samedi, février 26, 2022

CONFÉRENCE ACADÉMIE DE BENITO PELEGRÍN

NOMMÉ À L'UNANIMITÉ MEMBRE ASSOCIÉ DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, LETTRES ET ARTS DE MARSEILLE, JE FERAI À L'OCCASION DE MA RÉCEPTION, LE JEUDI 10 MARS À 17 HEURES UNE CONFÉRENCE SUR L'ART DE LA RÉUSSITE DE BALTASAR GRACIÁN DANS LA SALLE DE L'ACADÉMIE À L'ALCAZAR DE MARSEILLE, ENTRÉE LIBRE SUR INSCRIPTION. (VOIR BULLETIN JOINT)


Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille

L’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille serait honorée de votre présence à l’occasion de la réception en son sein de Monsieur Benito Pelegrin comme membre Associé.

En cette occasion, Monsieur Pelegrin prononcera une conférence sur le thème de « Oracle Manuel (1647) de Baltasar Gracián : Manuel de poche d'hier pour hommes politiques d'aujourd'hui et quelques autres ».

Cette conférence aura lieu le 10 mars 2022 à 17h à l’Alcazar (salle de l’Académie, 1er étage, accès par l’escalier dans le hall d’entrée). Elle sera suivie à 19h30, d’un dîner au restaurant La Nautique, pavillon flottant face au 20 quai de Rive Neuve. Si vous souhaitez participer à ce dîner nous vous serions reconnaissants de bien vouloir remplir le bulletin d’inscription ci-dessous et nous le retourner avant le 25 février.

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BULLETIN D'INSCRIPTION
à adresser avec votre règlement à l’ordre de l’Académie de Marseille, 40 rue Thiers 13001

Marseille, avant le 25 février.
Je soussigné
NOM (M. Mme. Mlle) ................................................ Prénom : .................................

Téléphone : ............................................. E. mail : ................................................. accompagné de (1 personne) : OUI ou NON
souhaite participer au dîner de réception de Monsieur Benito Pelegrin et vous prie de trouver ci-joint un chèque de .........
en règlement de ma participation de 40 par personne.

Le nombre de places étant limité j’en informe immédiatement par mail l’Académie ( academieslamars@free.fr ) et son président ( jnbret@free.fr ).

Date : Signature :



 

dimanche, février 20, 2022

CHEVALIER CHAVOYE


Une soirée chez le Chevalier de Chavoye

marin de Louis XV

Les Chantres de Saint-Hilaire Sauternes,

Label Hortus


 

         Comme on aimerait connaître quelque chose de ce mystérieux et sympathique Chevalier de Chavoye, dont ce CD, à la spartiate présentation, nous dit seulement qu’il fut « officier dans les troupes de la Marine, lieutenant du Roi à Trois-Rivières », donc au Canada. Pour autre et unique élément biographique, on nous apprend qu’« en 1724, il hérite du fief de Chavoy, près d’Avranches, en Normandie. Ainsi, "de 1730 à 1731, Noyan séjourne en France." On n’en saura pas plus : contrainte misère de cette époque où les livrets des disques se font, la plupart du temps à l’économie. On saluera, malgré tout que l’on nous offre, le texte des trois cantates, même sous forme prosifiée, c’est-à-dire, pour gagner de la place, les vers écrits horizontalement les uns après les autres sans coupure à la rime. Ce qui fait qu’on doit les lire pour en percevoir le mètre : en général des octosyllabes, vers courts de huit pieds avec quelques nobles alexandrins, nécessité lyrique d’user d’une métrique courte rapide, puisque la musique allonge toujours le débit de la parole.

        Oui, on aimerait savoir davantage sur ce Pierre-Jacques Payen de Noyan et de Chavoye qui prit la peine de recopier soigneusement et de faire imprimer, nous dit-on, entre autres pièces des années 1720-1730, des cantates profanes. Les Chantres de Saint-Hilaire Sauternes, musiciens, spécialisés en musique baroque française en ont extrait trois cantates et trois morceaux instrumentaux pour en faire ce disque : un CD bien sobre et succinct dans son livret, mais fort réussi vocalement et musicalement.

