samedi, mars 26, 2011

MARS EN BAROQUE


NEUVIÈME FESTIVAL MARS EN BAROQUE
Du Baroque aujourd’hui
Marseille et Martigues
 (du 11 au 23 mars 2011)
Baroque intemporel
Mars en Baroque éclôt aux prémices du printemps et se clôt avec la floraison, nous laissant l’âme fleurie de ses concerts de choix. Mais, mois de mars, mois des fous, m…m… m… mtchoum ! mois des toux pour les allergiques, sacrifiant des concerts sur l’autel des éternuements intempestifs qu’on veut poliment épargner aux artistes et spectateurs. Frustration donc de ne pouvoir rendre compte que de deux concerts, à Marseille, d’ouverture et de clôture. Mais concerts exemplaires pour exposer, explorer la thématique 2011 de Concerto Soave : « Baroque… aujourd’hui ? ». Une mise en regard, en écoute plutôt, de pièces du premier baroque et de morceaux contemporains : en somme, recréations et créations.

À nos ancêtres, à nos enfants, ensemble Da Pacem (13 mars 2011)
Respect ému aux anciens et hommage tendre aux enfants, le premier concert avait un titre qui était programme. Tourné vers le passé et regardant l’avenir, il faisait d’une musique ancienne et d’une musique nouvelle, les deux intemporelles, secondées d’une musique traditionnelle africaine, une magnifique harmonie en acte, actuelle, un beau présent, un superbe cadeau.
Pierre-Adrien Charpy, fondateur avec la soprano Raphaële Kennedy de l’ensemble Da Pacem, était ici au centre vital de ce concert aux titres de compositeur, directeur et interprète accompagnateur à l’orgue.
Il s’était adjoint la collaboration de Moussa Hema, musicien traditionnel burkinabé jouant du balafon, sorte de xylophone, caisses de résonance de calebasses, et du n’gouni, instrument à cordes tout aussi africain.
Concert donc aux confluences de l’Europe baroque et contemporaine et de l’Afrique éternelle, dont la cohérence apparaît très vite pour peu que l’on abandonne des frontières artificielles : le Baroque, comme je l’ai écrit ailleurs, est un art migratoire, né en Italie mais répandu aux quatre confins du monde par l’émigration et colonisation espagnole et portugaise, la première mondialisation. Culturellement, comme nous l’avions reconnu au Conseil de l’Europe et à l’UNESCO, c’est le plus grand facteur commun culturel mondial. Et, tel que je l’ai défini, c’est un art d’accueil, qui s’adapte et adopte les modalités des lieux où il s’implante, amalgame hétérogène où l’unité ne fond ni ne confond la singularité. Et je signalerai qu’une forme musicale emblématique du Baroque, qui hante la musique européenne jusqu’à l’École de Vienne, l’hispanique chaconne, était donnée par les Espagnols eux-mêmes comme un pur produit de l’immigration, mexicaine pour Cervantès, mâtinée ou métissée d’Afrique pour d’autres. Qui s’en étonnerait à entendre, dans la musique africaine, ces percussions obsédantes et, dans le Baroque, ces fameuses basses obstinées, ces répétitions rythmiques pénétrantes venue d’une Espagne ouverte aux quatre vents ?
Parfaite illustration, entre autres, la Chaconne pentatonique de Charpy/ Hema, son thème obstiné à l’orgue et balafon, frotté des traits dorés glissants de la basse de viole de Sylvie Moquet, dans une mousse argentée du clavecin de Yannick Varlet. Les deux compositeurs assuraient individuellement des transitions (Interlude, Debbaya), laissant le même sentiment d’être en terre nouvelle mais non inconnue : la musique répétitive et ses grappes de notes distillées, instillées telle une obsession.  La pièce À nos ancêtres  semblait s’enfouir, s’enfoncer dans des ombres de viole et d’orgue scandées comme une marche funèbre par le clavecin, tandis que Moussa semblait venir d’un infini de la nef, égrenant, avec les notes pincées du n’gouni, des mots étranges en mélopée lointaine, sorte de réponse à la soprano planant au-dessus et descendant en glissandi de miel.
Il revenait à la maternelle tendresse de Raphaële  Kennedy de chanter aussi la partie du diptyque À nos enfants, comme, après les airs de Monteverdi, Strozzi, Sances, la merveilleuse et cruelle variation spirituelle de Merula sur la berceuse, A la nina nina na… où la Vierge, image absolue de la Mère, endort son enfant, avec la prescience de la Passion qui l’attend. Minutieuse douceur de cette voix ailée, frisée, friselisée de vocalises minuscules, ponctuée parfois de quelques frémissements du balafon.
C’est donc à ces retrouvailles fondamentales que nous conviaient des musiciens en rouge sombre portant la flamme, le flambeau de cette musique chaude, sensuelle, cette pulsation profonde persuasive, séduisante, ponctuée, rafraîchie par les notes, les gouttes liquides, cristallines, poétiques, du balafon virtuose de Moussa Hema.


