mardi, mai 29, 2018

CONFÉRENCE DE BENITO PELEGRÍN : LIBERTINAGE ET LIBERTÉ, DON JUAN/CARMEN


Enregistrement 17/5/2018, passage, semaine 28/ 5-1/6/618

RADIO DIALOGUE RCF (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)

« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 319

lundi : 18h45 ; mercredi : 20 h ; samedi : 17h30

Semaine 22



         Partenaire de Radio Dialogue RCF, l’association culturelle Horizontes del sur, dans sa rubrique « Cultures d’Espagne », et dans le cadre global de Marseille 2018 Oh quel amour !, présente son festival annuel du  26 mai au 10 juin, dont le titre est Un Amour d’Andalousie.  Dire « Andalousie », c’est dire Séville, et « Amour » lié à Séville, c’est inévitablement évoquer Don Juan et sa version féminine, Carmen.  Ayant beaucoup parlé sur d’autres ondes et beaucoup écrit dans mes livres, pièces et essais, sur ces deux personnages sévillans, on m’a chargé d’une conférence à leur sujet, le vendredi 1 juin à 18h30 au Conservatoire de Marseille, suivie d’un concert de musique espagnole. Je me permets d’en faire pour vous un très succinct résumé.

Pour moi, les deux fameux Sévillans, au-delà de leur statut légendaire de héros de l’amour, sont des hérauts, au sens de chantres, de la liberté. Faute d’espace, je ne ferai qu’évoquer Don Juan.

Il faut d’abord situer le contexte historique et social dans lequel apparaît, sans qu’on sache la date exacte de sa création, dans le premier tiers du XVIIe siècle espagnol, la pièce attribuée à Tirso de Molina, El Burlador de Sevilla, qui impose ce mythe du séducteur impénitent : tout jeune, il tue le Commandeur, père de Doña Ana, avant d’être terrassé par sa statue vengeresse. Son histoire va courir l’Europe, de la Commedia dell’ Arte italienne à l’opéra, en passant par Molière. Sans doute n’est-ce pas un hasard.

Sans entrer dans des détails trop complexes pour être contés ici, il me semble important d’évoquer ce cadre plus vaste de l’Europe de ce temps et les convulsions qui l’agitent : en butte aux sursauts des grands féodaux défendant leurs exorbitants privilèges, les monarchies tentent d’instaurer des régimes absolutistes sur des pays unifiés. Au XVIe siècle déjà, Luther, fragmente l’unité de la chrétienté, en défiant l'autorité papale. Luther est un moine, un fils de l’Église : sa révolte est bien celle d’un fils contre un Saint Père qui règne encore sur les rois, qui sont aussi d’autres figures patriarcales. Jusqu’au milieu passé du XVIIe siècle, où s’affirment des monarchies ou des régimes absolus sur des nations pacifiées, l’Europe n’est que discordes civiles, révoltes, contestations violentes contre les pouvoirs centraux : en Angleterre, le roi Charles Ier est décapité en 1649 par Cromwell, qui devient dictateur. En France, le règne de Louis XIII est traversé de complots dirigés contre le cardinal de Richelieu figure autoritaire de père inflexible : le dernier, l’année même de sa mort, est celui de Cinq-Mars, favori du roi, qu’il fait décapiter à Lyon à vingt-deux ans. Ce seront ensuite toutes les conspirations contre le cardinal Mazarin, parrain, père symbolique du jeune Louis XIV, autre figure paternelle, qui, avec la régente Anne d’Autriche, essaie de soumettre les Grands insurgés pour établir un pouvoir absolu.