Je suis donc allé me documenter un peu sur ce marin de métier, né dans la Nouvelle France, à Montréal en 1695, compilateur mystérieux, amateur éclairé de musique de la France métropolitaine qu’il ne semble découvrir qu’en 1730, appelé pour présenter un plan de politique à suivre dans les rapports avec les Amérindiens, les Indiens autochtones, ce qui nous fait rêver d’aventures du genre le Dernier des Mohicans, ou contre les Iroquois. Noyan participe aux guerres contre les Anglais, auxquels Louis XV cédera finalement cet immense Canada dans les années 1760, dans l’indifférence générale, Voltaire même se gausse dans Candide de cette guerre pour « quelques arpents de neige ». Notre Chevalier musicien sera même embastillé un an pour une négligence militaire, et mourra à Paris en 1771.

C’était notre petit hommage à ce marin qui, de loin, sur les flots ou entre les forêts et les neiges canadiennes, parmi les indigènes, n’ignorait rien de la musique la plus raffinée de la métropole et nous lègue en héritage un beau recueil, avec le luxe pour nous, de pièces peu connues et même inédites comme cette rare cantate profane de François Couperin, Ariane consolée par Bacchus, dans une version pour haute-contre et orchestre, interprétée d’un timbre au sombre velours dramatique par Guillaume Figiel Delpech. Le sujet méritait peut-être quelque éclaircissement, que je vous donne. Souvenez-vous de Racine, la plainte de Phèdre :

« Ariane, ma sœur, de quel amour blessée,

Vous mourûtes au bord où vous fûtes laissée !»

En effet, Thésée est venu d’Athènes pour libérer sa ville du tribut  annuel imposé par Minos, roi de Crète, de sept filles et sept garçons à offrir en pâture  au Minotaure, monstre mi-homme mi-taureau, enfermé dans le fameux labyrinthe. Il le tue mais ne se tire du labyrinthe inextricable que grâce à la pelote de fil qu’Ariane, fille du roi, qu’il avait séduite, lui avait donnée pour retrouver son chemin vers la sortie. Mais, trahissant sa promesse de mariage —il épousera sa sœur Phèdre et l’on sait la tragédie qui s’ensuit—Thésée enlève Ariane et l’abandonne sur une île déserte. On se rappelle le fondateur Lamento d’Ariane de Monteverdi, qui sera modèle à toutes les imprécations lyriques et lamentations d’héroïnes abandonnées, Didon, Alcina, Armide, qu’affectionne le Baroque. Mais en notre époque de Me too, nous préférons la version, reprise par Richard Strauss dans son Ariane à Naxos où le dieu Bacchus sauve et épouse Ariane. Comme dans cette optimiste cantate de Couperin. Nous en écoutons les mots consolateurs de Bacchus, dieu du vin :

1) PLAGE 5 

Une cantate était en fait un opéra de chambre, à une voix souvent, avec des récitatifs suivis d’air. La seconde cantate, de Louis-Nicolas Clérambault, pour dessus (soprano), traverso  (flûte) et orchestre,  a pour sujet Léandre et Héro, tragique histoire des deux amants chacun  habitant une des deux rives de l’Hellespont, Europe et Asie. Toutes les nuits, Léandre traverse le détroit 1 à 6 km de large à la nage, guidé par une lampe qu'Héro allume en haut d’une tour qu’on vous montre encore si vous allez à Istanbul. Mais une nuit, le vent éteint la lampe et, sans repère, Léandre se perd dans les flots se noie et son amante, désespérée, se suicide, se jetant aussi dans la mer. Comme dans la forme italienne des arie di paragone, une comparaison —avec un oiseau, un papillon, un temps, beau ou mauvais— permet d’exprimer un sentiment, un affect et, naturellement un bateau dans la tempête, ou la tempête elle-même qui permet des effets impressionnants comme ici :

2) PLAGE 14

Après l’air le récit et on entend avec quelle douce diction, accent baroque reconstitué, Cécile Larroche détaille le texte :

3) PLAGE 15

Avec de très belles pages insrumentales,le CD se clôt sur la dernière cantate, de Baptistin Stuck (1680-1755), Italien d’origine allemande, qui fait carrière en France. Il met en scène, théâtralement, les antinomiques philosophes Héraclite et Démocrite, le premier qui voit dans le monde une raison de rire, et l’autre, de pleurer. Nous ne trancherons pas là-dessus et nous les quitterons sur ce « duo gay » final à propos d’une tempête que chacun peint sans doute aux couleurs, de son humeur, chantée avec virtuosité par Cécile Larroche et Guillaume Figiel Delpech :