Marseille, Chapelle Sainte-Catherine
À nos ancêtres, à nos enfants
Musiques de Claudio Monteverdi, Barbara Strozzi, G. F. Sances, Tarquino Merula, Pierre-Adrien Charpy, Moussa Hema.
Ensemble 
DA PACEM
 : 
Raphaële Kennedy, soprano
Sylvie Moquet, viole de gambe ; Yannick Varlet, clavecin
 ; Pierre-Adrien Charpy, orgue ; Moussa Hema, voix, n’gouni, balafon.
Photos :
1. Moussa Hema;
2. Pierre-Adrien Charpy ;
3. Raphaëlle Kennedy.

mardi, mars 08, 2011

La Rondine

 
LA RONDINE
(l’hirondelle)
Livret de Giuseppe Adami,
Musique de Giacomo Puccini
Production du Teatro del Giglio de Lucca
Opéra de Toulon,
27 février 2001

L’œuvre
Une hirondelle ne fait pas le printemps de la colombe de la paix. Ainsi celle, commandée en 1913 par Vienne à Puccini, stoppée net dans son vol par la guerre de 14 et enfin volant de ses propres ailes à partir de sa création dans le neutre Monte-Carlo en 1917 : année où la Grande Guerre mondiale bat son plein, de la Révolution d’octobre, des fusillés pour l’exemple sur le front… Mais c’est l’année aussi où Hofmannsthal et Richard Strauss fondent le Festival de Salzbourg dans cette Autriche belligérante, où Cocteau, Satie et Picasso créent Parade à Paris, etc… Un an avant, le mouvement Dada était né dans la neutralité helvétique… 
Faut-il s’en affliger ou s’en réjouir ? Nécessité de frivolité artistique dans la frilosité des temps glaciaux de guerre ? Proust moquait ces élégantes parisiennes aux luxueux costumes inspirés des uniformes des poilus des tranchées par solidarité patriotique. Sinon la mode éphémère, l’art, qui vise à l’éternel, affirme la vie au milieu de la mort : c’est la civilisation, l’humanité au meilleur, un autre front face à l’horreur.
On n’en voudrait donc pas à cette bluette par la minceur de son sujet, une femme entretenue tentée un moment par l’amant de cœur, Traviata sans tragédie, trémolos et tralalas, si, justement, cette même minceur, la rapidité nerveuse de l’ouvrage n’empêchait que les personnages ne s’installent suffisamment dans nos esprits et nos cœurs pour nous émouvoir sur leur destinée, après tout fort douillette : passée la rupture, amant délaissé, amante, rejoindront leur confortable cocon social. Pas de déchirements sociaux à La Bohème… Par une aile, c’est un drame sans dramatisme ; par une autre, une opérette sans grand appareil joyeux. Hybride, ambiguë : un pincement au cœur vite passé.
Mais, œuvre rare qu’on est heureux d’entendre dans cette programmation toujours originale de l’Opéra de Toulon de Claude-Henri Bonnet.

