samedi, août 30, 2014

DISQUE


Enregistrement 26/06/2014, passage, semaine du 07/07/2014
RADIO DIALOGUE (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 136
 Lundi : 10h45 et 17h45 ; samedi : 12h45

Voix de la Méditerranée : de Cordoue à Venise

Avec son dernier disque, Voix de la Méditerranée : de Cordoue à Venise, c’est à une bien jolie promenade en musique que nous convie l’Ensemble Parnassie du marais, qui nous rappelle sa poétique appellation : « Nom mystérieux, dont la référence est ambivalente : nom d’une fleur rare de montagne, dont la beauté a fasciné les fondateurs de l’Ensemble, au point de la prendre comme emblème, il évoque parallèlement quelque Parnasse imaginaire, comme auraient pu le rêver les compositeurs du XVIIIe siècle. » Brigitte Tramier, qui en est la fondatrice et l’âme, est une belle claveciniste qui a gravé plus d’une quarantaine d’enregistrements comme continuiste, assurant le continuo dans des ensembles baroques, ou comme soliste. Ainsi, elle a enregistré l’intégrale des Concertos brandebourgeois de Bach pour le label Claves. Ses deux premiers disques en solo, de musique française, lui ont valu chacun un Diapason d’Or et elle a créé, avec Jean-Michel Robert, luthiste, un label discographique local aux ambitions naturellement plus vastes, les Éditions Parnassie du Marais qui ont déjà produit quarante disques. Nous avions déjà goûté son CD consacré à Duphly, apogée et crépuscule du clavecin français dans le dernier tiers du XVIIIe siècle et j’avais également présenté une reprise du Salve Regina d’Alessandro Scarlatti et le Stabat Mater de Giovanni Battista Pergolesi, donnés lors du Festival Les Nuits d’été d’Aix- Provence. Dans le cadre d’un autres petit festival aixois, Festival Côté Cour, en 2010, Brigitte Tramier a été la créatrice du concerto pour deux clavecins de ce même Pergolèse, inédit en France semble-t-il. Éditions Parnassie sises à Cucuron, disque enregistré au château de Vins sur/Caramy, donc, artistes et labels locaux, qui honorent notre région, mais de qualité internationale.
      Dans cette dernière livraison, accueillie avec faveur par France-Musique, Voix de la Méditerranée : de Cordoue à Venise, on retrouve avec plaisir aux côtés des chanteuses solistes, les soprano Catherine Padaut, à la sombre et riche couleur, et Lucile Pessey,  au timbre lumineux et doré, Jean-Michel Robert aux  divers luths de diverses tonalités, Mathias Autexier aux percussions et, naturellement, Brigitte Tramier au clavecin. Dans ce disque, l’Ensemble Parnassie, généralement voué à la musique baroque, élargit son chant en amont puisqu’on trouve ici, avec des chants sépharades, de la musique espagnole du XVe au XVIIIe siècle et de la musique italienne des XVIe et XVIIe siècles.
       Mais, rien qu’à écouter la première plage, un extrait justement de ces chants, le tout premier, on est séduit par la belle voix de fruit mûr et savoureux de Catherine Padaut. C’est le premier des quatre chants sépharades du disque, trois berceuses et une chanson, mais en rien des romances comme annoncé maladroitement par le trop mince livret, le romance (non la romance) étant un poème en castillan d’origine épique, octosyllabique, assonancé de façon uniforme aux vers pairs, narratif, qui raconte une histoire. Ce sont  encore moins des cantigas, qui sont des poèmes lyriques en langue galaico-portugaise. Le livret trop sommaire de présentation, sans doute pour des raisons économiques, est donc très décevant et approximatif puisqu’on trouve, malencontreusement, sous la rubrique « Danses et chansons espagnoles (XVIe et XVIIe siècles) » le compositeur José de Nebra né au XVIIIe (1702-1768) et, mieux —ou pire— l’excellent luthiste Jean-Michel Robert né… en 1958, dont on admire les brillantes variations et inventions, un vrai régal des cordes et percussions !
Ensemble Parnassie du Marais

Brigitte Tramier, Jean-Michel Robert, Lucile Pessey, Mathias AUTEXIER
      On regrettera aussi (économie, économie…) l’absence des textes chantés, et que l’origine des morceaux ne soit pas toujours indiquée : ainsi, les pièces de Monteverdi sont extraites des Scherzi musicali mais le duo « Pur ti miro… », air final de l’Incoronazione de Poppea, du ‘Couronnement de Poppée’, donné comme du maître de Mantoue est, en fait, on le sait aujourd’hui, de Ferrari. L’interprétation de Catherine Padaut et Lucile Pessey en est pleine de charme.
       Autre manque à déplorer de la trop brève présentation : certes, les chansons sépharades sont anonymes mais elles viennent de traditions et d’origines diverses, qui vont jusqu’au XIXe et XXe siècles. Plus gênant, rien n’est dit sur ce que sont les sépharades ou séfarades. Il faut donc combler cette lacune.