Exemplaire, ce futur Prince Condé : soumis à l’autorité d’un père écrasant, il s’en libère à vingt et un ans, après avoir battu à Rocroi (1643), une armée espagnole invaincue depuis un siècle. Dès lors, il voudra absolument abattre Mazarin et mettra la France à feu et à sang durant la Fronde, avant de passer aux Espagnols. Sa sœur cadette, la belle et séductrice duchesse de Longueville, amazone révoltée, séductrice redoutable, on l’appelait « Diablesse au visage d’ange », proclamait avec cynisme : « Je n’aime pas les plaisirs innocents. ». Symboliquement, c’est la révolte des jeunes, impatients de prendre leur place contre les vieux qui détiennent le pouvoir. Ils sont jeunes, puissants, ambitieux, révoltés : tout paraissant possible, ils se permettent tout, même le sacrilège.

Nous allons illustrer cette frénésie, cet appétit juvénile de plaisir, de puissance, par celle, sexuelle, qu’exprime Don Juan , Don Giovanni, dans l’air dit « du champagne » de Da Ponte et Mozart : à la faveur de la fête qu’il donne et de l’ivresse du vin et des danses, il compte augmenter sa fameuse liste d’une dizaine de femmes. C’est Cesare Siepi qui l’incarne sous la baguette de Wilhelm Furtwängler dirigeant le Wiener Philharmoniker :



1) DISQUE I, plage 22



Quant à l’Espagne et son immense empire, qu’on en juge : dans les colonies d’Amérique, la révolte des nobles rêvant de se tailler des royaumes, est endémique. En Europe, les Flandres espagnoles sont révoltées depuis près d’un siècle ; en 1640, le Portugal, s’émancipe à jamais de la couronne espagnole, la Catalogne tente de le faire la même année, suivie par Naples.

         La société espagnole est faite par les hommes, pour les hommes. L'état fonctionne comme une famille et la famille, comme un état, autoritaires tous deux. Au centre, à la tête de l'un, le Roi, et de l'autre, le Père. Au-dessus de tous, Dieu le Père. Le Père est évidemment un mari au centre de la famille, pierre angulaire de la société. Dans cette société patriarcale si centralisée autour du mâle, hiérarchisée (Père, Roi, Dieu), toute atteinte à cet ordre immuable est subversif . Et, en effet, face à un Dieu répressif ou à un possesseur exclusif de la femme, le libertinage, qu'il soit religieux ou érotique, est affirmation de l'individu. Don Juan est le premier homme qui ne se prévaut pas, pour parler aux femmes, de ses prérogatives religieuses, paternelles ou maritales :  en toute liberté, il leur parle d'homme à femme, de mâle à femelle, de sexe à sexe : d'égal à égal.

Au premier degré, donc, Don Juan joue de cette société mâle : il est l'épouseur à toutes mains et obtient des victoires par la promesse fallacieuse du mariage envers des femmes soumises à la loi. Mais, au fond, il déjoue, subvertit cette société : il défie Dieu, les Maris, les Pères. A Dieu, il enlève la religieuse, au Mari, la femme, la fille au Père. Autrement dit, il lui montre une autre voie, qui n'est pas celle tracée par l'ordre des hommes, mais celle de la nature, du désir. Et le sexe ne connaît pas de hiérarchie sociale, pas d'autre loi que celle de sa satisfaction. Le libertin fait passer le souffle de la liberté. Il n'est pas étonnant que Don Juan soit poursuivi par les maris, les pères, par Dieu, par ce Commandeur (ambassadeur du Roi, Père et mandataire de Dieu), les incarnations de la société patriarcale, car il contribue à la sédition des femmes.

         Nous écoutons encore Don Juan invitant tout le monde à sa fête, qui est celle de la liberté :



2) DISQUE II, plage 8 


Faute de temps, j’ai sacrifié Carmen « oiseau rebelle qui n’a jamais connu de loi ». Mais je lui rendrai justice le vendredi 1 juin à 18h30 au Conservatoire de Marseille en la couplant avec Don Juan, lors de ma conférence  qui sera suivie d’un concert de musique espagnole par les élèves du Conservatoire.
Conférence suivie d’un concert de musique espagnole par les élèves du Conservatoire.