 

4) PLAGE 28

 

 

RCF ÉMISSION N°580 de Benito Pelegrín, 13/02/2022

 

        

 


 

 

mardi, février 15, 2022

HUMAIN, TRÈS HUMAIN : UN WAGNER RETROUVÉ

 

Die Walküre,

La Walkyrie

Texte et musique de Richard Wagner

Opéra de Marseille

13 février

 Sieglinde et Hundig

Contraintes et liberté

L’art sous contrainte n’est pas forcément un art contraint : à preuve, cette passionnante Walkyrie de l’Opéra de Marseille, trouvant, sous la force des contraintes sanitaires, une liberté d’approche sensible qu’on dirait sensationnelle si ce terme, disant l’excès, ne trahissait cette pure version, cette vision d’épure qui touche parfois l’abstraction pour manifester le concret des sentiments, la vérité des personnes sous les oripeaux, parfois horripilants, des personnages wagnériens. Le manque criant des ressources matérielles a trouvé le défi murmuré de la ressource de l’intelligence de l’équipe scénique : pour la mise en scène, Charles Roubaud, costumes de Katia Duflot et des lumières de Marc Delamézière qui l’avaient réalisée en 2007, la plus belle Walkyrie, je le répète, que j’aie vue.

La réussite est à la hauteur du défi posé par les consignes sanitaires : d’abord, tirer les musiciens, serrés au coude à coude, confinés dans la littéralement mortifère fosse d’orchestre, promiscuité propice au virus, et les disposer en veillant à leur sécurité, en respectant les distances barrière. Plutôt que d’annuler une rare Armida de Rossini très attendue, le directeur de l’Opéra, Maurice Xiberras n’avait pas hésité courageusement à supprimer les fauteuils d’au moins dix rangs du parterre pour l’offrir à l’orchestre et y spatialiser sainement les musiciens dans cet espace libéré, quoiqu’il en coûte économique, pour lui aussi, pour la jauge drastiquement amputée du théâtre. Les chanteurs de cette version concert, restaient sur la scène.  Cette production fut un triomphe, il est vrai avec un plateau de chanteurs hors pair. Mais, on n’a pas parlé du résultat musical de cette répartition des musiciens sur une vaste surface : la musique, évadée de la concentration touffue de la fosse, du balcon où je me trouvais, ne venant plus d’un point unique, semblait s’épanouir dans une liberté spatiale, aérée, jamais connue dans une salle close : une perception à la fois détailliste des instruments, des divers pupitres semés sur ce parterre, avec la sensation de baigner dans un flot musical voluptueux venu de lieux divers. C’était un renouvellement de l’écoute, que l’on ressent parfois miraculeusement au plein air si un vent mauvais ne joue à disperser le son.

                                                          Siegmund et Sieglinde

Wagner renouvelé

Quand on évoque Wagner, on imagine, on voit et entend un orchestre gonflé, grossi, des chanteurs assortis, inhumains ou surhumains à force d’obligatoire puissance dans des salles de plus en plus grandes depuis le XIXe siècle. Mais il faut rappeler que Wagner, en son temps, employait des chanteurs ployés encore au bel canto romantique, l’opéra de leur temps, plus léger en orchestration. D’autre part, il ne faut pas oublier que Wagner, pour y donner ses opéras, se fit construire une salle spéciale à Bayreuth, toute en bois, le meilleur porteur du son, et l’orchestre y est invisible, caché dans la fosse, donc, la puissance sonore orchestrale y est plus estompée : tous les chanteurs en disent, en vantent l’excellence et le confort acoustiques. Enfin, il faut ajouter, qu’à Marseille, une première en France, ce fut la création de la version pour orchestre de taille moyenne, donc un orchestre allégé (arrangement très respectueux du compositeur Eberhard Kloke).

                                                               Fricka et Wotan
On l’attendait non sans appréhension, il faut le dire, mais il faut redire le bonheur de la surprise : quand le rideau de scène se lève, c’est sur un autre rideau sur lequel se projettent d’expressives et impressionnantes vidéos, derrière lequel, à quelques éclats de lueur, on devine l’orchestre caché non sous la scène comme à Bayreuth, mais derrière.  La musique, dans ces effets de lointain, dans ce décor dont la légèreté du tulle souligne la dure écorce presque minérale du frêne du monde de la tanière de Hunding, semble arriver d’un horizon onirique. Placés à l’avant-scène entre deux rideaux transparents, plutôt voiles des songes, les personnages semblent sortir des ombres du rêve ou du cauchemar.