Sépharades
       Ce nom vient de Sépharad, qui, pour les Juifs, était le nom de l’Espagne. Après les révoltes contre l’état romain au début de notre ère, après la destruction du Temple de Salomon en 70 par Titus, causant ce que l’on appelle la Diaspora, les juifs s’exilèrent dans tous le bassin méditerranéen, fondant, en particulier, de puissantes communautés en Espagne. Tout en gardant leurs coutumes religieuses, ils s’intégrèrent très bien dans une Espagne alors tolérante, ouverte aux trois religions du Livre, chrétienne, islamique et judaïque, notamment dans la culture et la science arabo-andalouses, à laquelle ils apportèrent une non négligeable contribution en la personne de savants et philosophes comme Maimonide, Ibn Ezra ou Ibn Gabirol, dont les noms résonnent encore chez Descartes et Molière. Malheureusement, après la prise de Grenade en 1492, la Reine Isabelle la Catholique de Castille, puis son époux Ferdinand, voulant unifier religieusement la Péninsule, décréta l’expulsion des juifs. Dans le désespoir, ils se répandirent dans tout le bassin méditerranée, certains dans l’Europe du nord, conservant précieusement, comme un trésor, les poèmes, les chants de leur Sépharad, de leur Espagne perdue, et, miracle unique, cette langue castillane de la fin du XVe siècle, dont on connaît la grammaire grâce à eux et la prononciation. Et c’est là aussi que le bât blesse puisque la soliste Catherine Padaut chante les chansons sépharades sans en restituer la prononciation pourtant toujours en usage aujourd’hui dans les nombreuses communautés judéo-espagnoles, notamment en Provence, mais avec un accent espagnol contemporain tout fautif, avec des r simples roulés outrancièrement comme des rr doubles. Vice français de langue qui semble contaminer la gracieuse Lucile Pessey dans les chants espagnols et qui outre aussi les r italiens à l’encontre d’une bonne et juste prononciation italienne.
Avec Catherine Padaut à gauche
    On regrette ces manques dans ce beau disque vocalement, musicalement et instrumental plein de charme, qui honore, malgré tout, les Éditions Parnassie et notre région. Nous nous quitterons en écoutant la jolie et triste chanson espagnole du XVIe siècle catalan, anonyme, mais prêtée ici à Juan del Encina, fondée sur des onomatopées, « Dindirindín, dirindín dirindaira, dirindín ». C’est une déploration dans la tradition de « La belle mal mariée ». Je vous raconte ce que ne dit pas le texte absent du livret : une jeune fille se lève de bon matin pour allez confier au rossignol un triste message à son ami lointain : on vient de la marier contre son gré. On savoure le timbre léger mais nourri en saveur de Lucile Pessey.

Voix de la Méditerranée : de Cordoue à Venise, UN CD PARNASSIE DU MARAIS.
Pour écouter et télécharger les albums du label :
http://www.qobuz.com/fr-fr/label/parnassie-du-marais/download-streaming-albums






RENTRÉE LYRIQUE



POUR RAVIVER LA NOSTALGIE DES GRANDES HEURES DE L'ALCAZAR, TEMPLE DE L'OPÉRETTE MARSEILLAISE ET BERCEAU DE LA CHANSON, DEUX VOIX LYRIQUES DE MARSEILLE NOUS EMPORTERONS SUR LES ONDES DE LA MUSIQUE AU GRÉ DU "DON DES VENTS", SYMPATHIQUE VOILIER FACE À LA MAIRIE. 
TÉLÉPHONE : O4 91 31 17 45, CONTACTS@ARTSETMUSIQUES.COM


Programme :
La rencontre
1 Perle de Cristal – G. Hamel
2 A petit pas – V. Scotto/R. Sarvil
3 Ma belle marseillaise - G. Sellers/E. Audiffred
4 Ca fait boom – G. Sellers/ E. Audiffred
Découverte de Marseille
5 Un petit cabanon – V. Scotto/R. Sarvil
6 J’aime la mer – V. Scotto/R. Sarvil
7 Autour de la corniche – V. Scotto/ R. Sarvil
8 Une partie de pétanque – L. Nègre/A. Manoukian/ A. Allet
9 Canebière - V. Scotto/ R. Sarvil
ESPOIR Déçu
10 Indifférence – T. Murena
11 J’ai rêvé d’une fleur – V. Scotto/R. Sarvil
12 Adieu Venise provençale – V. Scotto/R. Sarvil
13 Le plus beau de tous les tangos – V. Scotto/R. Sarvil
Final
14 Marseille mes amours – G. Sellers/ E. Audiffred
Photos : Alain Taillandier
- Voir en ligne : Marseille mes Amours

mercredi, août 20, 2014

LA ROQUE D'ANTHÉRON


BILAN DU 34 e FESTIVAL DE PIANO DE LA ROQUE D'ANTHÉRON

Communiqué

   A peine le temps de savourer ce mois intense et déjà le Parc du Château de Florans referme ses grilles laissant place à l’impatience qui nous gagne tous de retrouver la 35e édition du Festival !
   Cette 34e édition a été riche en émotions et surprises ! Ils nous ont émerveillés, émus, parfois même surpris, les artistes ont su nous faire vibrer. Merci à eux ! Aussi avons-nous une pensée particulière pour les pianistes Marie-Josèphe JudeAnna Vinnitskaya et Jan Lisiecki qui ont subi les aléas du temps et ont vu leurs concerts annulés...
      706 artistes invités, 87 concerts programmés, 6 pianos de concert -5 Steinway & Sons, et 1 Bechstein- et 4 pianos de répétition Yamaha, tout a été mis en œuvre pour 