Retrouvez le programme complet Horizontes del sur le site


 








lundi, mai 21, 2018

DEUX CONFÉRENCES DE BENITO PELEGRÍN


Enregistrement 17/5/2018, passage, semaine 21-26/618
RADIO DIALOGUE RCF (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 318
lundi : 18h45 ; mercredi : 20 h ; samedi : 17h30
Semaine 21

DANS LE CADRE DES ACTIVITÉS CULTURELLES DE L’ASSOCIATION  MALC PACA (MAISON DE L’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES PACA),
SOUS LA PRÉSIDENCE DE
MADAME ROSELYNE BELLEPAUME-NOGUERA,
CONSUL HONORAIRE DE BOLIVIE,

Benito Pelegrín
donnera une conférence
avec lecture de poèmes par
Tamara Scott Blacud

LUNDI 28 mai 2018, 17 H30

OFFICE DU TOURISME DE MARSEILLE
11, la Canebière, 13001 Marseille 

LE SEXE D’UN ANGE

Juana Inés de la Cruz (1648 ou 1651-1695)
         Vers 1651 naissait au Mexique, près de Mexico, Juana Inés de Asbaje y Ramírez, du nom du père et de la mère. Mais, problème, le père, un aventurier de ceux qui viennent tenter de faire fortune aux Amériques, un Basque de la métropole, n’a pas épousé la mère : la petite fille est donc une bâtarde. Elle tentera toujours de cacher ce stigmate originel qui la marque à jamais. Même au faîte de sa célébrité, qui sera immense, on sent toujours sa brûlure. Ainsi, à un orgueilleux la blessant sur sa bâtardise, elle répond, comme toujours en vers, et vertement, par cette petite épigramme qu’elle appelle La poutre et la paille :

N'être point de père honnête
Serait un vice, à coup sûr
Si, comme j'en reçus le jour,
C'est moi qui l'avait fait naître.
Mais ta mère s'y prit mieux
Qui te donna tant de pères
Afin que tu puisses, mon cher,
Choisir celui que tu veux.