La fosse, où gît l’orchestre, est littéralement un fossé qui sépare physiquement et acoustiquement la salle du plateau, faisant barrage sonore entre le public et les chanteurs sur la scène qui doivent surmonter la barrière sonore pour projeter correctement leur voix. Ici, au contraire, à l’avant-scène exiguë, sans nécessité d’outrance vocale, le chant semble naturellement venir vers nous jailli ou murmuré par les chanteurs poussés généreusement par cette musique d’un orchestre derrière eux qui les enveloppe sans les étouffer. C’est une réception inédite et inouïe d’un Wagner, fondamentalement homme de théâtre, qui voulait faire comprendre son texte et savait placer un pianissimo ou même un silence pour mettre en valeur une phrase essentielle de son livret.

Humain, très humain

    À dispositif ingénieux, j’ose dire génie du travail théâtral : cantonné, confronté à la réduction de la surface scénique sur l’étroite avant-scène, Roubaud, pourtant habitué aux grands espaces comme le théâtre antique d’Orange, a su se plier encore à cette donnée du dispositif et en tirer la meilleur part. Le petit plateau désencombré de tout décor inutile, habillé par les lumières qui font sens de Marc Delamézières, avec des images suggestives des vidéos de Camille Lebourges, il laisse toute la place, finalement, à des détails symboliques, épiques, telles les épées sur les portants des cadres de scène et, surtout à la suggestion de gestes mimés, ébauchés, suggérés, qui invitent l’imagination à en remplir le vide, à les continuer mentalement, effectivement, affectivement : la main qui est coupe d’eau et hydromel, qui saisit vaillamment l’épée inexistante, qui se brisera sous la lance invisible de Wotan : dire tout en disant le moins qui laisse présager davantage, la partie pour le tout d’une synecdoque rhétorique, pure essence de l’épure.

De ce monde fabuleux, aux héros mythiques, dieux, demi-dieux comme les walkyries, et les walsungen, nés de Wotan et d’une humaine, je disais dans mon article sur la version 2007, « humain, trop humain… », en empruntant un titre de Nietzsche qui glose un concept de Gracián qui dénonçait les faiblesses du sentiment qui affaiblissent la personne face aux autres. Si Lamartine écrivait :

« Borné dans sa nature, infini dans ses vœux,

L’homme est un dieu tombé qui se souvent des cieux »,

Ici, c’est ce dieu trop humain, Wotan, qui ne peut oublier la terre. Son errance terrestre, va s’accentuer jusqu’à l’effacement au cours des autres saisons de la Tétralogie, il en perd sa liberté, rêvant d’une nouvelle race d’hommes libres qui s’affranchirait des dieux. Échec sur terre comme au ciel où il transporte ses problèmes d’homme adultère face à sa femme trahie qui reste la seule incarnation d’une divinité digne mais blessée aussi à mort, peut-être comme ce Walhalla, palais des dieux extorqué aux Géants dans l’Or du Ring, juste suggéré par des marbres jouant avec les stucs de l’Opéra, mais dont les jointures semblent des fissures de la fin.

C’est donc en épurant aussi la scène wagnérienne grandiose de la grandiloquence de la gesticulation que Roubaud, avec d’immenses chanteurs qui sont autant de grands comédiens, en livre l’humanité touchante, bouleversante, universelle, arrachée au carton-pâte plus épaté qu’épatant d’une épopée de pacotille. Déjà par la couleur beige clair de leurs vêtements surgis de la nuit, costumes toujours signifiants de Katia Duflot, Siegmund et Sieglinde semblent prédestinés l’un à l’autre. Et leurs gestes de tendresse puis de passion, sont miraculeusement proportionnés à leurs voix d’égale puissance et nuance avec une bouleversante vérité : détresse déchirante du Walsung Siegmund de Nikolaï Schukof, sans arme et appel déchirant « Wälse ! » au père absent, d’une acuité de lame qui tranche la nuit, qui se fait poésie dans le chant au printemps, force virile toute pliée à la douceur fraternelle et amoureuse de la Sieglinde, vaillante et tendre de Sophie Koch, noble et humble, qui entre indiscutablement en grand dans ce rôle. Image touchante des deux amants se reconnaissant frère et sœur, enfantins, en se regardant dans l’onde absente, et passage bouleversant de l’homme viril veillant avec tendresse sur sa femme enceinte épuisée, refusant avec grandeur le céleste Walhallah pour partager la misère terrestre de la femme aimée. En farouche Hunding, la voix d’ombre de basse tendre de Nicolas Courjal, prête aussi une humanité au personnage, et les gestes de brutalité envers sa femme semblent autant s’offrir en spectacle grossièrement masculin à Siegmund que rappeler ou anticiper un antique ou éternel machisme toujours près d’en passer, comme de droit, au féminicide .