     Fréquentation : 77640 entrées.
706 artistes invités - 100 artistes solistes - 586 musiciens d’orchestres et de chœurs, 20 musiciens en résidence (2 quatuors, 3 trios, 1 duo et 1 soliste) ; 87 concerts programmés ; 70 concerts payants ; 
35 récitals de piano - 2 récitals d’orgue - 4 récitals de clavecin - 16 concerts avec orchestre 3 concerts avec chœur - 5 concerts de musique de chambre - 5 concerts de jazz.
      12 scènes
Parc du Château de Florans : 43 concerts dont 3 Nuits du piano Cloître de l'Abbaye de Silvacane : 6 concerts Domaine départemental de l'Etang des Aulnes à Saint-Martin-de-Crau : 2 concerts Eglise Notre-Dame de l’Assomption à Lambesc : 3 concerts Parvis de l’église Notre Dame de l’Assomption à Lambesc : 2 concerts Musée Granet à Aix-en-Provence : 3 concerts Grand Théâtre de Provence à Aix-en-Provence : 1 concert Eglise Saint-Jean de Malte à Aix-en-Provence : 2 concerts Château-Bas à Mimet : 2 concerts Temple de Lourmarin : 3 concerts Eglise Notre-Dame de Beaulieu à Cucuron : 1 concert Théâtre des Terrasses à Gordes : 2 concerts. 

    17 concerts gratuits
13 concerts des Ensembles en Résidence, dans le cadre de La route de la Durance aux Alpilles, du 8 au 16 août, dans les communes de Plan d’Orgon, Saint-Rémy-de-Provence, Charleval, Vernègues, Le Puy-Sainte-Réparade, Mallemort, Verquières, Eygalières, Saint- Martin-de-Crau, Saint-Estève-Janson, Eyguières, Maussane-les-Alpilles et Jouques.3 concerts dans le village de La Roque d'Anthéron et 1 concert au Parc du Château de Florans le 15 août
    36 master classepubliques dispensées du 8 au 14 aoûtUne démarche éco-responsable pérennisée Une enquête "Public" réalisée [profil et satisfaction]- analyse et synthèse fin 2014.
Origine du public
Région PACA (résidents et vacanciers) : 59,56 % Région parisienne : 16,10 % Autres régions de France : 19,49 % Dom-Tom et étranger : 4,85 %
Édition 2014
Médias
Soutenu par la presse écrite et audiovisuelle, le Festival bénéficie d’une couverture médiatique importante en France et à l’étranger.
Annonces et reportages télévisés en France et à l'étranger
T F 1 ; France 3 ; France 3 Méditerranée ; France 3 Marseille ; Pink TV ; TV5 Monde ; Euronews ; ITV ; LCI ; BFM TV ; Direct 8 ; Moscou Television (sujet de France 3 national du 19.07.2014).

Reportages radio en France et à l'étranger
France musique ; France Culture ; France Inter ; France Info ; FIP ; Le Mouv ; Radio classique ; Europe 1 ; RTL ; RMC ; Vinci Autoroute Côte d’Azur ; Radio polonaise ; TSF Jazz ; France Bleu Provence ; France Bleu Azur ; France Bleu Limousin ; France Bleu Arles ; France Bleu Provence-Alpes ; France Bleu Isère ; BFM Business ; Radio nostalgie ; Radio Dialogue ; Radio maritima ; RCF national ; Radionova ;
Radio libertaire ; Radio judaïca Lyon ; Radio J ; Radio Shalom ; Radio communauté juive ; Fréquence protestante ; Radio Notre-Dame ; Radio Zinzine ; Radio J M ; RTBF (Belgique) ; BRT (Belgique) ; BRF (Belgique) ; Musiq’3 (Belgique) ; Radio judaïca Bruxelles ;
Radio zwizzera italiana ; Monaco Info ; Radio Suisse romande – Espace 2 ;
Radio Suisse romande la 1; RAI Radio 3 ; Orpheus Radio (Moscou) mais aussi radios de Grande-Bretagne ; Allemagne ; Espagne ; Portugal ; Luxembourg ; Pays-Bas ; Israël ; Russie ; Japon.
6 émissions de radio en direct de La Roque d'Anthéron sur France-Musique
   Le Magazine de France-Musique réalisé en direct et en public de la cour de l’école Victor Hugo à La Roque d’Anthéron, présenté par Stéphane Grant du lundi 11 au samedi 16 août 2014 de 18h00 à 19h00.
11 concerts enregistrés pour le programme musical de France Musique
     6 concerts diffusés en direct, 5 concerts diffusés en différé.

  Nos actions de sensibilisationen perpétuel développement.
     Désireux de rendre la musique accessible à tous, le Festival a marqué une nouvelle fois sa volonté de sensibiliser les publics. Les actions ont été variées : d’une politique tarifaire réduite – avec notamment la création du tarif moins de 16 ans (1750 billets édités) – aux actions de médiation à l’année, le Festival est devenu bien plus qu’un simple acteur du territoire, un véritable médiateur.
      Ecoles primaires, IME, collèges, écoles de musiques, conservatoires, les élèves du département ont ainsi été conviés à des représentations et concerts pédagogiques pour une sensibilisation dès le plus jeune âge.
      Dans cette même logique, publics empêchés et prioritaires ont eux aussi été invités pour vivre avec nous cette belle aventure musicale ! Dans le cadre de 13 en partage, 4 actions ont été engagées.
    Le Festival continue après l'été Retrouvez La 3e édition de LaFolleCriée.
    Une ode à la musique baroque !
> vendredi 6 et samedi 7 février 2015 au Théâtre national de La Criée à Marseille Ensemble Caravansérail, Xhu Ziao-Mei, Bertrand Cuiller, Henri Demarquette, Anne Queffélec, Pierre Hantaï, Philippe Pierlot et le Ricercar Consort
Le Festival c’est aussi LaRoqueHorsSaison ! au Théâtre national de La Criée à Marseille
> samedi 24 janvier 2015 - 20h00 Ekaterina Derzhavina piano Bach : Variations Goldberg de Bach
> lundi 20 avril 2015 - 19h00 et 21h00 Folle Journée Camerata Schubert - Beethoven
Programme et réservations - Automne 2014
www.festival-piano.com