Réalisation et interprétation
Ironie du destin ? Cette œuvre née pendant la Première guerre mondiale fut détruite par le feu en 1936, prélude espagnol de la Seconde. Il incomba au compositeur Lorenzo Ferrero d’en reconstituer la partie orchestrale sur la partition chant/piano qui avait survécu. Déjà, Franco Alfano avait terminé le dernier acte inachevé de Turandot. La reconstitution ressuscite de vivante façon les harmonies complexes, les accords tuilés aux rapides enchaînements, les somptueuses et légères draperies orchestrales de Puccini, cette vivacité et concision qui le caractérisent. Jamais de longueur, de lourdeur et même le seul air à la coupe traditionnelle, « Il bel sogno di Doretta », si bref, si pénétrant, juste repris, s’évanouit vite  et n’en demeure qu’un accord lointain comme un écho que l’on voudrait retenir justement comme un rêve tant il est beau.
Giuliano Carella, à la tête d’un Orchestre de l’Opéra de Toulon séduit, cisèle, aiguise ces arêtes qui s’alanguissent de voluptueuses vapeurs : belle correspondance avec la vue de ces lumineux décors Art Nouveau, Liberty pour les Italiens, Guimard ou style nouilles pour les Français, avec leurs volutes, leurs courbes sensuellement féminines, mais aussi son architecture industrielle de fer pour le Bal Bullier avec son moderne éclairage électrique. C’est Rosanna Monti qui les signe ainsi que les exacts costumes d’époque, luxueux tissus Fortuny pour robes libérées du carcan du corset, style Poiret, pour les mondaines à aigrette, bérets pour les grisettes, pantalons cyclistes, casquettes pour les étudiants de l’acte II. Les lumières (Jean-Claude Asquié) sont « naturelles », pas de spot suivant les chanteurs, mais une source unique, mordorée pour le I, nuit et aube respectivement pour le II et III.
La mise en scène, ou plutôt la régie de Gino Zampieri consiste en un agréable maniement des personnages, aux mouvements quelque peu chorégraphiés, se mêlant sans peine à la plaisante chorégraphie de Giulia Menicucci. Dans la tradition italienne, les chanteurs sont souvent à l’avant-scène, sans autre recherche apparemment que le mieux dire du chant. L’ensemble est homogène dans une certaine tradition, sans grande recherche, mais d’un confort non négligeable par ces temps du n'importe quoi scénique.
Maria Luigia Borsi, soprano, est Magda presque Madeleine repentie, mais elle n’est qu’une demi-mondaine à demi saisie par l’amour : le bas médium charnu, fruité, dit la volupté de la femme sensuelle ; l’aigu, rayonnant, aisé, avoue peut-être l’aspiration ou la nostalgie de la pureté. Bref, la courtisane n’a pas éteint en elle la vierge, la femme n’a pas étouffé la jeune fille. Dans l’air de Doretta, ses pianissimi sont délicats, peut-être un peu courts par le tempo ; elle sait enfler et diminuer un son et construit son personnage dans un crescendo de puissance d’acte en acte. Rosanna Savoia est une piquante et impertinente soubrette de comédie bien chantante et l’on peut associer trio et brio avec les interventions de Christine Rigaud, Liliana Faraon et Sophie Pondjiclis, trois dames dont la partie est finement tissée dans cette conversation musicale assez straussienne, plutôt délicate.
Pour quatre soprani et une mezzo, ces messieurs sont trois ténors et trois barytons. Marc Laho est, du moins vocalement, un touchant Ruggero, à la voix large et lumineuse de ténor, on l’entend affectivement bien, mais effectivement mal en jeune homme ; Francesco Marsiglia ('Marseille !') est le poète inspiré de la chanson de Doretta mais a un problème de projection. Rambaldo, l’amant portefeuille, c’est le baryton Vincenzo Taormina, beaucoup de conviction dans le jeu et le chant. Paul Rosner, ténor, Norbert Dol, et Rudi Fernández, barytons, sont le trio masculin pendant de celui des dames, aussi dynamique et bien intégré dans la trame orchestrale continue de cet opéra/opérette concertant, où les chœurs, bien tenus, sont au fond comme un arrière-plan de foule au petit monde mondain de l’avant-scène

Photos : ©Frédéric Stéphan
1.  Maria Luigia Borsi et Vincenzo Taormina ;
2. Bal Bullier;
3. Marc Laho et Borsi dans le pavillon du bord de mer. 
 
LA RONDINE
De Puccini,
Production du Teatro del Giglio de Lucca
Opéra de Toulon, 25 ; 27 février et 2 mars 2011.

Direction musicale : Giuliano Carella. Orchestre, chœur et ballet de l’Opéra.
Mise en scène : Gino Zampieri. Chorégraphie : Giulia Menicucci.  Décors et costumes :  Rosanna Monti. Lumières : Jean-Claude Asquié.
Distribution :
Magda : Maria Luigia Borsi. Lisette : Rosanna Savoia. Yvette : Christine Rigaud. Bianca :  Liliana Faraon. Suzy :  Sophie Pondjiclis.
Ruggero : Marc Laho. Prunier : Francesco Marsiglia. Rambaldo : Vincenzo Taormina. Périchaud : Rudi Fernández.  Gobin : Paul Rosner. Crébillon : Norbert Dol.