Aude Extrémo,  Fricka, ligne vipérine d’élégante maîtresse sadique en cuir, mais femme digne, déesse blessée, par un époux et dieu, finalement grossier, est admirable de bout en bout même dans ce rôle bref mais intense, par la beauté d’une voix sombre sans noirceur, sans faille, très dramatique. Silhouette ramassée de rocher arraché à quelque massive montagne, écrasant tout sur son passage, le Wotan de Samuel Young, voix de roc, rocailleuse, fusant des aigus puissants, tranchants comme des lances,  est, physiquement une incarnation rugissante d’un dieu d’autant plus terrible que proche de la chute, même s’il a des accents paternels touchants, même bouleversants quand il déchoit, d’un ultime baiser, la divinité de sa Walkyrie préférée, Brünnhilde. Cette dernière est campée, sans trop de légèreté sans doute, par Petra Lang. Mais la voix, longue, ronde, charnue et même onctueuse est belle et a le mérite d’épargner nos tympans des aigus perforants de tant d’autres pour son cri.

                                                         Les walkyries

Privées de leur tutti cavalcant au pluriel, les walkyries, singularisées par leur nom, plus que des féroces et vociférantes vierges guerrières, semblent une frissonnante et pépiante volière au vent volant de leur claire jupe légère, de leur pigeonnante cuirasse lamée gorge de pigeon et de leur douce blondeur laquée à peine sortie de chez le coiffeur, loin des amazones hirsutes, échevelées que l’on nous inflige souvent. On y reconnaît, malgré tout, nos amies Jennifer Michel, Ludivine Gombert, Laurence Janot, Cécile Galois et encore Lucie Roche, les autres, à connaître, me pardonneront.

L’orchestre invisible se dévoile à la fin et reçoit une ovation méritée, conduit de main de maître par Adrian Prabava qui remplaçait Lawrence Foster en ce temps d’incertitude. Mais, ce qui est certain, c’est l’indubitable réussite, envers et contre tous les aléas que subit l’art aujourd’hui de cette production courageuse qui honore l’Opéra de Marseille.

 

Distribution

Version pour orchestre de taille moyenne arrangée par Eberhard Kloke

Orchestre de l'Opéra de Marseille

Direction musicale

Adrian Prabava

 

Mise en scène : Charles Roubaud

Costumes : Katia Duflot

Lumières : Marc Delamézières

Vidéos : Camille Lebourges

 

Brünnhilde : Petra Lang

Sieglinde : Sophie Koch

Fricka : Aude Extremo

Gerhilde : Jennifer Michel

Helmwige : Ludivine Gombert

Ortlinde : Laurence Janot

Waltraute : Lucie Roche

Rossweisse : Carine Séchaye

Siegrune : Cécile Galois

Grimgerde : Marie Gautrot

Schwertleite : Julie Pasturaud

Siegmund : Nikolai Schukoff

Wotan : Samuel Young

Hundig : Nicolas Courjal

 

Photos : Christian Dresse

 

mardi, février 08, 2022

LA WALKYRIE, OPÉRA DE MARSEILLE

 

Die Walküre, 

La Walkyrie

 Texte et musique de Richard Wagner

Opéra de Marseille

du 9 au 16 février

 

Photo Christian Dresse 2007

Opéra de Marseille, La Walkyrie, les mercredi 9, vendredi 11, mercredi 16, 19 heures et dimanche 13 février, 14h30 h.

         Dernière représentation à l’Opéra de Marseille de La Walkyrie, en 2007. Aujourd’hui sous la direction musicale de Adrian Prabava, dans une mise en scène, de Charles Roubaud, des costumes de Katia Duflot et des lumières de Marc Delamézière qui l’avaient réalisé en 2007. Ce fut l’une des plus belles versions que j’aie jamais vues et entendues de cet ouvrage. Nous retrouverons cette équipe mais, contraintes sanitaires obligent, l’orchestre sera sur scène et la mise en scène sera semi-scénique, une mise en espace.