PHOTOS :
1. Iddo Bar-Shaï, piano et Jacques Chalmeau à la tête de la Philharmonie Provence-Méditerranée à Château-bas, le 5 août (Photo Florian Burger) ; 
2.  Roustem Saïtkoulov, Parc Florans, 14 août (photo Fl. Burger) ;
3. Benjamin Grosvenor, Parc Florans, 16 août (Photo Christophe Grémiot).



BENITO PELEGRÍN, PARC FLORANS
(photo Anke Doberauer)

Des vertes et des pas mûres, les 365 platanes du parc Florans de la Roque d'Anthéron ont dû en entendre en 300 ans d'existence; mais que de musique dans la verdeur de leurs feuilles en plus de 30 ans de festival! Je me suis mis au vert, au diapason, pour en capter aussi par harmonie, par capillarité, par tous mes pores. La musique est la respiration du monde. Sauvons nos forêts, sauvons la musique. Vive La Roque!

samedi, août 16, 2014

FESTIVAL CÔTÉ JARDIN


 CARMEN,
opéra en quatre actes,
livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy d’après la nouvelle de Prosper Mérimée (1845), musique de Georges Bizet (1875).
Théâtre de verdure de Gémenos,
Samedi 9 août 2014

Naissance du festival "Opéra côté jardin"
       Il y a deux ans, en 2012, le baryton Norbert Dol, intermittent à l’opéra de Toulon, appuyé sur la compagnie «Les Voix du Lyrique», mais pratiquement sans aide, lançait un défi, un nouveau festival d’été. Norbert Dol, rassemblant toutes les bonnes volontés, ses amis musiciens, les adhérents de l’association « Les voix du lyrique », après différentes formes de  concerts, de récitals dans la région PACA, avec la fougue et la foi d’un conquistador du chant, se lançait ambitieusement à l’assaut du genre lyrique le plus élevé,  l'opéra. Et quel défi ! Défiant la crise, défiant le vent, le plein air et ses risques, il fondait « Opéra côté jardin » sous le ciel du midi. Joli nom pour un festival puisque il a fleuri au creux verdoyant du théâtre de verdure de Gémenos en parallèle avec celui du Lavandou.
     Le premier essai était un coup de maître, pas moins que Mireille de Gounod. L’an dernier, l’éclosion de Traviata de Verdi, 3000 spectateurs, et, cette année, s’ajoute un autre rameau à ce beau bouquet, Carmen de Bizet. L’œuvre fut donnée le samedi 9 et le mardi 12, respectivement à Gémenos et au Lavandou, dans les deux théâtres de verdure.
      Certes, entre Orange et Aix-en-Provence, les festivals lyriques  ne manquent pas chez nous mais, avec des prix allant de 260 pour le premier et de 265 € pour l’autre, les places les plus chères, on conviendra que les 34 €, tarif unique de ce nouveau festival, défient toute concurrence pour un programme de grandes œuvres du répertoire proposées dans leur intégralité avec des moyens importants : orchestre, solistes et chœur professionnels, quelque 110 artistes pour Carmen, sans lésiner sur costumes, décors et mise en scène.
        Bref, « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! », tel pourrait être le credo de Norbert Dol. Après une Mireille de belle qualité, mais mitigée avec nombre d’amateurs choristes, et une Traviata réussie, il triomphe avec une Carmen de haut niveau avec des artistes professionnels, une majorité d’intermittents : sans un sou de subvention publique… Quand l’on sait que les Chorégies d’Orange, autofinancées à plus de 80%, sont condamnées au succès sous peine de couler, que tel autre très grand festival lyrique régional, le Festival d’Aix, est subventionné, entre les collectivités et le mécénat à plus de 60 %, mais offre des places à des prix exorbitants en contradiction de ce financement, on voit l’injuste disproportion entre des rentes de situation et la situation de telles structures tentant de faire vivre la culture chez nous en temps de crise inégalement partagée.