         Sans qu’on sache pourquoi, déjà abandonnée par le père, elle doit quitter sa mère, se retrouve chez son grand-père maternel, puis, encore arrachée à ce foyer, chez de vagues parents. Et soudain, sans que l'on sache pourquoi, c'est le conte de fées : nous la retrouvons vers 1664, adolescente, dans la fastueuse cour des Vice-Rois d'Espagne, dame de la Vice-reine.
        Juana est aussi musicienne, compositrice (son œuvre est malheureusement perdue), mais des compositeurs de l’Amérique espagnole presque contemporains mettront en musique ses vers. En voici un exemple très festif tiré du CD Sor Juana Inés de la Cruz Le Phénix du Mexique que lui consacre Gabriel Garrido, « LES CHEMINS DU BAROQUE », 617 :
1) PLAGE 1 
 Juana est une enfant prodige, la connaissance sera la passion de sa vie. Nous la retrouvons donc dans la cour du tout-puissant représentant du roi de toutes les Espagnes, dans la capitale, Mexico.
Pourquoi le Vice-Roi, marquis de Mancera, et la Vice-Reine, l'ont-ils accueillie dans une cour espagnole si rigide sur l'étiquette, le rang et le sang ? Éprouvent-ils pour la petite fille une affection véritable ? N'est-elle qu'une curiosité de plus, le singe savant qui remplace les perroquets parlants et les indiens dans le goût d'exotisme de cette somptueuse aristocratie ?
Le Vice-Roi organise un concours devant un prestigieux parterre face à un jury de quarante savants, théologiens, philosophes, mathématiciens, hommes de lettre : la petite fille doit répondre à leurs inquisitoriales questions pour tester son savoir, pour éventuellement trancher de son essence diabolique. Elle satisfait à toutes les questions, triomphe. Dès lors, elle est la coqueluche de la cour. La Vice-reine, ne semble pouvoir vivre sans elle. Elle, la bâtarde, règle fêtes et divertissements, écrit des poèmes de circonstance, compose des pièces de théâtre et de musique. Écoutons encore un extrait d’un de ses poèmes mis en musique par Manuel de Mesa :
2) PLAGE 3
En pleine gloire mondaine, elle entre au couvent, non par vocation religieuse dira-t-elle, mais répugnant au mariage. Que peut attendre une bâtarde ? Déception amoureuse ? Est-ce un aveu douloureux qui perce dans ce petit poème ? 
Je me souviens que jadis 
(Que je voudrais l'oublier !)  
J'ai aimé à la folie,
          J'ai adoré à l'excès,  
         Mais c'était amour bâtard 
         Aux affects trop opposés,
        Aussi facile à venir 
         Que facile à extirper. 
         Sa poésie, très largement amoureuse, est traversée de poèmes troublants à un amant ingrat, comme dans ce quatrain d’un sonnet :
Lorsque je te revois, avec grand déplaisir
Je comprends, ô Silvio, mon amour égaré, 
Combien grave est le poids du funeste péché
Et combien violente la force du désir.
Plus troublants encore ses innombrables poèmes d’amour à la Vice-Reine qu’elle idolâtre :
Ô, ma divine Lysis,
Aucun Dieu n’est à l’abri 
Du désir qu'on a de lui .
Être femme et être loin 
À l’amour n'est point barrière
Car tu sais que pour les âmes
 Il n’y a sexe ni frontière ; 
D'autant que l’amour naturel
N’est loi que pour le vulgaire, 
 Dont s’affranchit aisément 
Toute beauté singulière.
Réprimandée publiquement par l’évêque de Puebla pour avoir osé se mêler de théologie, après une longue réponse où elle défend le droit de la femme au savoir et à la poésie, condamnée au silence par son confesseur elle se soumet, fait son testament et meurt. 
Nous la quittons sur cet amusant poèmes où deux sacristains se disputent sur Marie, se lançant à la tête des citations des Évangiles :

3) PLAGE 15 

Voici un autre de ses sonnets :
À une image de l’Amant apparu en songes et retenu par les nœuds d'un amour décent

Ah, ne me quitte pas, ombre trop fugitive,
Image de celui qui règne dans mon cœur,
Belle illusion de qui, joyeuse, je me meurs,
Douce fiction de qui je souffre et vis captive !

Si vers l'aimant puissant de ta grâce attractive
Comme un fidèle acier se tourne ma candeur,
Pourquoi charmer mes yeux d'un songe si flatteur,
Si c’est pour me blesser par cette fuite hâtive ?

Mais tu ne pourras pas te vanter que tes feintes
De mon cœur et mes sens auront pu triompher,
Car si tu peux glisser d'entre les nœuds étroits

Qu’à ton leurre tendait mon amoureuse étreinte,
Tu as beau déjouer les chaînes de mes bras
Ma rêverie a fait de toi mon prisonnier.

C’est à la découverte de cette femme extraordinaire, qu’invite ma  conférence  Le Sexe d’un ange, à l’Office du Tourisme de Marseille, 11, la Canebière, le lundi 28 mai à 17h30.

CONFÉRENCE II
DANS LE CADRE D’HORIZONTES DEL SUR « CULTURES D’ESPAGNE», 
"UN AMOUR D'ANDALOUSIE"

BENITO PELEGRÍN
Vendredi 1er juin 2018 – 18 h 30 
Conservatoire de Marseille 
Place Carli – 13001 Marseille 
Conférence 
MYTHE ET FIGURE MYTHIQUE : 
deux séducteurs Sévillans, Don Juan et Carmen 
par Benito Pelegrín
Entrée libre 
A partir de ses travaux sur ces deux personnages de séducteurs libertins, Benito Pelegrín montrera que les deux Sévillans sont, au-delà de leur statut légendaire de héros de l’amour, des hérauts et martyrs de la liberté. 

