentale, monodie intangible de la liturgie, autour de laquelle la polyphonie construit son déchant, l’efflorescence arachnéenne de son contrepoint. Ainsi du pur Ave Maria grégorien, on passait aux entrelacs savants de celui de Robert Parsons, de l’Optiman originel à celui de Jachet de Mantoue et du De profundis ancien à la version, presque sereine, même dans l’imploration tragique, de Josquin des Prés pour la mort de Louis XII. La gravité hispanique de Cristóbal de Morales dans des extraits de sa Messe des morts semblait vibrer chez le catholique anglais Thomas Tallis, musicien de la « Blody Mary » Tudor, l’Espagnole (grand tante et épouse du futur Philippe II), imposant par le fer et le feu le retour au catholicisme et au latin en Angleterre. Thomas Tomkins (1573-1656), célèbre madrigaliste et virginaliste, débordait déjà sur le Baroque avec, tirée de la Bible mais non religieuse, un air sur la lamentation du Roi David apprenant la mort au combat de son fils rebelle, Absalon, pathétique plainte d’un roi et père (« O, my son ! », répète-t-il en écho au nom de son enfant) sans doute inspirée d'une chanson très populaire en Espagne évoquant indirectement la mort de Don Carlos, héritier révolté de Philippe II. Cette austère et prenante première partie prenait fin avec une commande de l’Ensemble à un compositeur Marseillais, Régis Campo, entre modalité et atonalité, une luxuriante polyphonie, un Kyrie, basée non sur du plain-chant mais sur un Credo de Josquin éployant et croisant lallègre jaillissement de ses ondes sonores sous les nervures de pierre en croisée d’ogive de la Chapelle Sainte-Catherine, de la lumière aiguë de la voix du contre-ténor à la crypte noire de la basse profonde.
La seconde partie nous promenait dans le rêve de bonheur d’une époque brutale et sanglante cultivant son utopie sentimentale comme un printanier jardin d’amour courtois, joyeux ou triste, avec ses roses et ses épines, ses oiseaux du matin à la nuit. Grands poètes pour grands compositeurs, Roland de Lassus et Costelay pour Ronsard, le délicat Sermisy pour Marot. Un mélancolique rossignol anglais d’un italien Ferrabosco et le « Cygne argenté » en son dernier chant d’Orlando Gibbons, en gamme descendante anticipant la mort de Didon de Purcell, apportaient leur brumeuse note dolente à la verve virtuose vertigineuse de l’alouette de Clément Janequin et à son fameux "Réveil" des oiseaux caquetant, cocottant, coucoutant dans son ivresse figurale et imitative étourdissante. Sa Bataille de Marignan, fracassante de fifres, fanfares, trompettes, tambours, de clameurs, de cliquetis et de claquement d’armes, clôturait le programme. Mais en bis, les chanteurs nous régalèrent d’une élégiaque et déjà montéverdienne nymphe morte d’Ockeghem. Puis, après les oiseaux, ce fut Titi et Grosminet en quelque sorte : le Contrapunto bestiale d'Adriano Banchieri "il dissonnante" (1568-1634) –que les interprètes oublièrent de nommer- , sur un félin "miaou-miaou", qui prélude trois siècles à l’avance le Duo bouffe pour deux chats de Rossini, manifestait l’humour des chanteurs avec, toujours leurs confondantes qualités d’homogénéité entre les voix, la précision et la douceur des attaques et le fondu indéfini des fins de sons.

Le 12 décembre 2006