Réalisation
        Faute de budget, décor minimaliste mais effet maximum : deux tables, des chaises, une plateforme de charrette, quelques degrés de marches d’escaliers qui deviendront rochers de la montagne et, surtout, des balles de paille, sièges astucieux et, au dernier acte de la corrida, cirque rond improvisé de la mise à mort de Carmen. La mise en scène de Gérard Chambre fourmille donc d’idées pour cette œuvre si connue et si avec un trop petit nombre de répétitions, on sent un flou et quelques trous dans la foule du premier acte dans l’émoi de la première, cela est vite rattrapé par la suite. On salue, surtout, la vérité espagnole de la scène de la taverne où le « jaleo », cris d’encouragements aux danseurs et chanteurs, les « palmas », les claquements des mains, et le « zapateado », le « taconeo » de la danseuse soliste, le jeu percussif des talons et des vraies castagnettes, non seulement ne parasitent en rien la musique mais lui rendent une force expressive, une vraie couleur locale qu’on voit rarement. La bonne idée fut d’inviter María Pérez, vraie « bailaora » flamenca, directrice du centre réputé Soleá de Marseille, école et scène, où elle invite d’authentiques spectacles flamencos. En regard du flamenco abâtardi et vulgaire qui afflige tant de lieux, María Pérez en est l’aristocrate : beauté physique du corps et du port, allure altière, elle se meut et émeut, joue des castagnettes et des talons dans le respect absolu de la partition de Bizet. Elle est intégrée habilement et naturellement au jeu : figure noire du destin à l’ouverture, danseuse dans la taverne, María Pérez apparaît aussi, avec la même logique, dans la scène festive du dernier acte, avant le drame.

      Les lumières de Marc-Antoine Vellutini sont bonnes dans les ambiances générales mais, quand il s’agit de focaliser les personnages, on en sent la pauvreté de moyens, réduites souvent à chercher les personnages qui échappent à l’éclairage individualisé. Harmonieux en couleurs et justes en couleur locale en général, les costumes sont dignes de mention (mais costumier non mentionné dans le programme !), quant à ceux des femmes pour la taverne et la fête, ils ont beaux, somptueux.

Interprétation
   Cette année, il y a un progrès dans l’homogénéisation professionnelle de la distribution dans tous les rôles. Ainsi, Jean-Michel Muscat et Cédric Brignone, respectivement le Dancaïre et le Remendado, forment un duo complice bien traité dans le quintette du II et l’on apprécie le Moralès de Wilfried Tissot, voix solide de ténor au beau médium de baryton du rôle. Quant au Zuñiga arrogant et portant beau, il est campé par un fringant Antoine Abello de grande stature et voix sombre. Escamillo est incarné de crédible façon par Norbert Dol ; dans ce rôle si mal écrit où les barytons sont en général condamnés à sacrifier le grave trop bas à l’aigu éclatant de matamore, il se tire avec élégance de ce double écueil avec une voix large, belle, égale en couleur et puissance sur toute sa tessiture. On apprécie que, dans sa première apparition dans la taverne de  Lillas Pastias, ce « vainqueur des courses de Grenade » n’apparaisse pas, à Séville, de façon incongrue dans le ridicule habit dit de lumières, mais en logique tenue andalouse de ville.
       Côté dames, la Frasquita de Florence Barbara et la Mercedes de Rosamonde Bruno font une jolie paire bien en place et bien chantante. Mais la Micaëla de Naïra Abrahamyan, malgré une mauvaise prononciation du français (mais elle est supposée venue du Pays basque dont les autochtones, par leur mauvais usage du castillan, ont donné lieu à l’expression « parler comme une vache espagnole », corruption en fait de «parler [mal] comme un Basque l’espagnol »), est juste et sensible. La voix est lumineuse, héroïque, comme le personnage qui n’est pas une petite fille timorée  et sucrée comme on la présente sottement souvent (elle va dans le repaire des contrebandiers pour ramener son fiancé), souple malgré quelques aigus secs un peu rudes dus sans doute au difficile contrôle du plein air. Elle est justement ovationnée.
      Jean-Noël Briend, qui promène  Don José dans le monde entier, bien qu’habitué, habite ce rôle dans ses détails, sa profondeur psychologique et musicale : d’emblée, comme le veut le texte, Navarrais étranger à cette frivole Andalousie, il est comme ailleurs, intériorisé, perdu dans une rêverie nostalgique, une densité de son passé douloureux (il avait quitté sa région, son village, sa mère après un duel et un homme tué). Homme d’honneur déchiré par la contradiction, il est déchirant dans son conflit avec Carmen. Il sert le personnage par une technique sans faille au service de l’émotion, avec des nuances en voix de tête très expressives et, fuyant la facilité d’un aigu forte, dans l’air de « la fleur… » il ose finir sur le si piano voulu par la partition qu’aucun ténor n’ose faire aujourd’hui par facilité et pour caresser le public dans le sens démagogique du décibel.
        Cette étonnante mais non détonante Carmen blonde de Nona Javakhidzé est plus rageuse que ravageuse, plus batailleuse que railleuse, elle est brute et brutale : d’entrée, un coup de pied au tibia d’une autre femme ; elle s’en lave, sinon les mains, les pieds dans un seau d’eau, se rafraîchit avec vraisemblance, fait la lessive de son châle, pousse et repousse violemment les hommes pressés et trop empressés. Même si l’héroïne est une femme bagarreuse et violente, cette Carmen-ci ne semble pas justifier le délicat diminutif de Carmencita : c’est une force qui va, assez lourde, plus qu’une sinueuse et insinuante  « gitanilla ». La voix est d’une belle couleur sombre, épaisse, mais bien conduite et elle se tire bien des traits hispaniquement staccato de la séguedille que tant de cantatrices aux voix trop lourdes savonnent souvent. Cependant, elle saute une belle réplique à Don José : « Va-en donc, canari ! Tiens, prend son shako, ton sabre, ta giberne/ et va-t-en, mon garçon, va-t-en, retourne à ta caserne ! » et l’on admire le sang-froid de Jean-Noël Briend et du chef de ne pas se perdre dans ce plongeon qu’elle impose au partenaire et à l’orchestre.
     Dans cette version, on a choisi avec raison les récitatifs de Guiraud, disciple de Bizet, qui sont beaux, plutôt que les récits parlés qui exposent presque toujours les chanteurs au ridicule de voix déplacées par rapport au chant. Formé de divers solistes de phalanges régionales, l’Orchestre de région  PACA n’est pas mérite mais l’on sent le manque de répétitions, les moyens financiers ne permettant guère d’offrir des services suffisants. À sa tête, le jeune chef britannique Geoffroy Styles joue intelligemment la carte Opéra comique de l’œuvre, sans grossir aucun effet. Il est vif, dynamique, parfois un peu trop avec un risque, notamment au IVe acte, de déstabiliser les choristes de région (dont il faut saluer le tenue générale) par une battue trop rapide, alors que le chœur des cigarières, plus paisible, est poétique et expressif.
    En somme, une réussite assez brillante envers et contre des financements publics qui brillent par leur absence.
    Un détail? Malgré la date estivale tardive du 9 août où le soleil est déjà couché à 21h30, un entracte d’une demi-heure pour un public de quelque 3000 personnes, alors qu’à Orange, c’est vingt minutes pour 8000 spectateurs, c’est sans doute excessif et décourage une partie du public, venu souvent de fort loin, par la fin très tardive du spectacle.