LA CONFÉRENCE SERA SUIVIE D’UN CONCERT
Vendredi 1er juin 2018 
20 h 30 (salle Billioud) Conservatoire de Marseille Place Carli - 13001 Marseille 
CONCERT MUSIQUE ESPAGNOLE 
par les élèves du Conservatoire 
Entrée libre 
Carte Blanche aux élèves du conservatoire pour un concert de musique espagnole. Manuel de Falla, Albéniz, Granados... 





ORGUE ET CHANSON, HEUREUX MARIAGE


MARSEILLE CONCERTS

Festival Orgue en Chansons

         Marseille est une fête et on ne sait où donner de la tête à vouloir courir à tant de manifestations. Sur la lancée, le terreau de MP2013, Marseille-Provence Capitale européenne de la Culture, on a vu bourgeonner des initiatives des collectivités locales pour fomenter des événements collectifs et l’on a vu fleurir Marseille 2017 capitale européenne du sport et 2018, avec un programme tous azimuts Quel amour !, sans que l’amour du sport soit renié, qui sait, l’amour comme sport, culte du corps et du cœur, disons aussi comme une saine culture, l’esprit,  on se retrouve comblé dans une multitude d’événements culturels.
         À côté d’institutions officielles comme l’Opéra et l’Odéon, seul théâtre en France entièrement dévolu à l’opérette, la vie musicale est riche de lieux consacrés à la musique et, rien que pour ce mois de mai, s’annonce la naissance en fanfare des VOIX DE LA CANEBIÈRE, un chœur qui se veut « emblématique pour Marseille. » Dans ce vaste panorama, Marseille Concerts a déjà un long passé prestigieux. Mais, sous la présidence de Robert Fouchet, la vénérable institution a su se diversifier en lieux, thèmes et programmes. Ainsi, les petits concerts gratuits dans les musées, les Muséïques, et, dans le cadre des Dimanches de la Canebière, diverses animations des fins de mois, Marseille Concerts a trouvé la bonne formule et le bon format avec son original Festival Orgue en chansons, élargi du dimanche au samedi, des concerts d’une durée et à une heure raisonnable, d’une heure trente à 20 heures le samedi, 17, le dimanche. Avec l’ambition de donner champ libre à de jeunes interprètes régionaux de qualité. Audacieux défi : marier l’intime et le grandiose, la confidence et l’éclat, la chanson et les grandes orgues
Marseille Concerts s’est donc lové amoureusement dans deux églises presque symétriques, l’une au Vieux-Port pratiquement au débouché de la Canebière et l’autre, remontant la célèbre artère, à son extrémité.
I. Aznavour / Gainsbourg
Le samedi 28 avril, on se pressait donc vers l’Église Saint-Ferréol les Augustins de Marseille, sur le Vieux-Port, très vieille église rescapée des rages de la construction de la Rue Impériale de Napoléon III et des ravages nazis de 1943 : sur une géométrie classique, plaquée en 1874, une lumineuse façade blanche soulignée sobrement par de légers rentrants café au lait ; deux niveaux, mais le second, en fronton triangulaire, appuyé élégamment sur deux volutes, ébauche d’arcs ouverts, baroques. En somme, un discret syncrétisme architectural cher au XIXe siècle bourgeois en apothéose à Marseille : un faste sans néfaste ostentation. Le clocher ancien témoigne de ses riantes rides authentiques, du  ravalement de façade, du lifting moderne. Son orgue fut installé en 1844 par le facteur Zeiger de Lyon, dont le matériel est classé aux Monuments historiques, et, après de nombreuses retouches, restauré et inauguré en 2015, il est habillé d’un buffet néo-gothique, étiré de pinacles et ajouré de fleurons.
Le programme proposait une mise en regard, disons plutôt en écho, de chansons de Charles Aznavour / Serge Gainsbourg, confié à la voix d’Ewa Adamusinska-Vouland et à Frédéric Isoletta pour l’orgue. Autre pari : apparier Aznavour et Gainsbourg, dont les patronymes certes rimant semblent ne rimer à rien par le voisinage apparemment artificiel de deux compositeurs et chanteurs si différents.
Les chansons d’Aznavour, dont il ne signe pas toujours les paroles, sont souvent narratives, racontent une histoire, d’où leur universalité : le fond est toujours facile à traduire, non une forme spécifique dans une langue. Peu de chansons « verbales », en conséquence chez lui, si l’on peut y admettre les jeux de mots entre deux langues, en l’occurrence l’anglais et le français de For me formidable (texte de Jacques Plante). En revanche, auteur, compositeur, interprète, avec simplement ici deux chansons en collaboration, Gainsbourg est singulier à tous les sens du mot. Ses textes sont une singulière orfèvrerie verbale et sa musique puise chez les grands classiques. Il est aussi intimiste, ironiste dans son expression qu’Aznavour est généralement, généreusement, dramatiquement, déclamatoire. C’était donc marier la carpe et le lapin.
Pourtant, les deux interprètes se tirent avec une rare élégance et intelligence du sujet épineux, du problème que leur imposait Robert Fouchet, sans se résoudre et le résoudre par la facilité d’une banale, d’une simple ballade de textes inconnexes enfilés comme des perles.
Il faut dire qu’autant la chanteuse Ewa Adamusinska-Vouland, jeune Polonaise installée en France, que Frédéric Isoletta, ont un bagage culturel imposant, littéraire et musical, théorique et pratique, avec des carrières universitaires et artistiques solides : elle, déjà versée dans un travail pointu sur la chanson scénifiée dans son pays d’origine, experte entre autre en chanson française, et lui, pianiste, organiste, figure essentielle de la scène musicale régionale, déployant une activité impressionnante comme critique, conférencier, accompagnateur piano du Festival Lyrique d’Aix-en-Provence, créateur d’œuvres contemporaines que lui ont confié nombre de grands compositeurs. Choisissant dans le fouillis énorme du corpus des chansons des deux auteurs, ils en tirent une épure, un véritable livret, avec une introduction (une strophe de Pour essayer de faire une chanson, d’Aznavour), un développement sur le parcours amoureux, de la  rencontre à la rupture, en harmonie avec le thème de Marseille Quel amour ! qui se clôt sur la parenthèse de fin d'une autre strophe de  Pour essayer de faire une chanson