Quand on évoque Wagner, on imagine, on voit et entend un orchestre gonflé, grossi, des chanteurs assortis, inhumains ou surhumains à force d’obligatoire puissance dans des salles de plus en plus grandes depuis le XIXe siècle. Mais il faut rappeler que Wagner, en son temps, utilisait des chanteurs qui chantaient encore le bel canto romantique, l’opéra de leur temps, plus léger en orchestration. D’autre part, il ne faut pas oublier que Wagner, pour y donner ses opéras, se fit construire une salle spéciale à Bayreuth, toute en bois, le meilleur porteur du son, et l’orchestre y est invisible, caché dans la fosse, donc, la puissance sonore orchestrale y est plus estompée : tous les chanteurs en disent, en vantent l’excellence et le confort acoustiques. Enfin, il faut ajouter, qu’à Marseille, ce sera la création de la version pour orchestre de taille moyenne, donc un orchestre allégé (arrangements dû au compositeur Eberhard Kloke ), une première en France. Ce sera donc une version sans lourdeur sonore écrasante.

Signalons enfin, qu’à part Petra Lang, Allemande, actuellement considérée comme la meilleure interprète des grands rôles wagnériens, Isolde et Brünnhilde, la Walkyrie, à part deux des trois rôles masculins, l’Autrichien, Nikolaï SCHUKOFF, Siegmund, et le Coréen Samuel Youn dans celui de Wotan, tout le reste de la distribution est française, avec des prises de rôles, notamment Sophie Koch en Sieglinde.

De ce monde fabuleux, aux héros mythiques, dieux, demi-dieux comme les walkyries, vierges guerrières, je dirais, « humain, trop humain… », en empruntant un titre de Nietzsche, qui avait une haine admirative de Wagner. En effet, si les hommes sont complexes, que dire des dieux et de cette œuvre compliquée qui mêle les uns aux autres dans une tétralogie, c’est-à-dire quatre opéras différents constituant un seul ouvrage grandiose composé sur près de vingt-cinq ans.  Le titre global s’appelle Der Ring des Nibelungen, L’Anneau des Nibelungs, communément appelé le Ring ou la Tétralogie. Notre épisode, Die Walküre, la Walkyrie (1870), est le second volet du tout si l’on regarde l’ensemble quadripartite, ou la première journée si Das Rheingold, L’Or du Rhin, le premier des opéras, est considéré comme un Prologue global.

       Ce Prologue, L’Or du Rhin, nous montrait un enchaînement moral, fatal, dû à la cupidité de personnages successifs : les innocentes et joueuses ondines du fleuve, sont les gardiennes de l’Or magique du Rhin.  Elles ont l’imprudence de révéler au nain complexé Alberich, que cet or peut donner « der Welt Erbe », « la richesse du monde » à celui qui en forgerait un anneau (Ring) « mais en renonçant à l'amour. » Elles se moquent cruellement de ce vilain Alberich, qui leur faisait la cour. Pour s’en venger, Alberich leur vole l’or et le maudit, renonçant à l’amour, jurant d’en forger l’anneau de la puissance.

Or, Wotan, le dieu des dieux s’est fait construire un Palais merveilleux, la Walhalla par deux géants, leur promettant en paiement sa fille Freia, déesse de l’éternelle jeunesse des dieux. Mais il compte les berner en gardant sa fille et les payer avec le trésor volé aux nains, les nibelungen, amassé par Alberich qu’il fait prisonnier auquel il arrache l’anneau maudit de la puissance. Mais le Dieu voleur, pour garder Freia la déesse de la jeunesse sans laquelle les dieux vont dépérir et mourir, est contraint de céder en paiement le trésor et l’anneau maléfique du nain aux Géants, dont l’un se transforme en dragon gardien du trésor. C’est l’enchaînement de la malédiction de l’or.

Dans la Walkyrie, Wotan, ligoté par ses traités, compromis par ses compromissions plus humaines que divines, espère encore récupérer sur les forces du mal l’anneau d’or de la toute-puissance par personne interposée, un fils engendré par lui avec une mortelle, Sigmund. Le rideau se lève sur une tempête et la course éperdue de Sigmund poursuivi par une meute meurtrière. On écoute une brève bribe de ce Prélude angoissant par Daniel Barenboim à Scala de Milan, en 2010 :


1)
https://www.youtube.com/watch?v=ncbHEKkdxIM  

 Die Walküre - Prelude 1º Act. 