Carmen de Georges Bizet

9 et 12 août,
respectivement à Gémenos et au Lavandou, théâtres de verdure.
À Bandol, version concert, le 28 août.
Orchestre  et chœurs de région  PACA sous la direction de Geoffroy Styles/
Mise en scène : Gérard Chambre. Lumières : Marc-Antoine Vellutini.

Distribution

Carmen: Nona Javakhidzé ; Micaëla : Naïra Abramahamyan ; Frasquita : Florence Barbara ; Mercedes : Rosamonde Bruno ; Don José : Jean-Noël Briend ;  Escamillo : Norbert Dol ; le Dancaïre : Jean-Michel Muscat ; le Remendado : Cédric Brignone ; Zuñiga : Antoine Abello ; Moralès : Wilfried Tissot.
Danseuse soliste :  María Pérez ; Ballet : Marie Gleize.

Photos : 
1. Théâtre de Gémenos ;
2. María Pérez (Centre Soleá) ;
3. Théâtre du Lavandou.

OTELLO DE BOITO/VERDI


EXULTANT ET EXALTANT
OTELLO
Opéra en quatre actes (1887)
Livret d’Arrigo Boito, musique de Verdi
d’après Le Maure de Venise de Shakespeare
Chorégies d’Orange, 2 août 2014
En coproduction avec le Festival de Savonlinna (Finlande) et l’Opéra de Marseille

En direct sur Antenne 2 le 5 août


    En ouverture, Otello commence par une tempête, celle qui se déchaîna le 1 août sur Orange l’empêcha de commencer, le menaça de fermeture le lendemain par une averse le jour où était renvoyée la représentation. Mais, encore une fois, le miracle opéra et l’opéra fut un juste triomphe.
   Sur la production originale, déjà présentée à l’Opéra de Marseille l’année dernière, on se reportera à mon article du 05 avril 2013. On y trouvera aussi le « Contexte historique de la pièce » et, « De la pièce à l’opéra ». Avec le changement de lieu et, en partie, de distribution, essentiellement le rôle-titre, c’est à une vraie recréation qu’il nous fut donné d’assister.

Réalisation
    Sans paradoxalement rien perdre de son intimité tragique, complot chuchoté, drame et meurtre étouffé dans la chambre conjugale, la réalisation marseillaise de Nadine Duffaut, transposée à l’air libre de la nuit et à la vaste scène du théâtre antique d’Orange, prend une dimension archétypale où la coloration vénitienne historique, forcément condensée sur une scène étroite, se dilue dans l’espace et le temps pour atteindre l’universel. Certes, c’est toujours la Chypre de Venise, l’emblème du lion, le miroir, les coiffures des dames, les somptueux costumes de soie et les cuirasses d’acier de l’Histoire en répondent. Mais nous sommes là et ailleurs, dans un présent de l’action et, déjà, un passé nébuleux reflété, comme un regret, un remords, dans une nébuleuse mémoire collective qui transcende un drame particulier pour atteindre l’individualité générale de tout couple brisé par le malentendu, sans doute aussi la différence d’âge, de culture, miroir écrasant et écrasé qui ne se recolle pas, sur un sol inégal se dérobant sous les pieds. Monde qui a perdu sa stabilité, son assise. Cet immense miroir brisé, symbole à la fois de la puissance de Venise [1] sur sa fin et de l’irréparable brisure du couple, reflète et réfléchit, en gros plans sur les visages émouvants d’Otello et de Desdemona, l’irrémédiable déchirure. Il meuble, sans encombrer, l’immense scène nue du théâtre antique : ruines et débris, de la puissance vénitienne, du « Lion de Venise » qu’est Otello, terrassé plus par lui même, par ses doutes que par les ennemis.