Abdiquant tout effet lyrique, sans renoncer au déploiement de la voix quand la musique et le texte le requièrent comme dans La Javanaise de Gainsbourg, la soliste détaille sobrement les textes avec une simplicité touchante, un timbre satiné et une voix souple et libre. Un écho, galant, auréole sa voix d'une auréole brillante d'aigus, sans gêne pour l’écoute de notre place. De son côté, s’il exprime le texte par des colorations adéquates de son orgue, vapeurs, nuages pour Dieu est un fumeur de havanes de Gainsbourg, grandioses grondements des ruptures, gazouillis d’oiseaux, modalismes gothique funèbres pour le terrible sort du Poinçonneur des Lilas voué aux « petits trous » et au grand, Isoletta glose, unifie les étapes diverses de cet itinéraire par la soudure toujours expressive de son orgue entre les morceaux. Un interlude vocal lui offre l’occasion de déployer son grand jeu de l’improvisation aux classiques, montrant encore que tout est un quand la qualité parle.
II. Jacques Brel
Le lendemain, le 29, la foule de spectateurs que ne décourageait pas une pluie battante, se pressait, s’empressait d’entrer dans l’Église Saint-Vincent de Paul les Réformés en haut de la Canebière pour y entendre le ténor Jean-Christophe Born interpréter Brel avec la complicité de Sylvain Pluyaut à l’orgue.
         Puisque ces concerts ont pour but aussi de ranimer des lieux patrimoniaux de la ville, je ne résiste pas à rappeler ici ce que j’écrivis autrefois, justement l’occasion d’une mémorable soirée offerte par Marseille Concerts.