 

Siegmund trouve un refuge dans une cabane où une belle jeune femme l’accueille : c’est Sieglinde, l’épouse forcée de son ennemi Hunding. Ce dernier lui offre, l’hospitalité pour la nuit mais l’attend le lendemain pour un duel à mort. Siegmund est sans arme dans la gueule du loup. Sieglinde, qui a endormi son horrible mari avec un somnifère, révèle au jeune homme une épée plantée jusqu’à la garde dans un arbre par un mystérieux vieillard (elle ignore que c’est le dieu Wotan) destinée au héros qui pourra l’en arracher : ce sera Siegmund à qui son père le dieu destinait l’arme magique pour sauver le monde du mal.

         Siegmund et Sieglinde tombent amoureux l’un de l’autre. C’est le printemps que chante le héros par la voix de Jonas Kaufmann :

'Winterstürme wichen dem Wonnemond' : ‘Mai a chassé les tempêtes de l’hiver… »

 2)

  https://www.youtube.com/watch?v=Ukufk2YUVKY 

 

         Exaltée, Sieglinde lui répond : « Du bist der Lenz ,/nach dem ich verlangte/ in frostigen Winters Frist », 'C'est toi le printemps dont je languissais dans le froid de l'hiver…'

 

 On l’écoute par Lise Davidsen :

 

3)https://www.youtube.com/watch?v=TmQOr32M7HA Sieglinde

 

 « Du bist der Lenz » (Die Walküre)


Les deux jeunes amants, qui se sont reconnus frère et sœur, s’enfuient dans la nuit. Hunting les poursuivra de sa haine mortelle.

 

C'EST LA FIN DE L'ACTE I 


Wagner est non seulement un musicien révolutionnaire qui s’invente un nouveau langage musical ouvrant l’avenir. C’est aussi un grand poète : le Prélude ou la première journée de la tétralogie qu’est  Der Ring des Nibelungen, l’Anneau des Nibelungen, l’Or du Rhin est littéralement et littérairement éblouissant par les trouvailles poétiques, le jeu des sonorités. Il s’invente pratiquement une langue et crée aussi sa mythologie à partir de sources diverses : mythologie et légendes nordiques, contes de fées, avec leurs nains, leurs géants, leurs dragons, etc, mais, sous l’habillage germanique et ses noms, l’emprunt à la mythologie méditerranéenne, gréco-latine, est flagrant : Wotan, le Dieu des dieux, c’est, grec ou latin, Zeus ou Jupiter, volage coureur de jupons terrestres, jouant de la donjuanesque métamorphose pour séduire les mortelles, toujours poursuivi par la rageuse jalousie de Fricka (Junon ou Héra), son épouse légitime, gardienne du foyer, de la fidélité et il sème le monde de ses rejetons ; Loge, ici dieu du feu, tient du volatile Mercure ou Hermès, les walkyries tiennent des amazones, vierges guerrières, et les fruits de Freia sont un souvenir des fruits d’or de la jeunesse du jardin des Hespérides. Cependant, de toutes ces sources hétérogènes, Wagner fait création personnelle et apporte une dimension psychologique profonde à des dieux aux desseins guère impénétrables tant leur humanité trouve d’échos en nous.

Et surtout Wotan, ce dieu aux désirs dramatiquement humains, amour et  cette puissance, symbolisée par l’anneau maléfique de l’or, un dieu envers qui les hommes sont moins débiteurs qu’il ne l’est à leur égard : le Créateur a tellement de dettes envers ses créatures que sa divinité va en être érodée, rabotée et chaque bribe qu’il en abandonne est comme la brindille, le branchage, l’arbre, la forêt qui s’accumule au pied de son Walhalla, l’orgueilleux palais de sa puissance qu’il fit bâtir par les géants dont l’embrasement final, par sa propre fille, la Walkyrie, qui se sacrifie, en se jetant dans le brasier, amènera ce Götterdammerung, le 'Crépuscule des dieux' qui clôt l’œuvre, et, ouvre peut-être l’avènement d’un amour purifié sur terre après le rejet de l’or maudit par Brünnhilde, rendu à la pureté ondes et des ondines.