      Il est des fois où un trop, un maximum d’effets crée un moins, un minimum d’affect. Ici, le minimum, le minimalisme de la scénographie (Emmanuelle Favre) produit un maximum et jamais la mise en scène, respectueuse, épurée, n’usurpe la place de la musique et du drame effectif. Dans une pénombre, un clair-obscur, non point contraste ombre et lumière, mais mélange de clair et d’obscur au sens précis du terme, qui permet une mise en relief des personnages auréolés, des visages, nimbés de rêve, des costumes soyeux prenant des reflets de lagune verte ou vaguement rose (lumières, Philippe Grosperrin), les deux drapeaux rouges arrachés aux musulmans vaincus, autant que la tête sanglante de leur chef, prennent un relief chromatique intense, tout comme le modeste mouchoir blanc, le « fazzoletto » tragique, qui dessine dans cette brume sa frise dramatique.

 Les costumes (Katia Duflot), grises soieries des robes des dames, aile de pigeon rosée ou pétales doucement froissés de fleurs rêveuses, irisées, diaprées, cheveux pris dans des résilles ; les hommes, manches et chausses à crevés, pectoral de soie comme des cuirasses d’acier, bottes souples et épaules drapées de capes ondulantes, sont aussi en gris. Iago, est drapé d’une ondoyante tunique, souplesse serpentine de l’insinuation : société raffinée mais nourrie de piraterie, monde soyeux aux reflets insaisissables de la cour, de l’intrigue. Otello seul, sanglé de rigide cuir rouge de sanglant chef de guerre et de proche assassin de sa femme, est déjà une infraction à ce monde qui n’est pas le sien, tandis que la vénitienne Desdemona, transfuge par amour, auréolée de ses cheveux d’or, semble illuminée de sa robe vaguement dorée telle la mandorle, l’amande mystique lumineuse des martyrs et des saints des tableaux de la Renaissance. 
 En contraste funeste, le spectral cortège noir apportant, apprêtant le lit nuptial devenu funèbre catafalque, a le rythme implacable, inéluctable, de la fatalité en marche. On distingue une petite fille, un signe personnel de Nadine Duffaut dans nombre de ses mises en scène : l’enfant qui vit ou survit dans l’adulte, la pureté enfantine au milieu de la perversité des hommes, l’orée de la vie à l’heure de la mort. La chemise de nuit puis la robe nuptiale immaculées de Desdemona deviennent suaire et dernier costume de la mort annoncée.

Interprétation
      Dans ce plein air orageux ou venté, dans ce cadre grandiose et ouvert sur la nuit, ne cédant pas au gigantisme du lieu ni de cette musique de géant, Myung-Whun Chung propose magistralement une version que l’on dirait « chambriste » de l’opéra de Verdi, conduisant le ductile et docile Orchestre Philharmonique de Radio France à des pianissimi frôlant le silence, l’imposant, ce silence, à un public subjugué, qui n’a pas intempestivement applaudi une seule fois, attendant enfin respectueusement la fin de la musique pour éclater en bravos. Les pupitres sont amoureusement mis en valeur dans leurs couleurs délicates et les chanteurs sont toujours protégés, guidés, aidés dans des nuances aussi vocales qu’humaines. Il triompha en justice.

     Les chœurs des Opéras de Région (Avignon, Marseille, Nice) remarquablement préparés par leurs chefs respectifs (Aurore MarchandPierre IodiceGiulio Maganini), la Maîtrise des Bouches-du-Rhône (Samuel Coquard), L’Ensemble vocal et instrumental des Chorégies d’Orange, sont remarquablement préparés et l’on admire encore, dans ce vaste espace, avec cette sorte d’envol de pigeons des robes dans leur tempétueuse fuite affolée, l’art de Nadine Duffaut de mouvoir et d’émouvoir ces grandes masses de sentiments et de mouvements contradictoires dont la télévision, en direct et en gros plans montre la finesse de détails, la qualité d’acteurs passant aussi des chanteurs principaux aux choristes.    
    On connaît le soin avec lequel sont choisis, du premier au dernier, les interprètes des Chorégies. Bel exemple : en une seule phrase, Yann Toussaint, le héraut, annonçant l’arrivée de la galère vénitienne, déploie une voix large de basse prometteuse ; habitué des lieux, solide voix  et présence, la basse Jean-Marie Delpas est un Montano bien campé auquel la longue silhouette aristocratique et la voix claire du ténor Julien Dran, nouveau venu, fait un contraste  intéressant ; nouveau aussi à Orange, la basse Enrico Iori est un Lodovico d’emblée très à l’aise dans le lieu, noblement imposant. Le rôle d’Emilia, suivante, confidente de Desdemona, donne à Sophie Pondjiclis
  l’occasion de nous toucher par un mezzo puissant et chaud et un jeu tendre, solidaire, d’amie de cœur, de sœur, pour l’héroïne malheureuse.

      Dans le quatuor du drame, central mais épisodique, objet de la jalousie d’Otello mais peu présent physiquement et vocalement, dans le rôle ingrat de Cassio, Florent Laconi, avec sa belle voix de ténor lumineux, semble un peu éteint et pâtit et pâlit près des couleurs des autres, traversant l’orage avec la placidité d’un canard qui ne laisse nulle plume, même pas mouillée, dans la tragédie qui voit finalement son triomphe personnel. On avait déjà apprécié la puissance du baryton Seng-Hyoun Ko, voix d’airain, timbre aux arêtes tranchantes, au parlando velouté, murmuré, passant à l’éclat foudroyant du tonnerre dans la fureur : la grandeur du lieu gomme ce qui pouvait sembler parfois outrance dans un espace fermé. Insinuant, persuasif, venimeux, il déploie toutes ses facettes dans le rôle d’une noirceur machiavélique d’Iago, génie calculé du mal. Dans cet espace démesuré, niant Ciel et Enfer, toute transcendance, diabolique ou divine, autre que le mal pour le mal d'un "dieu cruel", son « Credo » nihiliste trouve une échelle moins grandiose qu’humaine, d’autant plus terrifiant, niant.