L’église néo-gothique des Réformés de Marseille en perspective montante, au-dessus de la ligne arborée des allées de Meilhan, des deux aiguilles de ses pointes, semble coudre la Canebière avec le ciel. Elle fut bâtie entre 1855 et 1888, en une époque où régnait le goût pour le « style troubadour », retour romantique au Moyen-Âge, nouvelle floraison gothique au moment où s’achevaient certaines cathédrales authentiquement médiévales, telle celle de Nantes, commencée en 1434 et terminée… en 1891. Celle de Prague fut achevée en… 1929. Le gothique prenait son temps, se bâtissait pour l’éternité : avec le temple grec qui modèle tant de Palais de Justice, le gothique est le seul style architectural qu’on n’ait cessé de construire, du Parlement et son Big Ben de Londres au XIXe siècle au New York des gratte-ciels et même, en plein Baroque ou Classicisme, la cathédrale d’Orléans est inaugurée sous Louis XIV.
         À l’intérieur, l’église est si lumineusement restaurée qu’on croirait à un original médiéval flambant neuf qui a miraculeusement traversé les âges sans la noirceur du temps. Et là, face au chœur, comme un insolite papillon géant par ses dimensions, pour l’envol de la musique, une aile courbe immense posée à même le transept, la nef transversale spacieuse, cet étrange vaisseau spatial : une console d’orgue descendue de ses hauteurs, mai s électronique, avec voyants lumineux, cinq claviers, ponctués de constellations de boutons des tirants de jeux, une myriade de combinaisons sonores possibles, infini arc-en-ciel de couleurs, de nuances…
De là, de ses doigts, avec la prestesse d’un prestidigitateur et dans un ballet virtuose des pieds sur les pédales, comme un navigateur à ses commandes, l’organiste, gouverne la futaie métallique des tuyaux couronnés des pinacles gothiques des deux orgues anciens face à face sur leur haute tribune, plus un troisième latéral : orgues historiques classés du XIXe siècle, les premiers et uniques d’Europe dotés d’une transmission électrique par Merklin en 1887, restaurés et rendus à la musique en 2009 dotés de la technique la plus sophistiquée du XX e. Musique jouée silencieusement d’en bas, de la terre, mais retombant d’en haut comme une bienfaisante pluie musicale exauçant le jeu de l’interprète et les vœux du public, baignant l’assistance, sans qu’on distingue exactement d’où émane un son si célestement spatialisé, si enveloppant, consolateur. Effet prodigieux sans effectisme, toujours dans la pureté respectée de la musique, croisée d’ogive sonore entre les deux orgues face à face qui dialoguent dans la tradition antiphonale, avec les jeux d’écho, de réponse, d’appel du troisième.



Ce concert nous permettait de découvrir Sylvain Pluyaut, professeur d’orgue au Conservatoire à Rayonnement Régional de Dijon, concertiste et accompagnateur ployé à tous les impératifs de son instrument, interprétation bien sûr, harmonisation, accompagnement, improvisation et musique d’ensemble. Professeur d’improvisation et d’accompagnement pour la formation des organistes liturgiques russes à la cathédrale catholique de Moscou depuis 2008, ce musicien voyageur ne pouvait que s’entendre avec Jean-Christophe Born, notre paradoxal ténor local né à Poitiers, enfance au Gabon, passage marquant à New-York avant de jeter une ancre, qu’on voudrait définitive, à Marseille dont il est devenu un chantre charmeur par ses spectacles montés par lui-même (Marseille mes amours, Gaby mon amour !, sans oublier My Fair Lady voir ici sur ce blog), menant de front une belle carrière lyrique qui l’a déjà promené dans quinze pays et de metteur en scène interprète.