Wotan avait voulu créer une nouvelle race, les Walsung, capables de récupérer pour lui l’anneau maudit par le nain Albérich. C’est Siegmund et Sigliende qu’il a conçus avec une mère humaine. Ils ont fui Hunting, l’époux de la jeune femme. Siegmund est armé de l’épée qu’il a arrachée au tronc du frêne qu’y avait planté pour lui le dieu pour le rendre invincible, attendant tout de ce fils. Mais, amoureux l’un de l’autre, ils sont non seulement adultères mais incestueux. Ils sont voués à la mort par Fricka, gardienne des liens du mariage, malgré le désespoir de Wotan qui voulait son fils vainqueur de Hunting. Il avait confié à Brünnhilde, sa fille préférée parmi les Walkyries, vierges guerrières chargées d’amener au Walhalla, palais des dieux, les corps des héros morts, de seconder son fils Siegmund dans son duel contre Hunting. Mais il est contraint d’annuler cet ordre et décrète la mort de son fils chéri Siegmund, auquel, désespérée elle aussi, la Walkyrie, vient annoncer solennellement sa fin, l’enjoignant de la suivre au Walhalla, paradis ds héros morts au combat. Nous écoutons, lnnonce de la mort de Siegmund par la Walkyrie, cala, Riccardo Muti :

1) https://www.youtube.com/watch?v=WhpIWsLs53M  

Mais le jeune héros refuse de partir pour ce paradis héroïque s’il n’y peut amener Sieglinde, évanouie d’épuisement, enceinte, à ses pieds. Brünnhilde a beau insister, il refuse, préférantla mort à la perte de celle qu’il aime. Bouleversée par l’amour de ce couple humain, fendant sa cuirasse de déesse pour laisser parler un cœur humain, Brünnhilde décide de passer outre les ordres de Wotan et d’aider Siegmund à vaincre Hunting.  Mais le dieux, Wotan furieux de cette rébellion de sa fille préférée, brise de sa propre lance l’épée de Siegmund qui tombe sous les coups de Hunding, lui-même abattu par Wotan.

Brünnhilde ramasse alors très vite les morceaux de l’épée magique et s’enfuit avec Sieglinde enceinte pour échapper à la colère terrible de Wotan qui n’admet pas la désobéissance. Elle confie à Sieglinde l’épée brisée de Siegmund afin que, prophétisant qu’elle donnera naissance à Siegfried, le pur héros sans peur, elle la lui remette pour qu’il en ressoude les morceaux pour vaincre le dragon qui possède l’anneau maudit et ramener la paix au monde corrompu par l’or volé aux ondines.

Brünnhilde requiert en vain l’aide de ses sœurs walkyries, trop terrorisées par la fureur de Wotan pour la secourir. On n’échappe pas au dieu. Wotan la rattrape. C’est alors une longue scène dramatique, des plus humaines entre ce dieu et sa fille divine qu'il va déchoir. Elle lui explique qu’en tentant de sauver Siegmund, elle ne faisait qu’accomplir son vœu premier. Wotan admet tout cela, est déchiré mais il est pris par le devoir de punir l’infraction. Le père dieu, l’excluant du Walhalla, condamne la Walkyrie, à la déchéance divine.  Il veut la plonger dans un profond sommeil sur ce rocher sauvage. Mais Brünnhilde, la vierge guerrière, supplie Wotan de ne pas l’abandonner ainsi sans protection, à la merci de n’importe qui et obtient de lui que son corps endormi soit entouré d’un cercle de feu, afin que seul un héros puisse s’approcher d’elle. Profondément ému, Wotan accède à sa prière, et dit adieu à sa fille préférée.

 

Adieux de Wotan à Brünnhilde :

 

2) https://www.youtube.com/watch?v=8aw--_khjLA :

 

Elle sera éveillée, dans un temps sans temps, par Siegfried le héros fils de Siegmund et Sieglinde. Ce sera la troisième journée, Siegfried, de la tétralogie : une autre histoire, troisème volet de la Tétralogie.

 

Nous écoutons la fameuse « Chevauchée des walkyries « pur nous quitter :

 

3) https://www.youtube.com/watch?v=8aw--_khjLA

Wagner: Die Walkure, Act 3, Barenboim

 

 RCF : émissions N°585 et 586 de Benito Pelegrín du 02/02/2022