On retrouve avec le même bonheur Inva Mula en Desdemona. Elle chantait à Marseille le rôle pour la première fois donnant l'impression, disais-je, qu'il a été écrit pour elle : depuis, elle l’a enrichi, mûri tout en semblant l’inventer devant nous. Dans la grandeur d’Orange, elle ne grossit aucun trait : menue, jolie poupée à chérir, douceur de miel d’une voix ronde, blonde, aux nuances d’une touchante finesse. Sa voix, sans jamais forcer, en harmonie idéale avec ce physique délicat et gracieux, monte avec aisance dans la puissance mais sait se faire murmure, soupir ailleurs, avec des pianissimi aériens et timbrés, des sons filés et enflés, toujours avec une grande maîtrise technique au service de la musique et du drame. Dans la démesure du lieu et d’Otello, cette petite femme tout amour est toujours si touchante, si maladroite dans sa persistance innocente mais criminelle aux yeux de son époux à plaider pour Cassio, qu’on a encore plus envie ici, dans ce cadre effrayant, de lui souffler : «Attention ! » pour la protéger. Sans comprendre, mais sans révolte, c’est la biche éperdue face au fauve, avec un sens crédible du terrible partage des rôles entre homme et femme dans cette société, et de la fatalité qu’elle accepte avec des accents de Carmen, ou de la douleur d’une Traviata insultée en public, traînée dans la boue. Elle nous met au bord des larmes dans le dernier acte, entre l’air du saule , exhalaison d’une âme oppressée et opprimée, et l’Ave Maria sublime de simplicité résignée, pendant d'une tragique douceur du "Credo" pervers d'Iago.


    Otello, c’est Alagna, c’est Roberto, selon les dénominations d’un public qui l’a familièrement et affectueusement annexé. Ténor lyrique, il s’était audacieusement ou imprudemment lancé à l’assaut de rôles plus lourds, de ténor dramatique, de fort ténor, Canio, Calaf, avec des fortunes diverses pour ce dernier mais un rattrapage spectaculaire, forçant l’admiration, pour la seconde de Turandot. Otello est un autre défi. Certains, un peu méchamment,  même si le médium s'est cuivré, l’attendent au tournant, et jugent d’entrée son « Exultate ! » peu exaltant, par manque de l’épaisseur vocale requise par ce rôle terrible. Cependant, à la fin de l’acte, son duo d’amour avec Desdemona est d’un lyrisme, d’une beauté à couper le souffle. Lors de la première, au III e acte, dans le paroxysme et l’émotion, rauque, rugissante de douleur, de fureur, la voix, comme éraillée, déraille, défaille, mais de ces failles, comme Callas, Alagna, autre bête de scène, sait faire des atouts dramatiques et on comprendrait mal que le héros vaincu triomphe en voix. Sans doute encore galvanisé par la télé, lors de la seconde, tout cela est effacé et, toujours bouleversant, il arrive à être grandiose sans avoir la grande voix du rôle.
    Cette soprano, ce ténor forment à la scène un couple si vrai, si humain dans ce complot inhumain, lui dans sa folle démesure, la tempête au cœur, elle dans sa bouleversante innocence, qu’il inspire compassion et horreur : retrouvant les deux affects recherchés de la tragédie antique. Bref, parfaitement à leur place dans le théâtre antique d’Orange. 
    Après Nabucco, des Carmina burana d’exception, un concert lyrique Ciofi/Barcellona jubilant et cet Otello, surmontant les intempéries, l’année 2014 est encore à marquer d’une pierre blanche pour les Chorégies.

Chorégies d’Orange
Otello, Orange, 2 et 5 août

Orchestre Philharmonique de Radio France ; Chœurs des Opéras de Région.
Direction musicale : Myung Whun Chung
Mise en scène : Nadine Duffaut
. Scénographie Emmanuelle Favre. 
Costumes : Katia Duflot. 
Eclairages : Philippe Grosperrin.
Distribution :
Desdemona : Inva Mula
 ; Emilia : Sophie Pondjiclis
 ; Otello : Roberto Alagna
 ; Iago : Seng-Hyoun Ko
 ; Cassio :  Florian Laconi
 ; Lodovico Enrico Iori ; 
Roderigo : Julien Dran ; 
Montano : Jean-Marie Delpas ; 
Un hérault : Yann Toussaint.


Photos : Ph. Gromelles sauf 3 (Bernauteau) et 5 (Abadie) :  
1. Vue de la scène ;
2. Colombe apeurée, Desdemona (Inva Mula); 
3. Iago (Seng-Hyoun Ko
) :
4. Otello (Roberto Alagna) ;
5. Emilia (Sophie Pondjiclis) ;
6. Desdemona et ses dames ;
7. Cassio (Florent Laconi)  et Iago (Ko) ;
8. Desdemona en prières (Inva Mula).


     


[1] La fabrication des grands miroirs, nouveauté technique révolutionnaire inventée à Venise à la fin du XVIe siècle, y était un secret d’état puni de mort. Voir Benito Pelegrín, D’Un temps d’incertitude,  Sulliver, 2008, II, V. Miroirs : reflets, réflexions.