Le risque, le piège de reprendre les chansons, notamment les succès, des tubes, qui ne peuvent manquer à l’appel (d’autant qu’on est invité à « chanter ensemble » dans le programme), si marquées par un inoubliable interprète présent dans toutes les mémoires, est de tomber dans l’imitation, volontaire ou non, ne serait-ce que dans une intonation, une inflexion, du phrasé et de l’accent si caractéristiques de Brel. Born réussit ce pari de faire siennes ces chansons de Brel et de tous par leur succès, durant une heure trente sans entracte, sans boire une goutte d’eau, sans repos autre que de brefs interludes de son partenaire, avec une générosité vocale qui nous fait craindre pour lui. On retrouve, dans son interprétation, l’homme de théâtre complet qu’il est, l’intelligence fine du texte, l’art de faire vivre les mots, le sens du phrasé qui met en valeur chaque syllabe, la mordant, comme se désespérait Piaf finissante de ne plus pouvoir le faire, ou la caressant, selon le sentiment et la signification.
Introduite par une fugue de Bach, Quand on n’a que l’amour que Pluyaut semble enlever, élever vers un ciel d’un amour infini dans une scansion d’un crescendo palpitant, thème de Quel amour !, donne d’entrée la couleur  et le ton de ce qu’on n’ose dire un récital tant c’est peu récité et tellement vécu. Ce sont des scènes, des tableaux, épiques (Amsterdam, La Quête) ou lyriques (Ne me quitte pas, Matilde), souvent ironiques, sarcastiques (Les Flamandes, Les Bourgeois, Vesoul, Les Bonbons), frénétiques (La Valse à mille temps), etc.
L’organiste, sans lier les chansons entre elles comme Isoletta, les glose de l’intérieur, les commente avec truculence ou dramatisme comme le tictac implacable de la pendule de la vie finissante des Vieux, les brode de l’intérieur comme cette exhalaison désespérée dans Ne me quitte pas, nappant d’un doux gazon le gazouillis des pauvres fleurs qui pleuvent et pleurent pour une Madeleine qui ne viendra pas au rendez-vous.
Deux concerts, deux paris réussis du mariage moins de raison que de passion entre l’orgue et la chanson.

I.
🎶 Festival Orgue en Chansons · Aznavour · Gainsbourg 🎶
28 avrik 20h 
Église des Augustins de Marseille — Saint Ferréol 
9 Rue Reine Elisabeth · 13001 Marseille 
Ewa Adamusinska-Vouland · Voix
Frédéric Isoletta · Orgue
II
Jacques Brel
dimanche 29 avril 17h
Église Saint-Vincent de Paul — Les Réformés
Haut de la Canebière · 13001 Marseille
Jean-Christophe Born · Ténor
Sylvain Pluyaut · Orgue
PROCHAINS CONCERTS

I. 🎶 Festival Orgue en Chansons · Michel Legrand 🎶
 26 mai 20h
Église des Augustins de Marseille — Saint Ferréol
9 Rue Reine Elisabeth · 13001 Marseille
Lucile Pessey · Soprano
Stéphane Eliot — Organiste
II. 🎶 Festival Orgue en Chansons · De Fauré à Ferré 🎶
DIMANCHE 27 MAI 2018 · 17h
Église Saint-Vincent de Paul — Les Réformés
Haut de la Canebière · 13001 Marseille
Jacques Freschel · Baryton
Philippe Gueit · Orgue
 TARIFS — ABONNEMENT!
Abonnez-vous! 4 concerts pour 40 €!

POUR CHAQUE CONCERT:
Plein tarif: 15 €
Groupe (à partir de 6 personnes): 10 €
Accès + ( 12-25 ans, apprentis et étudiants, personne en situation de handicap, demandeurs d'emplois minima sociaux): 5 €
Enfants (moins de 12 ans): Gratuit

RÉSERVATION MARSEILLE CONCERTS · 06 31 90 54 85

En partenariat avec la Ville de Marseille et la Mairie des 1er et 7e arrondissements